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lundi, 22 juillet 2019

Où fermeraient les grilles

Petit à petit, étaient morts les artistes et les auteurs qu’il avait aimés. Cela s’était produit relativement vite : ils étaient tous bien plus vieux que lui, ces hommes et ces femmes qu’il avait pensé immortels. Un peu plus tard, il avait pris conscience d’une chose : les affiches annonçant des spectacles, dans la rue, montraient des gens aux noms et aux visages inconnus. Il n’avait jamais entendu parler d’eux. Il ne saurait jamais davantage de ces saltimbanques dont, a priori, aucune signification, pour lui, n’émanait. Dans les librairies, se produisait le même phénomène. Tous morts, et les vivants ne représentaient rien pour lui, que le sentiment d’une indifférence monstrueuse.

Les quelques rares qui n’étaient pas décédés avaient, du fait de leur âge, cessé toute vie publique. Il les savait en vie mais ils ne pouvaient plus créer et le monde, changeant si vite maintenant, les oubliait. Le pire était qu’il n’avait aucune envie de connaître ces hommes nouveaux, ces femmes nouvelles – d’ailleurs, eux-mêmes vieillissaient déjà – parce que, depuis bien trop longtemps, la création artistique, l’authentique, risquée et batailleuse, avait cédé la place à l’entertainment, cette désolante américanisation de la culture ; au divertissement, cette crapulerie meublant l’infâme loisir. L’analyse, la réflexion n’avaient plus rien à faire. Il existait désormais une scène artistique, il n’y avait plus d’artistes. La différence tenait dans le passage de l’individu à l’ensemble, du singulier au pluriel où, comme toujours, la catastrophe guettait de ses yeux minables la chute de toute originalité. Il savait que c’était cela, vieillir, et tentait par conséquent de sortir du cimetière des auteurs morts ou en passe de l’être. L’heure approchait, toutefois, où fermeraient les grilles.

18:29 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)