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mercredi, 29 avril 2020

Souvenir de Marc Garanger

Je connaissais Marc Garanger – ou plus exactement son œuvre – depuis longtemps, l’ayant découvert en tant que photographe de Roger Vailland. Garanger était l’auteur des plus beaux portraits du grand écrivain et merveilleux styliste. Un soir, je l’avais rencontré lors d’une réunion des amis de Roger Vailland, de quelques uns d’entre eux en tous cas, qui habitaient Paris. Le très regretté René Ballet y assistait. C’était en 2006, à l’initiative d’Élizabeth Legros.

En 2009, je reçus de lui un appel téléphonique inattendu, à propos de Vailland. Il parut enchanté de notre conversation et m’adressa son ouvrage, La guerre d’Algérie vue par un appelé du contingent, paru au Seuil en 1984. C’était un livre de photographies d’une grande puissance, préfacé par Francis Jeanson, aimablement dédicacé : « Pour Jacques Layani, une histoire ancienne... en attendant que se réalise “votre rêve familier”… un livre des photos de Roger Vailland... Avec tous mes remerciements pour vos compliments, très amicalement, Marc Garanger, 11 janvier 2009 ».

Une semaine plus tard, je lui écrivis ceci :

« 18 janvier 2009. Cher Marc Garanger, j’ai regardé vos photographies de la guerre d’Algérie. Je pourrais dire que j’ai lu votre livre, pas uniquement les pages de texte : j’ai bien lu ce que vos yeux lisaient à l’époque.

S’il existe encore, d’aventure, des gens pour croire que photographier, c’est appuyer sur un bouton et faire naître ainsi une réalité objective, il faudra leur conseiller de s’enrôler dans l’armée. Comme votre commandant d’alors, ils penseront que vous mettez en images des victoires quand vous serez, vous, occupé à peindre votre désespérance d’artiste et, plus quotidiennement, d’être humain.

Il y a dans le regard que vous portez sur ces faits militaires ou civils quelque chose qui tient de l’urgence à dire – vous le savez certes mieux que moi – mêlé, semble-t-il, à l’étonnement constant d’être là. Et puis, il y a cette tendresse dont, d’évidence, vous ne pouvez vous défaire, vis-à-vis des quelques femmes que vous avez fait vivre dans cet univers d’hommes, qu’il s’agisse de “la louve” au magnifique regard, de la mère éplorée qui vient protester contre le viol de sa fille ou de celle que son métier à tisser dissimule en partie à nos yeux comme pour la mieux révéler.

Quand un artiste de l’image vient témoigner sous nos yeux, on est amené à penser qu’il s’agit d’un simple reportage. Cependant, demeure l’art, toujours vivant, même entaché par l’uniforme sanglant.

Je vous remercie de m’avoir donné à vivre cette histoire que vous qualifiez d’“ancienne”. Vous étiez dans le sud de l’Algérie. J’étais au même moment un peu plus au nord. Je suis né en 1952, à Alger.

Bien amicalement, Jacques Layani ».

À cette missive, il répondit : « Cher Jacques Layani, quel bonheur de lire votre lettre, je fais des photos pour ceux qui savent lire comme vous... Mille mercis de vos compliments qui me vont droit au cœur... Très amicalement, Marc Garanger ».

J’ai reçu de son fils Martin le faire-part de décès de Marc Garanger, survenu dans la nuit du 27 au 28 avril 2020. Le message était ainsi titré : « Mon père, le photographe Marc Garanger, a déposé cette nuit son appareil photographique à tout jamais ».

Je salue le souvenir d’un grand photographe, homme intelligent et artiste sensible.

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14:51 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Cher Jacques,

Je ne connais pas Marc Garanger ; mais vos mots sont touchants, comme toujours.

Écrit par : Sébastien | dimanche, 10 mai 2020

Merci, Sébastien.

J'avais évoqué ses images ici :

http://14ruefranklin.hautetfort.com/archive/2006/03/20/vailland-par-garanger.html

et ici :

http://14ruefranklin.hautetfort.com/archive/2006/03/22/encore-lui.html

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 10 mai 2020

Les commentaires sont fermés.