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vendredi, 17 novembre 2006

De la tomaison

Depuis plusieurs années – certainement depuis l’emploi généralisé de la presse Cameron – on publie de véritables pavés. On pourrait d’ailleurs discuter de l’aspect de pavé volontairement conféré à certains volumes qui n’en ont pas besoin (je pense aux ouvrages artificiellement « gonflés »), mais c’est un autre sujet.

La généralisation de l’emploi de la Cameron a occasionné, entre autres conséquences, la disparition du tome. On fait paraître en un volume ce qui, auparavant, aurait été proposé en deux ou trois tomes. Certains livres ne sont même plus manipulables dans certaines conditions (notamment dans les transports en commun), voire plus manipulables du tout. Je me suis amusé à lire, sous la plume de Phébus, cette remarque qu’il ne m’en voudra pas de citer : « J’ai lu debout appuyé contre une porte pendant quarante-cinq minutes ; ce qui, avec un volume aussi conséquent que Les Bienveillantes, fait travailler le poignet. »

L’abandon de la tomaison m’inspire quelques réflexions. L’éditeur, en vendant un travail en un volume, est assuré contre le risque de mévente que fait planer une division de l’œuvre en plusieurs. Il était fréquent en effet que les lecteurs achètent le premier tome, pas (ou moins) les suivants. Cela se voit lorsqu’on cherche des livres d’occasion : le premier tome est très fréquent, le second moins et les suivants, lorsqu’il y en eut, moins encore. Il semblerait par conséquent qu’il fût plus cohérent de tout publier en un seul ouvrage, au risque de le rendre lourd, très peu pratique et, évidemment, fort cher. Cette solution n’avantage donc réellement que l’éditeur.

Toutefois, la tomaison est encore employée pour les ouvrages supposés difficiles. Ainsi, le Cherche-Midi a édité, en 2000, le premier volume des Poésies complètes de Luc Bérimont, annonçant deux autres tomes à venir… qui ne sont jamais venus et ne viendront sans doute pas. Fayard a fait paraître au printemps 2005 le premier tome de la Correspondance générale de Verlaine. Le second tome (et sans doute le dernier, encore que rien n’ait été précisé à ce sujet) n’est pas sorti. Sortira-t-il ? On constate alors que, pour ce type de livre, l’éditeur tâte le terrain, prudemment, en étant prêt à tout abandonner en route et à laisser des publications en suspens – au mépris de l’auteur et du contenu – et le lecteur sur sa faim par la même occasion (toutes ces publications sont très subventionnées, mais c’est là encore un autre point.)

11:44 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (8)

Commentaires

Ah temps de tomoison nous revienne
alors mains des lecteurs s'en viennent
et lassitude par foison s'en ira
ni fourberie d'éditeur n'aura

Écrit par : Martine Layani | vendredi, 17 novembre 2006

Pas très bon... mais jubilatoire.

Écrit par : Martine Layani | vendredi, 17 novembre 2006

Ce n'est pas tout à fait exact. Il existe des littératures pour lesquelles on saucissonne des ouvrages parus auparavant en un seul volume. C'est notamment le cas des traductions en science-fiction, fantastique, fantasy. Pourquoi ? D'abord pour la même raison que celle qui pousse à faire des livres à 1,50 euros : le prix semble plus léger au lecteur même si le rapport prix-page est plus élevé, il n'est pas découragé par un poids excessif. Or tous ces livres étaient publiés en un pavé en anglais, je peux donner des titres. Ensuite, on veut des collections standardisées en volume, ce qui est plus facile à mettre en place. Cela conduisait déjà auparavant à faire des coupes sauvages dans les policiers, les livres de SF (il manque parfois une centaine de pages dans les premiers Série noire, les J'ai Lu-SF). Enfin, il existe chez ces éditeurs une mythologie de la trilogie : un livre découpé en trois volets apparaîtra comme une grande œuvre, c'est l'aspect publicitaire. On peut chercher les diptyques et les tétralogies dans ce domaine, c'est minoritaire par rapport aux trilogies. C'est d'ailleurs devenu une manie chez d'autres éditeurs : en bande dessinée, cela a commencé dès les années 80 toujours dans la fantasy et la SF, chez Glénat ou Vent d'Ouest. Et si cela se prolonge en série, on ajoute une, puis deux trilogies qui obligent en fait à lire le texte comme un feuilleton à suivre et non plus comme des albums indépendants. Mais depuis dix ans environ (en fait depuis Harry Potter), cela a atteint les éditeurs pour la jeunesse, j'avais remarqué la tendance à la trilogie pour des ouvrages fantastiques destinés aux enfants, cet après-midi en faisant un tour dans le rayon Jeunesse de mes lbrairies j'ai vu que cela concernait maintenant aussi les romans historiques (alors que les livres en question ne sont pas épais, cent pages écrites en gros caractères et illustrées).

Écrit par : Dominique | vendredi, 17 novembre 2006

Science-fiction, fantastique, fantasy : on reste dans des domaines bien déterminés et supposés ludiques.

Effectivement, j'avais aussi remarqué l'exploitation de la trilogie. Toujours cette "règle de trois", comme les trois adjectifs, tournure réputée plus élégante, plus classique, que deux ou quatre ; comme la Sainte-Trinité ; comme "Je compte jusqu'à trois" ; comme frapper les trois coups ; comme les expressions "trois fois rien", "en trois mots", "en trois coups de cuillère à pot"... Quand quelque chose est ainsi ancré dans l'imaginaire, il n'est pas étonnant que le commerce s'en empare.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 17 novembre 2006

Il y a l'édition des oeuvres complètes de Butor aux éditions de La Différence : un exemple de publication en tomes, dont chacun est si volumineux qu'il n'est pas maniable !

Écrit par : Guillaume Cingal | samedi, 18 novembre 2006

Oui, j'ai vu ça, effectivement. C'est l'exception. Cette édition cumule les désavantages de toutes les solutions : gros pavés lourds, prix élevé, tomaison.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 18 novembre 2006

Et je ne suis pas certain qu'elle ira jusqu'au bout. Les nouvelles complètes de James et les œuvres complètes de Pessoa chez le même éditeur sont arrêtées depuis un bon moment.

Écrit par : Dominique | samedi, 18 novembre 2006

Mon libraire m'a dit avec un sourire narquois que c'étaient de fausses "oeuvres complètes", qui s'arrêteraient après le tome 1. Pour l'instant, il a péché par pessimisme... et je pense que, dans le cas de Butor, il y a un écrivain encore vivant, très fin, peut-être pas très commode à manoeuvrer dans les faits... plus difficile en tout cas que les traducteurs de James ou Pessoa...

Je ne me suis procuré aucun de ces ouvrages, en dépit de mon admiration fervente pour Michel Butor. Si déjà Gallimard avait l'idée de republier BOOMERANG, le seul volume de la série des *Génie du lieu* que j'ai lu en bibliothèque...

Écrit par : Guillaume | dimanche, 19 novembre 2006

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