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samedi, 09 mars 2013

À la retraite

Vieille bique,

J’ai reçu l’autre jour un acte administratif intitulé « Arrêté de radiation des cadres », avec effet du 30 septembre prochain. Voilà que vous vous faites annoncer plusieurs mois à l’avance. Ce doit être pour me laisser le temps de dérouler le tapis rouge, le tapis gris, plutôt, à l’instar de cette comptine où l’on parle aussi de pomme de reinette.

Ainsi, vous allez enfin venir me rendre visite. Depuis si longtemps, je vous attendais et d’absurdes décisions gouvernementales venaient en permanence retarder notre hymen. Vous savez, il est ainsi des gens – on les appelle des personnalités – qui prennent des décisions dans un bureau, et ces décisions engagent votre vie, votre vie à vous, mais ils s’en moquent. Les personnalités ne connaissent pas les personnes.

J’aurai donc espéré notre liaison durant quarante et un ans. Il faut savoir se montrer patient, quelquefois, mais la patience a un défaut rédhibitoire, elle fait blanchir les cheveux et, parfois, les fait perdre. Vous conviendrez que perdre les cheveux des autres est fort culotté. C’est un peu comme si je m’avisais, moi, de faire perdre son temps à la durée. La durée de cotisation, naturellement.

Je suis du genre fidèle, j’espère que vous l’êtes et le serez aussi et que vous ne me claquerez pas dans les doigts sans crier gare, à peine célébrée et consommée notre future union. Ce serait inélégant et, toute vieille dame que vous soyez, il faudra maintenir coûte que coûte votre élégance. Il y va de notre réputation et je ne saurais marcher dans la rue, une traîtresse à mon bras. Ayez à cœur de vivre avec moi aussi longtemps qu’il nous plaira conjointement.

vendredi, 03 avril 2009

Une information

S’il existe d’aventure quelques promeneurs entêtés pour arpenter encore les trottoirs désertés et non entretenus depuis si longtemps de cette malheureuse rue Franklin, qu’ils sachent que paraîtra prochainement le tome XVI des œuvres complètes du taulier.

Il s’agit du recueil Apostrophes insolites, dont on a pu lire ici quelques pièces. L’ensemble a été repris, corrigé, augmenté et se trouve agrémenté d’un avant-propos et d’une table des matières. Bref, tout cela a été mis en livre, à la différence de simples textes figurant sur la Toile.

L’ouvrage est publié, une fois de plus, par l’Harmattan qui est à l’origine du sous-titre « Une correspondance imaginaire avec… »

jeudi, 05 avril 2007

À un impoli

Paltoquet,

Vous avez oublié la grâce de la politesse et ce fleuve de miel qu’elle fait couler dans les cœurs. La politesse n’est pas l’obséquiosité, elle n’est pas l’aplatissement de la personnalité. Elle est le sourire de l’illusion d’un monde meilleur. Quand vous aurez appris à vous souvenir d’elle, vous pourrez m’appeler par la ligne téléphonique du sentiment. C’est le seul opérateur que je reconnaisse comme pouvant me présenter des offres susceptibles de m’intéresser. Alors, vous viendrez me voir non sans vous être assuré de mon accord quant au lieu et à la date et nous converserons, les yeux brillants. En attendant, continuez à étudier la grammaire de la médiocrité entre les feuillets de laquelle vous avez encarté un marque-pages d’ennui et de vulgarité. C’est Melville – le cinéaste – qui disait, je crois, que la vulgarité était un des mystères les plus absolus en ce monde. Il était dans le vrai : comment peut-on être vulgaire ? Comment peut-on être vous ?

samedi, 18 novembre 2006

À moi-même

Sous l’improvisé du juillet d’extase, je vais cherchant des livres pour désennuyer la mort, la distraire de son travail de misère. Dans les gobelets d’étain des yeux qui paradent, je bois l’eau aux bulles de mots. Je suis l’exquis affolement, le soleil et la ronde, un bout de ficelle à lier les désarrois en touffes odorantes – romarin de misère, basilic d’effroi. Je suis un peu d’encre renversée sur la robe de la dame d’en face qui m’a juste regardé dans les yeux, dans les mots, dans le bleu de Chaillot. J’ai mis ma jaquette jaune pour sortir dans le monde des tournesols qui rient. Il faut noter au vol des idées auxquelles on pourrait encore croire, il faut sentir la mer, la vie, les sentir avec des poumons inédits. C’est difficile, il y a des senteurs vertes – on mangerait le printemps – il faut sentir avec soin, il faut s’imaginer. C’est d’avoir eu vingt ans qui tue ensuite l’olfactive liberté, la disponibilité des senteurs. Adorer les fragrances, savoir être un fruit, dire enfin cet autre part où crème une écume autre, à la crête de vagues réconfortantes. L’explosion de l’exprimé ne vit pas dans les salons, mais dans ce cri poussé de toute ma tessiture où brûlent les rêves inaboutis. Il n’y aura plus d’air que je ne veuille parfumer, plus d’illusion que je ne désire illuminer de mon adhésion, que je ne désire faire naître de mes contradictions. Je suis un fruit porté tout en avant.

Est beau ce qui rend l’œil heureux immédiatement, le cœur et l’âme ensuite ou simultanément. Quand mon œil est heureux, mon corps aussi exulte et mes pieds s’envolent, mes pieds s’envolent loin de la terre mouillée dont il ne reste plus que le parfum, que les alcools. Comment se rendre au marché aux fleurs ? C’est impossible depuis que des senteurs ont accumulé l’émotion. Manifestation interdite ! L’émotion arrêtée et gardée à vue tremble encore de la tête à ses pieds chaussés de blanc. On ne peut plus errer au marché aux fleurs, plus de pas légers, plus d’effleurement et plus d’échos de roses-thé. Nos illusions retrouvées voguent encore, encore, nous ne grandirons jamais. Nos illusions sont des nappes phréatiques toujours renouvelées, des robes de mariée de chaque jour, des statues de femmes opulentes, de cette pierre qui brûle l’œil avant la main. Tant que vous saurez caresser les statues, vos illusions retrouvées s’allongeront sur des lits de lilas mauve dans une odeur d’herbe mouillée.

Encore, juste un peu, quelques pensées bouclées, les émotions aux cheveux longs, le goût qui marche sur de tremblantes avenues. Encore, juste un peu, quelques instants accrocheurs, les moments de rubans enveloppants, les saveurs amples, les ripailles de vent aigrelet et quelques livres aussi pour conforter les pas de caoutchouc que dessinent nos pieds nus. Encore, juste un peu, dans la bouche le goût de la vie, le sourire du vécu blême, le soleil des mandarines. J’ai traversé les rues du désert et je ne m’y suis pas perdu. Il y avait là le silence goudronné, bétonné d’indifférence. J’ai eu des faims, des soifs que je n’ai pu étancher. Je n’ai jamais eu les pieds qu’il fallait pour marcher vers où je l’aurais désiré. Le temps, ce désespoir, est une orange sèche. Je voudrais des soleils de citron. Branche cassée d’un arbre discret, je vais comme vous de misère en misère dans cette atmosphère qui n’est même pas baroque. Je voudrais des vies de falaises et des pieds d’harmonie pour y marcher, des mains de soie et de lilas pour un toucher embaumé et des lumières de lune pour se laver dans la pâleur. Je pense à des poèmes courts, petites pièces brèves de sensualité, denses et odorantes comme la démarche d’une femme en mouvement dans l’imaginaire fleuri de toutes les roses.

Le raisin a perdu ses grains de fantaisie, le vin a été bu dans des barriques cassées. Avant qu’il se répande, mangeons du pain, mangeons du pain. Et sur la chute bleue de tes reins, jouons, jouons, jouons l’attentive étude des sorcières aux pieds nus. Personne n’a mis de fleurs dans ta vie. Il faudra donc les arroser et espérer de tous les châteaux qu’ils soient de conquête et non de repos. Le silence dit ses mots dans ma tête. Ombre d’algue, il susurre des doutes et peut-être murmure-t-il des absences. Je ne sais quelle heure il mélancolise le plus, ni quel sens il donnera aux instants les plus bruyants qui iront au spectacle de mes jours à venir. À présent, le silence dit ses mots dans mes fêtes, il bourdonne à ma terrasse, rayon d’été dans la chaleur troublante. Bracelet de cuir, il m’attache par les pieds à ma bibliothèque, citron enté à l’oranger.

Je m’enfonce dans mes pas, dans la terre, et cependant je vole dans ma tête vers des pays mordants. Ma démarche est ainsi et mes talons s’élèvent sans cesse lorsque, sur la pointe de mes pieds, je repars victorieux vers des terres exquises où les explications ne sont plus hasardeuses, dans la vie chocolatée collante et grumeleuse. Quand la lumière est adorablement souple et que l’amour n’est plus bavard mais maritime, au bout de son parcours de menthe et d’olivier ou de fleurs de pommiers. Lorsqu’au-delà des toits, plus rien, dans le gris brumeux, n’est de soie ou de saveur, quand rien n’est plus fleur, fleuron d’amitié, quand tout est désert, masque de paroles, qu’on va guidé par quelle étoile grisée, plus rien n’est de soie, de satin lilas. À mourir pour vivre, à ingurgiter des mots comme remède, plus rien n’est dimanche dans ce paysage. Mes livres sont tus, muets et sans voix, ils sont un fruit séché, un kirsch éventé. Quand le sommeil brûle à travers les livres et les yeux fermés de l’attente, alors, dans la lumière grise, n’exister plus et, à pas de fatigue, de rocher en route, de mer en route, de ruines en route, avancer sous les soleils aux robes lilas, dormir les jours à venir s’ils doivent n’être que les portiques du semblable et ignorer les alcools éventés du destin, boire aux oranges mêmes.

Je n’ai plus le temps, va, je n’ai plus le temps, le temps d’hévéa, je n’ai plus rien pour moi, pour lui non plus, plus de temps, plus d’ovation, plus non plus d’alléluia. Je n’ai plus de pieds, je ne puis aller plus loin, il faudra bien que l’on me porte. Je ne suis pas lourd : une once d’ombre et rien de plus, un journal blanc auto-censuré, déchiré, je m’en vais sans lecture à donner. Je m’en vais, plus de temps, je n’ai plus de fruits, je ne suis plus arbre, plus du tout de marbre, le temps va, je n’ai plus ni goût ni force, ni croquant ni craquant, je m’en vais sans vanille. Le temps du désert traversé : au bout, m’attend le vapeur blême qui m’emmènera jusqu’au port, le grand port où un cargo libre en partance m’emportera vers une rousse et du lilas. Où sont les cartes de la région et les journaux de bord du capitaine inconnu ? À quand ce désert traversé vers le bout d’aimer et vers l’ultime peur, celle qui sent toutes les forêts ?

La lassitude est un repas mal recuit. Être à l’affût, être à l’écoute par-delà cette indifférence qui me fait les yeux trop doux… pour être quoi, à la fin ? Laisser parler, laisser chuinter le chant du ruisseau qui persiste. Tout est bleu ailleurs, mais je ne sais pas où. Sur mes seins nus soufflera la brise de la verdure du vivre, quand il craque et croque. L’angoisse impatiente et la peur de perdre ce qui n’est même pas assuré, le corpus de la crainte présenté, analysé, disséqué comme l’œuvre complète de la mélancolie à l’université… Le vent, pourtant, là-haut, ne s’en laisse pas compter, il va s’inscrire au registre d’attente d’un instant de bonheur, loin des cyclothymies sans soleil, là où le goût marche libre sur un boulevard fleuri de visages.

Quand seront les papiers jaunes et moisies les images défuntes, il sera loisible de toucher du cœur cette évidence de pain brûlé. Rien n’aura été, rien n’aura servi, n’aura duré, n’aura pu croire en ces soirées d’incandescence, en l’avenir aux gants beurre frais. Tout était dessalé d’avance, l’amertume était une écharpe. Il n’y a plus que le silence au bord du balcon déserté, sans couleurs, il y a plus de cinquante étés que cette photo attend de ne plus rien signifier. C’est ainsi : sur les ponts du passé et du mouroir de vivre, on voit jaunir des photos mortes, on ne peut plus aller nulle part, tout finit au creux des fossés, personne ne prête assistance à personne et personne ne fiance sa destinée aux balcons désertés, sans odeurs. Même les nuages ont passé sur leurs pieds abîmés, les paupières sont lourdes aux soirs attardés, il vaut bien mieux aller sans fleur. Au bord du balcon silencieux, il doit y avoir quelques ombres.

Si l’idée du bonheur était telle que le bonheur pût exister, il faudrait la crier dans la rue. Si la fleur qui vit au cœur de nos sens était une orchidée, une jacinthe blanche, il faudrait sentir bon, véritablement. Si l’idée de joie était telle que la joie s’ouvrît en bouquets, il faudrait en vendre les fleurs, la couleur, la senteur aussi. Si les femmes étaient de laine, un manteau court de laine rose, je deviendrais un amour fou. Si tout était, si tout était simple… Si l’idée d’avancer n’était que des pieds, il faudrait que la vie chaussât ces pieds d’aventures et d’espoir. Si janvier, si la lumière… Alors les jours allongeraient. Si l’idée de danse était suffisante pour la légèreté du vivre, il faudrait commander la musique. Si le goût était une pomme, il faudrait la cueillir le corps nu. Si tout était simple, si tout était doux, si tout était roux.

Ils sont tous morts, ceux que l’on pensait éternels parce qu’on les croyait indestructibles. Ils le furent, indestructibles, le temps qu’il fallait sans doute. Après, c’était à nous d’agir et maintenant, le ciel est bleu, l’abandon n’était pas provisoire. Au soir frais, les oiseaux paraissent sonner l’heure de la fermeture. Je ne peux plus voir les images des morts, je ne peux plus le supporter et mon stylo le dit tout seul dans le gris matin de cette matinée. Je ne peux plus voir les images des personnes parties, elles sont illusion de ma vie. Je ne sais pas dire aux fontaines que leur eau n’est pas assez fraîche et je ne peux pas dire aux visages des morts combien j’ai mal de les regarder. Je n’ose pas flétrir leurs roses déjà inanimées. Un peu de temps, juste un peu de temps, voilà ce que demande celui qui vit toujours trop vite en songeant que tout est trop lent.

Alors, sur le sapin du monde, là, tout en haut, ce n’est pas pour rire que brille le bout du temps. Quand le sapin se couche sans gloire et sans attendre des nouvelles du soir dans son lit de terre… Il aurait mieux valu brûler tout ça, incinérer le temps qui passe. Le fleuve avec ses chaussons de satin vert, ne veut pas se mouiller, dire au journal les nouvelles qu’on aimerait lire, feuilles de menthe vibrantes et festives, dire au menu le nom des plats qui n’y sont pas, avec les vins tremblants de soie, dire à l’amour oui ou non, assurément, avec les frêles frissons et les frênes feuillus de l’été, dire aux éditeurs du sentiment de faire imprimer nos partitions. La mort n’est pas tout, n’est-ce pas ?

Dire, vous dire mais me dire avant, avant tout dire mes rapports avec le monde, avec vous. Ruban de mots brodé de peur, ourlé d’amour, au bord sans cesse de l’épanouissement et de la meurtrissure, prêt à chuter, prêt à craquer comme craquent, dans leur sécheresse, le bois, la nuit, les sentiments, et le cœur inopinément. Dire tout ce que j’ai cru jadis, que la pierre était pierre, dire encore que j’y crois toujours. Dire ce que j’ai découvert, que j’aimais le caoutchouc, sensuel en éternité, une matière de l’enfance. Dire surtout, partout, que si écrire ne sert de rien, je l’avais toujours su, mais j’aimais autrefois l’acte gratuit, la pomme du pommier. À ce jour, j’ai – ronces aux ronciers – des doutes que mes mots tentent de ne pas paraphraser.

Où s’en vont nos deux mains nouées dans le lilas et nos tourments autistes, quand la raison s’agrippe à des ronces entêtées, à ces démons qui n’aiment pas le dimanche, à ces femmes enceintes qui portent des lunettes ? Dans l’inutile absolu d’un monde révolu, sans senteurs et sans nez et sans plus de jeunesse, sans plus de café. Je ferai le poème du doute, de l’à quoi bon, du pourquoi vivre, du pourquoi pas. Sur un rocher face à moi-même, j’écrirai le texte de la route en avant. Quand se lèveront les vents plus doux, sur les tombeaux de nos passés assumés où plieront les cyprès, je ferai la chanson des fruits de vivre, je m’en irai sur mes pieds nus et formidables, vers de grands soleils époustouflants. Dans la grippe infâme de l’habitude, je vois s’installer le virus inquiet du devenir, mais je suis l’avenir et je vous réserve quelques soleils encore, qui brilleront à travers les vitres sales de vos quotidiens sans lumière, jusqu’à ce que poussent des pommes et du lilas dans vos réduits épuisants, dans vos ventres sans avènement. Il y a, dans le scénario commun d’une existence sans fièvre, les lieux communs de l’amour pelliculé. Je ne dirai pas les mots à parler, les verbes à taire, les vocables pouilleux, je tairai l’insolence du monde à n’être jamais qu’un répertoire, un pot commun. Viennent des temps de caoutchouc, de sensualité chantée !

Transmettre des idées habillées d’émotion d’abord, avant, oui, bien avant les recherches formelles, transposer la sensualité en mots de matière et d’odeurs, d’abord, avant, oui, bien avant tout le reste. C’est mon art poétique si j’en ai un, c’est mon goût d’écriture et de lecture aussi, goût de pommes au matin aigrelet, fleurs éclatées dans mes globules, bois sculptés dans mes neurones pour qu’ainsi l’on sache applaudir et maudire s’il le faut cette vie de pierres. Juste un mot maintenant, à l’heure ouverte au monde, un mot plein de senteurs, s’il en existe encore, des senteurs. Un mot pour dire demain aux îles excellentes où dort l’édition de tes rêves, où il y a des mois de repos, où il y a des fruits emportés de colère, où il y a sur la table un peu de vin, un crayon et l’amère amertume avec deux pianos fous, où il y a l’illusion qui lit la grammaire française. L’édition lilas de tes rêves d’enfant, tu la fabriqueras toi-même et, si tu es sorcier, tu sauras bien la deviner et tu l’illustreras avec tous tes pastels. Le temps des semailles a passé, le temps des sonnailles a tintinnabulé. Que faut-il à présent pour que les cascades chutent encore ? Un pantoum qui tourne la tête et fait valser les pas hésitants, un peu de citron dans l’air du temps ?

jeudi, 26 octobre 2006

À une fenêtre

Ce n’est pas parce que vous baillez que vous allez m’endormir. Ne croyez pas m’impressionner en me disant que vous êtes l’œil de la façade : le cliché est devenu insupportable. Occupez-vous plutôt de masquer d’un voilage les rides qui font de vos paupières la carte d’un réseau ferroviaire. Ou bien fluvial, si cela peut vous être agréable. Vous voyez que je ne suis pas chien et que je veux bien vous faire plaisir, à ma manière.

Il y a quelques décennies – pas tant que ça – vous étiez celle qui permettait aux anarchistes de sortir des commissariats. Une idée comme une autre, me direz-vous, l’essentiel étant d’en sortir même si l’on n’est pas vivant. Il paraît qu’on les poussait un peu. Peut-être. Ah non, c’est vrai, c’était un accident.

On parle aujourd’hui, pour exprimer l’idée du moment à saisir, de fenêtre de tir. C’est incroyable, comme l’homme contemporain peut tendre à la métaphore technocratique.  Fenêtre de tir ! Autant dire que les yeux d’une femme sont le PMU du hasard. Ou n’importe quoi d’autre, d’ailleurs. Ce derrière qui m’intrigue depuis que je connais celle qui ne s’en sépare jamais, est une fenêtre aussi. Sur l’insondable.

À la reprographie, quand je vais prier la collègue aux yeux brillants de faire pour moi quelque travail quotidien, il y a une fenêtre sur l’imprimerie, la vraie, celle qui produit des livres. De vrais ouvrages, bien sûr, pas ceux que crache la presse Cameron dans laquelle on entre le texte et d’où ressortent des pavés collés déjà endormis sous un film de plastique. Une fenêtre sur le rien, cette machine. Remarquez, il y a bien des balcons en forêt…

Martine vous aime et vous photographie souvent, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut avoir les gonds qui enflent. Parfois, vous êtes sale à l’intérieur comme à l’extérieur et cela vous paraît une injure. Vous êtes alors une fenêtre à double outrage.

Quand vous aurez appris à ouvrir sur le large et la liberté, à laisser à qui vient vers vous l’azur tranquille, à tendre les battants comme on tend les bras, je m’intéresserai davantage à vous. Mais vous n’êtes pour l’instant qu’une paire d’oreilles en éventail, donnant sur le mur d’en face. Il en faut plus pour mériter ma considération.

mercredi, 18 octobre 2006

À la fatigue

Vieille peau, 

Vous êtes insolente. Vous survenez sans téléphoner, vous vous installez alors que j’allais sortir et, dès le lundi, vous faites de ma maison un exemple de désordre, quand j’ai pourtant passé toute une fin de semaine à faire le ménage. Mon corps est sale et brouillon, vaseux et poussiéreux, lorsque vous venez vous asseoir sans façons.

Parfois, vous m’assommez et, pour vous fuir, je vais me cacher dans mon lit à vingt heures trente, je hèle au passage le dernier taxi du rêve et je donne au chauffeur une adresse chimérique. La voiture file et je vous oublie, blanc fantôme sur le trottoir gras. La plupart du temps, cependant, les papillons de chagrin des insomnies qui me torturent se font les complices de vos agissements et le taxi part sans moi. Pis, il me nargue quelquefois et, me voyant espérant au bord du trottoir, sous le panonceau indiquant la station, me dit : « Je suis pris ! » Ce n’est pas vrai, je le sais, mais il insiste : « On m’a réservé, j’attends ! Empruntez donc le métro. » Dans le métro, on ne rêve pas lorsqu’on est fatigué. Il faut être en forme pour manger des yeux la belle voyageuse qui, justement, vient de monter dans la rame, là, étalant sous mon nez des charmes invraisemblables mais, à cause de vous, je ne pourrais rien faire, de toute façon. Vous êtes le revers d’une médaille qui n’a même pas d’avers. A-t-elle seulement une tranche sur laquelle la faire reposer ? Vous avez dit : reposer ? Ah, si c’était possible.

Quelquefois, vous êtes une bouteille d’eau, l’on vous devine rafraîchissante et l’on pense qu’on va, délicieusement, vous embrasser en s’endormant. Mais la plupart du temps, vous êtes goudron, vous sentez mauvais, vous êtes toxique et vous n’autorisez même pas l’infortuné dont vous brisez les os à quérir quelque repos dans les couloirs d’une nuit enfin venue, que vous vous empressez de transformer en train fantôme.

Vous n’êtes pas que physique. Vous êtes encore un monstre moral aux œillères abjectes. Vous faites en sorte qu’on ne puisse plus rien voir qu’à travers votre filtre. On a alors le sentiment que, sur le boulevard, les passants se jettent sur nous ; que, dans les transports en commun, tous vont littéralement nous monter dessus. Quand autrui pourrait être un baume, il devient souffrance – vous êtes rusée, vous êtes perverse. Vous troubleriez la plus grande lucidité. Vous me faites penser à une pieuvre qui obligerait sa proie à lire un journal sans intérêt, un manuel abscons. Alors, les yeux brûlent.

Si vous aviez l’obligeance de prendre vos distances et d’aller voir ailleurs si d’autres souffrent aussi, je vous serais reconnaissant. Oh, je n’imagine certes pas retrouver jamais cette forme innocente d’autrefois – je dis innocente parce qu’elle allait de soi, du moins je le croyais, elle était évidente dans sa simplicité calme – mais toutefois, j’aimerais assez que vous me laissiez un moment le champ libre, afin que je puisse retirer de ma marche à la surface de cette terre le sentiment d’une progression, fût-elle modeste, plutôt que celui d’un visqueux sur-place.

Je vous prie de croire, vieille détestable peau, que je pourrais me passer de vos services maudits. Je m’entends fort bien avec le bel allant, la bonne forme, et n’ai pas l’intention de divorcer d’avec eux. Il n’est pas nécessaire que vous veniez semer entre nous la zizanie puante à laquelle aboutissent toujours vos agissements.

Ne comptez nullement sur mon dévouement.

mercredi, 19 juillet 2006

À la patience

Nous ne nous connaissons pas beaucoup, c’est le moins que je puisse avouer. Je ne vous ai jamais énormément fréquentée. Quand j’ai dit que j’allais vous écrire, Martine a répondu : « Tu ne sauras pas quoi lui dire. » Elle n’avait pas tort. Les femmes n’ont jamais tort.

 

Lorsque mes filles étaient petites, je vous avais un peu apprise, mais c’est terminé. C’était surtout l’amour pour mes enfants que, par alchimie, je transmuais en patience. C’était mon rôle : le père est un sorcier ou n’est pas.

 

Je suis toujours extrêmement étonné lorsque j’entends parler de « prendre son temps. » D’abord, où le prendre ? C’est une aberration. On n’est pas immortel, on n’a jamais le temps. Je voudrais brûler plus vite encore. Il est des gens qui se conduisent comme s’ils ne devaient jamais mourir. Je ne peux pas les comprendre. Je me comporte en permanence comme si je devais mourir dans l’heure et encore, je trouve que tout est trop lent. Contre l’absurdité de notre condition, contre l’obligation qui nous est faite de mourir, je ne sais que la hâte, l’impatience, le désir paré de robes mordorées, de tuniques anciennes, chaussé de spartiates taillées dans le cuir de la douleur de vivre et de l’appréhension permanente de l’avenir. J’aimerais, en tout cas, que vous acceptiez de me donner votre adresse afin que nous puissions convenir d’un rendez-vous. Il pourrait n’être pas inutile qu’enfin, nous conversions. Je ne saurais garantir que notre rencontre sera fructueuse. Néanmoins, nous pouvons tenter de mieux nous savoir. Je suis certain que, si j’avais l’honneur et le plaisir de pouvoir contempler vos yeux, quelque chose me convaincrait de faire davantage l’effort de vous aimer et me donnerait la force sentimentale de demeurer à vos côtés.

 

Quelques amis qui vous connaissent m’ont dit que votre visage était empreint d’une douceur virginale. Je veux bien les croire sur parole, mais j’aimerais me rendre compte par moi-même de la splendide humilité de vos traits. Dans votre église, j’aimerais assister à l’office dont, depuis ma naissance, je me trouve privé.

 

J’espère de tout cœur que vous accepterez de répondre à cette lettre énervée et que vous prendrez en considération ma très lamentable prière.

 

En attendant, donc, de connaître votre adresse, je vous fais parvenir cette lettre, poste restante. Vous la retirerez au bureau des jours paisibles.

samedi, 15 juillet 2006

À mon rasoir

Vous rasez le fil des jours et la menace grisée qui me cerne, attentivement, avec précision. En cela, vous n’êtes pas sot. Vous passez le temps quotidien au fil acéré d’une double lame interchangeable, disposée en haut d’un manche de laiton. Je n’entends pas par là que vous vous y prenez comme un manche. Ce serait vous désobliger. Il reste que votre caresse est hypocrite puisqu’elle peut se révéler griffe ou coupure. Il faut se méfier de vous, chaque matin que Dieu fait, lorsque vous tranchez dans la mousse fraîche, vive, que me délivre une bombe achetée au plus proche supermarché et dont la consistance m’indiffère. J’achète toujours la moins chère, pourvue qu’elle soit sans odeur.

 

 

On parle d’un raseur pour désigner un importun, on dit d’une chose ennuyeuse qu’elle est rasoir. Ce n’est pas très aimable. On dit encore « raser les murs » pour signifier qu’on passe le plus discrètement possible. La métaphore, en ce qui vous concerne, est peu flatteuse. Elle s’inscrit au registre des choses sans gloire, vergogneuses, sans lustre ni éclat. Pourtant, vous êtes utile, vous êtes mon complice puisque nous sommes seuls, vous et moi, à savoir la couleur amère du poil que nous supprimons d’un commun accord ; j’aurai garde, cependant, d’omettre votre fourberie, celle qui aboutit trop souvent à la blessure, certes légère, mais inesthétique et désagréable. Je pense qu’en réalité, vous vous vengez de votre regrettable réputation par de petites mesquineries de ce tonneau-là. C’est dommage. Je vous apprécierais empreint de davantage de noblesse. Après tout, quand on porte une lame à son côté, une lame à ses armoiries, c’est qu’on est de haut rang, il me semble. Ne troublez donc pas votre sang bleu en faisant couler mon sang rouge. Personne n’a rien à y gagner et je pourrais fomenter une révolution s’il m’en prenait l’envie. Un rasoir sur l’échafaud, voilà qui ne manquerait pas d’originalité. Faire couper une lame par une guillotine, pour un poète, c’est tentant.

jeudi, 06 juillet 2006

À ma chemise

Vous n’êtes pas d’un homme heureux, et, disant cela, je ne parle même pas du fait que l’été vous transforme en torchon mouillé, surtout dans la cuvette parisienne sous pression insupportable. Vous êtes la liquette repassée chaque matin par mes soins, mais n’abritez que des déconvenues. Il paraît que je suis un repasseur émérite et que, lorsque vous sortez de la machine à laver, vous conservez encore, au moins aux manches, le pli quasi militaire que je vous avais donné lors du repassage précédent. Cela ne vous rend pas plus apte à transformer l’horrible en ineffable, le courant en inédit. Et pourtant... Écoutez-moi.

 

Quand j’avais dix-sept ans, on vous portait sur le pantalon, de préférence sanglée d’un large ceinturon. Vous avez ensuite réintégré les braies fort sagement et la ceinture a disparu. J’ai observé que cela revenait : les jeunes, aujourd’hui, vous portent aussi à l’extérieur. Vous savez, tout ça, ça va, ça vient. Les modes... Tout passe. Je vous ai connue cintrée (on disait : « près du corps »), avec des pinces dans le dos et, rétrospectivement, je me demande comment on faisait pour vivre aussi serré dans ses habits, car le pantalon était du même acabit : taille basse, ultra-moulant... Il est vrai que nous étions filiformes, en ces temps. Encore que les personnes plus âgées et plus grosses étaient vêtues de la même façon. Je vous ai connue à grands carreaux, à tout-petits carreaux, à rayures plus ou moins larges, en coton, en synthétique, en mélange des deux et même en crépon, avec cet aspect de papier agréable au toucher et si étonnant à sentir sur sa poitrine nue, surtout au bout des seins. Il paraît que vous pouvez être de soie mais je ne vous ai jamais portée ainsi : vous êtes alors trop chère pour moi. Je vous ai vue à manches longues, à manches courtes, avec des boutons de nacre, d’autres de plastique, avec poignets « mousquetaire », avec poignets sans boutons impliquant des boutons de manchettes. Je vous ai sue avec ou sans poche de poitrine. Je vous ai portée presque transparente ou opaque, à col boutonné ou non, à col pointu ou rond, refermé ou échancré, avec ou sans cravate. Ce n’est pas rien, une chemise, vous savez. Vous pouvez être fière de vous. C’est vous qui dessinez aux hommes des dorsaux magnifiques, qui leur sculptez les épaules, qui leur faites un dos que regardent les femmes.

mercredi, 05 juillet 2006

Au Lot

Monseigneur,

 

Je vous ai découvert en 1975, par la grâce d’un ami connu auparavant au lycée, à Marseille. Bien que né à Saint-Germain-en-Laye, il était, par sa grand-mère maternelle, originaire de chez vous. Il m’a fait cette fois-là, sans le savoir, un cadeau immense, m’offrant la possibilité de trouver une terre d’adoption où j’ai poussé de nouvelles racines. À bord de ma deux-chevaux d’alors, je vous avais rallié au départ de Marseille et ce fut un enchantement.

 

On vous qualifiait jadis, sur les panneaux touristiques, de « Terre des merveilles ». L’expression était singulière et digne de vous, de vos plus de quatre-cents monuments et sites classés. On l’a, depuis lors, remplacée par le slogan, bien plus prosaïque : « Une surprise à chaque pas. » Quand la merveille cède le pas à la simple surprise, il y a quelque chose qui ne va plus. Mais je n’ai pas besoin de cela, j’ai appris à vous connaître bien plus secrètement, au fil des années incroyablement vite écoulées. À deux reprises, j’ai loué à l’année ma part de votre territoire. Une fois, c’était dans une école de village, désaffectée. À présent, c’est un bout de maison dans un hameau minuscule. Si je ne compte pas ceux qui habitent l’autre partie de la bâtisse, le premier voisin est à deux-cents mètres. Je dis toujours : « Mon bout de Lot loué » et c’est exactement cela. Je jouis, pour un peu d’argent, d’un morceau de terre des merveilles.

 

Je vous ai fait découvrir à de très nombreuses personnes. Toutes sont tombées amoureuses de votre splendeur (j’aimerais à ce propos savoir pourquoi on tombe amoureux, pourquoi on tombe enceinte : quelle est cette idée de chute impliquée par ce verbe, alors qu’il ne s’agit nullement de choses honteuses ?) Il y a votre architecture magnifique et votre gastronomie hors-pair, hors-concours, qui ferait se lever Lazare, sa serviette autour du cou. Il y a vos paysages infiniment différents. On ne compte plus les auteurs et les artistes qui se sont installés chez vous, à commencer par André Breton, mais il n’est pas de grand écrivain quercynois, c’est dommage.

 

Plus tard, j’avais composé pour vous une petite chanson de rien du tout qui, demeurée sans musique, doit dormir dans mes cartons. Elle commençait ainsi : « Nous avions le Lot à portée d’oreilles / Quand il bruisse un peu dans l’été qui court / Et que dans le vert d’arbres de secours / Vient mourir le bruit de mille merveilles / Les chevaux Peugeot broutaient le bitume / Chaque tour de roue était un appel… » – le reste à l’avenant : je n’ai jamais su par cœur un de mes textes.

 

Dans trois jours, je partirai vous rejoindre, en Renault cette fois. La voiture connaît le chemin par cœur, elle ira seule.

Au désespoir

Sale type,

 

Je vous connais depuis toujours. Quand ma jeunesse battait pavillon noir, vous étiez, comment dire, métaphysique, existentiel, et vous êtes, en ces heures de drapeau gris, devenu réel, concret. Vous êtes le rictus de cette société fatiguée. Je vis avec vous, ce qui ne signifie pas nécessairement que nous vivions ensemble. Autorisez-moi cette nuance, je vous prie. Et puis non, taisez-vous, cest moi qui parle.

 

Depuis trop longtemps, vous battez la semelle sur le bitume de ma vie. Vous êtes le proxénète de ma joie de vivre, mais elle en a assez de vous donner son bas, chaque soir. Allez donc chez le coiffeur et demandez-lui quil vous fasse une autre tête, celle-là me dégoûte. Quand vous vous verrez dans le miroir de votre figaro, vous comprendrez. Et puis, entre nous, si vous pouviez vous installer ailleurs que chez moi, ça marrangerait. Je suis bien persuadé que dautres ont de quoi vous loger. Cherchez un peu, voyons.

 

Vous vous contenterez de cette courte adresse, salaud. Vous naurez pas meilleure apostrophe. Je la posterai sans apposer de timbre et ainsi, mes amis postiers vous feront payer une surtaxe.

Au facteur

Vous êtes l’ami de tout le monde. Il en est peu. Je ne connais guère de métier qui soit aussi apprécié de tous. Quand il n’y a pas de courrier, on est désolé, et je pense toujours à Pagnol : « Les lettres, c’est moi qui les porte mais ce n’est pas moi qui les écris. » C’est tout simple et c’est si juste néanmoins. Combien de fois ai-je vu des personnes déçues – combien l’ai-je été moi-même – d’avoir à attendre jusqu’au lendemain ! Elles repartaient bredouilles, plus tristes qu’un pêcheur que les poissons auraient nargué. On vous dit « préposé » depuis quelques années, mais tout le monde continue à vous appeler « facteur », je veux dire : dans la réalité, et voilà que je suis pris d’un doute. Les décisions administratives ne seraient donc pas le réel ? Ah, ce serait magnifique, ça. Les technocrates décideraient des choses et le peuple entier s’en moquerait comme de sa première jaquerie. Il faudra y penser.

 

Je suis d’une famille de postiers. Mon grand-père était facteur, il le fut durant quarante ans. Quand j’étais petit, il était en poste à l’Assemblée algérienne, ce qui m’ouvrait droit à des goûters. Je revois vaguement quelques images, le jour de Noël, je présume : de longues tables auxquelles étaient assis de nombreux enfants bien habillés. Sur les tables, des boîtes de friandises enrubannées. Une photographie complète mes souvenirs : il devait y avoir un spectacle, puisque tous les petits invités regardent dans une direction bien précise, avec de grands yeux. Il n’en est qu’un qui regarde ailleurs, l’air triste et inquiet, c’est moi. Allez comprendre pourquoi. Rien n’a changé. Aujourd’hui, dans une foule, je suis celui qui regarde ailleurs. Je n’en rajoute pas, vous savez. C’est vrai.

 

Quand vous passez, à Noël, proposer cet almanach désuet qui est une ancienne tradition de votre métier, je vous accueille avec chaleur et achète toujours cette publication que je n’ouvrirai jamais. Je vous propose un verre que vous refusez systématiquement, arguant du fait qu’il vous est difficile de boire avec chacun. Je comprends fort bien, encore qu’avançant cela, je ne pensais pas nécessairement à de l’alcool – je conçois toutefois qu’il soit également impossible d’avaler trente ou quarante jus de fruits, l’un après l’autre. Au vrai, vous ne venez pas chaque année, je ne sais pas pourquoi. Et puis, les choses ont changé : vous n’êtes jamais le même, d’une année sur l’autre. Ce n’est pas important, me direz-vous, puisque c’est le facteur que je reçois, pas la personne. Toutefois, il est impossible de nouer la plus petite relation : dans l’année, je ne vous vois pas, vous apportez votre offrande au moment où je suis à mon travail.

 

Je vous adresse cette lettre d’amitié que, pour une fois, vous n’aurez pas à distribuer.

mardi, 04 juillet 2006

À un microsillon

Je n’ai jamais cessé de vous trouver beau, dans votre costume de sillon noir, avec, au milieu, votre chapeau rond au chiffre de la firme phonographique, chapeau percé d’un trou. Oh, non, ne voyez là aucun regret, j’achète et écoute aussi des disques compacts, mais, comment dire ? Je suis attaché à vous. Dans ses souvenirs, Polnareff disait n’avoir aucune nostalgie « de ces grandes pizzas noires. » Pizzas, non mais ! Quelle outrecuidance ! Il est vrai que l’image est plaisante et puis, Polnareff, je l’aime bien.

 

J’aime voir briller des reflets sur votre surface lorsqu’on vous incline vers la lumière, ainsi que les yeux d’une femme qu’on fait se cambrer dans ses bras. J’aime vous saisir et vous tourner d’un côté ou de l’autre sans vous toucher des doigts, le pouce, simplement, fixant l’équilibre tandis que le majeur se glisse sous vous et se pose sur votre petit trou. Vous allez dire que j’exagère et que ma description est osée. Il n’en est rien, c’est ainsi qu’on tient un disque.

 

Pour vous lire, il fallait un électrophone qu’on appelait aussi tourne-disques. Cet appareil a fait place, par la suite, à  un électrophone stéréophonique, puis à une chaîne stéréophonique dite chaîne stéréo, qui devint chaîne de haute-fidélité et, plus couramment, chaîne hi-fi. Le plateau sur lequel on vous posait était, au début, entraîné par un galet. On a vite su faire mieux, avec la transmission par courroie. On a même inventé l’entraînement direct mais c’était trop onéreux, le système par courroie est demeuré le prince. On posait sur vous un bras de lecture dit bras, terminé par un saphir qui devint ensuite un diamant, lorsque le bras, prenant du galon, se vit flanqué d’une tête de lecture ou, mieux, d’une cellule. On sut régler la pression de celle-ci par un système de contrepoids, pour qu’elle abîmât le poins possible le sillon. On apprit un jour à corriger le battement latéral du bras à l’intérieur du sillon, mouvement inévitable compte tenu de la rotation et du frottement ; on inventa un système qu’on se hâta de désigner sous le nom d’anti-skating. On alla jusqu’à imaginer une petite brosse tournante, disposée au bout d’un bras supplémentaire, qui venait vous débarrasser de toute poussière superfétatoire juste avant que passe le diamant. Incroyable ! Autrefois, pour vérifier la régularité de la vitesse du plateau, on disposait une rondelle de carton pompeusement appelée stroboscope ; elle était pourvue de hachures à intervalles réguliers ; il convenait que, visuellement, elles apparussent comme un cercle pour que la vitesse fût bonne. Bah, c’était bien empirique. Sans mentir, je vois à l’œil nu si vous tournez ou non à la bonne vitesse, rien qu’en regardant votre étiquette centrale que les snobs nomment label. Au fil des années, les progrès de la pétrochimie vous ont rendu de plus en plus léger. Depuis 1970 environ, vous êtes même incassable. Que d’attentions pour une galette noire ! Sur la chaîne de haute-fidélité, vous étiez royal, chouchouté, posé sur un trône. On vous aurait presque envié. Vous étiez monophonique, on vous fit multiphonique. Puis le terme changea : vous fûtes baptisé stéréophonique et l’on créa le fin du fin, la gravure universelle qui permettait la lecture sur tous les appareils. Là, de royal, vous deveniez impérial.

 

Quand le CD est arrivé, dans les toutes premières années 80, on a crié au miracle de la reproduction sonore. Dédaigneux mais un peu inquiet, vous avez résisté jusqu’en 1991, date à laquelle il vous a définitivement supplanté. Votre règne aura duré à peu près quarante ans, depuis que le père Barclay a ramené le brevet des États-Unis et que, petit à petit, vous avez vous-même tué le soixante dix-huit tours alors en vigueur. Vous êtes mort… provisoirement car, malin comme pas deux, vous revenez depuis quelque temps sous forme de tirages limités, de parutions exceptionnelles et, tiens, cela se vend, on dirait… Vous êtes rusé. Et puis, petit à petit, on a commencé à murmurer, puis à dire de plus en plus haut, que, tout compte fait, le son « parfait » du CD, pur de tout craquement, eh bien, mon Dieu, ce n’était pas si bien que ça… Aujourd’hui, à voix basse encore, on va répétant que, ma foi, le son du microsillon était bien meilleur, beaucoup plus chaud. Bien sûr, les craquements… Mais finalement, ce n’était pas très important. On dit des choses comme ça, oh, en douce, bien entendu, pour ne pas passer pour un crétin, mais on le dit, et pas seulement chez les vieillards gâteux de mon espèce…

 

Dans votre version trente-trois tours de trente centimètres de diamètre, vous proposiez, grosso modo, quarante minutes d’écoute et, évidemment, il fallait vous retourner entre-temps. C’est à mon avis la seule chose que le CD ait réellement apporté : ne plus avoir à tourner le disque. La durée d’enregistrement a été considérablement augmentée, c’est bien, mais on s’est aperçu que, décidément, beaucoup d’artistes n’avaient pas suffisamment de choses à dire pour « tenir » le temps d’un CD. C’est amusant. Au vrai, vous avez créé une notion, au travers de votre limitation technique, la notion d’album, mot d’ailleurs impropre. Quarante minutes, à peu près trois quarts d’heure, c’était votre carte de visite, en quelque sorte. Les firmes – on ne disait pas encore les majors – ont fini par tailler dans l’œuvre des artistes des albums (on disait aussi : trente centimètres ou grand microsillon) en écartant tel morceau relégué sur votre petit frère le quarante-cinq tours (dit aussi SP ou EP selon qu’il fût ou non extended playing). Vous étiez devenu un tout et l’on vous présentait lors d’une « rentrée », c’est-à-dire un spectacle parisien doublé d’une tournée en banlieue puis en province. C’est pour cela qu’en 1964, on vous a généralisé, abandonnant à l’assistance publique votre prédécesseur, le vingt-cinq centimètres avec qui vous coexistiez depuis le début ou presque. Pour faire la même chose avec un CD, il fallait sélectionner davantage encore de morceaux et tous n’étaient pas à la hauteur. Chez vous, déjà, il faut bien le dire, il arrivait qu’un bon quart de votre contenu ne fût pas très intéressant.

 

Et puis, il y a la question des pochettes et là, naturellement, vous êtes imbattable, avec vos beaux atours de grandes dimensions qui autorisaient des photographies et des textes, et même, tenez-vous bien, une mise en pages réelle et une typographie lisible. Je sais, je dis « typographie » par abus de langage, c’était de l’offset, ne me reprenez pas sans cesse, c’est énervant. Je sais même des pochettes sur beau papier, avec des livrets intérieurs magnifiques. Le CD, comment lui en vouloir, ne peut pas rivaliser avec vous.

 

Comme je suis un peu tordu, vous le savez d’ailleurs, il m’arrive, au rebours du plus grand nombre, de remplacer des CD par des microsillons. Si, si… Je suis toujours à contre-courant, je ne le fais pas exprès. Je sais bien que l’avenir de la musique (je veux parler, naturellement, de la musique enregistrée) est la dématérialisation. Dans quelques années, il n’y aura plus de disques, d’aucune sorte. Cela ne m’empêchera pas de vous aimer. Nous sommes déjà un vieux couple, que risquons-nous alors ?

À l’amitié

Chère amie,

 

C’est bien le moins que je puisse dire en m’adressant à vous. Je voudrais vous parler, vous dire combien, souvent, vous m’avez déçu. Souvent, oui, très souvent. Et pourtant, cet amour que j’ai pour vous persiste à croire en nos lendemains. Chaque fois, je reçois à bras ouverts l’ami nouveau et, avant lui, le simple espoir de la rencontre neuve. Cette lueur qui perce, ce fil blanc d’aube, lorsque le ciel se déchire, trouant les ténèbres avec une insistance tranquille. Après l’aube, il y a l’aurore, et la couleur. Voilà comment je vous vois. Je ne vous aime que dans la distinction et la finesse. J’ai horreur de saucissonner et de me faire taper sur le ventre. Le côté « Mon ami, moi, à la vie, à la mort », le tatouage du sentiment, très peu pour moi, souffrez que je préfère l’exquise discrétion.

 

Et pourtant, disais-je… Combien de fois m’avez-vous rendu mes lettres, combien m’avez-vous signifié que vous ne désiriez pas renouveler mon bail (car c’est vous, la propriétaire, naturellement). Vous avez été d’une cruauté sans nom, mais aussi sans fard : même pas maquillée, même pas cachée, vous avanciez à visage découvert, dureté en avant, pour frapper, déchirer, démantibuler, disséquer. C’était alors le début d’un temps noir, lourd et froid en même temps. Je savais qu’il faudrait attendre l’aube, mais quand ? Sous nos latitudes, c’est toujours vers les quatre heures du matin qu’il fait le plus froid, en toute saison. C’est l’heure du couteau qui transperce la moelle. Dans ces moments où vous me trahissiez, il était toujours quatre heures du matin, en permanence.

 

Pourquoi vous comportez-vous comme l’amour ? Parce que vous êtes l’amour, cette espèce de fleur malade de sa fragilité en même temps que de sa force. Cette fleur qui s’épanouit et se fane à chaque moment, quoi qu’on fasse. Dans votre carosse, parmi vos laquais, j’étais l’invité d’un moment, comme, en amour, je fus cent fois le passager provisoire, prêt à être débarqué au prochain relais de poste, voire au milieu du chemin. Est-ce parce que vous êtes une dame qu’il faut vous respecter et, surtout, tout admettre, tout accepter ? Vraiment, chère amie, faut-il que je sois fidèle et, dans ma désespérance habituelle, coutumière, plein d’espoir malgré tout, pour continuer à vous célébrer et ne désirer qu’une chose, marcher à vos côtés. Même empierrés, vos chemins m’attirent, ils sentent le châtaignier d’automne.

 

Je vous baise les mains.

lundi, 03 juillet 2006

À un censeur

À cette époque-là, on disait « censeur » à celui qui se nomme désormais proviseur-adjoint. En février 1966, j’avais commis quelque ânerie avec deux camarades de ma classe de 4e. Faire des bêtises n’est pas interdit, ce qui est interdit, c’est bien connu, c’est de se faire prendre. Ce fut le cas de deux d’entre nous. Un surveillant zélé nous emmena chez vous, censeur qui, apprenant les faits, commençâtes, étrange maniérisme assymétrique, par nous donner à chacun trois gifles sur la joue gauche. Elles n’étaient pas fictives, non, pas des gifles de cinéma, mais il se trouve que j’ai la peau dure. Vous avez demandé ensuite la dénonciation du troisième élève, ce que, d’un regard plus qu’assassin, j’interdis immédiatement à mon alter ego, déjà en larmes et prêt à tout lâcher pourvu qu’il n’eût pas d’ennuis. Alors se mit en route la procédure du conseil de discipline. Quinze jours plus tard, deux surveillants venaient me chercher en classe, encadrant ma modeste personne comme celle d’un dangereux criminel et me remettaient à mes parents, à qui la secrétaire du proviseur venait de signifier que j’étais un voyou. Exclusion définitive. Le lendemain matin, j’entrais dans un autre lycée.

 

Où êtes-vous, censeur, aujourd’hui ? Cendres dans quelque cimetière marseillais, sans doute. Vous avez pu mesurer l’inanité de vos baffes, du moins je l’espère pour vous. J’ai oublié votre nom et votre visage, il me semble seulement que vous étiez brun. Dites, quand j’y pense, des claques plus une comparution devant votre tribunal, c’était une double peine, non ? Maintenant, vous n’oseriez plus, ce ne serait plus possible. Et puis, après tout, ces trois gifles, je les avais bien méritées, je le reconnais bien volontiers, mais peut-être eussiez-vous dû, alors, en rester là ? C’était un drôle de temps, n’est-ce pas ? Tout ce bruit pour trois fois rien…

 

Deux ans plus tard, c’était Mai-68. Tout cela, d’un coup, était renvoyé aux archives d’un Moyen-Âge du système scolaire. Et quand je vois ce qui se passe à présent dans les écoles, je ris doucement – et bien jaune – en repensant à vous, oublié, dans votre glaise. Allez, crevez tranquille, continuez.

À un cahier

Ce qui est formidable avec vous, c’est que vous pouvez contenir n’importe quoi, un trésor ou un infâme brouillon. Vous acceptez tout et vous vous taisez. Vous n’êtes vraiment pas regardant. Lorsque vous êtes journal, vous conservez pour mémoire des événements dépassés à l’instant même où on les consigne. Ils ne sont rien mais vous êtes tout, transformé que vous êtes en coffre-fort plein d’une urgence sentimentale. Chez Clairefontaine, on vous a donné depuis longtemps des titres de noblesse : il y a cinquante ans déjà, cette maison annonçait « Couverture lavable », ce qui était une première, la plastification étant alors rarissime ; sous le même blason, on a droit, depuis des décennies, à un papier spécialement traité. Il ne faudrait pas, néanmoins, vous prendre pour ce que vous n’êtes pas : un personnage. Je n’aime pas beaucoup votre air avantageux. Vous vous habillez en petits ou grands carreaux, en lignes, en pages blanches, en alternance de pages quadrillées et de feuilles de dessin, en petit ou grand format, ce dernier divisé en 21 x 29, 7 ou en 24 x 32 centimètres. Vous vous faites le dos à spirale ou bien vous êtes agrafé. À partir d’un certain nombre de pages, vous avez l’échine thermocollée, bref, vous nous présentez la galerie des ancêtres, tous alignés sur les rayonnages du papetier et, de surcroît, vous déclinez quelques coloris épars. Vous en faites un peu trop, à mon sens. Soyez humble, cela ne messied point aux gens de votre espèce. Après tout, vous n’êtes qu’un ramassis de pages et vous contenez souvent des inepties, alors, un peu de silence, je vous prie. Et puis, l’ordinateur a fortement ébranlé votre trône, n’est-ce pas ? D’une pirouette, vous avez rétabli votre équilibre et assujetti l’écriture manuscrite à votre pérennité. Ne vous croyez pas trop malin ; cela pourrait n’avoir qu’un temps. Ce sont là contorsions, jeux d’équilibriste ou travers maniaques de professionnels de la politique. N’allez pas vous mêler à eux, ils sont plus retors que vous et, pour eux, vous n’êtes qu’un outil. Ils se prennent pour l’Olympe quand vous visitez à peine le carrefour Pompadour, sur la route de Créteil. On a les artères qu’on peut et, en parlant d’artères, il se trouve que les vôtres commencent à vieillir, aussi, évitez l’embonpoint, conservez une hygiène et délaissez les dîners en ville. Vous êtes mieux à votre place sur une table de travail, beau peut-être mais surtout utile. La lampe d’étude vous convient plus que la lampe à bronzer. Fuyez les paparazzi qui voudront photographier votre couverture. Contentez-vous d’être un honnête cahier et montrez-vous plus exigeant sur ce que vous serez appelé à contenir. Préférez servir Flaubert plutôt qu’un écrivaillon dans mon genre.

À un cinéaste

Quand je revois vos films pour la quinzième ou vingtième fois, je me rends compte du métier qui était le vôtre et de la solidité de votre œuvre. J’ai beau connaître au détail près chaque image et avoir en tête la quasi-totalité du dialogue, je me laisse prendre, chaque fois, à votre piège artistique. « Vous connaissez mes films mieux que moi », m’avez-vous dit un jour. C’était excessif, évidemment, mais enfin, je les connais un peu, c’est vrai.

 

Je ne vous ai pas rencontré souvent. La première fois, c’était dans ce café situé à cinquante mètres de chez vous. J’étais en avance et je vous guettais. Je vous ai vu arriver, aussi tranquillement que si nous nous connaissions depuis sept siècles, avec cette évidence de la simplicité qui fait les grands. Aucun goût du paraître. Rien. Vous êtes entré et avez regardé autour de vous. Vous ne m’aviez jamais vu. C’est moi qui suis venu vers vous, forcément. Vous étiez étonné de me voir déjà là – je suis toujours en avance ; je n’ai jamais été en retard à un rendez-vous, jamais. Nous avons discuté et j’ai eu, bien sûr, le sentiment de subir un examen de passage, mais ce fut plutôt facile. Je savais mon sujet. Je vous ai demandé si, depuis votre treizième film sorti deux ans plus tôt, vous aviez un projet en préparation : « Il y a eu quelques idées, qui n’ont pas décollé. L’oiseau ne s’est pas envolé », avez-vous répondu, ou à peu près. Et vous avez tenu à payer les consommations.

 

Les deux autres fois, ce fut chez vous. Chez vous, ça ressemblait au décor de vos films. Je n’étais pas dépaysé. « Vous avez l’âge de mon fils » : c’est une des rares paroles un peu personnelles que vous m’avez adressées. D’ailleurs, ce n’était pas tout à fait exact, je suis un peu plus âgé que lui, mais pour vous, cela n’avait pas d’importance. Un dimanche matin, j’arrivai au pied de votre immeuble. Vous étiez là, à m’attendre devant la porte, dans la rue. La porte est fermée le dimanche et vous aviez oublié de m’indiquer le code d’accès. Quand vous vous en êtes rendu compte, vous avez pensé m’appeler, mais c’était trop tard, j’étais en route, alors vous avez décidé de faire le pied de grue devant chez vous. Je ne sais pas beaucoup de gens de votre notoriété qui eussent ainsi procédé. La dernière fois, vous m’avez appelé par mon prénom en me raccompagnant à la porte de votre appartement.

 

Je ne vous ai jamais revu. Il n’y eut pas de quatorzième film. Trois ans plus tard, à peu près, vous êtes mort, au creux de juillet. Je l’ai appris par la presse, à la campagne : de loin, j’ai aperçu à l’éventaire un titre fragmentaire, j’ai compris. Dans mon carnet d’adresses, je ne raye jamais les noms des personnes décédées, c’est un principe. Comme ça, ça fait un peu moins cimetière, enfin, je m’en donne l’illusion. Vous y figurez toujours, avec ce numéro de téléphone qui était certainement sur liste rouge, mais que vous donniez volontiers. Tout à l’heure, je suis passé devant chez vous, volontairement. La porte était ouverte, j’ai regardé l’entrée, je vous ai revu sur le trottoir, qui m’attendiez. J’ai levé les yeux vers vos fenêtres. On fait ce qu’on peut.

À mon style

Je vous écris parce que nous devons, il me semble, nous expliquer une bonne fois pour toutes. Depuis que je vous connais, j’ai eu l’occasion de vous apprécier – c’est une façon de parler – et je pense vous connaître un peu. Plus précisément, je ne vous connais pas. Je m’explique.

 

Je suis en effet curieux de savoir qui vous êtes exactement, car je ne suis pas certain que vous existiez. Je me demande si vous n’êtes pas un pur et simple conglomérat d’influences. C’est un fait : il ne me paraît pas que vous possédiez une grande originalité, et croyez que j’en suis marri. C’est une chose terrible, brutale, de n’admirer que les plus grands stylistes sans être capable de leur arriver à la cheville. C’est frustrant. Je pense toujours à la chanson de Caussimon, dans laquelle il est dit : « On n’est que soi, c’est décevant. » Décevant, oui, très. C’est peu de le dire. Je pense à l’autre, là-bas : « Je veux être Chateaubriand ou rien. » Lui, au moins, il fut Hugo. Vous me voyez, moi, dire : « Je veux être Victor Hugo ou rien » ? On rirait durant un siècle et l’on aurait raison. C’est lamentable.

 

Oh, je sais, il m’arrive d’avoir quelques traits remarquables (je n’ai pas dit : admirables), mais il s’agit de ce que l’on nomme ordinairement des « bonheurs d’écriture », c’est-à-dire pas grand-chose, tout juste quelques lumières ici et là, qui en réalité font ressortir l’ennui du reste. Le bonheur, qu’il soit d’écriture ou d’autre chose, ne dure jamais très longtemps. Je vous en veux de n’être pas majestueux. Je ne suis pas un grand écrivain, je le regrette. C’est un peu comme la basilique Sainte-Geneviève. Depuis que la Révolution en a fait le Panthéon, elle se croit arrivée. Mais arrivée où, voyons ? Tout en haut de la montagne Sainte-Geneviève ? La belle affaire ! Elle domine orgueilleusement la rue Soufflot – ce type, ce n’est jamais que l’architecte du Panthéon – et la bibliothèque Sainte-Geneviève, et la faculté de droit, et la belle église Notre-Dame-du-Mont, et même l’hôtel des Grands-Hommes sur la façade duquel une plaque évoque André Breton. Eh bien, vous n’êtes pas le Panthéon, vous n’êtes même pas la basilique, vous êtes un petit ruisseau incapable de se jeter dans une grande rivière. Quand, en voiture, je passe la Loire, je me dis que vous êtes peu de chose. Lorsque je regarde le Rhône, vous me paraissez un filet d’eau filtrant encore d’une source tarie. Lorsque le mistral s’affale à Marseille après avoir tout balayé sur son passage, je pense à vous et vous imagine comme un frisson de fièvre. Les soirs d’été, enfin, lorsqu’à me briser la nuque, je lève les yeux vers les étoiles et songe une fois de plus à l’infinie petitesse de notre condition, je me dis que vraiment, vous n’avez aucune importance. J’eusse aimé que vous fussiez la Voie lactée, mais vous n’êtes qu’un demi-litre de lait écrémé, oublié à l’épicerie du coin. Je ne bois jamais de lait.

 

Je vous en veux beaucoup. Il faudra que, quelque jour, nous vidions cette querelle. Vous n’êtes même pas capable de dire le ciel violet de certains matins de Provence. Oui, j’ai bien dit : violet, on ne voit ça que là-bas, pas toujours, et vous n’êtes pas à même de le peindre, de le chanter. Vous me désespérez. Je vous ai nourri des plus grands auteurs ; engraissé au concentré de Flaubert ; abreuvé de jus de Montherlant ; je vous ai fait apprendre la musique chez le professeur Verlaine, c’était cher, je devais travailler la nuit pour vous payer des leçons ; je vous ai fait faire des piqûres de vitamine Rimbaud ; manger du Hugo à toutes les sauces, regardez, il y en a encore dans le congélateur ; je vous ai emmené au théâtre de Sartre ; je vous ai fait faire du cheval chez Cervantès ; je vous ai confié à Hemingway pour qu’il vous emmène en Espagne, apprendre l’héroïsme ; j’ai prié La Fontaine de vous enseigner l’irrespect dû aux rois et je l’ai payé grassement pour qu’il compose Les Animaux malades de la peste afin de vous montrer ce qu’on pouvait dire avec les mots de la langue française ; j’ai demandé à Baudelaire en personne de vous faire visiter Paris, « voilé de vapeurs roses » ; je vous ai fait travailler la concordance des temps chez Vailland, pour que vous appreniez à la distordre et à la réinventer. J’en passe. Rien de cela n’a suffi pour vous faire sortir de votre médiocrité. Vous êtes définitivement petit et, les années ayant passé, je n’aurai pas le temps, sur cette terre, de vous tirer encore vers le haut. Je dois me résigner : vous ne serez jamais royal.

 

Allez vous faire voir chez Modiano.

samedi, 01 juillet 2006

À un souvenir

Monsieur,

 

Je ne vous aime pas beaucoup, vous savez. Vous n’êtes pas quelqu’un de bien. Vous êtes toujours cruel, quoi qu’on puisse prétendre.  Je ne sais plus qui disait : « Il n’y a pas de bons souvenirs. » Je crois que c’est Gide mais je n’en suis pas certain. On lui attribue tellement de choses… Dans ce pays, il n’y eut semble-t-il que trois personnes à s’exprimer : Napoléon, Gide et de Gaulle. Chaque fois qu’on cite une parole mémorable, on fait de l’un d’entre eux l’auteur. Il ne faut pas écouter ce que l’on dit. Mais revenons à vous : je ne vous oublie pas, ce qui est normal, me direz-vous, étant donnée votre nature même. Oublier un souvenir serait curieux, mais peut-être pas sot, finalement…

 

Quand vous êtes poignant, vous vous appelez le passé. Lorsque vous voulez bien vous montrer doux, vous êtes un regret. Enfin, lorsqu’on veut vous engueuler, vous vous défilez car vous êtes lâche et vous dites : «  Ce n’est pas moi, c’est la mémoire. Moi, je n’ai rien fait. » Tout ça est très hypocrite, finalement. Vous ne valez pas l’encre que je vous consacre lorsque je vous écris. Vous êtes un moins que rien.

 

Vous avez dans les yeux un reflet mélancolique. Cela ne suffit pas à vous faire accueillir joyeusement. Vous voudriez qu’on vous ouvrît grand les bras alors que vous n’êtes qu’une vrille, vous ne savez faire que des trous dans les cœurs. Je vous trouve bien exigeant. Il faudrait vous dire que vous êtes le bienvenu parce que c’est vous. Je préfère ne pas vous regarder et m’en aller ailleurs voir si d’autres se souviennent d’autre chose. Les souvenirs d’autrui font vieillir moins vite. Quand, d’aventure, ils croisent les nôtres, nous nous trouvons tout bêtes. Nous avons l’impression d’être arrivés à un carrefour qui ne figurait pas sur les cartes de notre sensibilité.

 

J’ai remarqué que vous étiez exclusif. Lorsque vous arrivez, seul ou en foule – car vous êtes d’une famille nombreuse – il faut qu’impérativement, toute pensée cesse pour vous laisser cette place que vous réclamez quand elle ne vous est nullement due. Vous êtes un impérialiste cérébral. Vous ne vous étonnerez pas si, quelque jour, à votre oppression vient à faire face une résistance. C’est ainsi que les choses se passent, d’ordinaire, et il n’est pas d’exemple d’un régime autoritaire qui ait su demeurer plus d’un temps, long, parfois, certes, mais inéluctablement limité. Les luttes de libération finissent toujours par remporter la victoire. Ce jour-là, monsieur, vous serez traduit devant un tribunal révolutionnaire et, à ce moment-là, je ne donnerai pas cher de votre survie. Vous serez alors moins arrogant, et je m’y connais.

 

J’aimerais cependant, car je suis bon camarade, vous épargner un tel destin. Croyez-moi, oubliez votre quête de pouvoir, votre volonté folle de vous imposer à tous et à toute heure. Fuyez vers d’autres horizons, des cieux que le cliché dirait plus cléments. De tous temps, il s’est trouvé des pays pour accueillir les tyrans en exil. Vous irez en Argentine ou je ne sais où – enfin, où vous voudrez. Là-bas, vous vous ferez oublier et quand, au soir de votre vie – les souvenirs meurent aussi, vous savez – une jolie fille viendra vous caresser la joue et fleurir ainsi votre vieillesse, vous aurez une pensée pour votre temps jadis et pour Layani qui vous aura donné un si bon conseil. Un souvenir qui a une pensée, ce n’est pas une image fréquente, c’est un cadeau que je vous fais. Comme l’immense nature, vous aurez alors réussi à faire se côtoyer le myosotis et la pensée. C’est tout le mal que je vous souhaite.

vendredi, 30 juin 2006

À mes insomnies

Cela fait un bon quart de siècle que vous pourrissez mes heures noires, les cassant, les fragmentant, les asséchant. Vous êtes la grimace de la nuit, le programme du désespoir, la télévision de l’épuisement. Vous êtes la sécheresse des matins épuisés quand le réveil sonne, alors qu’enfin, je dors un peu, depuis pas très longtemps. Vous êtes d’étranges danseuses évoluant dans un théâtre où je ne désire pas me trouver, dans lequel on me force à entrer et à m’asseoir aux mauvaises places. J’ai bu aux bagues de vos patiences l’illusion des heures reposées. Au coin de l’œil brillant qui cisèle votre visage, j’ai vu la lune imaginer le serpentin d’une nuit longue et calme.

mardi, 27 juin 2006

À la mort

Je ne vous aime pas. Je n’en connais pas beaucoup qui vous aiment, c’est vrai, mais moi, je vous hais copieusement. Je vous hais parce que vous faites cesser la lumière, alors que je suis amoureux de la lumière. Quand il n’y a plus de lumière, il n’y a plus, non plus, de reflets. Je ne peux pas vivre sans reflets.

 

Chez vous, il n’y a pas d’odeurs. Je suis tellement sensible aux odeurs, comment ferais-je pour accepter de venir chez vous ? Au vrai, il y a votre odeur. Lorsqu’on l’a sentie une fois, on ne l’oublie jamais plus. C’est toujours la même. Une odeur fade, fade, persistante et douce, mais terriblement triste (bien sûr, une odeur peut être triste.) C’est bien l’odeur de la mort, aucun doute. C’est votre fragrance, la plus détestable de toutes, un parfum de misère douceâtre et tiède, implacablement définitive. Elle est accompagnée par le bruit des vis qu’on serre définitivement en fermant le cercueil.

 

On vous a trop chantée, trop mise en poèmes. On a fait sur vous trop de littérature. Vous êtes un thème bien trop important à mon goût. Il est temps que cela cesse et qu’on vous déteste sans jamais plus broder autour de ce sentiment. Ce que je fais ici, c’est encore de la littérature, me direz-vous. Pas du tout. Je vous crache dessus. Vous êtes horrible, une truie – et encore, les truies, c’est vivant et ça donne la vie.

 

Et puis, ces métaphores, sans cesse : le dernier repos, le dernier sommeil, toutes ces choses inutiles, ces figures de style d’ailleurs pas très stylées. C’est médiocre, minable. C’est fait pour conjurer des craintes légitimes, qui n’osent se dire et vous peignent alors sous des traits presque artistiques. Bah ! Vous ne valez pas cette peine. Allez, crevez, mais crevez ! Loin de moi, si possible.

 

Franchement, qui est allé vous inventer ? Quelle idée de faire ce métier ! Vous n’avez rien trouvé de mieux ? Même les contractuelles qui passent leur journée à distribuer des contraventions me paraissent, au moins par comparaison, plus utiles que vous. À quoi servez-vous ? Sans parler du fait, vraiment inacceptable celui-là, que vous emportez toujours les gens bien. Vous emportez tout le monde, je le sais. Les uns et les autres. Mais les ordures vivent longtemps et les gens bien sont tués jeunes. C’est indéniable. Ne mentez pas. Pourquoi faites-vous ça ? Parce que vous êtes vieille vous-même, et vieille depuis toujours… Alors, vous êtes jalouse, c’est cela. Et vous fauchez jeunes les gens intelligents et généreux. Vous êtes aussi gracieuse qu’un horodateur. Vous avez les yeux du sérieux, dans lesquels je voudrais, à mon tour, éteindre la lumière.

À elles deux

Vous êtes inséparables. Je vous connais depuis toujours, jumelles, siamoises, épuisées quelquefois mais sans cesse ensemble. Vous êtes identiques, vêtues de cuir noir depuis que je vous ai vues pour la première fois, il y a si longtemps déjà. Maquillées de cuir brun au soleil. Transfigurées de cuir gris, quelquefois, dans les brumes d’hiver. Vous êtes belles, volontaires, décidées. Élégantes.

 

Rien ni personne n’a jamais pu soigner votre manie déambulatoire. Vous allez plus loin, plus loin, en quête de quel ailleurs, de quel nouveau ? Vous n’ignorez pas que ce sera partout pareil, que vous vous emporterez toujours avec vous, qu’importe, vous allez plus loin. Après cette rue, il y en aura d’autres, vous y allez. Après ce quai, il y a la mer, et au-delà Dieu sait quelle autre misère, mais rien ne vous arrête, vous y allez. Ensemble, indéfectiblement.

 

 

Vous avez traîné dans Paris, toutes les deux. Puis vous vous êtes aperçues qu’au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue Saint-Guillaume, on ne croisait plus Apollinaire rentrant chez lui, seulement des étudiants de Sciences-po. À l’à-pic du pigeonnier du poète, un artisan que je ne connais pas portait le même nom que moi. C’est tout ce qui demeurait, là, il y a peu encore, en mémoire de l’écrit – le fantôme d’un auteur et l’homonyme d’un de ses admirateurs. Vous avez observé ça comme le reste et vous avez passé votre chemin, dénoué votre histoire, encore un peu.

 

 

Vous crevez parfois d’une fatigue soudaine, espérant de l’été venu qu’il vous repose et remonte vos mécanismes intimes, mais vous savez très bien que l’été, cet agent double, s’ajoute aux précédents et nous fait vieillir encore. Plus tard, quand vous ne serez plus qu’un souvenir intermittent, que l’idée d’une chanson tue, marquées, ridées, vous marcherez, je le sais, droit encore, imperturbables ou le faisant croire, dans la merde du monde, hautaines, fraternelles, sensuelles, vous moquant décidément des imbéciles portant stylo Montblanc et cheveux sales. Vous ne renierez rien de vos engagements, de vos rires d’antan. Vous ne serez jamais de la race des renégats. Même lorsqu’à bout de souffle, on vous rangera dans une boîte, la même sans doute, couchées tête-bêche, pour l’éternité vous demeurerez conjointes, liées, attachées et détruites, amies et dissoutes, sœurs, encore en robe de cuir, un peu fanée sans doute, mais toujours noire comme un drapeau pirate.

 

 

En attendant, votre détermination se lit en filigrane de votre démarche, vous avez d’irrespectueuses œillades aux terribles reflets. Vous allez dans les manifestations de rues, scandant tous les « Plus jamais ça ! ». Botter le cul des abrutis vous démange toujours quand se pointe la bêtise, à l’horizon doré des soirées d’automne.

 

 

Et puis vous m’avez parlé, certains soirs. De moi, pas de vous. Vous m’avez raconté mes hésitations, mes désespoirs, mes longs élans vers quel univers plus doux, quelles amitiés reniées d’avance. Je lisais sur votre peau, comtesses déchues, les rides de la mienne, vous évoquiez mon espérance et mes oublis, mes refuges et mon allant. Vous étiez ensemble, toutes deux, et vous étiez avec moi, je ne me sentais plus seul avec mon whisky. Devant mon air, vous vous tordiez de rire, alors je regardais mes pieds, ne sachant plus que faire. Vous êtes les seules femmes qui ne m’aient jamais quitté, fidèles comme ce cuir dont vous vous habillez. Vous évoquiez mon maintien voûté et mes travers comme s’ils vous avaient touchées au point de vous flétrir à jamais. C’était peut-être un peu le cas.

 

 

Je sais que vous êtes miennes, toutes deux, l’encre l’est à la plume, noire comme vous. Vous ne me trahirez qu’en expirant et je ferai semblant de vous retrouver en d’autres, ailleurs, semblant de les croire pareilles à vous, semblant d’imaginer leur sentiment attentif.

 

 

Je vais vous caresser à vous faire briller encore des reflets bleus, juvéniles, fiers que, chères chaussures, vous aimez tant.

À une lampe

Je vous ai sur ma table, lampe d’onyx que j’ai achetée à Marseille en 1975. J’ai chez moi neuf lampes, sans parler des suspensions et du lampadaire hallogène. Dans le bout de maison que je loue à la campagne, dans le Lot, je possède onze lampes, sans parler non plus des suspensions et des lampadaires. Je n’ai jamais su ce que représentaient pour moi les lampes. Je m’épargnerai le cliché en n’écrivant pas qu’elles sont de petits soleils domestiques (trop tard, c’est fait). Elles sont un sourire sur un pied.

 

D’ailleurs, on parle de « pied de lampe » pour signifier que vous n’avez pas encore trouvé abat-jour à votre pied. En imprimerie, on parle de « cul-de-lampe », avec des traits d’union. Vous étiez à huile, à pétrole, vous pouvez être à arc ou à souder.

 

Si vous éclairez mes doutes, vous ne me servez pas à grand-chose. Je préfèrerais que vous illuminiez mes passions, si ce n’est trop exiger de votre chaleureuse mansuétude. Quand je pense que des gens vous éteignent pour faire l’amour, je me demande comment ils font pour vivre, sans avoir jamais vu les reliefs et les ombres en mouvement sur la peau d’une femme dans le plaisir, quand s’exhalent ses odeurs. Il y a des personnes, comme ça, qui passent, leur vie durant, à côté de la beauté. Je les plains. Qu’y faire ?

 

L’expression « sous la lampe », qui signifie la veille studieuse, m’amuse beaucoup. Je la trouve belle mais je ne dois pas être le seul, si j’en juge par l’emploi fréquent qui en est fait. Il existe même des librairies qu’on a cru bon de dénommer ainsi.

 

Pour nous, il est désagréable, voire douloureux, d’avoir une ampoule ; pour vous, c’est au contraire quelque chose d’indispensable. La nature est curieuse : les ampoules nous viennent le plus souvent aux pieds ; elles vous montent au contraire à la tête. C’est étonnant, ne trouvez-vous pas ? Nous nous déplaçons avec nos pieds ; chez vous, le pied est ce qui ne bouge pas, autrement, vous tomberiez. Nous ne sommes pas des lumières, le plus souvent ; vous, vous avez toujours la tête lumineuse. Pour que nous puissions marcher, il faut nous libérer de nos entraves ; vous ne marchez, vous, qu’avec un fil à la patte. Finalement, nous sommes très différents.

lundi, 26 juin 2006

À mon sac

Je vous transporte avec moi comme un membre supplémentaire : je ne vous sens pas davantage que je ne sens mon bras. Vous êtes une poche de cuir fin ou, plus exactement, un ensemble de poches. Ce que vous contenez de carnets, d’étuis, de porte ceci ou cela, de papiers, de mouchoirs n’est pas à dire. Subtil et prudent, prévenant, même, vous conservez toujours la place d’un livre. Vous avez donné naissance à des expressions plaisantes : « plus d’un tour dans mon sac », « sac de nœuds », « mise à sac », « un sac d’os » et l’on trouve chez Jarry les célèbres « sac à malices, sac à tripes, sac à graines » qu’emploie le père Ubu. Caussimon en avait fait un dialogue, vous souvenez-vous ? Ubu lui demandait ce qu’il portait dans tous ces sacs, et Caussimon répondait au fur et à mesure : des idées, des viscères, des petits enfants. Il y avait toute une histoire, bien sûr. Je l’ai oubliée. À la fin, Ubu posait la question : « En quel endroit est donc ton âme ? » et le protagoniste avouait l’ignorer, avant de conclure : « Elle est peut-être dans les trois. » Oui, d’accord, c’était mieux fait que ce que j’en rapporte, que voulez-vous ? Je ne suis pas Caussimon. J’aurais aimé le connaître, cet homme de toutes les planches.

 

Vous dites ? Je m’éloigne de mon propos ? C’est vous, mon propos ? Oui, je sais. Vous mettez une certaine indécence à rappeler à tout… propos, eh oui… que c’est de vous que je dois parler. J’ai rarement vu un tel égocentrisme. Vous êtes un sac à nombril. Continuez à bien regarder le vôtre. Vous êtes un rien fier de battre à mon côté et que je vous confie mes secrets, je vois ça d’ici. Écoutez plutôt.

 

Dans les premières années 70, Yves Boisset avait réalisé un film, je ne sais plus son titre (vous voyez, j’oublie bien des choses, à présent, c’est attristant), dans lequel était prononcé le nom du Service d’action civique, cette entreprise de barbouzes qui, officiellement, n’existait pas. On disait : « Le SAC. » Évidemment, la censure, qui n’existait pas davantage que le service en question, était passée par là et un petit sifflement avait été superposé au sigle (on ne parlait pas encore couramment d’acronyme.) Je n’ai certes pas retenu la phrase incriminée, mais l’on entendait « Biiip » au mieu d’entendre « SAC », ce qui faisait rire tout le monde, d’ailleurs. Personne n’était dupe. Bien au contraire, l’attention du public était davantage encore appelée sur le SAC et l’on allait même, quelquefois, assister à la projection uniquement pour entendre « Biiip. » C’était grotesque mais, que voulez-vous, on ne va pas demander à la censure de se montrer intelligente. Il est des impossibilités techniques. Aujourd’hui, longtemps après, pour rire, je ne dis plus « Mon sac », mais « Mon bip. » C’est tout ce qu’ont gagné les barbouzes.

À l'ennui

Saloperie,

 

 

Tu es une monstruosité, tu me terrifies depuis mon plus jeune âge. Non seulement il faut vivre, et c’est souvent difficile, mais il faut encore te supporter, mal rongeur, mélancolie sans sel ni fragrance. Il faut te tuer comme on tue le temps et d’ailleurs, cela marche ensemble. À ceci près que chaque jour passé est un jour de moins à vivre et qu’à ce compte, il faut bien voir que te tuer, c’est aussi se suicider. Cependant, si l’on ne te tue pas, on meurt. D’ennui, oui. C’est compliqué, n’est-ce pas ?

 

 

Tu portes des noms d’emprunt, des pseudonymes qui ne trompent personne : saudade, spleen, mélancolie. Pour qui me prends-tu ? Je te reconnais chaque fois. Ton odeur est mortifère, ta couleur noyante. Tu es un peu la trompette de la mort, pas celle relevée par les mycologues, mais celle qui sonne la fin prochaine. Je préfère les percussions de l’amour, qui cognent au cœur. Le diable t’emporte, te patafiole. Tu es la grimace de l’amertume, le portefeuille vide des mois finissants, l’absurdité du gaspillage – celui d’un temps pourtant compté.

 

 

Mala suerte. Crève, immonde à jamais.

À mes livres

Dire que je me bats, que je m’épuise pour vous faire paraître et qu’une fois nés, je vous regarde une fois ou deux, histoire de voir à quoi vous ressemblez dans votre costume d’imprimerie, pour ensuite penser : « Bah, ce n’est que cela ? » et vous ranger sur un rayonnage avant de ne plus m’occuper de vous. Je n’ouvre mes propres livres qu’une fois par an, à peu près. C’est toujours décevant, d’ailleurs. Alors, pourquoi dépenser toute cette énergie à écrire et surtout, car c’est plus difficile encore, chercher à publier, seul contre tous ? Le travail de l’écrivain relève d’un étonnant masochisme, vraiment.

 

Au moment où je vous écris, vous êtes une famille de onze ouvrages, le douzième étant attendu pour bientôt, dans l’année en tout cas. Je sais par avance qu’il connaîtra un sort identique à celui de ses aînés : l’étonnement déçu, insatisfait puis la relégation dans la poussière promise, le confinement sur l’étagère Sainte-Hélène.

 

J’ignore dans quelle forêt poussent les arbres qui, un jour, vous fabriqueront. Il n’est pas nécessaire qu’eux connaissent leur destin. Nous ignorons le nôtre, que les arbres mes amis se contentent donc de leur « ici et maintenant » ; ils sauront bien assez tôt, les pauvres, qu’une part d’eux-mêmes se transformera en œuvrettes de trois sous signées Layani. Je ne suis pas certain qu’ils seraient d’accord.

À un dictionnaire

Maître,

 

« C’est la moindre des choses », voilà ce que je réponds lorsqu’admiratif, on m’assure que vous avez du vocabulaire… C’est même, ce me semble, une condition sine qua non pour obtenir un emploi dans votre branche. C’est, pour employer la terminologie contemporaine, un pré-requis. Comment faites-vous pour ne pas parler avec le vocabulaire qui est le vôtre ? Il faut savoir se servir de ses atouts, voyons. Osez ! Exprimez-vous enfin, sans attendre qu’un hasard, une recherche, une simple curiosité vous fassent feuilleter par des mains sans caresses.

 

Ce qui m’amuse beaucoup, c’est la diversité de votre famille. Vous devez être de grands voyageurs pour qu’ainsi, se soient croisés au fil du temps toutes les ethnies du verbe, les origines du mot, les nationalités du lexique. Il est en effet des dictionnaires de la langue, d’autres encyclopédiques, certains analogiques, d’aucuns étymologiques. Il est des cousins de mots croisés, des beaux-frères de difficultés… Viennent ensuite les parents et alliés ; là, c’est inimaginable, cela va du dictionnaire consacré à telle personnalité à celui dévolu à tel mouvement artistique, en passant par celui de telle époque, de tel règne… En vérité, vous êtes des millions et vous n’oubliez jamais de vous reproduire, assurant ainsi votre descendance : de nouvelles éditions, des mises à jour, sans cesse. Nous recevons des faire-part de naissance continuellement.

 

Quand j’étais petit, mon père avait acheté un dictionnaire encyclopédique en six volumes, en six mensualités importantes pour l’époque. C’était en 1961. On lui avait offert, au moment de la commande, un Larousse de poche, dans la collection « Le Livre de poche encyclopédique ». Sur la couverture d’un graphisme qui, dans sa désuétude, me ravit aujourd’hui, était précisé : « 32. 000 mots » et cela m’avait frappé. Du haut de mes neuf ans, trente-deux mille mots me paraissaient quelque chose de gigantesque, d’inimaginable. Trente-deux mille ! Autant dire cent millions. Je souris lorsque je revois cette couverture, parmi mes autres précis, dictionnaires, grammaires… Je sais aujourd’hui que trente-deux mille mots, ce n’est pas beaucoup, au moins pour un dictionnaire. Et j’entends encore ma mère, effrayée par la dépense : « Soixante mille francs de dictionnaires ! » – en fait, six-cents francs, mais on parlait encore couramment en anciens francs. Six volumes, six mensualités, six-cents francs : on savait y faire, chez Larousse. Chaque terme réglé donnait l’impression d’avoir acquis un des tomes. En réalité, les six étant indissociables, on n’avait rien acquis du tout mais, psychologiquement, ces conditions facilitaient certainement l’achat.

 

Vous faites bon ménage, dans la bibliothèque que j’ai consacrée aux usuels, avec les grammaires, les volumes à vocation encyclopédique, les manuels scolaires de littérature conservés pour le souvenir, les plans et les atlas, les précis, les répertoires. Vous avez bon caractère et n’en rajoutez pas. Vous ne prétendez pas valoir mieux que les autres. Je vous suis reconnaissant de cette humilité qui n’est pas si fréquente. D’ordinaire, beaucoup se croient ce qu’ils ne sont pas. Au contraire, vous ne tirez aucun orgueil déplacé de votre lien de parenté avec l’auguste Émile et ne faites pas payer aux autres une taxe de séjour exorbitante.

 

Et pourtant, vous contenez des mots abscons, d’autres simplement difficiles, de très simples aussi, des familiers et des savants, des grossiers, des abjects, des nuancés, des vernis, des bruts, des mots du monde et de la plèbe, des mots de la haute et du trente-sixième dessous, des mots du tout-venant, des mots de médecin et de mécanicien, des mots spécialisés et d’autres encore un peu vagues, des oubliés, des désuets, des un peu snobs, des graves et des légers, des mots d’artiste et de banquier, des mots de Prisunic et puis des mots de luxe en maroquinerie.

 

Je vous remercie d’avoir du coffre, du bagout, de la repartie et, oserais-je le dire, du volume.

 

Avec mes sentiments littéraires et les meilleurs.

À la télévision

Je commencerais bien par une bordée d’injures, mais je n’aime pas beaucoup manier l’insulte. Et pourtant, vous ne méritez pas mieux. Vous êtes une invention formidable qui s’est laissée détourner vers la médiocrité la plus terrible et vous êtes en passe de devenir la plus infâme nullité. Je dis « en passe de devenir » car j’ai appris qu’hélas, il est toujours possible de faire pire. Même lorsqu’on croit avoir touché le fond, se trouver au plus bas, on constate avec amertume qu’il est plus bas encore. En cela, l’âme humaine ne cessera jamais de m’apporter sur un plateau sale cet étonnement dont je me passerais volontiers.

 

Parfois, devant la vitrine de quelque fabricant ou simplement celle d’un revendeur de matériel de votre famille, je reste en admiration devant les progrès techniques qui ont été effectués dans votre domaine, progrès qui aboutissent aujourd’hui à la présentation de récepteurs esthétiquement magnifiques et d’une qualité incontestable. Image et son n’ont jamais été aussi beaux. Malheureusement, cela n’a rien à voir avec la qualité des programmes. Voir Guy Lux ou ses homologues d’aujourd’hui avec une réception parfaite n’est pas fait pour charmer mon cœur, séduire mon esprit. La débilité – voyez, je reste poli – en haute définition et en dolby stéréo reste la débilité et vous ne m’attraperez pas avec vos jolies robes et vos cils sublimés au mascara.

 

Lorsque j’étais petit, mes parents n’avaient pas la télévision et je voyais quelquefois des émissions chez mes grands-parents, qui demeuraient 14, rue Franklin. Ils étaient parmi les premiers à posséder un poste. Le coffre était en plastique de couleur bordeaux et l’écran, de taille modeste, plutôt bombé. Ce récepteur était acheté à tempérament, d’une manière qui paraîtra certainement curieuse aux télespectateurs de notre temps. Il était doté d’une tirelire automatique. On glissait dans la fente une pièce de cent francs anciens (un franc) et l’on avait droit à une heure d’émission. Chaque mois, un employé du vendeur passait relever la tirelire. Un jour, le poste était acheté. Je n’invente rien. Certains soirs, quand le programme unique paraissait alléchant, il fallait faire une provision de pièces. On allait changer de la monnaie, ou bien un billet, chez Mme Garcia, la boulangère. Je me rappelle les piles de pièces posées sur le téléviseur. Évidemment, l’émission s’interrompait toujours au meilleur moment, il fallait très vite insérer la pièce suivante. Quelquefois, on pensait à l’introduire juste un peu avant la coupure, mais pas toujours. Parfois, on était pris par la difusion en cours et l’on ne réalisait pas. J’entends encore le bruit métallique et sec de la pièce, tombant dans la boîte sur ses petites sœurs, diminuant d’un franc la bourse de mes aïeux et augmentant d’autant leur possession de l’appareil magique. Qu’en dites-vous ? C’est désuet, n’est-ce pas ? C’était à la fin des années 50. Il y a quelques minutes à peine… Ne me dites pas le contraire, vous mentiriez.

 

Il est vrai que vous mentez souvent, en matière d’information notamment. Vous avez été dressée pour cela. Je ne vous en veux pas. Il n’y va pas entièrement de votre fait. Le pouvoir veut contrôler les esprits, ce n’est pas une chose nouvelle et je pense que, si César avait eu la télévision, il eût donné, déjà, des conférences de presse. Il serait donc sot de vous reprocher de rendre à César ce qui…

samedi, 24 juin 2006

À une clef

Cela fait maintenant vingt-sept ans que je vous conserve et que vous me suivez dans tous mes déménagements. Vous êtes d’une taille respectable, toute noire, à peine ouvragée, d’un poids authentique, et je vous garde en souvenir de cette maison où j’ai vécu un an, de 1979 à 1980, à Sault-de-Vaucluse, non loin du mont Ventoux. Une maison de village que je louais pour six-cent cinquante francs mensuels, c’était beaucoup pour moi – et qui n’était pas chauffée : à huit-cent cinquante mètres d’altitude, l’hiver fut difficile. J’étais gestionnaire du collège local.

 

Vous êtes si grosse qu’il était bien sûr impossible de vous utiliser. Vous êtes naturellement intransportable dans une poche d’honnête homme, ou même dans un sac. J’avais donc, délaissant la serrure ancienne, installé un verrou très contemporain, qu’actionnait une petite clef plate peu encombrante et d’un poids négligeable.

 

Quand j’ai quitté cet endroit, je vous ai emportée en souvenir. Vous êtes belle, je vous nettoie parfois au Miror ou avec un produit équivalent, qui fait des liftings au métal. Vous êtes très légèrement tordue car, sans doute, il fallut un jour forcer un peu pour faire fonctionner la serrure vauclusienne. À vingt ans, sans doute étiez-vous une jeune et fière clef, fraîche et légère, mais je vous ai toujours connue tordue.

 

Aujourd’hui, vous êtes accrochée dans ma cuisine, le long du chambranle, à un endroit où l’on jurerait qu’une place vous était réservée. Vous me rappelez ce lieu où, à cause de circonstances qui s’étaient mal enchaînées, je n’ai pas été très heureux. Mais l’endroit reste important pour moi : c’est dans cette maison que ma première fille a été conçue.

Aux femmes

Femmes chéries, adorées, sublimes, magnifiques, merveilleuses, je vous regarde et il fait jour, je vous observe, je suis heureux, je vous touche et c’est la joie, je vous embrasse et c’est le ciel, je vous prends, je vous sens, vous êtes l’intelligence du monde, la beauté, je ne dirai jamais assez combien je vous aime. Je vous chausse de tous les mirages, plats ou hauts, en couleurs, en cuir, en toile, en bonheur, lacés ou non. Vous êtes toute la finesse du monde, femmes de prudence, pensez à moi, marchez, vous symbolisez l’être lui-même, la vie, tout se résume en vous. J’ailerai toutes les femmes, je les poserai sur des livres, sur du beau papier, à pied d’œuvre, au pied du mur, lumière et vérité tremblante d’émotion. Vous avez le sourire poème, les yeux d’outre-monde, le regard inédit, la voix d’aube, la parole des rêves transportés, les cheveux des tendresses, les oreilles où s’invente la sève, les mains ces oiseaux, le vertige d’en-dedans, le derrière voile au vent, les jambes d’utopie survenue, la voix, musique, lexique, la gorge, la nuque, les seins, cloches qui sonnent mes heures à moi, tragiques, miel à mon cœur. Femmes de la vie que je ressens si fort et qui me faites trembler, que j’écris ici en secret, que je chéris tant, avec brûlure, tendresse, femmes indicibles, touchantes, magiques, d’extase, je vous prendrai dans mes mains comme des oiseaux meurtris, fatigués. Je vous regarde, fières et belles, l’air d’un palais, d’un domaine.

vendredi, 23 juin 2006

À ma liberté

Vous vous tenez là, au fond de mes neurones, ce bout de moi où les crétins n’auront jamais accès, cet endroit où les arbres poussent et me font de l’ombre. Là où les ascenseurs ne s’arrêtent jamais. Il n’y arrive que mon escalier personnel et privé, tout derrière ma fantaisie, ma gentillesse sociale et mon plaisir appris.

 

Vous vous tenez aux drapeaux du soir bleu qui flottent dans l’été, ou encore au souci merveilleux d’être un homme libre, à l’indépendance fière. D’un nickel mastodonte, vous m’avez fait des pare-chocs contre les coups du dehors. Vous êtes la liberté de penser et de vivre, celle qui s’éloigne des rempants enchaînés. Dans mon intimité, il y a la librairie de la pensée et le kiosque à journaux de l’énergie créatrice. Il y a des coins de rues de roses, l’intelligence à boire à la bouteille, la crucifixion du sérieux, nos besoins pris par la main. Il y a la poésie capiteuse. Il y a Camille Claudel loin des asiles et son frère croisant le diable à Notre-Dame. Il y a Auguste Rodin pétrissant la misère pour en faire l’érotisme de la terre.