Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 03 juillet 2006

À un cahier

Ce qui est formidable avec vous, c’est que vous pouvez contenir n’importe quoi, un trésor ou un infâme brouillon. Vous acceptez tout et vous vous taisez. Vous n’êtes vraiment pas regardant. Lorsque vous êtes journal, vous conservez pour mémoire des événements dépassés à l’instant même où on les consigne. Ils ne sont rien mais vous êtes tout, transformé que vous êtes en coffre-fort plein d’une urgence sentimentale. Chez Clairefontaine, on vous a donné depuis longtemps des titres de noblesse : il y a cinquante ans déjà, cette maison annonçait « Couverture lavable », ce qui était une première, la plastification étant alors rarissime ; sous le même blason, on a droit, depuis des décennies, à un papier spécialement traité. Il ne faudrait pas, néanmoins, vous prendre pour ce que vous n’êtes pas : un personnage. Je n’aime pas beaucoup votre air avantageux. Vous vous habillez en petits ou grands carreaux, en lignes, en pages blanches, en alternance de pages quadrillées et de feuilles de dessin, en petit ou grand format, ce dernier divisé en 21 x 29, 7 ou en 24 x 32 centimètres. Vous vous faites le dos à spirale ou bien vous êtes agrafé. À partir d’un certain nombre de pages, vous avez l’échine thermocollée, bref, vous nous présentez la galerie des ancêtres, tous alignés sur les rayonnages du papetier et, de surcroît, vous déclinez quelques coloris épars. Vous en faites un peu trop, à mon sens. Soyez humble, cela ne messied point aux gens de votre espèce. Après tout, vous n’êtes qu’un ramassis de pages et vous contenez souvent des inepties, alors, un peu de silence, je vous prie. Et puis, l’ordinateur a fortement ébranlé votre trône, n’est-ce pas ? D’une pirouette, vous avez rétabli votre équilibre et assujetti l’écriture manuscrite à votre pérennité. Ne vous croyez pas trop malin ; cela pourrait n’avoir qu’un temps. Ce sont là contorsions, jeux d’équilibriste ou travers maniaques de professionnels de la politique. N’allez pas vous mêler à eux, ils sont plus retors que vous et, pour eux, vous n’êtes qu’un outil. Ils se prennent pour l’Olympe quand vous visitez à peine le carrefour Pompadour, sur la route de Créteil. On a les artères qu’on peut et, en parlant d’artères, il se trouve que les vôtres commencent à vieillir, aussi, évitez l’embonpoint, conservez une hygiène et délaissez les dîners en ville. Vous êtes mieux à votre place sur une table de travail, beau peut-être mais surtout utile. La lampe d’étude vous convient plus que la lampe à bronzer. Fuyez les paparazzi qui voudront photographier votre couverture. Contentez-vous d’être un honnête cahier et montrez-vous plus exigeant sur ce que vous serez appelé à contenir. Préférez servir Flaubert plutôt qu’un écrivaillon dans mon genre.

Les commentaires sont fermés.