samedi, 01 juillet 2006
À un souvenir
Monsieur,
Je ne vous aime pas beaucoup, vous savez. Vous n’êtes pas quelqu’un de bien. Vous êtes toujours cruel, quoi qu’on puisse prétendre. Je ne sais plus qui disait : « Il n’y a pas de bons souvenirs. » Je crois que c’est Gide mais je n’en suis pas certain. On lui attribue tellement de choses… Dans ce pays, il n’y eut semble-t-il que trois personnes à s’exprimer : Napoléon, Gide et de Gaulle. Chaque fois qu’on cite une parole mémorable, on fait de l’un d’entre eux l’auteur. Il ne faut pas écouter ce que l’on dit. Mais revenons à vous : je ne vous oublie pas, ce qui est normal, me direz-vous, étant donnée votre nature même. Oublier un souvenir serait curieux, mais peut-être pas sot, finalement…
Quand vous êtes poignant, vous vous appelez le passé. Lorsque vous voulez bien vous montrer doux, vous êtes un regret. Enfin, lorsqu’on veut vous engueuler, vous vous défilez car vous êtes lâche et vous dites : « Ce n’est pas moi, c’est la mémoire. Moi, je n’ai rien fait. » Tout ça est très hypocrite, finalement. Vous ne valez pas l’encre que je vous consacre lorsque je vous écris. Vous êtes un moins que rien.
Vous avez dans les yeux un reflet mélancolique. Cela ne suffit pas à vous faire accueillir joyeusement. Vous voudriez qu’on vous ouvrît grand les bras alors que vous n’êtes qu’une vrille, vous ne savez faire que des trous dans les cœurs. Je vous trouve bien exigeant. Il faudrait vous dire que vous êtes le bienvenu parce que c’est vous. Je préfère ne pas vous regarder et m’en aller ailleurs voir si d’autres se souviennent d’autre chose. Les souvenirs d’autrui font vieillir moins vite. Quand, d’aventure, ils croisent les nôtres, nous nous trouvons tout bêtes. Nous avons l’impression d’être arrivés à un carrefour qui ne figurait pas sur les cartes de notre sensibilité.
J’ai remarqué que vous étiez exclusif. Lorsque vous arrivez, seul ou en foule – car vous êtes d’une famille nombreuse – il faut qu’impérativement, toute pensée cesse pour vous laisser cette place que vous réclamez quand elle ne vous est nullement due. Vous êtes un impérialiste cérébral. Vous ne vous étonnerez pas si, quelque jour, à votre oppression vient à faire face une résistance. C’est ainsi que les choses se passent, d’ordinaire, et il n’est pas d’exemple d’un régime autoritaire qui ait su demeurer plus d’un temps, long, parfois, certes, mais inéluctablement limité. Les luttes de libération finissent toujours par remporter la victoire. Ce jour-là, monsieur, vous serez traduit devant un tribunal révolutionnaire et, à ce moment-là, je ne donnerai pas cher de votre survie. Vous serez alors moins arrogant, et je m’y connais.
J’aimerais cependant, car je suis bon camarade, vous épargner un tel destin. Croyez-moi, oubliez votre quête de pouvoir, votre volonté folle de vous imposer à tous et à toute heure. Fuyez vers d’autres horizons, des cieux que le cliché dirait plus cléments. De tous temps, il s’est trouvé des pays pour accueillir les tyrans en exil. Vous irez en Argentine ou je ne sais où – enfin, où vous voudrez. Là-bas, vous vous ferez oublier et quand, au soir de votre vie – les souvenirs meurent aussi, vous savez – une jolie fille viendra vous caresser la joue et fleurir ainsi votre vieillesse, vous aurez une pensée pour votre temps jadis et pour Layani qui vous aura donné un si bon conseil. Un souvenir qui a une pensée, ce n’est pas une image fréquente, c’est un cadeau que je vous fais. Comme l’immense nature, vous aurez alors réussi à faire se côtoyer le myosotis et la pensée. C’est tout le mal que je vous souhaite.
21:45 Publié dans Apostrophes insolites | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
Quelques mots pour vous dire combien j'aime ces textes, qui sont souvent remplis de sentiments qui me sont étrangers: la peur de l'ennui (solitaire, j'ai souvent eu envie de la compagnie d'autres, que je croyais innacessibles, mais jamais je ne m'ennuie - enfin, parfois oui, au cinéma ou avec des gens ennuyeux, mais jamais par moi-même), ou cette volée de bois vert au souvenir - souvenir(s)qui sont le tissu même dont la vie est faite, qui permettent d'inventer, ré-inventer sa propre vie: avec, contre, pour les sentiments qu'ils font naîtrent en nous, des plus éloignés aux plus récents, et qui parfois, passent d'une douleur qu'on croyait définitive à une mélancolie tendre et amusée (salut Germaine), bref, vous avez le talent de faire surgir chez votre lecteur, des sentiments qui vont contre ce que vous dîtes, mais qui nourissent le lecteur tout autant que s'il abondait dans votre sens. Ce n'est pas donné à tout le monde, et ça mérite absolument publication.
Vous avez le talent de faire passer tout ça, et s.v.p. cher Jacques, faites moi le plaisir d'accepter sans le diminuer de vos habituels commentaires auto-dépréciateurs, le compliment d'un lecteur appréciatif de cette veine lumineuse ô combien plus convaincante que toutes les ruminations de taureaux rugissants :o)....
"Les souvenirs d’autrui font vieillir moins vite. Quand, d’aventure, ils croisent les nôtres, nous nous trouvons tout bêtes. Nous avons l’impression d’être arrivés à un carrefour qui ne figurait pas sur les cartes de notre sensibilité."
Pour une phrase comme celle là, moi votre bouquin, je l'achète les yeux fermés - il faut plus qu'un blog pour que ça dure. Ces textes ont besoin de papier.
Benoit
Écrit par : Benoit | dimanche, 02 juillet 2006
Euh, il m'est difficile de répondre quoi que ce soit à ce déluge de gentilles choses...
Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 02 juillet 2006
AHHHHHH enfin !!!
Écrit par : Benoit | dimanche, 02 juillet 2006
Oui, version papier s'iouplé, et qu' ça saute !
Écrit par : Guillaume | dimanche, 02 juillet 2006
Pfff, pas d'éducation, ce Guillaume...
Je ne peux que t'offrir cette définition, à la façon du Glossaire de Leiris :
" SOUVENIR - Qui s'ouvre nie. "
Écrit par : MuMM | dimanche, 02 juillet 2006
Merci, chers amis.
Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 02 juillet 2006
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