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mercredi, 01 novembre 2006

Sur Barthes

Les Derniers jours de Roland B. est un livre d’Hervé Algalarrondo paru chez Stock, il y a peu. Il était précisé que cet ouvrage s’intéressait aux derniers jours de Barthes en envisageant l’homme lui-même. Cela pouvait n’être pas inintéressant. Il reste que ce livre est l’exemple même de l’essai rédigé par un journaliste : ton léger, tournures rapides ou familières, tics de langage, excessive distance ironico-maniaque. En bref, tout ce qui fait le travers du journalisme contemporain : la légèreté et l’absence d’écriture. On enfourche ici mon habituel dada : l’écriture des essais et documents qui, plus que jamais, est nécessaire. Je n’achète pas un livre avec le désir de lire un article de journal étiré sur près de trois-cents pages (dans une typographie gonflée, pour faire masse.) J’achète un livre en espérant y trouver une œuvre écrite, rédigée, qui témoigne d’une recherche et en présente le résultat avec style et allure, de préférence sur un ton personnel. Je ne veux plus de ces ouvrages qui ne sont pas inintéressants, certes non, mais sont vraiment des copies interchangeables, rendues par des folliculaires. Il me reste trop peu de temps à vivre et à lire pour le perdre et je deviens de plus en plus exigeant quant à l’écriture des livres dont je fais l’acquisition.

Commentaires

C'est dommage, car le sujet pouvait être en effet intéressant. J'ai l'impression qu'on a beaucoup sentimentalisé, psychologisé la mort de Barthes, comme s'il s'agissait avant tout de démontrer la vulnérabilité d'un grand esprit (par rapport au décès de sa mère). Un peu comme Simone de Beauvoir s'est appesantie sur les escarres et le naufrage intellectuel de Sartre (mort au même moment que Barthes, d'ailleurs).

Existe-t-il une bonne biographie de Barthes? Je crois que L.J. Calvet en a rédigé une mais ce que j'ai lu de lui ne m'incite guère à me la procurer.

Barthes a su tellement bien parler de lui-même (et de sa mère, dans son texte, par moments bouleversant, sur la photographie intitulé "La Chambre claire") qu'on finit par douter qu'un biographe puisse être à la hauteur.

Écrit par : gluglups | mercredi, 01 novembre 2006

Effectivement, on nage ici en pleine analyse psychologique d'un comportement. Le sujet de ce livre, son titre même, pouvaient laisser présager un essai, donc un point de vue personnel de l'auteur (et, je le redis, une écriture). Il n'en est rien : c'est un bout de biographie, c'est tout. La biographie d'une période donnée. Et mal écrite.

"comme s'il s'agissait avant tout de démontrer la vulnérabilité d'un grand esprit (par rapport au décès de sa mère)" : c'est exactement ça ! Vous avez lu le livre ? Ou bien est-il à ce point prévisible ?

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 02 novembre 2006

La deuxième solution, car je n'ai rien lu d'autre sur ce livre que votre commentaire. Enfin, je me demande dans quelle mesure cela n'a pas été exagéré.

Écrit par : gluglups | jeudi, 02 novembre 2006

Ce livre ramène tout à la mort de sa mère, justement. Je ne l'ai pas terminé (il est si peu prenant) mais c'est son optique.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 02 novembre 2006

Il y a une semaine, une amie prof de philo m'a prêté ce livre, qui l'avait intéressée puis rendue perplexe elle aussi, et m'en a offert un autre sur le même sujet.

J'ai parcouru le livre d'Algalarrondo, sans en suivre forcément l'ordre des chapitres. Je n'ai pu que constater, comme vous, l'absence d'écriture. Mais surtout, c'est un concentré de témoignages choisis, sélectionnés en vue uniquement de salir la mémoire de Barthes, sur tous les plans. C'est tout juste si l'auteur n'accuse pas Barthes de pédophilie. Je me demande si un tel condensé de propos malveillants sur un écrivain a pu être publié un jour. Je ne comprends pas qu'on puisse se lancer dans un livre, sans éprouver, je ne dis pas un amour, mais une compréhension minimale de son sujet.

Ce n'est pas que ce qui est dit soit entièrement faux et cela représente sans doute une réalité de Barthes, et en tout cas, certainement, celle de son entourage. Mais il est facile de couper dans les témoignages et les confidences, et de n'en sélectionner que la partie qui soit la plus caniveau possible. L'auteur ne retient que ces exemples-là, sans jamais chercher à les contextualiser, à les comprendre, à les transcender humainement.

Lorsque Barthes a été hospitalisé, compte tenu de ses difficultés respiratoires, les médecins, qui ignoraient son passé de tuberculeux, ont décidé de pratiquer, un peu précipitamment, une trachéotomie, sans l'en avertir. Qui ne serait pas déprimé de perdre ainsi définitivement sa voix? Cela donne dans le livre, par le biais d'un "disciple" que l'auteur se garde d'identifier: "Il ne supportait pas d'être privé de cette voix qui faisait une grande partie de son charme". C'est tout juste si Barthes n'est pas mort de légèreté et de coquetterie!

Le plus déplaisant dans ce livre, c'est encore la façon très hypocrite dont l'auteur prend quelque distance par rapport aux "témoignages" qu'il rapporte pour venir au secours du pauvre Barthes, alors qu'il n'a de cesse de sélectionner et additionner ce type de témoignages.

La seule chose qui serait effectivement troublante, ce serait l'opinion privée de Foucault et de Levi-Strauss au sujet de la pensée de Barthes, mais là encore, rien ne fait jamais l'objet d'une analyse sérieuse et l'on s'en tient à des on-dit.

Algalarrondo, journaliste au Nouvel Observateur, se spécialise, visiblement, dans le procès de tout ce qui peut être plus ou moins assimilé à la pensée 68 ( http://penseeunique.com/PU/auteurs/algalarrondo.html). On comprend qu'un tel livre ait été dans l'ensemble boycotté par la presse.

L'autre livre, celui qui m'a été offert, c'est celui d'Eric Marty, "Roland Barthes, le métier d'écrire" (Seuil). Eric Marty a été l'élève de Barthes, dans les dernières années et c'est lui qui était chargé de répondre au courrier de l'écrivain. Il s'est occupé aussi de l'édition de l'oeuvre complète.

La première partie ("Mémoire d'une amitié") est un témoignage sur les dernières années, la seconde le recueil des notices de présentation des textes de l'édition intégrale, et la troisième, que je n'ai pas encore lue, le texte d'un séminaire qu'il a animé sur les "Fragments d'un discours amoureux".

Bien sûr, il s'agit du même Barthes. Barthes devait assurément être un personnage grotesque, invivable et surtout incapable de vivre. Mais, face à un matériau similaire, si j'ose dire, on n'a pas ce sentiment de malaise: rien n'est obscène, comme tout pouvait l'être dans le livre d'Algalarrondo.

Eric Marty fait des observations constantes et toujours suggestives sur l'oeuvre et le "métier d'écrire". On sait que la grande passion de Barthes, c'était Proust (et Michelet, et Schumann et Charles Panzéra, auprès de qui il avait pris des cours de chant, ce qui explique pê les inflexions si particulières de la voix de Barthes...). Ainsi, Marty fait un parallèle intéressant entre La Recherche et l'oeuvre de Barthes, en montrant que la mort de la mère est ce qui est déclencheur de l'écriture, de l'oeuvre chez l'un, tandis que c'est ce qui va y mettre un terme chez l'autre. Ou plus exactement, Barthes va concevoir à partir de ce moment-là, le projet démesuré et fou de faire une oeuvre totale, une utopie, un roman dans lequel il aurait pu insérer notamment toutes les bribes inachevées qu'il a pu écrire en dehors de son oeuvre publiée et qui devait s'appeler La Vita nova, dont il reste des plans.

L'ambition d'Eric Marty, c'était de restituer, de rendre sensible, concrète, la présence de Barthes. Il voulait faire ressentir ce qui est perceptible, dit-il, à la lecture d'une évocation de Rimbaud dans quelques lignes rédigées par sa soeur: tous ces témoignages "qu'ils prennent la forme du récit, du journal, des lettres, même s'ils mêlent toujours un peu de fiction à la restitution du passé, ont un charme particulier à la mesure de l'intérêt que l'on éprouve pour la personne dont il est question: le charme de la vérité. Un détail suffit".

Pour donner un exemple du travail d'E. Marty, je recopie une page de son livre, particulièrement admirable et émouvante:

"La pièce est toute blanche, presque aveuglante de clarté, et il est allongé sur un lit plus haut qu'un lit ordinaire, ce qui donne l'impression d'un corps exhibé, sans plus de liens avec le sol, corps couvert d'un drap blanc et truffé de toutes sortes de fils de perfusion, de contrôle, corps ayant perdu toute existence vitale. Mais, de ce corps étranger, inhumain, sort une tête désespérée qui me regarde traverser lentement la chambre pour arriver jusqu'à lui.

J'étais immobile. Je voyais plus longuement dans ses yeux cet abîme de tristesse que j'ai déjà dit, comme une résignation désespérée. Je ne pus m'empêcher alors de reculer un peu, tant j'avais le sentiment que la mort était là qui l'étouffait et l'empêchait de se délivrer. Plus tard, lors d'un documentaire télévisé, j'ai vu littéralement le même regard; c'était celui d'un animal qu'un énorme boa était en train d'avaler vivant. Seule la partie inférieure de son corps était dans la gueule démesurément agrandie du monstre. On ne voyait plus que le torse, les pattes avant et la tête de l'animal qui allait bientôt disparaître, dévoré par le néant. Je vis alors le regard de cet animal ressusciter le regard de Barthes. Le regard de celui que la vie est en train de trahir et qui n'a plus un objet, une branche, un fil, un brin d'herbe vers lesquels tendre les doigts ; je retrouvais cette sorte d'ombre qui obscurcissait sa vue, une ombre qui atténuait tout reproche fait aux vivants, mais qui laissait voir, dans l'éclat étrangement terne qui avait saisi ses yeux, une atroce angoisse, celle de la présence physique toute proche, injuste, effroyable de la mort.
Il eut un mouvement vers moi, un léger geste mais ce mouvement était si détaché du corps qu'il semblait ne rien signifier. [...]

Pris dans ce drap, dans ces fils, immobilisé sur le lit médical, Barthes était comme ces héros d'opéra ou de théâtre qui gisent interminablement sur la scène et dont l'épuisement nous serre le cœur.

Je me suis placé à côté du lit, j'ai voulu prendre sa main, mais il me semblait qu'il pouvait lire sur mon visage sa propre mort, alors j'ai détourné la tête et je suis parti sans presque rien dire.

Assez vite, il est tombé dans le coma. Nous étions là pratiquement tous les jours mais impuissants à retourner la situation. Lorsqu'on entrait dans la chambre, des infirmières hurlaient en le secouant : «Monsieur Barthes, ne dormez pas. Vos amis sont là. Réveillez-vous... Sinon ils ne reviendront plus...» Je regardais Barthes, enfermé dans le sommeil comme par un sortilège, se faire secouer, le visage fermé, intensément fermé."

Écrit par : gluglups | mardi, 06 février 2007

Bien, comme d'habitude, qui peut répondre à Gluglups quand il parle de Barthes ? Hmm...

Je comprends bien le sujet du livre de Marty, que j'aurais mieux fait d'acheter, à l'époque, plutôt que celui d'Algalarrondo. D'ailleurs, je me dis que je n'achèterai jamais plus d'ouvrage ainsi intitulé. La formule "Les derniers jours de" est déjà assez racoleuse en soi. Le système qui consiste à écrire "Roland B.", c'est-à-dire à cacher le nom alors qu'il est parfaitement transparent -- et d'autant plus transparent que la couverture présente le portrait de Barthes -- est une hypocrisie journalistique du genre retape. J'ai vraiment le sentiment, maintenant, que ce genre de titre fait littéralement le trottoir et je m'en veux d'être monté. BHL avait déjà pondu "Les Derniers jours de Charles Baudelaire" que je m'étais bien gardé de lire. Quant au nom réduit à une initiale évidente, je me demande d'où ça vient. De Truffaut en 1975 ("L'Histoire d'Adèle H.") ? Ou d'autres ?

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 06 février 2007

"Ce n'est pas que ce qui est dit soit entièrement faux et cela représente sans doute une réalité de Barthes, et en tout cas, certainement, celle de son entourage. Mais il est facile de couper dans les témoignages et les confidences, et de n'en sélectionner que la partie qui soit la plus caniveau possible. L'auteur ne retient que ces exemples-là, sans jamais chercher à les contextualiser, à les comprendre, à les transcender humainement." C'est cela même que j'ai reproché à Gérard Bonal, un autre journaliste, en 1994 et qui m'a poussée à écrire un livre honnête, lui, sur Gérard Philipe.

On ne dira jamais assez de mal de cette espèce ; non seulement on trouve normal qu'ils publient des livres, qui ne mettent en valeur que leur fameux "ton" insupportable, mais ils barrent la route aux vrais écrivains, qui eux mettent le modèle et le travail d'écriture à sa place.

Écrit par : Martine Layani | mardi, 06 février 2007

Jacques: pourtant le livre de Marty était sorti quelques mois plus tôt, je crois. Je parlais d'un boycott du livre d'Algalarrondo mais on a encore moins parlé du livre d'E. Marty (sans doute trop compliqué, pas suffisamment dans le show)... "Le système qui consiste à écrire "Roland B."...": évidemment, c'est un clin d'oeil à cette manie qu'avait Barthes de désigner les choses par leurs initiales. Mais c'est moins un hommage que l'identification d'une manie.Autre procédé systématique, dans la même logique, c'est d'utiliser les petits noms ou les sobriquets de Barthes, ce qui fait qu'on se place toujours dans le tragi-comique (y compris lorsqu'il s'agit d'une véritable tragédie)...
En lisant les remarques d'E. Marty sur l'importance qu'il accordait au détail, dans son introduction, j'avais bien évidemment pensé à votre texte là-dessus...

Martine: il y a quelques années j'étais tombé sur la biographie de Madeleine Renaud et de J. L. Barrault, par le même G. Bonal, que j'ai lue. En fait, j'avais trouvé cela assez bien, alors que ce n'était pas un sujet qui m'intéressait particulièrement, a priori. Je n'avais pas été choqué ou gêné par rapport à ce que vous signalez... Je n'ai pas senti non plus que le biographe tirait la couverture à lui, dans un certain sens.
Du coup, je m'étais même procuré son G. Philipe que j'avais trouvé en poche (qu'au final je n'ai jamais lu). Compte tenu de ce que vous dites, je lirais ces livres sans doute différemment aujourd'hui.

C'est dire que lorsqu'on n'a pas soi-même une vision du personnage, on est peut-être disposé à tout gober de ce qui est présenté. C'est incroyable la confiance qu'on est prêt à accorder à un biographe, la façon dont on se remet entièrement à lui, lors même que le personnage est d'emblée l'objet des suspicions. Il existe pê des sujets plus "sensibles": G. Philipe ou Barthes suscitent sans doute encore aujourd'hui plus de passions que les Renaud Barrault. Enfin, l'utilisation des témoignages, surtout s'il s'agit de proches (plus ou moins lointains d'ailleurs), est probablement très délicate. Pas évident que le biographe parvienne toujours à en tirer parti. Ce serait intéressant d'ailleurs qu'un jour vous nous fassiez un "post" plus détaillé sur ce qui, finalement, a rendu nécessaire l'écriture d'un livre contre un autre livre. Avez-vous eu un "retour" de la part de Bonal, après la publication de votre propre biographie?

Écrit par : gluglups | mardi, 06 février 2007

Mon livre n'est pas une biographie à l'américaine, c'est l'histoire de l'oeuvre d'une vie, sous la forme de dictionnaire, avec des entrées à chaque lettre pour les gens qu'il a aimés et son travail. En fait de "retour", je n'ai rien eu. Avant même la parution, je lui avais posé une question d'ordre technique, pour un détail (que j'ai oublié depuis). Je téléphone à son journal, on me le passe, il ne savait pas me répondre. Au lieu d'être simple, il a été sardonique (du genre puisque je ne le sais pas, pourquoi auriez-vous l'information ?) Je l'ai encore plus détesté.
Depuis, son petit fond de commerce fonctionne. Pour moi, comme je n'admire pas assez quelqu'un d'autre pour lui consacrer deux ans de ma vie, je fais autre chose.

Écrit par : Martine Layani | mardi, 06 février 2007

Je pourrai lire Marty plus tard. Ces ouvrages-là ne perdent rien à vieillir. L'actualité n'est pas un critère toujours sérieux. Il vaut mieux lire les ouvrages de fond lorsqu'on se sent dans la période la plus réceptive (et même : la mieux réceptive).

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 06 février 2007

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