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samedi, 18 novembre 2006

À moi-même

Sous l’improvisé du juillet d’extase, je vais cherchant des livres pour désennuyer la mort, la distraire de son travail de misère. Dans les gobelets d’étain des yeux qui paradent, je bois l’eau aux bulles de mots. Je suis l’exquis affolement, le soleil et la ronde, un bout de ficelle à lier les désarrois en touffes odorantes – romarin de misère, basilic d’effroi. Je suis un peu d’encre renversée sur la robe de la dame d’en face qui m’a juste regardé dans les yeux, dans les mots, dans le bleu de Chaillot. J’ai mis ma jaquette jaune pour sortir dans le monde des tournesols qui rient. Il faut noter au vol des idées auxquelles on pourrait encore croire, il faut sentir la mer, la vie, les sentir avec des poumons inédits. C’est difficile, il y a des senteurs vertes – on mangerait le printemps – il faut sentir avec soin, il faut s’imaginer. C’est d’avoir eu vingt ans qui tue ensuite l’olfactive liberté, la disponibilité des senteurs. Adorer les fragrances, savoir être un fruit, dire enfin cet autre part où crème une écume autre, à la crête de vagues réconfortantes. L’explosion de l’exprimé ne vit pas dans les salons, mais dans ce cri poussé de toute ma tessiture où brûlent les rêves inaboutis. Il n’y aura plus d’air que je ne veuille parfumer, plus d’illusion que je ne désire illuminer de mon adhésion, que je ne désire faire naître de mes contradictions. Je suis un fruit porté tout en avant.

Est beau ce qui rend l’œil heureux immédiatement, le cœur et l’âme ensuite ou simultanément. Quand mon œil est heureux, mon corps aussi exulte et mes pieds s’envolent, mes pieds s’envolent loin de la terre mouillée dont il ne reste plus que le parfum, que les alcools. Comment se rendre au marché aux fleurs ? C’est impossible depuis que des senteurs ont accumulé l’émotion. Manifestation interdite ! L’émotion arrêtée et gardée à vue tremble encore de la tête à ses pieds chaussés de blanc. On ne peut plus errer au marché aux fleurs, plus de pas légers, plus d’effleurement et plus d’échos de roses-thé. Nos illusions retrouvées voguent encore, encore, nous ne grandirons jamais. Nos illusions sont des nappes phréatiques toujours renouvelées, des robes de mariée de chaque jour, des statues de femmes opulentes, de cette pierre qui brûle l’œil avant la main. Tant que vous saurez caresser les statues, vos illusions retrouvées s’allongeront sur des lits de lilas mauve dans une odeur d’herbe mouillée.

Encore, juste un peu, quelques pensées bouclées, les émotions aux cheveux longs, le goût qui marche sur de tremblantes avenues. Encore, juste un peu, quelques instants accrocheurs, les moments de rubans enveloppants, les saveurs amples, les ripailles de vent aigrelet et quelques livres aussi pour conforter les pas de caoutchouc que dessinent nos pieds nus. Encore, juste un peu, dans la bouche le goût de la vie, le sourire du vécu blême, le soleil des mandarines. J’ai traversé les rues du désert et je ne m’y suis pas perdu. Il y avait là le silence goudronné, bétonné d’indifférence. J’ai eu des faims, des soifs que je n’ai pu étancher. Je n’ai jamais eu les pieds qu’il fallait pour marcher vers où je l’aurais désiré. Le temps, ce désespoir, est une orange sèche. Je voudrais des soleils de citron. Branche cassée d’un arbre discret, je vais comme vous de misère en misère dans cette atmosphère qui n’est même pas baroque. Je voudrais des vies de falaises et des pieds d’harmonie pour y marcher, des mains de soie et de lilas pour un toucher embaumé et des lumières de lune pour se laver dans la pâleur. Je pense à des poèmes courts, petites pièces brèves de sensualité, denses et odorantes comme la démarche d’une femme en mouvement dans l’imaginaire fleuri de toutes les roses.

Le raisin a perdu ses grains de fantaisie, le vin a été bu dans des barriques cassées. Avant qu’il se répande, mangeons du pain, mangeons du pain. Et sur la chute bleue de tes reins, jouons, jouons, jouons l’attentive étude des sorcières aux pieds nus. Personne n’a mis de fleurs dans ta vie. Il faudra donc les arroser et espérer de tous les châteaux qu’ils soient de conquête et non de repos. Le silence dit ses mots dans ma tête. Ombre d’algue, il susurre des doutes et peut-être murmure-t-il des absences. Je ne sais quelle heure il mélancolise le plus, ni quel sens il donnera aux instants les plus bruyants qui iront au spectacle de mes jours à venir. À présent, le silence dit ses mots dans mes fêtes, il bourdonne à ma terrasse, rayon d’été dans la chaleur troublante. Bracelet de cuir, il m’attache par les pieds à ma bibliothèque, citron enté à l’oranger.

Je m’enfonce dans mes pas, dans la terre, et cependant je vole dans ma tête vers des pays mordants. Ma démarche est ainsi et mes talons s’élèvent sans cesse lorsque, sur la pointe de mes pieds, je repars victorieux vers des terres exquises où les explications ne sont plus hasardeuses, dans la vie chocolatée collante et grumeleuse. Quand la lumière est adorablement souple et que l’amour n’est plus bavard mais maritime, au bout de son parcours de menthe et d’olivier ou de fleurs de pommiers. Lorsqu’au-delà des toits, plus rien, dans le gris brumeux, n’est de soie ou de saveur, quand rien n’est plus fleur, fleuron d’amitié, quand tout est désert, masque de paroles, qu’on va guidé par quelle étoile grisée, plus rien n’est de soie, de satin lilas. À mourir pour vivre, à ingurgiter des mots comme remède, plus rien n’est dimanche dans ce paysage. Mes livres sont tus, muets et sans voix, ils sont un fruit séché, un kirsch éventé. Quand le sommeil brûle à travers les livres et les yeux fermés de l’attente, alors, dans la lumière grise, n’exister plus et, à pas de fatigue, de rocher en route, de mer en route, de ruines en route, avancer sous les soleils aux robes lilas, dormir les jours à venir s’ils doivent n’être que les portiques du semblable et ignorer les alcools éventés du destin, boire aux oranges mêmes.

Je n’ai plus le temps, va, je n’ai plus le temps, le temps d’hévéa, je n’ai plus rien pour moi, pour lui non plus, plus de temps, plus d’ovation, plus non plus d’alléluia. Je n’ai plus de pieds, je ne puis aller plus loin, il faudra bien que l’on me porte. Je ne suis pas lourd : une once d’ombre et rien de plus, un journal blanc auto-censuré, déchiré, je m’en vais sans lecture à donner. Je m’en vais, plus de temps, je n’ai plus de fruits, je ne suis plus arbre, plus du tout de marbre, le temps va, je n’ai plus ni goût ni force, ni croquant ni craquant, je m’en vais sans vanille. Le temps du désert traversé : au bout, m’attend le vapeur blême qui m’emmènera jusqu’au port, le grand port où un cargo libre en partance m’emportera vers une rousse et du lilas. Où sont les cartes de la région et les journaux de bord du capitaine inconnu ? À quand ce désert traversé vers le bout d’aimer et vers l’ultime peur, celle qui sent toutes les forêts ?

La lassitude est un repas mal recuit. Être à l’affût, être à l’écoute par-delà cette indifférence qui me fait les yeux trop doux… pour être quoi, à la fin ? Laisser parler, laisser chuinter le chant du ruisseau qui persiste. Tout est bleu ailleurs, mais je ne sais pas où. Sur mes seins nus soufflera la brise de la verdure du vivre, quand il craque et croque. L’angoisse impatiente et la peur de perdre ce qui n’est même pas assuré, le corpus de la crainte présenté, analysé, disséqué comme l’œuvre complète de la mélancolie à l’université… Le vent, pourtant, là-haut, ne s’en laisse pas compter, il va s’inscrire au registre d’attente d’un instant de bonheur, loin des cyclothymies sans soleil, là où le goût marche libre sur un boulevard fleuri de visages.

Quand seront les papiers jaunes et moisies les images défuntes, il sera loisible de toucher du cœur cette évidence de pain brûlé. Rien n’aura été, rien n’aura servi, n’aura duré, n’aura pu croire en ces soirées d’incandescence, en l’avenir aux gants beurre frais. Tout était dessalé d’avance, l’amertume était une écharpe. Il n’y a plus que le silence au bord du balcon déserté, sans couleurs, il y a plus de cinquante étés que cette photo attend de ne plus rien signifier. C’est ainsi : sur les ponts du passé et du mouroir de vivre, on voit jaunir des photos mortes, on ne peut plus aller nulle part, tout finit au creux des fossés, personne ne prête assistance à personne et personne ne fiance sa destinée aux balcons désertés, sans odeurs. Même les nuages ont passé sur leurs pieds abîmés, les paupières sont lourdes aux soirs attardés, il vaut bien mieux aller sans fleur. Au bord du balcon silencieux, il doit y avoir quelques ombres.

Si l’idée du bonheur était telle que le bonheur pût exister, il faudrait la crier dans la rue. Si la fleur qui vit au cœur de nos sens était une orchidée, une jacinthe blanche, il faudrait sentir bon, véritablement. Si l’idée de joie était telle que la joie s’ouvrît en bouquets, il faudrait en vendre les fleurs, la couleur, la senteur aussi. Si les femmes étaient de laine, un manteau court de laine rose, je deviendrais un amour fou. Si tout était, si tout était simple… Si l’idée d’avancer n’était que des pieds, il faudrait que la vie chaussât ces pieds d’aventures et d’espoir. Si janvier, si la lumière… Alors les jours allongeraient. Si l’idée de danse était suffisante pour la légèreté du vivre, il faudrait commander la musique. Si le goût était une pomme, il faudrait la cueillir le corps nu. Si tout était simple, si tout était doux, si tout était roux.

Ils sont tous morts, ceux que l’on pensait éternels parce qu’on les croyait indestructibles. Ils le furent, indestructibles, le temps qu’il fallait sans doute. Après, c’était à nous d’agir et maintenant, le ciel est bleu, l’abandon n’était pas provisoire. Au soir frais, les oiseaux paraissent sonner l’heure de la fermeture. Je ne peux plus voir les images des morts, je ne peux plus le supporter et mon stylo le dit tout seul dans le gris matin de cette matinée. Je ne peux plus voir les images des personnes parties, elles sont illusion de ma vie. Je ne sais pas dire aux fontaines que leur eau n’est pas assez fraîche et je ne peux pas dire aux visages des morts combien j’ai mal de les regarder. Je n’ose pas flétrir leurs roses déjà inanimées. Un peu de temps, juste un peu de temps, voilà ce que demande celui qui vit toujours trop vite en songeant que tout est trop lent.

Alors, sur le sapin du monde, là, tout en haut, ce n’est pas pour rire que brille le bout du temps. Quand le sapin se couche sans gloire et sans attendre des nouvelles du soir dans son lit de terre… Il aurait mieux valu brûler tout ça, incinérer le temps qui passe. Le fleuve avec ses chaussons de satin vert, ne veut pas se mouiller, dire au journal les nouvelles qu’on aimerait lire, feuilles de menthe vibrantes et festives, dire au menu le nom des plats qui n’y sont pas, avec les vins tremblants de soie, dire à l’amour oui ou non, assurément, avec les frêles frissons et les frênes feuillus de l’été, dire aux éditeurs du sentiment de faire imprimer nos partitions. La mort n’est pas tout, n’est-ce pas ?

Dire, vous dire mais me dire avant, avant tout dire mes rapports avec le monde, avec vous. Ruban de mots brodé de peur, ourlé d’amour, au bord sans cesse de l’épanouissement et de la meurtrissure, prêt à chuter, prêt à craquer comme craquent, dans leur sécheresse, le bois, la nuit, les sentiments, et le cœur inopinément. Dire tout ce que j’ai cru jadis, que la pierre était pierre, dire encore que j’y crois toujours. Dire ce que j’ai découvert, que j’aimais le caoutchouc, sensuel en éternité, une matière de l’enfance. Dire surtout, partout, que si écrire ne sert de rien, je l’avais toujours su, mais j’aimais autrefois l’acte gratuit, la pomme du pommier. À ce jour, j’ai – ronces aux ronciers – des doutes que mes mots tentent de ne pas paraphraser.

Où s’en vont nos deux mains nouées dans le lilas et nos tourments autistes, quand la raison s’agrippe à des ronces entêtées, à ces démons qui n’aiment pas le dimanche, à ces femmes enceintes qui portent des lunettes ? Dans l’inutile absolu d’un monde révolu, sans senteurs et sans nez et sans plus de jeunesse, sans plus de café. Je ferai le poème du doute, de l’à quoi bon, du pourquoi vivre, du pourquoi pas. Sur un rocher face à moi-même, j’écrirai le texte de la route en avant. Quand se lèveront les vents plus doux, sur les tombeaux de nos passés assumés où plieront les cyprès, je ferai la chanson des fruits de vivre, je m’en irai sur mes pieds nus et formidables, vers de grands soleils époustouflants. Dans la grippe infâme de l’habitude, je vois s’installer le virus inquiet du devenir, mais je suis l’avenir et je vous réserve quelques soleils encore, qui brilleront à travers les vitres sales de vos quotidiens sans lumière, jusqu’à ce que poussent des pommes et du lilas dans vos réduits épuisants, dans vos ventres sans avènement. Il y a, dans le scénario commun d’une existence sans fièvre, les lieux communs de l’amour pelliculé. Je ne dirai pas les mots à parler, les verbes à taire, les vocables pouilleux, je tairai l’insolence du monde à n’être jamais qu’un répertoire, un pot commun. Viennent des temps de caoutchouc, de sensualité chantée !

Transmettre des idées habillées d’émotion d’abord, avant, oui, bien avant les recherches formelles, transposer la sensualité en mots de matière et d’odeurs, d’abord, avant, oui, bien avant tout le reste. C’est mon art poétique si j’en ai un, c’est mon goût d’écriture et de lecture aussi, goût de pommes au matin aigrelet, fleurs éclatées dans mes globules, bois sculptés dans mes neurones pour qu’ainsi l’on sache applaudir et maudire s’il le faut cette vie de pierres. Juste un mot maintenant, à l’heure ouverte au monde, un mot plein de senteurs, s’il en existe encore, des senteurs. Un mot pour dire demain aux îles excellentes où dort l’édition de tes rêves, où il y a des mois de repos, où il y a des fruits emportés de colère, où il y a sur la table un peu de vin, un crayon et l’amère amertume avec deux pianos fous, où il y a l’illusion qui lit la grammaire française. L’édition lilas de tes rêves d’enfant, tu la fabriqueras toi-même et, si tu es sorcier, tu sauras bien la deviner et tu l’illustreras avec tous tes pastels. Le temps des semailles a passé, le temps des sonnailles a tintinnabulé. Que faut-il à présent pour que les cascades chutent encore ? Un pantoum qui tourne la tête et fait valser les pas hésitants, un peu de citron dans l’air du temps ?

Commentaires

Pétard ! C'est magnifique.
("Je n'ai plus le temps, va, je n'ai plus le temps", ferré sur les pas de Léo...)

Écrit par : Richard | samedi, 18 novembre 2006

Merci, monsieur Richard...

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 20 novembre 2006

"Je suis (...) un bout de ficelle à lier les désarrois"

Belle expression, qui implique tout un programme...
Une manière d'être en quelque sorte, une recherche existentielle.
Puis viennent les "touffes odorantes" qui nous renvoient à la végétation méditerranéenne. Mais cette note de chaleur, pour poétique et rassurante qu'elle soit, est éphémère. La phrase se termine en désespoir, avec le « romarin de misère » et le « basilic d’effroi ».

Il faudrait 20 pages si on voulait analyser tout et je n’en ai malheureusement pas le temps. Retenons pourtant la définition que Jacques donne de lui-même : « branche cassée d’un arbre discret, je vais comme vous de misère en misère ». Outre le thème de l’arbre, qu’il affectionne particulièrement (voir « On n’emporte pas les arbres ») il y a cette cassure, qui symbolise bien l’inadéquation entre ce à quoi on aspire et ce que l’on vit effectivement.

Le remède consiste donc à « ingurgiter des mots ». Palliatif inefficace car le temps aveugle continue inexorablement son chemin : « Je n’ai plus le temps, va je n’ai plus le temps. » Et l’amertume revient devant l’impossibilité d’arriver finalement à quelque chose dans cette vie : « Je n’ai plus de pieds, je ne puis aller plus loin ». Viennent alors la lassitude et la « peur de perdre ce qui n’est même pas assuré. »

Qu’est-ce que la vie, donc, si ce n’est un rêve que l’on se construit ou tout simplement le désir légitime d’être auquel on ne parvient jamais.

Écrit par : Feuilly | mardi, 21 novembre 2006

Fichtre de foutre ! (Oh, pardon !)

Tu sais, Feuilly, ça fait drôle de se voir ainsi en position d'exégèse... Brr... Merci à toi.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 21 novembre 2006

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