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mercredi, 05 juillet 2006

Au facteur

Vous êtes l’ami de tout le monde. Il en est peu. Je ne connais guère de métier qui soit aussi apprécié de tous. Quand il n’y a pas de courrier, on est désolé, et je pense toujours à Pagnol : « Les lettres, c’est moi qui les porte mais ce n’est pas moi qui les écris. » C’est tout simple et c’est si juste néanmoins. Combien de fois ai-je vu des personnes déçues – combien l’ai-je été moi-même – d’avoir à attendre jusqu’au lendemain ! Elles repartaient bredouilles, plus tristes qu’un pêcheur que les poissons auraient nargué. On vous dit « préposé » depuis quelques années, mais tout le monde continue à vous appeler « facteur », je veux dire : dans la réalité, et voilà que je suis pris d’un doute. Les décisions administratives ne seraient donc pas le réel ? Ah, ce serait magnifique, ça. Les technocrates décideraient des choses et le peuple entier s’en moquerait comme de sa première jaquerie. Il faudra y penser.

 

Je suis d’une famille de postiers. Mon grand-père était facteur, il le fut durant quarante ans. Quand j’étais petit, il était en poste à l’Assemblée algérienne, ce qui m’ouvrait droit à des goûters. Je revois vaguement quelques images, le jour de Noël, je présume : de longues tables auxquelles étaient assis de nombreux enfants bien habillés. Sur les tables, des boîtes de friandises enrubannées. Une photographie complète mes souvenirs : il devait y avoir un spectacle, puisque tous les petits invités regardent dans une direction bien précise, avec de grands yeux. Il n’en est qu’un qui regarde ailleurs, l’air triste et inquiet, c’est moi. Allez comprendre pourquoi. Rien n’a changé. Aujourd’hui, dans une foule, je suis celui qui regarde ailleurs. Je n’en rajoute pas, vous savez. C’est vrai.

 

Quand vous passez, à Noël, proposer cet almanach désuet qui est une ancienne tradition de votre métier, je vous accueille avec chaleur et achète toujours cette publication que je n’ouvrirai jamais. Je vous propose un verre que vous refusez systématiquement, arguant du fait qu’il vous est difficile de boire avec chacun. Je comprends fort bien, encore qu’avançant cela, je ne pensais pas nécessairement à de l’alcool – je conçois toutefois qu’il soit également impossible d’avaler trente ou quarante jus de fruits, l’un après l’autre. Au vrai, vous ne venez pas chaque année, je ne sais pas pourquoi. Et puis, les choses ont changé : vous n’êtes jamais le même, d’une année sur l’autre. Ce n’est pas important, me direz-vous, puisque c’est le facteur que je reçois, pas la personne. Toutefois, il est impossible de nouer la plus petite relation : dans l’année, je ne vous vois pas, vous apportez votre offrande au moment où je suis à mon travail.

 

Je vous adresse cette lettre d’amitié que, pour une fois, vous n’aurez pas à distribuer.

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