jeudi, 26 octobre 2006
À une fenêtre
Ce n’est pas parce que vous baillez que vous allez m’endormir. Ne croyez pas m’impressionner en me disant que vous êtes l’œil de la façade : le cliché est devenu insupportable. Occupez-vous plutôt de masquer d’un voilage les rides qui font de vos paupières la carte d’un réseau ferroviaire. Ou bien fluvial, si cela peut vous être agréable. Vous voyez que je ne suis pas chien et que je veux bien vous faire plaisir, à ma manière.
Il y a quelques décennies – pas tant que ça – vous étiez celle qui permettait aux anarchistes de sortir des commissariats. Une idée comme une autre, me direz-vous, l’essentiel étant d’en sortir même si l’on n’est pas vivant. Il paraît qu’on les poussait un peu. Peut-être. Ah non, c’est vrai, c’était un accident.
On parle aujourd’hui, pour exprimer l’idée du moment à saisir, de fenêtre de tir. C’est incroyable, comme l’homme contemporain peut tendre à la métaphore technocratique. Fenêtre de tir ! Autant dire que les yeux d’une femme sont le PMU du hasard. Ou n’importe quoi d’autre, d’ailleurs. Ce derrière qui m’intrigue depuis que je connais celle qui ne s’en sépare jamais, est une fenêtre aussi. Sur l’insondable.
À la reprographie, quand je vais prier la collègue aux yeux brillants de faire pour moi quelque travail quotidien, il y a une fenêtre sur l’imprimerie, la vraie, celle qui produit des livres. De vrais ouvrages, bien sûr, pas ceux que crache la presse Cameron dans laquelle on entre le texte et d’où ressortent des pavés collés déjà endormis sous un film de plastique. Une fenêtre sur le rien, cette machine. Remarquez, il y a bien des balcons en forêt…
Martine vous aime et vous photographie souvent, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut avoir les gonds qui enflent. Parfois, vous êtes sale à l’intérieur comme à l’extérieur et cela vous paraît une injure. Vous êtes alors une fenêtre à double outrage.
Quand vous aurez appris à ouvrir sur le large et la liberté, à laisser à qui vient vers vous l’azur tranquille, à tendre les battants comme on tend les bras, je m’intéresserai davantage à vous. Mais vous n’êtes pour l’instant qu’une paire d’oreilles en éventail, donnant sur le mur d’en face. Il en faut plus pour mériter ma considération.
14:40 Publié dans Apostrophes insolites | Lien permanent | Commentaires (0)
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