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lundi, 20 novembre 2006

Site Roger Vailland

Je signale l’ouverture du site Roger Vailland, écrivain français, sous l’égide des Amis de Roger Vailland.

samedi, 18 novembre 2006

À moi-même

Sous l’improvisé du juillet d’extase, je vais cherchant des livres pour désennuyer la mort, la distraire de son travail de misère. Dans les gobelets d’étain des yeux qui paradent, je bois l’eau aux bulles de mots. Je suis l’exquis affolement, le soleil et la ronde, un bout de ficelle à lier les désarrois en touffes odorantes – romarin de misère, basilic d’effroi. Je suis un peu d’encre renversée sur la robe de la dame d’en face qui m’a juste regardé dans les yeux, dans les mots, dans le bleu de Chaillot. J’ai mis ma jaquette jaune pour sortir dans le monde des tournesols qui rient. Il faut noter au vol des idées auxquelles on pourrait encore croire, il faut sentir la mer, la vie, les sentir avec des poumons inédits. C’est difficile, il y a des senteurs vertes – on mangerait le printemps – il faut sentir avec soin, il faut s’imaginer. C’est d’avoir eu vingt ans qui tue ensuite l’olfactive liberté, la disponibilité des senteurs. Adorer les fragrances, savoir être un fruit, dire enfin cet autre part où crème une écume autre, à la crête de vagues réconfortantes. L’explosion de l’exprimé ne vit pas dans les salons, mais dans ce cri poussé de toute ma tessiture où brûlent les rêves inaboutis. Il n’y aura plus d’air que je ne veuille parfumer, plus d’illusion que je ne désire illuminer de mon adhésion, que je ne désire faire naître de mes contradictions. Je suis un fruit porté tout en avant.

Est beau ce qui rend l’œil heureux immédiatement, le cœur et l’âme ensuite ou simultanément. Quand mon œil est heureux, mon corps aussi exulte et mes pieds s’envolent, mes pieds s’envolent loin de la terre mouillée dont il ne reste plus que le parfum, que les alcools. Comment se rendre au marché aux fleurs ? C’est impossible depuis que des senteurs ont accumulé l’émotion. Manifestation interdite ! L’émotion arrêtée et gardée à vue tremble encore de la tête à ses pieds chaussés de blanc. On ne peut plus errer au marché aux fleurs, plus de pas légers, plus d’effleurement et plus d’échos de roses-thé. Nos illusions retrouvées voguent encore, encore, nous ne grandirons jamais. Nos illusions sont des nappes phréatiques toujours renouvelées, des robes de mariée de chaque jour, des statues de femmes opulentes, de cette pierre qui brûle l’œil avant la main. Tant que vous saurez caresser les statues, vos illusions retrouvées s’allongeront sur des lits de lilas mauve dans une odeur d’herbe mouillée.

Encore, juste un peu, quelques pensées bouclées, les émotions aux cheveux longs, le goût qui marche sur de tremblantes avenues. Encore, juste un peu, quelques instants accrocheurs, les moments de rubans enveloppants, les saveurs amples, les ripailles de vent aigrelet et quelques livres aussi pour conforter les pas de caoutchouc que dessinent nos pieds nus. Encore, juste un peu, dans la bouche le goût de la vie, le sourire du vécu blême, le soleil des mandarines. J’ai traversé les rues du désert et je ne m’y suis pas perdu. Il y avait là le silence goudronné, bétonné d’indifférence. J’ai eu des faims, des soifs que je n’ai pu étancher. Je n’ai jamais eu les pieds qu’il fallait pour marcher vers où je l’aurais désiré. Le temps, ce désespoir, est une orange sèche. Je voudrais des soleils de citron. Branche cassée d’un arbre discret, je vais comme vous de misère en misère dans cette atmosphère qui n’est même pas baroque. Je voudrais des vies de falaises et des pieds d’harmonie pour y marcher, des mains de soie et de lilas pour un toucher embaumé et des lumières de lune pour se laver dans la pâleur. Je pense à des poèmes courts, petites pièces brèves de sensualité, denses et odorantes comme la démarche d’une femme en mouvement dans l’imaginaire fleuri de toutes les roses.

Le raisin a perdu ses grains de fantaisie, le vin a été bu dans des barriques cassées. Avant qu’il se répande, mangeons du pain, mangeons du pain. Et sur la chute bleue de tes reins, jouons, jouons, jouons l’attentive étude des sorcières aux pieds nus. Personne n’a mis de fleurs dans ta vie. Il faudra donc les arroser et espérer de tous les châteaux qu’ils soient de conquête et non de repos. Le silence dit ses mots dans ma tête. Ombre d’algue, il susurre des doutes et peut-être murmure-t-il des absences. Je ne sais quelle heure il mélancolise le plus, ni quel sens il donnera aux instants les plus bruyants qui iront au spectacle de mes jours à venir. À présent, le silence dit ses mots dans mes fêtes, il bourdonne à ma terrasse, rayon d’été dans la chaleur troublante. Bracelet de cuir, il m’attache par les pieds à ma bibliothèque, citron enté à l’oranger.

Je m’enfonce dans mes pas, dans la terre, et cependant je vole dans ma tête vers des pays mordants. Ma démarche est ainsi et mes talons s’élèvent sans cesse lorsque, sur la pointe de mes pieds, je repars victorieux vers des terres exquises où les explications ne sont plus hasardeuses, dans la vie chocolatée collante et grumeleuse. Quand la lumière est adorablement souple et que l’amour n’est plus bavard mais maritime, au bout de son parcours de menthe et d’olivier ou de fleurs de pommiers. Lorsqu’au-delà des toits, plus rien, dans le gris brumeux, n’est de soie ou de saveur, quand rien n’est plus fleur, fleuron d’amitié, quand tout est désert, masque de paroles, qu’on va guidé par quelle étoile grisée, plus rien n’est de soie, de satin lilas. À mourir pour vivre, à ingurgiter des mots comme remède, plus rien n’est dimanche dans ce paysage. Mes livres sont tus, muets et sans voix, ils sont un fruit séché, un kirsch éventé. Quand le sommeil brûle à travers les livres et les yeux fermés de l’attente, alors, dans la lumière grise, n’exister plus et, à pas de fatigue, de rocher en route, de mer en route, de ruines en route, avancer sous les soleils aux robes lilas, dormir les jours à venir s’ils doivent n’être que les portiques du semblable et ignorer les alcools éventés du destin, boire aux oranges mêmes.

Je n’ai plus le temps, va, je n’ai plus le temps, le temps d’hévéa, je n’ai plus rien pour moi, pour lui non plus, plus de temps, plus d’ovation, plus non plus d’alléluia. Je n’ai plus de pieds, je ne puis aller plus loin, il faudra bien que l’on me porte. Je ne suis pas lourd : une once d’ombre et rien de plus, un journal blanc auto-censuré, déchiré, je m’en vais sans lecture à donner. Je m’en vais, plus de temps, je n’ai plus de fruits, je ne suis plus arbre, plus du tout de marbre, le temps va, je n’ai plus ni goût ni force, ni croquant ni craquant, je m’en vais sans vanille. Le temps du désert traversé : au bout, m’attend le vapeur blême qui m’emmènera jusqu’au port, le grand port où un cargo libre en partance m’emportera vers une rousse et du lilas. Où sont les cartes de la région et les journaux de bord du capitaine inconnu ? À quand ce désert traversé vers le bout d’aimer et vers l’ultime peur, celle qui sent toutes les forêts ?

La lassitude est un repas mal recuit. Être à l’affût, être à l’écoute par-delà cette indifférence qui me fait les yeux trop doux… pour être quoi, à la fin ? Laisser parler, laisser chuinter le chant du ruisseau qui persiste. Tout est bleu ailleurs, mais je ne sais pas où. Sur mes seins nus soufflera la brise de la verdure du vivre, quand il craque et croque. L’angoisse impatiente et la peur de perdre ce qui n’est même pas assuré, le corpus de la crainte présenté, analysé, disséqué comme l’œuvre complète de la mélancolie à l’université… Le vent, pourtant, là-haut, ne s’en laisse pas compter, il va s’inscrire au registre d’attente d’un instant de bonheur, loin des cyclothymies sans soleil, là où le goût marche libre sur un boulevard fleuri de visages.

Quand seront les papiers jaunes et moisies les images défuntes, il sera loisible de toucher du cœur cette évidence de pain brûlé. Rien n’aura été, rien n’aura servi, n’aura duré, n’aura pu croire en ces soirées d’incandescence, en l’avenir aux gants beurre frais. Tout était dessalé d’avance, l’amertume était une écharpe. Il n’y a plus que le silence au bord du balcon déserté, sans couleurs, il y a plus de cinquante étés que cette photo attend de ne plus rien signifier. C’est ainsi : sur les ponts du passé et du mouroir de vivre, on voit jaunir des photos mortes, on ne peut plus aller nulle part, tout finit au creux des fossés, personne ne prête assistance à personne et personne ne fiance sa destinée aux balcons désertés, sans odeurs. Même les nuages ont passé sur leurs pieds abîmés, les paupières sont lourdes aux soirs attardés, il vaut bien mieux aller sans fleur. Au bord du balcon silencieux, il doit y avoir quelques ombres.

Si l’idée du bonheur était telle que le bonheur pût exister, il faudrait la crier dans la rue. Si la fleur qui vit au cœur de nos sens était une orchidée, une jacinthe blanche, il faudrait sentir bon, véritablement. Si l’idée de joie était telle que la joie s’ouvrît en bouquets, il faudrait en vendre les fleurs, la couleur, la senteur aussi. Si les femmes étaient de laine, un manteau court de laine rose, je deviendrais un amour fou. Si tout était, si tout était simple… Si l’idée d’avancer n’était que des pieds, il faudrait que la vie chaussât ces pieds d’aventures et d’espoir. Si janvier, si la lumière… Alors les jours allongeraient. Si l’idée de danse était suffisante pour la légèreté du vivre, il faudrait commander la musique. Si le goût était une pomme, il faudrait la cueillir le corps nu. Si tout était simple, si tout était doux, si tout était roux.

Ils sont tous morts, ceux que l’on pensait éternels parce qu’on les croyait indestructibles. Ils le furent, indestructibles, le temps qu’il fallait sans doute. Après, c’était à nous d’agir et maintenant, le ciel est bleu, l’abandon n’était pas provisoire. Au soir frais, les oiseaux paraissent sonner l’heure de la fermeture. Je ne peux plus voir les images des morts, je ne peux plus le supporter et mon stylo le dit tout seul dans le gris matin de cette matinée. Je ne peux plus voir les images des personnes parties, elles sont illusion de ma vie. Je ne sais pas dire aux fontaines que leur eau n’est pas assez fraîche et je ne peux pas dire aux visages des morts combien j’ai mal de les regarder. Je n’ose pas flétrir leurs roses déjà inanimées. Un peu de temps, juste un peu de temps, voilà ce que demande celui qui vit toujours trop vite en songeant que tout est trop lent.

Alors, sur le sapin du monde, là, tout en haut, ce n’est pas pour rire que brille le bout du temps. Quand le sapin se couche sans gloire et sans attendre des nouvelles du soir dans son lit de terre… Il aurait mieux valu brûler tout ça, incinérer le temps qui passe. Le fleuve avec ses chaussons de satin vert, ne veut pas se mouiller, dire au journal les nouvelles qu’on aimerait lire, feuilles de menthe vibrantes et festives, dire au menu le nom des plats qui n’y sont pas, avec les vins tremblants de soie, dire à l’amour oui ou non, assurément, avec les frêles frissons et les frênes feuillus de l’été, dire aux éditeurs du sentiment de faire imprimer nos partitions. La mort n’est pas tout, n’est-ce pas ?

Dire, vous dire mais me dire avant, avant tout dire mes rapports avec le monde, avec vous. Ruban de mots brodé de peur, ourlé d’amour, au bord sans cesse de l’épanouissement et de la meurtrissure, prêt à chuter, prêt à craquer comme craquent, dans leur sécheresse, le bois, la nuit, les sentiments, et le cœur inopinément. Dire tout ce que j’ai cru jadis, que la pierre était pierre, dire encore que j’y crois toujours. Dire ce que j’ai découvert, que j’aimais le caoutchouc, sensuel en éternité, une matière de l’enfance. Dire surtout, partout, que si écrire ne sert de rien, je l’avais toujours su, mais j’aimais autrefois l’acte gratuit, la pomme du pommier. À ce jour, j’ai – ronces aux ronciers – des doutes que mes mots tentent de ne pas paraphraser.

Où s’en vont nos deux mains nouées dans le lilas et nos tourments autistes, quand la raison s’agrippe à des ronces entêtées, à ces démons qui n’aiment pas le dimanche, à ces femmes enceintes qui portent des lunettes ? Dans l’inutile absolu d’un monde révolu, sans senteurs et sans nez et sans plus de jeunesse, sans plus de café. Je ferai le poème du doute, de l’à quoi bon, du pourquoi vivre, du pourquoi pas. Sur un rocher face à moi-même, j’écrirai le texte de la route en avant. Quand se lèveront les vents plus doux, sur les tombeaux de nos passés assumés où plieront les cyprès, je ferai la chanson des fruits de vivre, je m’en irai sur mes pieds nus et formidables, vers de grands soleils époustouflants. Dans la grippe infâme de l’habitude, je vois s’installer le virus inquiet du devenir, mais je suis l’avenir et je vous réserve quelques soleils encore, qui brilleront à travers les vitres sales de vos quotidiens sans lumière, jusqu’à ce que poussent des pommes et du lilas dans vos réduits épuisants, dans vos ventres sans avènement. Il y a, dans le scénario commun d’une existence sans fièvre, les lieux communs de l’amour pelliculé. Je ne dirai pas les mots à parler, les verbes à taire, les vocables pouilleux, je tairai l’insolence du monde à n’être jamais qu’un répertoire, un pot commun. Viennent des temps de caoutchouc, de sensualité chantée !

Transmettre des idées habillées d’émotion d’abord, avant, oui, bien avant les recherches formelles, transposer la sensualité en mots de matière et d’odeurs, d’abord, avant, oui, bien avant tout le reste. C’est mon art poétique si j’en ai un, c’est mon goût d’écriture et de lecture aussi, goût de pommes au matin aigrelet, fleurs éclatées dans mes globules, bois sculptés dans mes neurones pour qu’ainsi l’on sache applaudir et maudire s’il le faut cette vie de pierres. Juste un mot maintenant, à l’heure ouverte au monde, un mot plein de senteurs, s’il en existe encore, des senteurs. Un mot pour dire demain aux îles excellentes où dort l’édition de tes rêves, où il y a des mois de repos, où il y a des fruits emportés de colère, où il y a sur la table un peu de vin, un crayon et l’amère amertume avec deux pianos fous, où il y a l’illusion qui lit la grammaire française. L’édition lilas de tes rêves d’enfant, tu la fabriqueras toi-même et, si tu es sorcier, tu sauras bien la deviner et tu l’illustreras avec tous tes pastels. Le temps des semailles a passé, le temps des sonnailles a tintinnabulé. Que faut-il à présent pour que les cascades chutent encore ? Un pantoum qui tourne la tête et fait valser les pas hésitants, un peu de citron dans l’air du temps ?

vendredi, 17 novembre 2006

De la tomaison

Depuis plusieurs années – certainement depuis l’emploi généralisé de la presse Cameron – on publie de véritables pavés. On pourrait d’ailleurs discuter de l’aspect de pavé volontairement conféré à certains volumes qui n’en ont pas besoin (je pense aux ouvrages artificiellement « gonflés »), mais c’est un autre sujet.

La généralisation de l’emploi de la Cameron a occasionné, entre autres conséquences, la disparition du tome. On fait paraître en un volume ce qui, auparavant, aurait été proposé en deux ou trois tomes. Certains livres ne sont même plus manipulables dans certaines conditions (notamment dans les transports en commun), voire plus manipulables du tout. Je me suis amusé à lire, sous la plume de Phébus, cette remarque qu’il ne m’en voudra pas de citer : « J’ai lu debout appuyé contre une porte pendant quarante-cinq minutes ; ce qui, avec un volume aussi conséquent que Les Bienveillantes, fait travailler le poignet. »

L’abandon de la tomaison m’inspire quelques réflexions. L’éditeur, en vendant un travail en un volume, est assuré contre le risque de mévente que fait planer une division de l’œuvre en plusieurs. Il était fréquent en effet que les lecteurs achètent le premier tome, pas (ou moins) les suivants. Cela se voit lorsqu’on cherche des livres d’occasion : le premier tome est très fréquent, le second moins et les suivants, lorsqu’il y en eut, moins encore. Il semblerait par conséquent qu’il fût plus cohérent de tout publier en un seul ouvrage, au risque de le rendre lourd, très peu pratique et, évidemment, fort cher. Cette solution n’avantage donc réellement que l’éditeur.

Toutefois, la tomaison est encore employée pour les ouvrages supposés difficiles. Ainsi, le Cherche-Midi a édité, en 2000, le premier volume des Poésies complètes de Luc Bérimont, annonçant deux autres tomes à venir… qui ne sont jamais venus et ne viendront sans doute pas. Fayard a fait paraître au printemps 2005 le premier tome de la Correspondance générale de Verlaine. Le second tome (et sans doute le dernier, encore que rien n’ait été précisé à ce sujet) n’est pas sorti. Sortira-t-il ? On constate alors que, pour ce type de livre, l’éditeur tâte le terrain, prudemment, en étant prêt à tout abandonner en route et à laisser des publications en suspens – au mépris de l’auteur et du contenu – et le lecteur sur sa faim par la même occasion (toutes ces publications sont très subventionnées, mais c’est là encore un autre point.)

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jeudi, 16 novembre 2006

« Maintenant que la jeunesse… »

 medium_img75003-200611190013-58.jpgLes livres, disques, affiches, papiers, archives, objets, lettres, meubles et autres fragments d’existence de Monique Morelli passent en vente à Drouot, dimanche 19 novembre à 14 h. Exposition samedi de 11 à 18 h, et dimanche de 11 h à 12 h.

Comme souvent, les héritiers ont tout fourgué, même les accordéons de son mari et accompagnateur Lino Léonardi qui avait signé de si belles musiques, notamment sur cette poésie d’Aragon que tout le monde connaît, Maintenant que la jeunesse... Le catalogue est en ligne au format Word, avec seulement deux cent vingt photographies de lots.

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mardi, 14 novembre 2006

Un cliché à plus d’un titre

Autrefois – approximativement jusqu’aux premières années 60 – une biographie s’intitulait Vie et œuvre de, avec des variantes comme La Vie aventureuse de, par exemple. Puis on eut pour titre le prénom et le nom du modèle, parfois le nom seul. On a connu ensuite une période où les biographes titraient Prénom et nom, une vie. Mon Albertine Sarrazin fut ainsi transformé par l’éditeur en Albertine Sarrazin, une vie. Depuis quelque temps, on peut lire C’était prénom et nom. Cette dernière version (plus exactement son abus) est née je crois en 1996, lorsque Le Nouvel Observateur titra C’était Mitterrand. J’ai ainsi acheté hier C’était Jacques Doucet, chez Fayard. Je trouve cette formule emphatique.

Ces réflexions me sont dictées par la série de notes consacrées par Dominique aux clichés : Voyage au cœur des poncifs, Le troisième homme et C’est beau un cliché, la nuit.

15:20 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (4)

dimanche, 12 novembre 2006

Mme Royal est ignorante, par Fanny Layani

Mme Royal est ignorante, inculte, démagogue et fait preuve d’une capacité de réflexion qui ne dépasse pas le bout d’un nez dont elle essaie désespérément de se servir pour flairer le sens du vent.

Mme Royal est hypocrite, tient des propos qu’elle n’assume pas et se pose régulièrement en victime de ses grands méchants rivaux socialistes qui, parce qu’ils sont des hommes, ont sans doute comme seul et unique but de l’écraser sauvagement, au seul motif qu’elle est une femme, bien évidemment.

Tant de bêtise réunie en un seul « phénomène médiatique » bien plus qu’en une seule personnalité politique, après m’avoir navrée, en vient à m’énerver. J’ai donc décidé de lui écrire. Mais comme elle ne le lira pas, autant que d’autres le lisent.

 

 

Mme Royal,

Comme bien d’autres, j’ai vu la vidéo circulant sur internet, concernant vos propos sur l’école. Je ne me suis pas outre mesure émue de leur teneur, connaissant malheureusement depuis déjà longtemps vos positions à l’égard de cette institution que je sers. Je ne me suis pas non plus émue de la bassesse du procédé de diffusion de ces images : notre classe politique étant ce qu’elle est, plus rien ne doit nous étonner.

Mais après tout, ces propos ont bel et bien été tenus, et que vous cherchiez à les dissimuler ne vous honore pas. Passons.

Je tiens simplement à vous faire part de quelques informations que vous semblez ignorer (ce qui est grave pour quelqu’un qui prétend arriver aux responsabilités suprêmes.) Je vous précise par ailleurs que dans un souci d’approfondissement, j’ai regardé la « version longue » de votre intervention d’Angers, qui circule également plus ou moins ouvertement sur internet. Les propos que vous y tenez ne changent rien au fond de votre discours.

Vous ne connaissez manifestement rien du travail des enseignants dans ce pays. Permettez-moi de m’en étonner : n’avez-vous pas été, il fut un temps, secrétaire d’État à l’enseignement scolaire ?

Ainsi, vous affirmez, entre autres, que les enseignants ne travaillent que dix-sept heures par semaine : cet horaire ne correspond à aucun statut. Faut-il vous rappeler qu’un professeur certifié doit accomplir un service de dix-huit heures hebdomadaires par semaine, et que ce service est ramené à quinze heures pour un professeur agrégé ?

Par ailleurs, vous sous-entendez qu’une fois ces « dix-sept » heures effectuées, les enseignants s’empressent de quitter leur établissement pour aller gagner ignominieusement de l’argent supplémentaire dans des entreprises de soutien scolaire « cotées en bourse ». Savez-vous que les entreprises en question fonctionnent, pour l’immense majorité des cas, avec des étudiants et non des enseignants, d’une part, et que, d’autre part, les salaires de leurs employés sont honteusement bas ? Savez-vous que ces entreprises exploitent tout simplement les étudiants les plus modestes, dont les études ne peuvent être financées par leurs parents ? Et savez-vous que si, par hasard, on y trouve quelques enseignants, ce sont le plus souvent des vacataires ou des enseignants sur postes précaires (maîtres-assistants, etc.) qui n’ont d’autre choix pour vivre que de compléter les maigres subsides que leur accorde l’Éducation nationale avant de les jeter dehors ?

Je me bornerai à vous signaler quelques faits concrets, venus « du terrain » puisque vous ne cessez de proclamer que c’est ce qui vous intéresse. Je m’étonne au demeurant qu’avec un tel « intérêt », vous ignoriez encore tant de choses.

Un professeur certifié assure donc dix-huit heures minimum par semaine devant ses élèves. Les inspections académiques, appliquant les directives venues des rectorats et du ministère, nous obligent à assurer de plus en plus d’heures supplémentaires, pour compresser les postes. Ainsi, il est fréquent que les collègues effectuent vingt ou vingt et une heures devant les élèves, ce qui, dans un établissement difficile, représente un surcroît de fatigue non négligeable, n’en déplaise à ceux qui pensent qu’enseigner en collège ne demande que peu d’énergie et d’investissement personnel.

Ces heures de cours, nous devons les préparer : l’équivalence communément admise d’une heure de préparation pour une heure de cours (ce qui porterait déjà notre semaine de travail à trente-six heures) dépend des matières, du type d’élève et du niveau. Elle est globalement sous-évaluée, pour les établissements de ZEP comme pour les lycées. De plus, nos cours donnant lieu à des évaluations qui sont loin d’être de simples vérifications de l’acquisition des connaissances, il y a des copies à corriger. Comptons deux à trois paquets de copies par enseignant et par semaine. Là encore, le temps de correction est variable, mais dépasse souvent les trois heures par paquet pour de « simples » copies d’histoire ou de français de collège. Je vous laisse imaginer ce qu’il en est d’une dissertation de philosophie de terminale.

Ayant, contrairement à ce que vous semblez penser, le souci de nos élèves, nous passons beaucoup de temps à évoquer ensemble leurs difficultés, à chercher des solutions communes pour y remédier, à élaborer des projets interdisciplinaires qui les aident à mettre en relation leurs connaissances et leurs compétences, etc. Cela demande beaucoup de temps, et se fait bien évidemment en dehors des heures de cours, le soir, le week-end ou pendant les vacances, avec les conséquences que vous pouvez imaginer sur notre vie personnelle et familiale. Ces séances de concertation, de plusieurs heures à chaque fois, sont souvent au nombre de deux par mois, avec les différents collègues. Je vous laisse donc effectuer le calcul.

De plus, nous sommes pour beaucoup professeurs principaux d’une classe. Cela implique un travail important, effectué dans l’établissement en dehors des heures de cours. Nos tâches sont diverses et varient selon les types d’établissement, bien sûr. Mais il s’agit globalement de :

- relever et suivre les carnets de correspondance régulièrement, pour vérifier qu’ils sont signés, prendre connaissance des mots des collègues, vérifier les heures de colles, les absences et retards, etc. : comptons plus d’une heure de travail pour vingt carnets de correspondance ;

- coordonner l’ensemble d’une équipe pédagogique, pour faire front commun face aux difficultés qui se posent dans la gestion de la classe : cela implique donc de nombreux échanges avec les collègues. Si l’on veut que ces échanges soient fructueux et ne pas laisser seul un collègue en difficulté, cela demande du temps. Ce n’est bien évidemment pas quantifiable, et d’aucun s’appuient là-dessus pour nier l’existence de ce travail. Mais il n’en reste pas moins qu’il est essentiel, et prenant ;

- être en contact régulier avec les surveillants, le conseiller principal d’éducation, qui voient les élèves dans d’autres contextes et sous un autre angle, avec l’infirmière et l’assistante sociale également, pour connaître la situation d’un élève dans sa globalité, autant que possible. Là encore, ces concertations nécessaires ne sont ni reconnues ni prises en compte, et se font de manière empirique, parfois le soir par téléphone quand les journées trop bien remplies ne nous laissent plus le temps de nous parler ;

- prendre le temps d’écouter les élèves en dehors des cours : c’est souvent dans ces moments-là que leurs problèmes se manifestent, que l’on apprend les situations de racket, de violence, sur lesquelles nous devons agir. Cette écoute est au centre de notre mission et, là encore, peu mesurable. Mais nous ne pouvons ni ne souhaitons nous en passer. Sachez simplement qu’il faut parfois plusieurs heures de discussions, souvent en plusieurs fois, le soir après les cours, avant qu’un élève ne parvienne à se confier en cas de difficulté ;

- rencontrer les parents, au cours des réunions « institutionnelles » organisées par l’établissement (rencontres parents-professeurs, remise des bulletins en mains propres, etc.) mais aussi lors de rendez-vous que nous leurs fixons en-dehors. Par égard pour ces parents qui se déplacent, il ne s’agit pas de les recevoir en un quart d’heure pour leur asséner une parole d’autorité mais de les écouter, de les aider autant que possible. Ces moments d’entretien sont essentiels, et souvent longs.

J’en viens maintenant au récit d’une semaine comme une autre dans mon établissement, pour tenter de vous faire saisir ce qu’est réellement notre métier. Je suis professeur d’histoire, de géographie et d’éducation civique dans un collège de Bobigny, situé en ZEP, zone de prévention de la violence et APV. Mon collège figure à une place que je qualifierai, avec un certain humour noir, d’intéressante dans le classement des établissements violents publié par un hebdomadaire il y a quelques semaines. Ceci pour planter le décor.

Notre semaine de rentrée des vacances de la Toussaint a commencé par une grève, lundi, comme suite à la suppression par l’inspection académique d’un poste de trente-cinq heures d’aide-éducateur, alors même que nous demandions depuis plusieurs mois des postes de surveillance supplémentaires, devant la multiplication des incidents graves et des violences. Durant cette grève, nous ne sommes pas restés tranquillement chez nous les bras croisés. Cette grève s’est faite sur place. Les élèves étaient dans la cour, nous nous sommes relayés pour les surveiller pendant que nous étions réunis en assemblée générale. Notre hiérarchie ayant décidé avant midi de fermer l’établissement et de renvoyer les élèves chez eux, nous avons assuré la sortie calme de quatre cent cinquante élèves. Ayant constaté qu’une trentaine d’entre eux ne rentraient pas chez eux et se livraient à une bataille rangée de cailloux devant le collège, nous sommes sortis pour intervenir. Nous étions donc quelques professeurs sous les cailloux à tenter de raisonner un par un les élèves. Une voiture de police est passée, a ralenti et observé la scène… puis est repartie tranquillement, pour ne plus revenir. Une fois les élèves rentrés chez eux, nous nous sommes rendus à l’inspection académique, soutenus par les parents d’élèves et le conseil général. Cette journée de grève, commencée à 7 h 30 et achevée à 18 h, nous a permis d’obtenir des moyens de surveillance et du personnel supplémentaire.  Comptons donc dix heures trente pour la journée de lundi.

Mardi, nous avons repris le travail. Ayant cours de 8 h à 15 h 30, je suis arrivée au collège à 7 h 30 et l’ai quitté à 19 h 30. En plus de mes cours, j’ai assuré un rendez-vous de coordination avec la principale adjointe et la responsable d’une classe-relais dans laquelle se trouve un de mes élèves, une rencontre avec des parents d’élèves, une heure de mise au point avec un élève exclu temporairement pour avoir insulté et menacé une collègue, une aide informatique auprès de certains collègues ne maîtrisant pas cet outil, et la compilation des cours de la semaine à destination d’un élève gravement malade et hospitalisé. Comptons donc douze heures pour la journée de mardi.

La journée de mercredi, de 10 h à 19 h, a été consacrée à une action militante au sein du Réseau éducation sans frontières (RESF). Cela n’entre pas en compte dans mes obligations professionnelles, mais c’est à mon sens une obligation éthique et morale.

           

Le jeudi, je n’ai cours que de 13 h 30 à 16 h 30. Je suis arrivée dans mon établissement à 10 h et l’ai quitté à 20 h. J’ai d’abord assuré une heure de coordination pédagogique avec une collègue de français pour préparer la séance d’itinéraire de découvertes de l’après-midi, puis travaillé une heure durant sur la mise en place de l’espace numérique de travail (ENT) expérimental dont le Conseil général dote mon établissement. Après ma journée de cours, j’ai passé une nouvelle heure avec un élève exclu, puis plus d’une heure avec un élève sans-papiers pour tenter de trouver une solution pour son orientation (il ne peut faire le CAP en alternance qui l’intéresserait puisqu’il ne peut pas travailler, et toutes les autres voies d’orientation lui sont fermées en raison de son niveau – il a dix-huit ans en quatrième et n’a été scolarisé qu’à l’âge de quinze ans et demi.) Enfin, j’ai animé une réunion de parents sur un voyage en Italie que j’organise pour cinquante élèves du collège (le temps de travail d’organisation de ce voyage, loin d’être terminé, se compte déjà en plusieurs dizaines d’heures.) Comptons donc dix heures pour cette journée de jeudi.

           

Enfin, je suis arrivée vendredi à 7 h 30 et suis restée dans mon établissement jusqu’à 15 h 30, pour quatre heures de cours de 8 h à midi. J’ai passé deux heures en début d’après-midi avec un élève de quatrième, en classe relais, qui vient travailler au collège sur ses heures libres pour tenter de remédier à ses lacunes. Nous avons donc fait des mathématiques et de l’espagnol (toutes matières pour lesquelles je ne me sens bien évidemment pas habilitée à quoi que ce soit). Comptons donc huit heures pour cette journée de vendredi.

 

Ce qui fait une semaine de quarante heures et demie dans l’établissement. N’ayant bien évidemment d’autre endroit, pour recevoir les élèves, qu’une table installée dans un couloir, au milieu du passage des autres élèves. 

Je n’ai pas évoqué les institutions de l’établissement dont je fais partie : conseil d’administration (compter trois à quatre heures par séance, et six ou sept séances dans l’année), commission permanente du conseil d’administration (compter deux à trois heures par séance et trois à quatre séances pendant l’année), groupe de réflexion parents-professeurs dans le cadre de la maison des parents (compter deux à trois heures par séance, quatre ou cinq séances dans l’année.) Ces instances demandent des réunions de préparation et de concertation entre enseignants, plus d’une heure chaque fois.

Je n’ai pas évoqué non plus le chapitre d’histoire de 3e ni le chapitre de géographie de 4e que j’ai préparés chez moi, la nuit, cette semaine.

Pour tout ceci, cailloux et bagarres compris, je touche la somme exorbitante de 1709,47 € par mois, compte tenu des indemnités de suivi et d’orientation des élèves en tant que professeur principal (97,07 €), des « primes » de ZEP (93,55 €) et de l’indemnité de vie chère en région parisienne (56 €). Une fois payés loyer, factures et impôts, il ne me reste certains mois que 300 € pour vivre.

Dans ces conditions, passer trente-cinq heures au collège ? Mais j’en rêve ! Encore faudrait-il cependant que j’y dispose d’un bureau pour travailler et recevoir élèves et parents, d’un ordinateur et d’une imprimante, des livres dont j’ai besoin pour préparer mes cours, etc. Je travaillerais ainsi bien moins qu’actuellement, aurais une vie personnelle équilibrée et saine et réaliserais de substantielles économies : l’ordinateur, l’imprimante et les consommables qui vont avec et qui sont nécessaires à mon travail étant bien évidemment un poids non négligeable dans mon budget actuel.

Vous comprendrez, à la lecture de ces quelques faits, que je me sente très profondément insultée par vos propos honteusement caricaturaux et faciles sur la profession que j’exerce et que j’aime.

Non, je ne suis pas une exception stakhanoviste. Une grande majorité d’enseignants, en ZEP bien sûr, mais également dans d’autres types d’établissements, travaille tout autant que moi, et se sent aussi humiliée et salie par vos propos démagogues et infondés.

Sachez, Mme Royal, si toutefois vous doutiez de ce que je raconte, que je vous accueillerais volontiers dans mes classes de collège ZEP de Seine-Saint-Denis, pour assurer les cours d’un chapitre de votre choix (je peux actuellement vous proposer le Maghreb en 5e, la Révolution française en 4e ou l’Allemagne nazie en 3e), avec les préparations de cours et correction de copies induites. Ensuite seulement, vous pourriez parler en connaissance de cause et sans vous attirer le mépris de l’ensemble d’une profession, outrée de votre ignorance de ce qu’est notre vie.

Sachez, Mme Royal, combien vous pouvez provoquer d’agacement, par vos postures médiatiques et vos discours « politiques » qui flattent les instincts les plus bas. Il ne suffit pas de dire qu’on est révolutionnaire pour l’être, il ne suffit pas de prétendre consulter pour penser et vouloir gouverner. Mais à trop jouer le jeu de la démagogie comme vous le faites depuis plusieurs mois, c’est toujours l’extrême-droite qu’on fait gagner. Le 21 avril ne semble pas vous avoir servi de leçon.

Sachez, Mme Royal, combien vous pouvez provoquer d’agacement, en vous posant sans cesse en victime. Vous avez voulu jouer dans la cour des grands de la politique, vous y êtes. Les coups bas y sont la règle, mais ils sont la règle entre tous, y compris entre hommes. Cessez donc de projeter votre statut de femme sur le devant de la scène pour tenter de faire pleurer dans les chaumières. Vous n’êtes ni plus ni moins maltraitée que d’autres. Dans ce milieu de la haute politique, la bassesse des attaques est la règle, et tout est bon pour faire mouche. Le fait que vous soyez une femme comme le reste. Si vous n’êtes pas capable d’assumer ces règles, cessez de jouer et retournez dans votre région. Ou alors, cessez de vous plaindre et de vous poser en victime.

Je suis une femme, je travaille dans un milieu difficile, épuisant, et bien plus méprisé que ne l’est le vôtre, et où le statut de femme, dans un univers banlieusard dur, où le machisme est la règle première de toute relation, est bien plus lourd à assumer. Je n’en tiens grief à personne et je mène ma barque, les mains dans le cambouis.

C’est pourquoi je trouve tous vos argumentaires, sur les femmes comme sur les enseignants, à vomir, tout simplement.

Mme Royal, recevez, je vous prie, l’expression de mon plus profond mépris.

vendredi, 10 novembre 2006

Le salut viendra des femmes, comme toujours

« Des féministes musulmanes revendiquent la libre disposition de leur corps », c’est le titre le plus inattendu de l’année. Il est imprimé dans Le Monde et présente un article intéressant sur les luttes féministes qui naissent – enfin – là où on les attendait le moins.

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jeudi, 09 novembre 2006

Boscoblog

L’ami Pierre Bosc, qui se fait rare ici, vient d’ouvrir son blog de littérature et d’actualité, Rayon Sud. C’est un lieu associé à son site, créé il y a plusieurs années déjà.

16:00 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (1)

mercredi, 08 novembre 2006

À la manière d’Hubert Nyssen

 À Benoît

Cette femme merveilleuse est une femme. C’est-à-dire que, contrairement aux hommes, elle a hérité de son sexe tout ce qui la rend femme. En montant hier dans l’avion qui devait, pensais-je, voler dans le ciel, je ne me doutais pas que cette femme si femme dans ses voiles légers et colorés allait avoir sur moi l’effet du mistral dans mes cheveux d’octo, qui n’ont de blanc que ce que les couvertures des éditions que j’ai créées, moi qui suis un passeur mais ne sais pas ce que je passe vraiment, ont de tilleul ou, si on le désire, de champagne. Elle devait, cette femme dont les yeux me faisaient penser à ses jambes, décoiffer à jamais, comme disent les gens au moderne parler, ce qui, sous le platane, me faisait croire à de possibles racines. Mon flair d’éditeur me disait déjà que je tenais là une nouvelle Nancy Huston ou, le dirai-je sans honte, la possibilité d’une Berberova. Icelle, dont j’étais allé jusqu’à supprimer le prénom afin qu’elle ne soit plus qu’un patronyme, comme Aragon ou, mieux, comme Hugo, avait enflammé les derniers feux allumés et brûlants qui enflammaient eux-mêmes ma jeunesse. Voilà que cette en vérité si femme me disait sans le secours d’aucun mot : « Hubert, quand tu allumes ta pipe, tu me donnes envie de… » Mais j’en ai dit suffisamment et que souffle le dévergondé et dévergondant mistral. Il est l’heure de retourner, moteur chaud, au roman.

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mardi, 07 novembre 2006

Viens chez moi, j’ai des gisants

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La taulière, en août 1994, sur la tombe de Rimbaud, à Charleville.

La taulière, en novembre 2002, sur la tombe de Flaubert, à Rouen.

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21:25 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (10)

Morceaux choisis

La platitude un peu ridicule : « Comme s’il cherchait à s’excuser de sa violence, le mistral revenu en force rassemble les feuilles mortes et les entasse contre les haies et les façades, ce qui rendra leur enlèvement beaucoup plus facile que s’il fallait les ratisser dans tout le jardin. Il lui sera donc beaucoup pardonné. »

Bis repetita : « Dieu, qu’il est susceptible, ce mistral ! Il n’a pas voulu du pardon que je lui accordais hier, et toute la nuit cet ivrogne a hurlé avec tant de rage qu’il m’a mis le sommeil en miettes... »

Le n’importe quoi : « Jette un coup d’œil aux carnets, lui dirais-je, et tu comprendras pourquoi, presque chaque jour, sitôt après avoir écrit cette sorte de billet que j’y dépose, je grimpe dans la carlingue du roman et je prends l’air avec un moteur qui a bonne température et qui ronronne. »

Un peu de banalité : « Comme un ballon dépend du manche par où passe le gaz ou l’air chaud. Et une fleur de sa tige par où passe la sève... »

Le retour de la platitude : « Le souvenir qui demeure, après avoir vu ce film, est celui d’une ode très sensible et fort émouvante à l’amour et à l’infinie complexité de ses variations. »

Qui a écrit ces phrases immortelles ? Il s’agit de quelques morceaux choisis dans les carnets de Nyssen Hubert, éditeur donneur de leçons. Je sais, tout cela est coupé de son contexte. Eh bien, le texte intégral, allez-y.

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samedi, 04 novembre 2006

Le maître parle

Être connu n’est pas ma principale affaire. Cela ne satisfait entièrement que les très médiocres vanités. D’ailleurs, sur ce chapitre même, sait-on jamais à quoi s’en tenir ? La célébrité la plus complète ne vous assouvit point et l’on meurt presque toujours dans l’incertitude de son propre nom, à moins d’être un sot. Donc l’illustration ne vous classe pas plus à vos propres yeux que l’obscurité. Je vise à mieux, à me plaire.

Lettre de Flaubert à Maxime du Camp, 26 juin 1852.

vendredi, 03 novembre 2006

Ma poussière

Je trouve que l’automne est arrivé en douceur, cette fois. Arrivé comme une main qui m’aurait caressé sans que j’en prenne conscience. Arrivé ainsi qu’un souffle léger dans les feuilles mortes entassées de ma vie. Arrivé tel une écharpe sortie du placard où elle s’était tenue quelques mois dans le silence calme des tissus. Je trouve que l’automne, cette plainte tranquille, ce psaume coloré, est venu sans brutalité, je l’aime et, dans sa main tendue, je reconnais l’amitié qu’il m’offre depuis toujours. Je suis né en automne, cette saison cyclothymique, sous les arbres affolés mais pas mécontents d’être rudoyés par quelque bise faussement agressive. L’automne qui nous rhabille progressivement, les chemises succédant aux chemisettes, les pull over sans manches arrivant à la rescousse, la veste, l’imperméable qui attendent au coin du bois, non pas en embuscade mais en rendez-vous secret et pourquoi pas complice. L’automne est une page tachée de roussures, c’est la page de mes années entassées. D’aucuns font la somme de leurs printemps, je tiens le compte de mes automnes et j’attends de mourir comme s’achève une chanson, comme au temps des électrophones dont le bras ne revenait pas encore, en fin de sillon, dont le plateau continuait à tourner ; il fallait intervenir pour tout arrêter ou bien changer le disque, c’était avant les automatismes et bien avant les plages numériques des disques compacts ; c’était mon enfance et même un peu après, ce temps suspendu d’automne en automne, ce temps à marronniers et à cours de récréation – j’attends de mourir comme s’achève une chanson, ainsi que se taisent les rumeurs, pas celles de la calomnie mais celle du vent, celle de la rivière dont on s’éloigne, celle enfin de la ville dont nous parlait Verlaine. L’automne qui vient ce matin me dicter ce fragment poussiéreux.

10:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)

jeudi, 02 novembre 2006

Recette de Noël

J’évoquais l’autre jour les livres « boîtes de chocolats. » Il en est une sorte bien particulière : le recueil de lettres thématiques, le plus souvent d’amour. La recette est simple : une présentation « album », c’est-à-dire de grand format, cartonné (rouge, de préférence), avec jaquette pelliculée attirante ; un contenu passé depuis longtemps dans le domaine public et n’hésitant pas à reproduire des lettres déjà lues cent fois ailleurs (Apollinaire, avec toutes ses compagnes à qui il écrivait très souvent, est un excellent pourvoyeur, mais Flaubert et Baudelaire ne sont pas à négliger) ; des documents iconographiques très connus (Apollinaire, toujours : Lou dans l’avion, Lou au grand chapeau en biais…) ; des fac-similés (très important, les fac-similés, surtout s’il s’agit de documents anciens, abîmés de préférence et reproduisant des signatures illustres.) Le fin du fin est de faire voisiner les lettres de personnalités et celles de couples inconnus (sans oublier les précieux fac-similés, naturellement.) Voilà, passez au four et n’oubliez pas de paraître à la mi-octobre au plus tard. 

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Le gallinacé tout nu

J’ai découvert, en voyageant de lien en lien, un blog nouveau, plaisamment intitulé Le Coq à poil, animé depuis le 5 octobre dernier par Hubert Antoine. Il s’agit de textes très brefs, pas mal tournés à première vue. Je ne sais pas si cela ne sera pas lassant, à la longue. On verra. Pour le moment, ce n’est pas désagréable et surtout, ce n’est ni ostentatoire ni prétentieux.

mercredi, 01 novembre 2006

Sur Barthes

Les Derniers jours de Roland B. est un livre d’Hervé Algalarrondo paru chez Stock, il y a peu. Il était précisé que cet ouvrage s’intéressait aux derniers jours de Barthes en envisageant l’homme lui-même. Cela pouvait n’être pas inintéressant. Il reste que ce livre est l’exemple même de l’essai rédigé par un journaliste : ton léger, tournures rapides ou familières, tics de langage, excessive distance ironico-maniaque. En bref, tout ce qui fait le travers du journalisme contemporain : la légèreté et l’absence d’écriture. On enfourche ici mon habituel dada : l’écriture des essais et documents qui, plus que jamais, est nécessaire. Je n’achète pas un livre avec le désir de lire un article de journal étiré sur près de trois-cents pages (dans une typographie gonflée, pour faire masse.) J’achète un livre en espérant y trouver une œuvre écrite, rédigée, qui témoigne d’une recherche et en présente le résultat avec style et allure, de préférence sur un ton personnel. Je ne veux plus de ces ouvrages qui ne sont pas inintéressants, certes non, mais sont vraiment des copies interchangeables, rendues par des folliculaires. Il me reste trop peu de temps à vivre et à lire pour le perdre et je deviens de plus en plus exigeant quant à l’écriture des livres dont je fais l’acquisition.

mardi, 31 octobre 2006

En vente dans toutes les mauvaises librairies

Les livres « boîtes de chocolats » commencent à être disposés aux éventaires des librairies. À la Fnac-Italie (peut-on appliquer à ce lieu le nom de librairie ?), on crée des « rayons » à même le sol pour les coffrets de DVD, entassés comme des boîtes de conserves. La grande fiesta répugnante de la fin de l’année commence maintenant début octobre, au plus tard mi-octobre.

Allez les voir, ces livres qui ne servent à rien ! Ils sont d’ailleurs magnifiques, souvent. Honnêtement, objectivement, on fait des albums de plus en plus beaux – et lourds, et chers – c’est incroyable. On n’oublie pas l’immuable Rimbaud. Si le malheureux gamin ardennais pouvait voir ce qu’il inspire aujourd’hui ! Il y a longtemps déjà, Paulhan observait que « le commentaire à Rimbaud est devenu un genre littéraire en soi. » Ça continue à raison de quatre à six livres par an, et je passe sous silence le délire éditorial qui fut celui de 1991, pour le centenaire de sa mort. Viennent de paraître des livres de luxe signés d’autorités. Lefrère, biographe du poète et spécialiste reconnu depuis des années, publie son énième Rimbaud sous forme d’un album luxueux constitué de documents reproduits sur une page avec, en regard, un bref paragraphe. Rien de neuf, évidemment. On n’a rien retrouvé de nouveau, concernant le diablotin de Charleville, depuis 1970, à l’exception, il y a quelque temps, d’une photographie dont on n’est pas certain qu’elle le représente réellement. Cela n’empêche nullement la parution de nouveaux livres, et allez donc ! On propose aussi un gros album luxueux exclusivement consacré à l’affaire de Bruxelles, sous l’égide de l’Académie royale de Belgique. Comme si l’on ne savait pas absolument tout de cette histoire… Et avec une énormité en quatrième de couverture, où il est dit que c’est à Bruxelles que Rimbe et Lélian vont se fâcher définitivement, ce qui est absolument faux puisqu’ils se reverront une fois encore à Stuttgart, deux ans plus tard, en 1875, retrouvailles à l’issue desquelles l’ingrat garnement cassera la gueule de Verlaine et le laissera pour mort sur le bord du chemin. Ce qui n’empêchera pas le poète de tout mettre en œuvre, par la suite, pour faire connaître au monde l’auteur génial qui a bouleversé sa vie, celle de sa femme, celle de son fils. Eh bien, rien n’empêche, on affirme tranquillement que leur brouille définitive se produisit à Bruxelles en 1873. Avec le blanc-seing d’une institution.

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lundi, 30 octobre 2006

Comptes rendus

« En supposant un taux de droits d’auteur classique de 14 % en moyenne », note Le Monde du 28 octobre dernier, à propos des Bienveillantes. Peu importe d’ailleurs le sujet de l’article, c’est cette phrase révoltante que je retiens.

Puisque nous vivons dans un monde de chiffres, en général assénés d’autorité par des journalistes qui estiment toujours tout savoir alors qu’ils colportent seulement des idées reçues, voici, pour information, les pourcentages de droits qui me sont accordés par contrat, concernant mes livres parus.

1 - Léo Ferré, la mémoire et le temps, Seghers, 1987 : 8 %. À valoir de 40. 000 francs (avant déductions obligatoires et avant impôts.) Premiers et derniers droits perçus (après couverture de l’à-valoir) en 1994.

2 - Cabaret baroque, Le Bruit des autres, 1994 : rien, pas de contrat (on m’y reprendra.) Pas d’à-valoir.

3 - On n’emporte pas les arbres, L’Harmattan, 1998 : 0 % sur les mille premiers exemplaires (tirage : 500.) Pas d’à-valoir.

4 - Écrivains contemporains, L’Harmattan, 1999 : 0 % sur les mille premiers exemplaires (tirage : 500.) Pas d’à-valoir.

5 - Léo Ferré, une mémoire graphique, La Lauze, 2000 : 10 % à partager entre les deux co-auteurs, soit 5% (multiples relances pour être payé, contrat non respecté.) Pas d’à-valoir.

6 - Dix femmes, Éditions du Laquet, 2001 :  8 % (jamais versés.) Pas d’à-valoir.

7 - Albertine Sarrazin, une vie, Écriture, 2001 : 8 % (rien touché depuis 2001, l’à-valoir n’étant toujours pas couvert.) À-valoir de 15. 000 francs (avant déductions obligatoires et avant impôts.)

8 - Spectacle total, Éditions du Petit-Véhicule, 2002 : 7, 5 % (comptes non rendus, jamais rien touché.) Pas d’à-valoir.

9 - Avec le livre,  propos et réflexions, L’Harmattan, 2003 : 0 % sur les cinq cents premiers exemplaires (tirage : 500.) Pas d’à-valoir.

10 - Les Chemins de Léo Ferré, Christian Pirot, 2005 : 10 %. Pas d’à-valoir.

11 - Les Films de Claude Sautet, Atlantica, 2005 : 4 % (la première année : 20 % de retenues contractuelles sur ces 4 %.) Pas d’à-valoir. (Multiples relances pour être payé.)

12 – Manon suivi de Guillemine, à paraître chez l’Harmattan : 0 %  sur les cinq cents premiers exemplaires (tirage : 500.) Pas d’à-valoir.

J’ajoute que, contractuellement, il m’était imposé, pour les livres n° 3, 4 et 12, l’achat, à titre personnel, de cinquante exemplaires. Et, pour le livre n° 6, l’intéressement de l’éditeur sur les représentations éventuelles de la pièce (5 % des droits de la SACD à lui reverser.)

J’ajoute encore que, pour le livre n° 7, l’à-valoir de 15. 000 francs m’a fait sauter d’une tranche, ce qui m’a coûté 5.000 francs de supplément d'impôts. Je reconnais volontiers que l’éditeur n’y est pour rien.  Il faut ajouter à cela environ 2.000 francs de frais (voyages, hôtels, restaurants, correspondance, téléphone, location de voitures...) occasionnés par les multiples déplacements nécessaires à la rédaction d’une biographie et bien entendu non pris en charge par l’éditeur. Cet ouvrage m’a donc rapporté 8.000 francs depuis 2001, soit 1.600 francs par an, soit 133, 33 francs par mois, ce qui représente 4, 44 francs par jour. Et même moins, puisque je n’ai pas tenu compte, ici, des prélèvements obligatoires sur les 15. 000 francs versés au départ. Qu’on sache enfin que ces 15. 000 francs devaient contractuellement être versés en trois fois et que, lassé d’attendre, j’ai dû réclamer les deuxième et troisième versements qui furent effectués en même temps. Autrement, je n’en aurais jamais vu la couleur.

N. B. : les pourcentages indiqués se calculent naturellement sur le prix de vente hors-taxes.

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Une pièce utile

Les Marchands de Joël Pommerat, qu’on donne en ce moment au théâtre Paris-Villette, est une œuvre importante parce que dérangeante. À cent années-lumière du théâtre bourgeois de Zeller-le-minable-clown-piteux dont il a déjà été question ici, ce spectacle est artistiquement risqué et socialement à contre-courant. On comprendra qu’il ait séduit le sale esprit que je suis. Il a tout pour ça.

Audace formelle, pour commencer. La pièce est racontée en voix off par une narratrice et tout est mimé… La narratrice elle-même, qui est sur scène parmi les autres comédiens, mime parfois ses propres paroles. Sauf en quelques endroits, où elle raconte en direct ; où les personnages, vers la fin et brièvement, disent directement leur texte. Une succession de scènes, parfois fort brèves, entrecoupées de « noirs », rythme une action qui, plastiquement, évoque forcément le cinéma muet, d’autant que les éclairages concourent à faire disparaître les couleurs jusqu’à évoquer un noir et blanc indépassable. Durant ces « noirs », un travail de plateau considérable est réalisé par les techniciens comme par les comédiens – investis de plusieurs rôles – et la succession de scènes fait qu’on se demande logiquement comment tous s’y prennent pour opérer en si peu d’instants des changements si importants.

Audace du contenu, évidemment. En ces temps de chômage et de difficultés, voire de misère sociale, il est devenu pratiquement interdit de parler du travail et de le critiquer. Pommerat, ici, ose le faire et nous dire que le travail est aliénant. Qu’il est source d’horreur et de mal-être. Qu’il peut conduire à une déshumanisation et à une perte de conscience de la réalité. Le tout, savamment entretenu par les politiciens. J’ai mémoire d’un professeur de philosophie qui nous disait que le plus grand tort du marxisme était d’avoir donné à l’homme le culte du travail. Pommerat, lui, fonce dans le tas, toujours talentueusement, et sans donner au spectateur l’impression de lire un éditorial dans un journal. Il n’oublie pas de faire œuvre, sait que le contenu a besoin d’être servi et ne perd jamais son point de vue d’artiste en accumulant les audaces. Il est non seulement l’auteur de la pièce, mais aussi son metteur en scène. Ce sont pourtant des métiers très différents. Il parvient à les réunir au creux de son talent.

Audace du traitement du sujet, qui plus est. Plusieurs aspects de l’œuvre laissent la porte ouverte à l’interprétation. Aucune solution n’est définitive, aucune explication n’est certaine et surtout pas les explications rationnelles. Il ne s’agit pas cependant d’une de ces créations fourre-tout où l’auteur n’est pas lui-même certain de ce qu’il désire dire et laisse au public le soin de tirer les conclusions qu’il souhaite, en s’évitant – souvent parce qu’il n’en est pas capable – de tirer les conclusions de son propos. Pas du tout. Pommerat sait ce qu’il a à nous dire ou à nous suggérer et il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas le comprendre. Les aspects incertains viennent en plus. En plus d’une route impeccablement suivie.

Audace du rendu de la durée. Dans un film, dans un livre, une pièce, le rendu de la durée est, pour moi, le point peut-être le plus important. Je tiens que le sujet ne peut qu’être desservi par un rendu inégal de la durée, à plus forte raison par l’ignorance totale qu’on peut observer, parfois, de la conscience par l’auteur de l’espace-temps de ce qu’il crée. Ici, je me suis posé la question : la pièce n’est-elle pas trop longue (elle dure une heure cinquante) ? Plus j’y pense, et après en avoir parlé avec d’autres, plus je me dis que Pommerat était parfaitement conscient de ce point et a étiré l’action jusqu’aux limites du supportable, pour créer en toute connaissance de cause un malaise absolu chez le spectateur qui, ainsi, ne peut plus refuser l’évidence de la tragédie dont on vient de lui offrir le spectacle. « Offrir » est ici, naturellement, un terme de convention. L’auteur ne nous offre rien, il nous propose moins encore. Bien plutôt, il nous balance en plein visage une réalité sociale que son talent d’artiste n’oublie pas de muer en œuvre, et nous pousse à sortir d’un confort dont, d’aventure, nous aurions oublié de nous méfier.

vendredi, 27 octobre 2006

Tavergranier

Sur le site de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Tavernier consacre une rubrique aux DVD. Il écrit : « Je viens de revoir aussi La Veuve Couderc qui tient superbement le coup et reste l’une des grandes réussites de Pierre Granier-Deferre avec Le Chat (1971), Le Train (1973), Une étrange affaire (1981). Et accessoirement deux des plus beaux rôles de Signoret et Delon. Un jour on rendra justice à Granier. » Les quatre films qu’il évoque sont effectivement les meilleurs de Granier-Deferre. Toutefois, on se demande bien pourquoi Tavernier, avec son aura et l’écoute attentive dont il bénéficie dans le milieu cinématographique, ne consacre pas, justement, un article, une tribune, quelque chose de conséquent, au cinéaste dont il voudrait que l’on reconsidérât l’œuvre. Cette façon de dire « on », de repousser à « un jour » futur est embêtante.

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jeudi, 26 octobre 2006

À une fenêtre

Ce n’est pas parce que vous baillez que vous allez m’endormir. Ne croyez pas m’impressionner en me disant que vous êtes l’œil de la façade : le cliché est devenu insupportable. Occupez-vous plutôt de masquer d’un voilage les rides qui font de vos paupières la carte d’un réseau ferroviaire. Ou bien fluvial, si cela peut vous être agréable. Vous voyez que je ne suis pas chien et que je veux bien vous faire plaisir, à ma manière.

Il y a quelques décennies – pas tant que ça – vous étiez celle qui permettait aux anarchistes de sortir des commissariats. Une idée comme une autre, me direz-vous, l’essentiel étant d’en sortir même si l’on n’est pas vivant. Il paraît qu’on les poussait un peu. Peut-être. Ah non, c’est vrai, c’était un accident.

On parle aujourd’hui, pour exprimer l’idée du moment à saisir, de fenêtre de tir. C’est incroyable, comme l’homme contemporain peut tendre à la métaphore technocratique.  Fenêtre de tir ! Autant dire que les yeux d’une femme sont le PMU du hasard. Ou n’importe quoi d’autre, d’ailleurs. Ce derrière qui m’intrigue depuis que je connais celle qui ne s’en sépare jamais, est une fenêtre aussi. Sur l’insondable.

À la reprographie, quand je vais prier la collègue aux yeux brillants de faire pour moi quelque travail quotidien, il y a une fenêtre sur l’imprimerie, la vraie, celle qui produit des livres. De vrais ouvrages, bien sûr, pas ceux que crache la presse Cameron dans laquelle on entre le texte et d’où ressortent des pavés collés déjà endormis sous un film de plastique. Une fenêtre sur le rien, cette machine. Remarquez, il y a bien des balcons en forêt…

Martine vous aime et vous photographie souvent, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut avoir les gonds qui enflent. Parfois, vous êtes sale à l’intérieur comme à l’extérieur et cela vous paraît une injure. Vous êtes alors une fenêtre à double outrage.

Quand vous aurez appris à ouvrir sur le large et la liberté, à laisser à qui vient vers vous l’azur tranquille, à tendre les battants comme on tend les bras, je m’intéresserai davantage à vous. Mais vous n’êtes pour l’instant qu’une paire d’oreilles en éventail, donnant sur le mur d’en face. Il en faut plus pour mériter ma considération.

mercredi, 25 octobre 2006

Les éditeurs m’emmerdent

Mon douzième livre, groupant deux pièces de théâtre, devait, accepté depuis fin juin ou début juillet, paraître chez l’Harmattan. Depuis septembre, le service commercial bloque la fabrication au motif que le texte de quatrième de couverture ne leur convient pas. On m’a demandé une seconde mouture, que j’ai proposée immédiatement. Ça ne va toujours pas. Je refuse de modifier de nouveau le texte. Hier, à dix-huit heures, quelqu’un me téléphone à mon travail et laisse un message. Je rappelle ce matin. Il tente de me convaincre. Je reste calme, lui propose de faire lui-même le « raccord » demandé entre deux paragraphes, c’est lui qui refuse. Je réponds, en substance, que tout ça m’ennuie et demande qu’on m’envoie une lettre par laquelle nous annulons le contrat, d’un commun accord. Le livre ne sortira pas.

On imagine ce que m’a coûté cette décision. Il faut cependant savoir faire ce genre de sacrifice. Je ne suis pas prêt à n’importe quoi pour être publié.

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mardi, 24 octobre 2006

L’éditeur pourrissant

J’ai découvert les éditions Actes Sud en 1979, dans une petite librairie d’Apt (Vaucluse). La maison avait été fondée l’année précédente par Hubert Nyssen, écrivain belge amoureux du soleil de Provence. J’ai suivi le travail de cette maison jusqu’en 1986 environ. Depuis, petit à petit puis plus rapidement, je m’en suis détaché jusqu’à considérer qu’elle est devenue exemplaire : elle est, pour ce qui est de ses choix, tout ce que je n’aime pas. Cette opinion ne doit rien au fait d’avoir été refusé par elle à plusieurs reprises (j’ai été refusé par la terre entière, et je ne la déteste pas.) J’avais rencontré Bertrand Py, numéro deux de la maison, il y a vingt ans, dans les bureaux parisiens. Py est devenu ensuite le numéro un. J’avais aussi bavardé avec Nyssen au salon du Livre, en 1984, je crois. Martine s’était adressée à lui quelques années plus tard, au cours d’une rencontre dans une bibliothèque parisienne. Il lui avait parlé sans même la regarder dans les yeux.

J’avais lu en leur temps les trois tomes de L’Éditeur et son double, le journal que Nyssen publiait dans sa propre firme. J’y avais trouvé confirmation de mon désintérêt pour ce qu’il publiait, mais les livres de et sur l’édition sont un de mes dadas. Depuis plusieurs années, Nyssen ne fait plus paraître ses carnets. Mais, depuis novembre 2004, il les tient sur la Toile. Voilà un exemple intéressant de la différence d’intérêt qu’implique la différence de support. Ce qu’il nous raconte sur internet m’ennuie à mourir. Or, c’est la même chose que ce qu’il faisait paraître sous forme d’imprimé. Le même mélange de snobisme gentiment socialiste, d’érudition de salon, d’importance accordée à des livres que je ne veux même pas feuilleter, de grivoiserie légère, de vieillissement salace présenté (et sans doute vécu) comme une gourmandise du regard, de rêves d’homme à femmes qui sait tenir une plume mais n’a rien à raconter…

Pour être tout à fait franc, j’avais pris quelque plaisir à la lecture d’Éléonore à Dresde, mais Les Rois borgnes m’était tombé des mains. L’Italienne au rucher m’avait paru le comble de l’inutilité. Je n’avais pas détesté, en revanche, Du texte au livre, les avatars du sens ni Le Livre franc.

Sur internet, à présent, se trouve, avec fautes de frappe et, curieusement, l’ignorance des guillemets français,  le mémento d’un éditeur qui lira, écrira et publiera des romans jusqu’à son dernier souffle, ajoutant les romans aux romans avant de lire quelques romans encore ; d’un éditeur qui, entre autres écrivains sans raison d’être, a imposé au monde entier, comme une découverte de première importance, un produit fabriqué : Nina Berberova, à elle seule le résumé d’Actes Sud.

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À la manière des journalistes

Prenez un doigt d’amalgame, fouettez-le pour qu’il mousse bien.

Pendant cela, préparez un roux de clichés et d’idées reçues.

Au four, faites cuire l’opposition « tout noir et tout blanc », en arrosant régulièrement d’esprit binaire.

Liez le tout, au moment de servir, d’un fond de bouc émissaire à montrer du doigt.

Savourez en connaisseur la démagogie reine que vous aurez ainsi obtenue.

Vins conseillés : Château-Calomnie XXe siècle, Rumeur 2002.

11:02 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 23 octobre 2006

Couleur du temps, par Martine Layani-Le Coz

Le temps qui coule se désaltère dans l’été, alors on est heureux.

Mais qu’il nous présente son front métallique comme une guerre, alors notre matière grise en sent tout le poids.

Même l’harmonie des couleurs ne parvient pas à éclaircir d’un sourire le chapelet insistant des minutes. Il ne faut pas s’étonner que les fleuves soient aux poètes emblèmes de nostalgie païenne ; eux seuls connaissent avec nous l’horreur de l’identique et du semblable réunis dans l’indifférence.

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jeudi, 19 octobre 2006

Communiqué de presse

Collectif de soutien aux élèves sans-papiers et à leurs familles, Bobigny.

Bobigny, le 18 octobre 2006.

Cérémonie de parrainages d’élèves et de familles sans-papiers.

Samedi 21 octobre 2006, 12 h 30.

Salle des mariages de l’Hôtel-de-ville, Bobigny.

En présence de Catherine Peyge, maire de Bobigny ; Jacques Tardi, dessinateur ; Dominique Grange, chanteuse ; Francesca Solleville, chanteuse ; Thierry Jonquet, écrivain ; Hervé Di Rosa, sculpteur ; Michèle Renard, directrice de la Fox-Compagnie, parrains.

Avec le soutien marqué de Jean Ferrat, chanteur ; François Bon, écrivain ; Didier Daeninkx, écrivain ; François Rollin, metteur en scène et humoriste ; Aude Gerbaut, docteur en sciences de l’Éducation, parrains.

Dans le cadre de la circulaire Sarkozy du 13 juin 2006, durant l’été, 5 624 familles de Seine-Saint-Denis ont déposé un dossier de demande de régularisation. 4 620 d’entre elles se sont vues opposer un refus, alors même qu’elles remplissaient pour la plupart les critères de régularisation.

Ce sont donc aujourd’hui plus de dix-mille enfants et adolescents du département qui sont directement menacés d’expulsion, et les reconduites à la frontière ont déjà commencé.

Nous n’acceptons pas que des élèves puissent venir à l’école dans la crainte d’une intervention policière, comme cela s’est déjà produit, à Pantin notamment.

Nous n’acceptons pas qu’un enfant, qu’un adolescent, dont la vie s’est construite en France, à Bobigny, et qui souvent y est né, puisse connaître le traumatisme d’une expulsion du territoire, d’un exil, d’un arrachement à son quotidien, ses amis et son école.

Nous n’acceptons pas que les conventions internationales signées par la France, qu’elle n’hésite pas à brandir à la face du monde lorsqu’il s’agit de donner des leçons de droits de l’hommes aux autres pays, soient bafouées sur notre propre sol et sous nos yeux. De fait, les expulsions sont clairement contraires à la Convention internationale des droits de l’enfant (art. 3.1, entre autres.)

Nous nous engageons à mobiliser toute notre énergie et les compétences professionnelles les plus larges pour obtenir la révision des dossiers des familles de tout élève sans-papiers qui nous en fera la demande.

Nous nous engageons à garantir à ces élèves qu’ils ne seront jamais arrêtés à l’école.

Nous nous engageons à nous battre pour que soient respectés dans notre pays le droit à l’éducation et, plus largement, toutes les mesures de la Convention internationale des droits de l’enfant bafouées par la circulaire du 13 juin 2006.

C’est au nom de ces principes que nous parrainons ce samedi des enfants de Bobigny.

La présence à nos côtés, en tant que parrains, de nombreuses personnalités, citoyens, enseignants et élus, démontre que ce souci de protection des élèves sans-papiers et de leurs familles est largement partagé au sein de la population française.

Cette cérémonie n’est pas la première à Bobigny. Elle ne sera pas la dernière.

Nous n’accepterons jamais de voir partir l’un de nos élèves. 

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Répugnant

Arc-au-Zizi continue à donner des gages à la partie la plus bête de son électorat, continue à surenchérir dans la démagogie dégoulinante et poursuit ses annonces ridicules, grotesques, qui sont de simples rodomontades à visées électoralistes.

Voilà qu’il veut envoyer aux assises les auteurs d’agressions contre policiers, gendarmes et pompiers. Il insiste, prononçant le mot magique et terrifiant plusieurs fois au cours de sa déclaration.

Outre le fait qu’un procès d’assises coûte une fortune à organiser et qu’il s’agit d’une machinerie si lourde qu’on n’aura jamais le temps de la mettre en route avant qu’un autre procès ne s’avère nécessaire, et ainsi de suite ; outre que cette canaille a mis l’accent sur la présence, aux assises, de jurés, c’est-à-dire de citoyens (et l’on imagine déjà Dupont-la-Joie se gargarisant : « Ah, maintenant, ils vont voir ! ») ; il reste que, la peine de mort ayant été abolie il y a déjà quelque temps, un procès d’assises n’a heureusement pas d’autre conséquence que celle d’une comparution en correctionnelle. Qu’encourt-on de plus ? La perpétuité ? L’échelle des sanctions ne sera pas modifiée, les peines seront donc du même ordre que celles prononcées par une juridiction moins importante. Au vrai, on risquerait, je crois, quinze ans de détention au lieu de dix. Ce n’est certainement pas ce qui fera réfléchir des personnes prêtes à agresser des policiers. La répression, ça ne marche pas. Jamais. Vouloir criminaliser l’agression contre un porteur d’uniforme n’est qu’un « effet » comme cherchent à faire, sur la scène, les plus mauvais comédiens. Arc-au-Zizi parviendra-t-il, d’ici l’élection présidentielle, à accomplir un « effet » par jour ?

La criminalité n’a cessé d’augmenter depuis qu’il est ministre de l’Intérieur. Tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait, c’est du vent.

16:25 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (11)

mercredi, 18 octobre 2006

Un corbeau fourvoyé

Sur un blog ami, un des promeneurs de la rue Franklin tient une manière de journal fort plaisant, sous pseudonyme. Un de ses lecteurs, depuis quelques jours, s’est mis en tête de révéler à tous l’identité réelle du taulier. De commentaire en commentaire, il donne le détail de son perspicace raisonnement et s’entête à tout dire sans rien dire clairement. C’est un jeu de piste qui a surtout une conséquence : il nous fait mourir de rire parce qu’il se trompe de bout en bout, parce qu’il s’enferre de jour en jour – et parce qu’il persiste et signe.

Au-delà de cet entêtement étonnant, il reste que je ne peux m’expliquer les raisons poussant ce commentateur à révéler l’identité de l’auteur du blog. Même s’il avait raison, que gagnerait-il à cela ? Tout ça relève du « Na-na-nère, moi-je-sais-tout ». Consternante puérilité. Si je n’use pas moi-même d’un pseudonyme, jamais je ne dévoilerai le nom de ceux qui estiment nécessaire d’y avoir recours, en admettant que je le connaisse.

15:35 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (12)

À la manière de Raffarin

Les lumières de la banalité éclairent pâlement mais elles sont vraies.

Parcourir le chemin, c’est déjà faire route ensemble.

Je ne sais pas si mon soutien est réel, je sais qu’il existe.

Toujours sur la route, toujours au travail, j’irai droit au but, quels que soient les tournants.

Sur mon agenda, entre mes obligations, se distingue en filigrane mon emploi du temps.

Je sais ce que c’est qu’être premier ministre. C’est être un ministre premier.

Mon devoir est là, il ne servirait à rien de ne pas en tirer les leçons.

L’avenir est toujours ouvert devant.

15:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (4)

À la fatigue

Vieille peau, 

Vous êtes insolente. Vous survenez sans téléphoner, vous vous installez alors que j’allais sortir et, dès le lundi, vous faites de ma maison un exemple de désordre, quand j’ai pourtant passé toute une fin de semaine à faire le ménage. Mon corps est sale et brouillon, vaseux et poussiéreux, lorsque vous venez vous asseoir sans façons.

Parfois, vous m’assommez et, pour vous fuir, je vais me cacher dans mon lit à vingt heures trente, je hèle au passage le dernier taxi du rêve et je donne au chauffeur une adresse chimérique. La voiture file et je vous oublie, blanc fantôme sur le trottoir gras. La plupart du temps, cependant, les papillons de chagrin des insomnies qui me torturent se font les complices de vos agissements et le taxi part sans moi. Pis, il me nargue quelquefois et, me voyant espérant au bord du trottoir, sous le panonceau indiquant la station, me dit : « Je suis pris ! » Ce n’est pas vrai, je le sais, mais il insiste : « On m’a réservé, j’attends ! Empruntez donc le métro. » Dans le métro, on ne rêve pas lorsqu’on est fatigué. Il faut être en forme pour manger des yeux la belle voyageuse qui, justement, vient de monter dans la rame, là, étalant sous mon nez des charmes invraisemblables mais, à cause de vous, je ne pourrais rien faire, de toute façon. Vous êtes le revers d’une médaille qui n’a même pas d’avers. A-t-elle seulement une tranche sur laquelle la faire reposer ? Vous avez dit : reposer ? Ah, si c’était possible.

Quelquefois, vous êtes une bouteille d’eau, l’on vous devine rafraîchissante et l’on pense qu’on va, délicieusement, vous embrasser en s’endormant. Mais la plupart du temps, vous êtes goudron, vous sentez mauvais, vous êtes toxique et vous n’autorisez même pas l’infortuné dont vous brisez les os à quérir quelque repos dans les couloirs d’une nuit enfin venue, que vous vous empressez de transformer en train fantôme.

Vous n’êtes pas que physique. Vous êtes encore un monstre moral aux œillères abjectes. Vous faites en sorte qu’on ne puisse plus rien voir qu’à travers votre filtre. On a alors le sentiment que, sur le boulevard, les passants se jettent sur nous ; que, dans les transports en commun, tous vont littéralement nous monter dessus. Quand autrui pourrait être un baume, il devient souffrance – vous êtes rusée, vous êtes perverse. Vous troubleriez la plus grande lucidité. Vous me faites penser à une pieuvre qui obligerait sa proie à lire un journal sans intérêt, un manuel abscons. Alors, les yeux brûlent.

Si vous aviez l’obligeance de prendre vos distances et d’aller voir ailleurs si d’autres souffrent aussi, je vous serais reconnaissant. Oh, je n’imagine certes pas retrouver jamais cette forme innocente d’autrefois – je dis innocente parce qu’elle allait de soi, du moins je le croyais, elle était évidente dans sa simplicité calme – mais toutefois, j’aimerais assez que vous me laissiez un moment le champ libre, afin que je puisse retirer de ma marche à la surface de cette terre le sentiment d’une progression, fût-elle modeste, plutôt que celui d’un visqueux sur-place.

Je vous prie de croire, vieille détestable peau, que je pourrais me passer de vos services maudits. Je m’entends fort bien avec le bel allant, la bonne forme, et n’ai pas l’intention de divorcer d’avec eux. Il n’est pas nécessaire que vous veniez semer entre nous la zizanie puante à laquelle aboutissent toujours vos agissements.

Ne comptez nullement sur mon dévouement.

dimanche, 15 octobre 2006

Le juke-box des démagos

Ma fille Fanny m’a envoyé un lien aboutissant à un florilège de chansons « politiques », disons plutôt de chansons « électorales ». Machines à gagner ou seulement à convaincre, ridiculissimes sommets de nullité, qu’il s’agisse du texte ou des mélodies, avec des recherches d’effets de mode dans les orchestrations… Ces chansons grotesques et démagogiques montrent assez combien on peut détourner une réalité historique – la chanson a toujours accompagné, rythmé, scandé l’histoire – pour en faire un fatras, un brouet, une mauvaise charcuterie. À vos risques et périls. Si vous ne craignez pas l’eau de vaisselle, suivez ce lien.

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