lundi, 03 juillet 2006
À un censeur
À cette époque-là, on disait « censeur » à celui qui se nomme désormais proviseur-adjoint. En février 1966, j’avais commis quelque ânerie avec deux camarades de ma classe de 4e. Faire des bêtises n’est pas interdit, ce qui est interdit, c’est bien connu, c’est de se faire prendre. Ce fut le cas de deux d’entre nous. Un surveillant zélé nous emmena chez vous, censeur qui, apprenant les faits, commençâtes, étrange maniérisme assymétrique, par nous donner à chacun trois gifles sur la joue gauche. Elles n’étaient pas fictives, non, pas des gifles de cinéma, mais il se trouve que j’ai la peau dure. Vous avez demandé ensuite la dénonciation du troisième élève, ce que, d’un regard plus qu’assassin, j’interdis immédiatement à mon alter ego, déjà en larmes et prêt à tout lâcher pourvu qu’il n’eût pas d’ennuis. Alors se mit en route la procédure du conseil de discipline. Quinze jours plus tard, deux surveillants venaient me chercher en classe, encadrant ma modeste personne comme celle d’un dangereux criminel et me remettaient à mes parents, à qui la secrétaire du proviseur venait de signifier que j’étais un voyou. Exclusion définitive. Le lendemain matin, j’entrais dans un autre lycée.
Où êtes-vous, censeur, aujourd’hui ? Cendres dans quelque cimetière marseillais, sans doute. Vous avez pu mesurer l’inanité de vos baffes, du moins je l’espère pour vous. J’ai oublié votre nom et votre visage, il me semble seulement que vous étiez brun. Dites, quand j’y pense, des claques plus une comparution devant votre tribunal, c’était une double peine, non ? Maintenant, vous n’oseriez plus, ce ne serait plus possible. Et puis, après tout, ces trois gifles, je les avais bien méritées, je le reconnais bien volontiers, mais peut-être eussiez-vous dû, alors, en rester là ? C’était un drôle de temps, n’est-ce pas ? Tout ce bruit pour trois fois rien…
Deux ans plus tard, c’était Mai-68. Tout cela, d’un coup, était renvoyé aux archives d’un Moyen-Âge du système scolaire. Et quand je vois ce qui se passe à présent dans les écoles, je ris doucement – et bien jaune – en repensant à vous, oublié, dans votre glaise. Allez, crevez tranquille, continuez.
17:15 Publié dans Apostrophes insolites | Lien permanent | Commentaires (10)
Commentaires
Taratata ! Le censeur a été remplacé par le proviseur-adjoint dans les lycées (quand il y avait un collège intégré, il est devenu alors le principal de ce collège). Le responsable des absences et de la discipline était le surveillant général qui est devenu ensuite conseiller d'éducation (collèges) et conseiller principal d'éducation jusqu'à ce qu'on fonde les deux catégories en une vers 1985.
Écrit par : Dominique | lundi, 03 juillet 2006
Exact, je m'y perds un peu. Je corrige.
Écrit par : Jacques Layani | lundi, 03 juillet 2006
En passant, je m'étais fait la même réflexion, mais bon, pas le temps de vérifier ni envie de "commenter" votre texte en me signalant de cette façon.
Du coup, votre première phrase, après cette modification, je la trouve moins bien balancée.
Dominique, vous passez quand à "Questions pour un Champion"?
Écrit par : gluglups | lundi, 03 juillet 2006
Allons, tout ça n'est pas très grave.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 juillet 2006
Quel suspense ! Mais qu'avaient-ils donc fait, avec le troisième larron ?
Écrit par : Guillaume | mercredi, 05 juillet 2006
Trois fois rien, vraiment. Une bêtise de gamins qui s'ennuyaient après le repas, avant les cours de l'après-midi. Bah...
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 05 juillet 2006
"Trois fois rien" - Signe du mystère et genèse de la fascination. (*Dictionnaire des idées reçues*, édition 2006)
Écrit par : Guillaume | mercredi, 05 juillet 2006
Tu es curieux, Guillaume ! Le motif n'est pas le plus important, dans ce texte.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 05 juillet 2006
J'avions bien compris, qu' c'étions point l'essentiel. Mille excuses si ma curiosité t'a blessé...
Écrit par : Guillaume | mercredi, 05 juillet 2006
Meuh non, pas du tout !
Au vrai, nous avions barbouillé à la craie une salle de classe, celle où nous devions avoir cours à 14 h. Barbouillé... beaucoup : tables, murs, chaises, sol, tableau. Des inscriptions bébêtes, vraiment de la gaminerie.
Il eût été beaucoup plus intelligent de nous confier à chacun une serpillère, une éponge et un seau d'eau chaude. Cela aurait évité un travail supplémentaire aux dames de service et nous aurait appris à assumer les conséquences de nos actes. Il n'y avait aucune dégradation matérielle, puisque ce n'était que de la craie. Les baffes et une éponge, c'était la bonne solution. Au lieu de cela, un véritable scandale dans l'établissement, la convocation du conseil de discipline, un "avocat" envoyé par les parents d'élèves, une comparution terrorisante pour un gamin. Autres temps...
Huit ans plus tard, j'entrais dans l'Education nationale. Le censeur et moi, nous devenions des collègues.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 05 juillet 2006
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