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mercredi, 18 octobre 2006

À la fatigue

Vieille peau, 

Vous êtes insolente. Vous survenez sans téléphoner, vous vous installez alors que j’allais sortir et, dès le lundi, vous faites de ma maison un exemple de désordre, quand j’ai pourtant passé toute une fin de semaine à faire le ménage. Mon corps est sale et brouillon, vaseux et poussiéreux, lorsque vous venez vous asseoir sans façons.

Parfois, vous m’assommez et, pour vous fuir, je vais me cacher dans mon lit à vingt heures trente, je hèle au passage le dernier taxi du rêve et je donne au chauffeur une adresse chimérique. La voiture file et je vous oublie, blanc fantôme sur le trottoir gras. La plupart du temps, cependant, les papillons de chagrin des insomnies qui me torturent se font les complices de vos agissements et le taxi part sans moi. Pis, il me nargue quelquefois et, me voyant espérant au bord du trottoir, sous le panonceau indiquant la station, me dit : « Je suis pris ! » Ce n’est pas vrai, je le sais, mais il insiste : « On m’a réservé, j’attends ! Empruntez donc le métro. » Dans le métro, on ne rêve pas lorsqu’on est fatigué. Il faut être en forme pour manger des yeux la belle voyageuse qui, justement, vient de monter dans la rame, là, étalant sous mon nez des charmes invraisemblables mais, à cause de vous, je ne pourrais rien faire, de toute façon. Vous êtes le revers d’une médaille qui n’a même pas d’avers. A-t-elle seulement une tranche sur laquelle la faire reposer ? Vous avez dit : reposer ? Ah, si c’était possible.

Quelquefois, vous êtes une bouteille d’eau, l’on vous devine rafraîchissante et l’on pense qu’on va, délicieusement, vous embrasser en s’endormant. Mais la plupart du temps, vous êtes goudron, vous sentez mauvais, vous êtes toxique et vous n’autorisez même pas l’infortuné dont vous brisez les os à quérir quelque repos dans les couloirs d’une nuit enfin venue, que vous vous empressez de transformer en train fantôme.

Vous n’êtes pas que physique. Vous êtes encore un monstre moral aux œillères abjectes. Vous faites en sorte qu’on ne puisse plus rien voir qu’à travers votre filtre. On a alors le sentiment que, sur le boulevard, les passants se jettent sur nous ; que, dans les transports en commun, tous vont littéralement nous monter dessus. Quand autrui pourrait être un baume, il devient souffrance – vous êtes rusée, vous êtes perverse. Vous troubleriez la plus grande lucidité. Vous me faites penser à une pieuvre qui obligerait sa proie à lire un journal sans intérêt, un manuel abscons. Alors, les yeux brûlent.

Si vous aviez l’obligeance de prendre vos distances et d’aller voir ailleurs si d’autres souffrent aussi, je vous serais reconnaissant. Oh, je n’imagine certes pas retrouver jamais cette forme innocente d’autrefois – je dis innocente parce qu’elle allait de soi, du moins je le croyais, elle était évidente dans sa simplicité calme – mais toutefois, j’aimerais assez que vous me laissiez un moment le champ libre, afin que je puisse retirer de ma marche à la surface de cette terre le sentiment d’une progression, fût-elle modeste, plutôt que celui d’un visqueux sur-place.

Je vous prie de croire, vieille détestable peau, que je pourrais me passer de vos services maudits. Je m’entends fort bien avec le bel allant, la bonne forme, et n’ai pas l’intention de divorcer d’avec eux. Il n’est pas nécessaire que vous veniez semer entre nous la zizanie puante à laquelle aboutissent toujours vos agissements.

Ne comptez nullement sur mon dévouement.

Commentaires

C'est un de tes meilleurs : il n'y manque ni l'ironie faite à ta distance comme un gant, ni la force d'expression, ni la lucidité. En plus, j'aime te voir envoyer balader ainsi tes mauvais rêves. C'est cet homme-là que j'ai rencontré.

Écrit par : Martine Layani | mercredi, 18 octobre 2006

Euh...

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 18 octobre 2006

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