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mardi, 25 juin 2019

Redécouvrir Yvan Govar

Je redonne ici cette étude proposée une première fois en 2014, une seconde fois en 2018, revue et complétée. Elle sera présentée chaque fois que j'aurai pu apprendre quelque chose de nouveau sur Yvan Govar.

Une trop courte vie

Yvan Govar (24 août 1935-18 février 1988) est un cinéaste belge – son vrai nom est Yvan Govaerts, il est le fils du peintre Jean Govaerts et de Nelly Van Kelekom, galeriste ostendaise – qui a abandonné le cinéma après que ses sept films n’eurent pas connu le succès. Dans les années 50, il fut comédien et joua Racine ou Giraudoux. En 1954, au théâtre Colon, à Buenos-Aires, il interprète deux rôles (le créancier et l’homme sage) dans Le Livre de Christophe Colomb de Claudel, dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault. Au Conservatoire national d’art dramatique de Paris, il rencontre Belmondo, Marielle, Rochefort et Annie Girardot. Selon Philippe Durant, biographe de Belmondo, Govar, à dix-huit ans, pesait cent-dix-huit kilos et mesurait un mètre quatre-vingt-cinq, ce qui devait faire de lui un impressionnant personnage. En 1953, La Revue théâtrale le présente comme un « tout jeune acteur auquel la stature, la voix, la présence en scène semblent promettre carrière dans ce que l’on appelle volontiers au répertoire les rondeurs ».

Il réalise son premier film, un moyen-métrage intitulé Nous n’irons plus au bois, dans lequel il joue lui-même, à l’âge de dix-neuf ans. Marié, un temps, à une actrice, Irène Tunc, qui fut Miss Côte-d’Azur puis Miss France, il tenta de se suicider à cause de ses infidélités. Plus tard, ils divorcèrent. Elle joua, entre autres, dans Les Aventuriers de Robert Enrico, dans Léon Morin, prêtre du grand Jean-Pierre Melville, et mourut dans un accident de la route à Versailles, en 1972. Elle s’était remariée avec Alain Cavalier qui, de nombreuses années après sa disparition, lui consacrera un film, Irène. Après 1965, Govar, découragé par le médiocre accueil réservé à ses réalisations, renonça définitivement à son art. En 1983, on le retrouve acteur dans un court-métrage de Richard Olivier, Le Buteur fantastique, une curiosité surréaliste, sans texte mais avec bruitages. Il est décédé à moins de cinquante-trois ans.

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Le cinéma de Govar

Ses films, tous en noir et blanc, sont emplis de fausses pistes. Il y règne, sous l’apparence de films « de genre », une atmosphère étrange, déroutante, intrigante. Un soir, par hasard en est un excellent exemple puisque l’on croit, tout au long du récit, se trouver dans une film résolument fantastique, avant de s’apercevoir, dans le dernier quart d’heure, qu’il s’agit d’un film d’espionnage tout ce qu’il y a de plus matériel, de plus concret, de plus réaliste.

L’écriture filmique de Govar recèle de nombreuses audaces, à tout le moins des originalités. Il n’est pas du tout académique. Le montage est toujours juste, le rythme à la fois lent et soutenu. Il engage de grands acteurs : Brasseur, Nicaud, Cuny, Simon, Servais, Marielle, Rouleau, Roquevert, Marie Dubois, Madeleine Robinson, Maria Pacôme, Annette Stroyberg, Jacqueline Maillan, Pascale Petit…

Dans Deux heures à tuer, son dernier film, le plus abouti, une œuvre étonnante car pleine de surprises, jouent aussi Jean-Roger Caussimon et Catherine Sauvage, l’adaptation et les dialogues formidables étant signés Bernard Dimey. Délicieux huis-clos aux rebondissements incessants, qui se déroule pratiquement en temps réel, Deux heures à tuer voit des acteurs se frotter l’un à l’autre avec une excellente verve. La distribution comprend des choses amusantes : Caussimon et Catherine Sauvage, qui se connaissent bien, forment un couple bourgeois déchiré et, par ailleurs, il était piquant de réunir Pierre Brasseur et Catherine Sauvage... qui fut à la ville Mme Brasseur. Govar témoigne ici de son aptitude à diriger sept personnages principaux – et une douzaine d’autres – dans un espace unique. Les déplacements, évidemment essentiels dans ce genre, sont fort bien réglés en un plaisant ballet, évoluant sous des éclairages toujours justes.

La Croix des vivants qui, lui, n’est pas un policier et dont le scénario est dû à Maurice Clavel et Alain Cavalier, est le développement de son moyen-métrage, Nous n’irons plus au bois. C’est un drame authentique, dans lequel Govar montre sa capacité à diriger de nombreux acteurs, à faire apparaître progressivement des personnages multiples. Cet homme tendre est aussi un démiurge. Le fait de reprendre une idée vieille de plusieurs années et de la développer est un signe certain d’authenticité : lorsqu’un artiste remet sur le métier un projet ancien, il y tient toujours et tente alors de donner le meilleur de lui-même.

L’adaptation de Que personne ne sorte ! est cosignée par Stanislas-André Steeman, d’après son roman. Il s’agit d’une série noire « pour rire », tout comme Les Tontons flingueurs de Lautner qui date de la même année ou Les Barbouzes, du même, qui sortit l’année suivante. Toutefois, La Métamorphose des cloportes de Granier-Deferre, un an plus tard encore, constituera un film bien supérieur à ces trois-là, plus fin, plus fouillé. Entre 1963 et 1965, dans le genre policier, le sous-genre du policier comique connaîtra une grande vogue. Ce style, que l’on peut ne pas apprécier, est ici bien traité car rythmé et monté avec vivacité. L’utilisation ironique de la musique ajoute à la cadence d’une œuvre qui n’est jamais vulgaire, comme c’est toujours le risque, dès qu’il y a parodie. La direction d’acteurs est parfaite, y compris dans les situations loufoques où les comédiens risquent toujours de se perdre.

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Tournage de Que personne ne sorte !

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Le 45-tours de la bande originale dUn soir, par hasard

 En vidéo

Sous la houlette de l’association Belfilm et de Paul Geens, historien du cinéma et redécouvreur passionné, la firme belge Come and See avait entrepris la réalisation d’une intégrale Yvan Govar qui a tourné court, en 2009. Seuls quatre titres ont paru, quand un coffret de sept DVD était annoncé. On dispose donc aujourd’hui, uniquement, de La Croix des vivants, Que personne ne sorte ! (autre titre : La Dernière enquête de Wens), Un soir, par hasard et Deux heures à tuer, soit les œuvres des années 60. Les bonus sont curieux et c’est un choix de Geens : ils n’ont aucun rapport avec les films. Ce sont, au mieux, des courts-métrages concernant un des acteurs du film auquel ils ne se rapportent pas (sauf dans le cas de La Croix des vivants, dont le bonus est le moyen-métrage initial, ou bien dans celui d’Un soir, par hasard, qui est le court-métrage de Richard Olivier dont il a été question plus haut, dans lequel joue Govar). La restauration laisse à désirer : l’image est un peu terne, mais ce n’est pas catastrophique. Les bonus, toutefois, ne sont pas restaurés du tout. Dans cette intégrale regrettablement interrompue, ne sont finalement pas sortis les titres des années 50 : Le Toubib, médecin du gang (autre titre : Le Toubib du gang, écrit, produit et réalisé par Govar, dans lequel Barbara est réputée avoir fait une très courte apparition en tant que figurante, mais, selon sa biographe Valérie Lehoux, il n’est pas certain qu’il s’agisse d’elle), Le Circuit de minuit et Y en a marre (autres titres : Ce soir on tue ou Le Gars d’Anvers, « un film mouvementé d’Yvan Govar, de style policier classique, émaillé des plus belles bagarres jamais réalisées à l’écran »)[1], qui ont cependant existé, autrefois, en VHS.

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Une des affiches du Toubib, médecin du gang

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Une scène du Toubib, médecin du gang

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Une des affiches de Y en a marre

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Une scène de Y en a marre

Chez Dailymotion, on trouve deux minutes du Toubib, médecin du gang, deux autres de Y en a marre, frustrantes séquences apéritives que ne suit malheureusement aucun repas. Du Circuit de minuit, rien n’est proposé.

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Une des affiches du Circuit de minuit

Pourtant, Le Circuit de minuit mêle une intrigue relativement classique mais bien traitée et un aspect documentaire fort détaillé, remarquablement exposé (en l’occurrence, le milieu du sport automobile). De beaux angles de caméra, un montage et un rythme maîtrisés, un rendu de la durée très juste, un brin d’humour, enfin, en la présence de l’amusant Luc Varenne, reporter jouant son propre rôle. En prime, le temps de deux plans brefs, Govar en personne, dans le rôle d'un speaker.

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Yvan Govar dans Le Circuit de minuit

En 2014, la firme Filmédia a ressorti, sous de nouvelles présentations, deux DVD, Que personne ne sorte ! et Deux heures à tuer, dont le contenu est parfaitement identique à l’édition de Come and See. Il n’est nullement indiqué qu’une suite sera donnée à cette réédition.

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Pascale Petit et Giani Esposito dans La Croix des vivants

Ce qu’on en a dit

Du Toubib, médecin du gang, les Cahiers du Cinéma écrivaient, en 1959 : « Un réalisateur odieux au service d’une méchante cause ». Rien de moins. Dans le même numéro, une notule expédiait Y en a marre sur le mode « marabout, bout de ficelle », en écrivant : « Y en a marre – marchandise – discontinue – continue donc – dont auquel – quel navet ! », ce qui, on le voit, est fort argumenté.

Longtemps plus tard, les livres de cinéma continuent d’affirmer sans la moindre explication : « Un soir par hasard d’Yvan Govar (…) relevait plus de la comédie boulevardière que de la SF ».[2] Ils parlent de « Y en a marre : ce film (…) est une coproduction franco-belge mise en scène par un réalisateur sans avenir, Yvan Govar ».[3] Pire encore, voici Yves Martin : « Zéro à Yvan Govar. Inaptitude = prétention. La Croix des vivants (1962), sous-produit mauriacien, vaudrait une bonne décharge de chevrotine ».[4] On aimerait savoir, mais on l’ignorera, pourquoi Martin se sent tout à coup des humeurs de chasseur.

Rien n’est insupportable comme ces critiques « au sentiment », rédigées à l’emporte-pièce, crachées sans explications, sans argumentaire aucun. Elles n’ont rien à voir avec le cinéma.

Il est heureux que d’autres auteurs pensent différemment : « Son souci semble avoir été de raconter, sans temps morts, des histoires à intrigues policières ou à suspense. Il ne méritait pas, pour autant, le discrédit dans lequel on l’a tenu. Car il avait un univers à lui, peuplé de personnages souvent en lutte contre un mauvais destin, un univers où le drame, sinon le mélodrame était l’élément dominant », écrit avec justesse Jacques Siclier, dix ans, malheureusement, après la mort du cinéaste.[5] Le Soir de Bruxelles affirme : « Yvan Govar (...) est l’oublié du ciné belge. Pourtant, dans les années 50, il fut le seul de nos réalisateurs, avec Jacques Feyder, à réussir dans le cinéma populaire français. Cet aventurier rabelaisien mit en scène des polars, des comédies ou des drames qui valaient les films d’Henri Decoin ou de Gilles Grangier. Govar avait le sens du rythme et de la narration et dirigeait excellemment des acteurs débutants ou des seconds rôles (...) qui donnaient à son œuvre une densité du quotidien compensant son manque de moyens financiers... (...) Scénarios vifs où le destin brise les protagonistes. Filmant dans les rues, Govar a capté l’air du temps (la poésie réaliste) des années 50. (...) Découvrez-le, vous serez surpris ».[6]

On sera étonné, en effet. À l’ambiance que perpétuaient Grangier, Decoin et autres réalisateurs de ce temps, Govar a ajouté, çà et là, un peu de surréalisme belge à la façon d’André Delvaux et même de Paul Delvaux (diaphane et irréelle, la cavalière de La Croix des vivants paraît sortir d’une de ses toiles, elle a le visage des femmes de Delvaux ; les personnages étranges de Deux heures à tuer, isolés dans une gare, évoquent aussi les thèmes du peintre, surtout dans les scènes se déroulant sur les quais). Cela se marie parfaitement avec le réalisme poétique. La séquence finale d’Un soir, par hasard, l’élimination du personnage joué par Servais, si elle est réaliste sur le plan du scénario, est cependant tournée dans une atmosphère nettement onirique.

On penserait presque que Govar a connu l’injuste destin de ses propres personnages : combat, échec sentimental et professionnel, mort précoce. Cette vision noire finit par s’imposer.

Objectivement, on comprend mal pourquoi ces films, peu nombreux, n’ont pas, en leur temps, connu le succès. Là comme ailleurs, il importe de combattre les idées reçues, de mettre le feu aux clichés et d’aller voir de quoi il s’agit. Ce cinéma est techniquement bon, les scénarios sont intéressants, l’humain n’est jamais perdu de vue et leur réalisateur est à l’évidence un artiste généreux.

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Catherine Sauvage et Jean-Roger Caussimon dans Deux heures à tuer

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[1]. Feuille d’avis de Neuchâtel du 4 août 1961.

[2]. Jean-Pierre Bouyxou et Roland Lethem, La Science-fiction au cinéma, Bourgois, 1971.

[3]. Michel Azzopardi, Le Temps des vamps, 1915-1965, cinquante ans de sex-appeal, L’Harmattan, 1997.

[4]. Yves Martin, Le Cinéma français, 1946-1966, un jeune homme au fil des vagues, Méréal, 1998.

[5]. Le Monde des 31 août et 1er septembre 1998.

[6]. Le Soir de Bruxelles du 16 décembre 1998.

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