jeudi, 06 juillet 2006
À ma chemise
Vous n’êtes pas d’un homme heureux, et, disant cela, je ne parle même pas du fait que l’été vous transforme en torchon mouillé, surtout dans la cuvette parisienne sous pression insupportable. Vous êtes la liquette repassée chaque matin par mes soins, mais n’abritez que des déconvenues. Il paraît que je suis un repasseur émérite et que, lorsque vous sortez de la machine à laver, vous conservez encore, au moins aux manches, le pli quasi militaire que je vous avais donné lors du repassage précédent. Cela ne vous rend pas plus apte à transformer l’horrible en ineffable, le courant en inédit. Et pourtant... Écoutez-moi.
Quand j’avais dix-sept ans, on vous portait sur le pantalon, de préférence sanglée d’un large ceinturon. Vous avez ensuite réintégré les braies fort sagement et la ceinture a disparu. J’ai observé que cela revenait : les jeunes, aujourd’hui, vous portent aussi à l’extérieur. Vous savez, tout ça, ça va, ça vient. Les modes... Tout passe. Je vous ai connue cintrée (on disait : « près du corps »), avec des pinces dans le dos et, rétrospectivement, je me demande comment on faisait pour vivre aussi serré dans ses habits, car le pantalon était du même acabit : taille basse, ultra-moulant... Il est vrai que nous étions filiformes, en ces temps. Encore que les personnes plus âgées – et plus grosses – étaient vêtues de la même façon. Je vous ai connue à grands carreaux, à tout-petits carreaux, à rayures plus ou moins larges, en coton, en synthétique, en mélange des deux et même en crépon, avec cet aspect de papier agréable au toucher et si étonnant à sentir sur sa poitrine nue, surtout au bout des seins. Il paraît que vous pouvez être de soie mais je ne vous ai jamais portée ainsi : vous êtes alors trop chère pour moi. Je vous ai vue à manches longues, à manches courtes, avec des boutons de nacre, d’autres de plastique, avec poignets « mousquetaire », avec poignets sans boutons impliquant des boutons de manchettes. Je vous ai sue avec ou sans poche de poitrine. Je vous ai portée presque transparente ou opaque, à col boutonné ou non, à col pointu ou rond, refermé ou échancré, avec ou sans cravate. Ce n’est pas rien, une chemise, vous savez. Vous pouvez être fière de vous. C’est vous qui dessinez aux hommes des dorsaux magnifiques, qui leur sculptez les épaules, qui leur faites un dos que regardent les femmes.
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