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dimanche, 03 septembre 2006

Un été studieux

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 Dans le très grand parc du couvent de Vaylats (Lot), se trouve une espèce de kiosque, plus simplement un abri de jardin où se dresse une table de pierre, en réalité une ancienne roue de moulin. Là, les tauliers ont travaillé à d’immortels manuscrits, comme en témoignent ces deux images. En troisième position, figure la preuve indubitable que le taulier est à lui seul un gros... lot.

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20:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (10)

samedi, 02 septembre 2006

Moderato

Que manque-t-il à La Tourneuse de pages pour être un grand film ? De la maturité à Denis Dercourt, son scénariste-réalisateur, peut-être. Ce film qui, dès l’abord, paraît très bon, s’essouffle aux deux tiers du récit. À partir de là, tout est prévisible. Or, c’est lorsque tout devient prévisible qu’on n’accepte plus les quelques invraisemblances du scénario, alors que, jusque là, on faisait bonne figure, les accueillant volontiers (à l’exception de deux scènes « téléphonées » qui font douter du bon réveil du scénariste, ce matin-là.)

 

Ce qui est intéressant, c’est l’ambiguïté de la situation. On ne sait pas précisément à quel moment la jeune Mélanie choisit, pour sa vengeance, de détruire une femme, sa vie, sa carrière, son couple et son fils. On ne sait pas non plus quand, au juste, elle décide d’utiliser pour cela tel ou tel moyen. Parfait. La question de la séduction de la pianiste Ariane Fouchécourt par Mélanie est bien plus délicate. On n’y croit pas beaucoup, voire pas du tout. Et c’est parce que le film s’essouffle qu’on ne peut pas y croire. Le scénario commence à être traité avec une telle force qu’on se demande jusqu’où le malaise installé dès les scènes d’exposition va pouvoir grandir. On attend quelque chose, forcément… qui ne vient pas. On est déçu. Le réalisateur a joué l’exigence dès l’ouverture de son film et je ne peux que l’en féliciter. Il ne tient pas totalement ses promesses : on l’attendra donc au film suivant, et même aux films suivants car il y a promesse d’une œuvre, selon toute vraisemblance.

 

Catherine Frot est excellente. Ce jeu qui est le sien, sans sourire jamais ou presque, avec ce visage aux pommettes hautes et ce corps charpenté, ces épaules et ces bras bien dessinés, elle en a fait une musique. Jouer la fragilité lorsqu’on paraît robuste, c’est du grand art. Et quel talent ! Elle est aussi à son aise et émouvante ici, en robe longue de concert, comme sculptée dans du Saint-Laurent, qu’elle l’était en tenue de fermière dans une étable du Cottentin il y a un demi-siècle, pour le ridicule navet creux Le Passager de l’été.

 

La photographie est volontairement très dure, contrastée. Les contours sont coupants. Au début surtout, où les personnages sont la plupart du temps vêtus de sombre, où ils se détachent sur des parois claires, voire blanches. Au cours du récit, les costumes peuvent s’éclaircir parfois (les teintes bourgeoises, beige, crème, daim, des vêtements d’Ariane Fouchécourt) mais ils durcissent sur des fonds bleus. Puis le noir s’étale de nouveau (entre autres, les tenues de concert) et se heurte à des murs tendus de bleu. Les voitures sont elles-mêmes de couleur foncée. Les regards sombres de la tourneuse Mélanie (Déborah François), perverse à souhait (c’est devenu un lieu commun de la critique d’évoquer Chabrol à propos de ce film), sont durs aussi ; ils s’opposent au déséquilibre retenu du personnage de Catherine Frot, brûlante, qui sait si bien exprimer avec authenticité des sentiments de jeunesse dans un corps de femme mûre. Le dialogue est très réduit, sans mots brillants artificiels bien sûr, sans aucune parole trop haute non plus. C’est certes un poncif du thriller, fût-il psychologique. Tout se déroule d’un regard à un silence, d’une atmosphère malsaine à une légère angoisse. Le réalisateur prend son temps. Il maîtrise la durée : les semaines passent, on le sent, on l’accepte. Le tempo est lent mais il n’y a pas de longueurs. Dercourt a le sens de la mesure. C’est naturel, il est musicien. J’aime bien que le cinéma traite du milieu musical : ce sont deux arts qui s’assemblent parfaitement, lorsque la touche est discrète. Le toucher, pourrait-on dire – et ce serait musicalement évident.

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Il reste à souhaiter que les futurs rôles confiés à Déborah François ne soient pas systématiquement ceux de personnages pervers. On sait le cinéma, surtout français, tellement conformiste ! Il ne serait pas étonnant de la voir jouer soixante-quinze femmes perverses dans les six mois à venir. Ou dans les trente années qui s’ouvrent. Pourvu que son talent, qui est certain, sa présence indéniable, son physique solide, soient à l’avenir traités avec intelligence.  

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vendredi, 01 septembre 2006

Bulletin de santé

Durant cet été où je me suis montré si paresseux pour ce qui touche à ce carnet, j’ai lu la Correspondance de Cézanne, le Journal des années noires 1940-1944 de Guéhenno, échoué sur le lamentable journal de Pierre Bergounioux intitulé Carnet de notes 1980-1990, commencé une vie de Gabrielle d’Estrées par Janine Garrisson. J’ai écumé des bouquinistes à Cahors, Villefranche-de-Rouergue et Caylus, sans dénicher autre chose que le Mauriac de Jean de Fabrègues paru chez Plon en 1971. Nous avons visité un nombre incalculable d’églises et un prieuré, admiré une série de halles et de châteaux. Nous avons parcouru les salles du musée Henri-Martin de Cahors où, hormis les collections permanentes, on pouvait découvrir l’œuvre du sculpteur Marc Petit, celles du musée Regnault de Saint-Cirq-Lapopie où se trouvait d’ailleurs la seconde partie de l’exposition de ce même Marc Petit. Nous avons regardé quelques DVD empruntés, et en avons acheté deux d’une anthologie d’archives télévisuelles de Gainsbourg. J’ai corrigé, relu, revu, moult manuscrits. J’ai contacté trois éditeurs pour un projet d’ouvrage que deux d’entre eux n’ont même pas désiré recevoir. J’ai obtenu deux refus pour deux autres livres proposés précédemment. Je me suis battu pour qu’on veuille bien me verser les droits de 2005 sur un autre livre encore et je n’ai toujours rien reçu. Nous avons parcouru une douzaine, une quinzaine peut-être de brocantes. J’ai acheté deux microsillons d’occasion, un 25-cm et un 30-cm, consacrés à des séries thématiques de chansons et de textes. Martine a acheté, elle, un 45-tours de Philippe Clay chantant deux textes de Nougaro. J’ai relu le mémoire de DEA de ma seconde fille, consacré au paysage et au regard chez Wim Wenders. Martine a lu une correspondance commentée échangée entre Gide, Verhaeren et Rilke, un livre d’anthropologie, Qu’est-ce que la littérature ? de Sartre, Qu’appelle-t-on philosopher ? par Pierre Bouretz, une piteuse vie de Sagan par Geneviève Moll. Elle a étudié les Cahiers pour une morale de Sartre. Elle a aussi tricoté. Nous avons roulé durant quelques milliers de kilomètres, rencontré des amis et rêvé devant des sites naturels, fait des kilogrammes de confitures (abricots, fraises, prunes, mirabelles, mûres.)

 

Je dois en oublier… Au bout de cet inventaire, nous revenons et sommes surpris de n’avoir pas été oubliés dans le grand bombardement que la canicule puis l’été pourri ont fait subir à la rue Franklin. Bonne rentrée.

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vendredi, 04 août 2006

Les derniers seront les premiers

Je me suis toujours beaucoup étonné du destin des livres, j’entends : de leur cheminement dès qu’ils se retrouvent dans le circuit de l’occasion. Je me rappelle avoir acheté dans le Lot, il y a quelques années, un ouvrage portant, sur la page de garde, le cachet d’un couvreur du Nord. Comment le livre était-il arrivé là ?

 

Avant-hier soir, triant quelques volumes que je désire emmener demain à la campagne, je suis tombé sur le Journal des années noires 1940-1944 de Guéhenno. Ce livre, imprimé en 1947 pour le compte de Gallimard, m’avait été offert en 1985 et fut oublié par moi qui ne l’ai jamais lu, pas plus que son ou ses propriétaires précédents. Preuve irréfutable : il n’était pas coupé. Il est entièrement neuf, son papier à peine vieilli et encore. Je l’ai donc coupé et couvert et je le lirai dans le train. C’est amusant parce que j’ai effectué mon tri dans une partie seulement de ma bibliothèque, celle qui se trouve dans l’entrée et dans le couloir (il y a des livres dans toutes les pièces, hormis pour le moment dans la cuisine et la salle de bains.) Cette partie représente dix-huit mètres linéaires et, en réalité, davantage puisque les volumes sont parfois sur deux rangées et même au-dessus, en travers. Eh bien, c’est presque au ras du sol, sur la dernière tablette que, derrière la seconde rangée, tout au bout de la première, tout à fait à droite, encore dissimulé par plusieurs épaisseurs de tomes couchés en travers, j’ai trouvé ce journal. Pour la première fois depuis 1947, il va être lu. C’était le dernier des rayonnages consultés, le plus caché des livres et le plus oublié des titres.

14:45 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (9)

mercredi, 02 août 2006

Ça se passe sur notre planète

Au mois d’août, la nuit, on peut, en levant les yeux, apercevoir des milliers d’étoiles. Pendant ce temps, les grillons applaudissent le soir venu, les tourterelles ont fini de klaxonner, les oiseaux ont poussé leur chant dernier, celui d’avant la nuit, ils dorment depuis longtemps. Alors, on fait de la métaphysique de quatre sous : qui suis-je ? Ah, l’infini ! Tous ces mondes, quand même ! Cette lumière qui nous arrive de planètes parfois mortes depuis longtemps ! Et à la vitesse de la lumière, encore ! Tu te rends compte ! C’est dire si elles sont lointaines, tout de même !

 

Personne n’y échappe. Les nuits d’août sont propices à beaucoup de choses, y compris aux banalités.

 

Il n’est pas nécessaire d’aller jusque dans les étoiles pour lire des choses qui nous dépassent. Lisez seulement Le Monde. Cela se passe en Inde. Par rapport aux étoiles, c’est tout près.

14:19 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (8)

lundi, 31 juillet 2006

Télégramme

Suis de retour à Paris pour semaine de permanence. Stop. Repartirai samedi. Stop. Amitiés à tous. Stop. Layani.

15:25 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (4)

vendredi, 21 juillet 2006

Les Bobines blanches, par Martine Layani-Le Coz

Les doigts et les mains semblent doubler de volume. Pour quelques heures, la lévitation serait un recours idéal. Les bruits, peu à peu, se sont éteints avec le jour ; seul, le marteau des secondes cloue l’avenir dans le noir de la nuit qui ne trompe pas longtemps. Très vite, sur les pas des souris courant au grenier, sous la mélodie du rossignol et dans le braiement de l’âne, l’aube verse son anis au-dessus des lits moites.

 

Il est trop tard pour appeler au téléphone des amis, des parents. La poste est fermée. Le compagnon dort. Que redouter du calme artificiel, si ce n’est la tromperie essentielle, cette croyance que le monde se repose, que tout est suspendu ? L’inactivité n’est pas le repos.

 

Chez quelqu’un, l’opération à venir gâche tout l’été, si bien que les bains ont un air de dernier moment. Chez d’autres, la fatigue due à l’âge fait passer les minutes dans un tamis d’étuve incertain. Et comment aider ceux qui ne disent et ne diront jamais rien ? L’éloignement des siens fige les situations en autant d’instants que de gouttes recueillies quand la vie est océane. La démesure du noir se fait sentir, confondant heures et minutes, kilomètres et années.

 

Le passé et l’avenir se donnent la main au-delà des présents individués. On écrit des lettres, des cartes pour se rassurer. On y couche des mots comme en sommeil, cependant que d’autres sont en guerre perpétuelle pour le langage de l’histoire, ailleurs.

 

La respiration calme cède aux inflexions de l’été, quelque temps, puis la lumière, qui n’a pas de temps à perdre, vient, par reflets interposés, rappeler à l’exigence de la vie et tout reprend son cours naturel. Les couleurs, en vedettes, défient l’écran de nos intelligences humaines.

11:25 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (2)

mercredi, 19 juillet 2006

À la patience

Nous ne nous connaissons pas beaucoup, c’est le moins que je puisse avouer. Je ne vous ai jamais énormément fréquentée. Quand j’ai dit que j’allais vous écrire, Martine a répondu : « Tu ne sauras pas quoi lui dire. » Elle n’avait pas tort. Les femmes n’ont jamais tort.

 

Lorsque mes filles étaient petites, je vous avais un peu apprise, mais c’est terminé. C’était surtout l’amour pour mes enfants que, par alchimie, je transmuais en patience. C’était mon rôle : le père est un sorcier ou n’est pas.

 

Je suis toujours extrêmement étonné lorsque j’entends parler de « prendre son temps. » D’abord, où le prendre ? C’est une aberration. On n’est pas immortel, on n’a jamais le temps. Je voudrais brûler plus vite encore. Il est des gens qui se conduisent comme s’ils ne devaient jamais mourir. Je ne peux pas les comprendre. Je me comporte en permanence comme si je devais mourir dans l’heure et encore, je trouve que tout est trop lent. Contre l’absurdité de notre condition, contre l’obligation qui nous est faite de mourir, je ne sais que la hâte, l’impatience, le désir paré de robes mordorées, de tuniques anciennes, chaussé de spartiates taillées dans le cuir de la douleur de vivre et de l’appréhension permanente de l’avenir. J’aimerais, en tout cas, que vous acceptiez de me donner votre adresse afin que nous puissions convenir d’un rendez-vous. Il pourrait n’être pas inutile qu’enfin, nous conversions. Je ne saurais garantir que notre rencontre sera fructueuse. Néanmoins, nous pouvons tenter de mieux nous savoir. Je suis certain que, si j’avais l’honneur et le plaisir de pouvoir contempler vos yeux, quelque chose me convaincrait de faire davantage l’effort de vous aimer et me donnerait la force sentimentale de demeurer à vos côtés.

 

Quelques amis qui vous connaissent m’ont dit que votre visage était empreint d’une douceur virginale. Je veux bien les croire sur parole, mais j’aimerais me rendre compte par moi-même de la splendide humilité de vos traits. Dans votre église, j’aimerais assister à l’office dont, depuis ma naissance, je me trouve privé.

 

J’espère de tout cœur que vous accepterez de répondre à cette lettre énervée et que vous prendrez en considération ma très lamentable prière.

 

En attendant, donc, de connaître votre adresse, je vous fais parvenir cette lettre, poste restante. Vous la retirerez au bureau des jours paisibles.

samedi, 15 juillet 2006

À mon rasoir

Vous rasez le fil des jours et la menace grisée qui me cerne, attentivement, avec précision. En cela, vous n’êtes pas sot. Vous passez le temps quotidien au fil acéré d’une double lame interchangeable, disposée en haut d’un manche de laiton. Je n’entends pas par là que vous vous y prenez comme un manche. Ce serait vous désobliger. Il reste que votre caresse est hypocrite puisqu’elle peut se révéler griffe ou coupure. Il faut se méfier de vous, chaque matin que Dieu fait, lorsque vous tranchez dans la mousse fraîche, vive, que me délivre une bombe achetée au plus proche supermarché et dont la consistance m’indiffère. J’achète toujours la moins chère, pourvue qu’elle soit sans odeur.

 

 

On parle d’un raseur pour désigner un importun, on dit d’une chose ennuyeuse qu’elle est rasoir. Ce n’est pas très aimable. On dit encore « raser les murs » pour signifier qu’on passe le plus discrètement possible. La métaphore, en ce qui vous concerne, est peu flatteuse. Elle s’inscrit au registre des choses sans gloire, vergogneuses, sans lustre ni éclat. Pourtant, vous êtes utile, vous êtes mon complice puisque nous sommes seuls, vous et moi, à savoir la couleur amère du poil que nous supprimons d’un commun accord ; j’aurai garde, cependant, d’omettre votre fourberie, celle qui aboutit trop souvent à la blessure, certes légère, mais inesthétique et désagréable. Je pense qu’en réalité, vous vous vengez de votre regrettable réputation par de petites mesquineries de ce tonneau-là. C’est dommage. Je vous apprécierais empreint de davantage de noblesse. Après tout, quand on porte une lame à son côté, une lame à ses armoiries, c’est qu’on est de haut rang, il me semble. Ne troublez donc pas votre sang bleu en faisant couler mon sang rouge. Personne n’a rien à y gagner et je pourrais fomenter une révolution s’il m’en prenait l’envie. Un rasoir sur l’échafaud, voilà qui ne manquerait pas d’originalité. Faire couper une lame par une guillotine, pour un poète, c’est tentant.

vendredi, 07 juillet 2006

Amitiés

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(Mon père est ingénieur, film de Robert Guédiguian, 2004)

 

Nous partons pour le Lot. La rue Franklin reste ouverte et se manifestera de temps en temps. À vous.

 

Jacques et Martine.

20:24 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)

No tombe (de haut)

Habituellement, je m’abstiens ici de toute remarque contre Amélie Nothomb. J’entends par là que je ne me laisse pas aller à dire tout ce que je pense de sa personne et de ses publications. Je le fais essentiellement, on le sait, pour l’ami De Savy. Quand j’aime bien quelqu’un, je respecte même ce que je ne peux pas supporter chez lui. Riez, riez, ce n’est pas facile, en réalité. Je sais que Benoît, notre correspondant au Québec, apprécie aussi cette jeune femme, au moins partiellement. Tolérant comme je suis, je ne dis rien. Je ne dis rien non plus, alors que Pierre Bosc, notre correspondant en Roussillon, ne la déteste pas.

 

Je voulais toutefois, ce matin, vous proposer le lien vers l’entretien imaginaire qu’a eu notre ami Dominique, prince des philologues, avec la reine du torchon de septembre. Or, j’apprends, à ma totale stupéfaction, que le texte de cette rencontre est à prendre au second degré, Dominique appréciant Amélie Nothomb. On m’aurait dit ça, j’aurais éclaté de rire. Mais non, c’est vrai.

 

Il me faudra l’été pour m’en remettre.

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Entendu en réunion

J’anticipe sur la suite.

On va accélérer rapidement.

C’est une question récurrente qui revient.

L’ordre de grandeur, c’est aux alentours de.

Sur la base du volontarisme.

On va tester dans une période expérimentale.

Il avait capitalisé une expérimentation forte autour de (comprendre : il avait l’expérience de.)

La caractéristique d’utiliser des systèmes intégrés autour d’un éditeur (comprendre : Microsoft Office.)

Participation aux e-sup days (comprendre : ?)

Je ne peux pas m’empêcher d’une perfidie.

jeudi, 06 juillet 2006

À ma chemise

Vous n’êtes pas d’un homme heureux, et, disant cela, je ne parle même pas du fait que l’été vous transforme en torchon mouillé, surtout dans la cuvette parisienne sous pression insupportable. Vous êtes la liquette repassée chaque matin par mes soins, mais n’abritez que des déconvenues. Il paraît que je suis un repasseur émérite et que, lorsque vous sortez de la machine à laver, vous conservez encore, au moins aux manches, le pli quasi militaire que je vous avais donné lors du repassage précédent. Cela ne vous rend pas plus apte à transformer l’horrible en ineffable, le courant en inédit. Et pourtant... Écoutez-moi.

 

Quand j’avais dix-sept ans, on vous portait sur le pantalon, de préférence sanglée d’un large ceinturon. Vous avez ensuite réintégré les braies fort sagement et la ceinture a disparu. J’ai observé que cela revenait : les jeunes, aujourd’hui, vous portent aussi à l’extérieur. Vous savez, tout ça, ça va, ça vient. Les modes... Tout passe. Je vous ai connue cintrée (on disait : « près du corps »), avec des pinces dans le dos et, rétrospectivement, je me demande comment on faisait pour vivre aussi serré dans ses habits, car le pantalon était du même acabit : taille basse, ultra-moulant... Il est vrai que nous étions filiformes, en ces temps. Encore que les personnes plus âgées et plus grosses étaient vêtues de la même façon. Je vous ai connue à grands carreaux, à tout-petits carreaux, à rayures plus ou moins larges, en coton, en synthétique, en mélange des deux et même en crépon, avec cet aspect de papier agréable au toucher et si étonnant à sentir sur sa poitrine nue, surtout au bout des seins. Il paraît que vous pouvez être de soie mais je ne vous ai jamais portée ainsi : vous êtes alors trop chère pour moi. Je vous ai vue à manches longues, à manches courtes, avec des boutons de nacre, d’autres de plastique, avec poignets « mousquetaire », avec poignets sans boutons impliquant des boutons de manchettes. Je vous ai sue avec ou sans poche de poitrine. Je vous ai portée presque transparente ou opaque, à col boutonné ou non, à col pointu ou rond, refermé ou échancré, avec ou sans cravate. Ce n’est pas rien, une chemise, vous savez. Vous pouvez être fière de vous. C’est vous qui dessinez aux hommes des dorsaux magnifiques, qui leur sculptez les épaules, qui leur faites un dos que regardent les femmes.

Définitivement et à tout jamais éternellement pour toujours pour toute la vie

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mercredi, 05 juillet 2006

Au Lot

Monseigneur,

 

Je vous ai découvert en 1975, par la grâce d’un ami connu auparavant au lycée, à Marseille. Bien que né à Saint-Germain-en-Laye, il était, par sa grand-mère maternelle, originaire de chez vous. Il m’a fait cette fois-là, sans le savoir, un cadeau immense, m’offrant la possibilité de trouver une terre d’adoption où j’ai poussé de nouvelles racines. À bord de ma deux-chevaux d’alors, je vous avais rallié au départ de Marseille et ce fut un enchantement.

 

On vous qualifiait jadis, sur les panneaux touristiques, de « Terre des merveilles ». L’expression était singulière et digne de vous, de vos plus de quatre-cents monuments et sites classés. On l’a, depuis lors, remplacée par le slogan, bien plus prosaïque : « Une surprise à chaque pas. » Quand la merveille cède le pas à la simple surprise, il y a quelque chose qui ne va plus. Mais je n’ai pas besoin de cela, j’ai appris à vous connaître bien plus secrètement, au fil des années incroyablement vite écoulées. À deux reprises, j’ai loué à l’année ma part de votre territoire. Une fois, c’était dans une école de village, désaffectée. À présent, c’est un bout de maison dans un hameau minuscule. Si je ne compte pas ceux qui habitent l’autre partie de la bâtisse, le premier voisin est à deux-cents mètres. Je dis toujours : « Mon bout de Lot loué » et c’est exactement cela. Je jouis, pour un peu d’argent, d’un morceau de terre des merveilles.

 

Je vous ai fait découvrir à de très nombreuses personnes. Toutes sont tombées amoureuses de votre splendeur (j’aimerais à ce propos savoir pourquoi on tombe amoureux, pourquoi on tombe enceinte : quelle est cette idée de chute impliquée par ce verbe, alors qu’il ne s’agit nullement de choses honteuses ?) Il y a votre architecture magnifique et votre gastronomie hors-pair, hors-concours, qui ferait se lever Lazare, sa serviette autour du cou. Il y a vos paysages infiniment différents. On ne compte plus les auteurs et les artistes qui se sont installés chez vous, à commencer par André Breton, mais il n’est pas de grand écrivain quercynois, c’est dommage.

 

Plus tard, j’avais composé pour vous une petite chanson de rien du tout qui, demeurée sans musique, doit dormir dans mes cartons. Elle commençait ainsi : « Nous avions le Lot à portée d’oreilles / Quand il bruisse un peu dans l’été qui court / Et que dans le vert d’arbres de secours / Vient mourir le bruit de mille merveilles / Les chevaux Peugeot broutaient le bitume / Chaque tour de roue était un appel… » – le reste à l’avenant : je n’ai jamais su par cœur un de mes textes.

 

Dans trois jours, je partirai vous rejoindre, en Renault cette fois. La voiture connaît le chemin par cœur, elle ira seule.

Au désespoir

Sale type,

 

Je vous connais depuis toujours. Quand ma jeunesse battait pavillon noir, vous étiez, comment dire, métaphysique, existentiel, et vous êtes, en ces heures de drapeau gris, devenu réel, concret. Vous êtes le rictus de cette société fatiguée. Je vis avec vous, ce qui ne signifie pas nécessairement que nous vivions ensemble. Autorisez-moi cette nuance, je vous prie. Et puis non, taisez-vous, cest moi qui parle.

 

Depuis trop longtemps, vous battez la semelle sur le bitume de ma vie. Vous êtes le proxénète de ma joie de vivre, mais elle en a assez de vous donner son bas, chaque soir. Allez donc chez le coiffeur et demandez-lui quil vous fasse une autre tête, celle-là me dégoûte. Quand vous vous verrez dans le miroir de votre figaro, vous comprendrez. Et puis, entre nous, si vous pouviez vous installer ailleurs que chez moi, ça marrangerait. Je suis bien persuadé que dautres ont de quoi vous loger. Cherchez un peu, voyons.

 

Vous vous contenterez de cette courte adresse, salaud. Vous naurez pas meilleure apostrophe. Je la posterai sans apposer de timbre et ainsi, mes amis postiers vous feront payer une surtaxe.

Au facteur

Vous êtes l’ami de tout le monde. Il en est peu. Je ne connais guère de métier qui soit aussi apprécié de tous. Quand il n’y a pas de courrier, on est désolé, et je pense toujours à Pagnol : « Les lettres, c’est moi qui les porte mais ce n’est pas moi qui les écris. » C’est tout simple et c’est si juste néanmoins. Combien de fois ai-je vu des personnes déçues – combien l’ai-je été moi-même – d’avoir à attendre jusqu’au lendemain ! Elles repartaient bredouilles, plus tristes qu’un pêcheur que les poissons auraient nargué. On vous dit « préposé » depuis quelques années, mais tout le monde continue à vous appeler « facteur », je veux dire : dans la réalité, et voilà que je suis pris d’un doute. Les décisions administratives ne seraient donc pas le réel ? Ah, ce serait magnifique, ça. Les technocrates décideraient des choses et le peuple entier s’en moquerait comme de sa première jaquerie. Il faudra y penser.

 

Je suis d’une famille de postiers. Mon grand-père était facteur, il le fut durant quarante ans. Quand j’étais petit, il était en poste à l’Assemblée algérienne, ce qui m’ouvrait droit à des goûters. Je revois vaguement quelques images, le jour de Noël, je présume : de longues tables auxquelles étaient assis de nombreux enfants bien habillés. Sur les tables, des boîtes de friandises enrubannées. Une photographie complète mes souvenirs : il devait y avoir un spectacle, puisque tous les petits invités regardent dans une direction bien précise, avec de grands yeux. Il n’en est qu’un qui regarde ailleurs, l’air triste et inquiet, c’est moi. Allez comprendre pourquoi. Rien n’a changé. Aujourd’hui, dans une foule, je suis celui qui regarde ailleurs. Je n’en rajoute pas, vous savez. C’est vrai.

 

Quand vous passez, à Noël, proposer cet almanach désuet qui est une ancienne tradition de votre métier, je vous accueille avec chaleur et achète toujours cette publication que je n’ouvrirai jamais. Je vous propose un verre que vous refusez systématiquement, arguant du fait qu’il vous est difficile de boire avec chacun. Je comprends fort bien, encore qu’avançant cela, je ne pensais pas nécessairement à de l’alcool – je conçois toutefois qu’il soit également impossible d’avaler trente ou quarante jus de fruits, l’un après l’autre. Au vrai, vous ne venez pas chaque année, je ne sais pas pourquoi. Et puis, les choses ont changé : vous n’êtes jamais le même, d’une année sur l’autre. Ce n’est pas important, me direz-vous, puisque c’est le facteur que je reçois, pas la personne. Toutefois, il est impossible de nouer la plus petite relation : dans l’année, je ne vous vois pas, vous apportez votre offrande au moment où je suis à mon travail.

 

Je vous adresse cette lettre d’amitié que, pour une fois, vous n’aurez pas à distribuer.

mardi, 04 juillet 2006

À un microsillon

Je n’ai jamais cessé de vous trouver beau, dans votre costume de sillon noir, avec, au milieu, votre chapeau rond au chiffre de la firme phonographique, chapeau percé d’un trou. Oh, non, ne voyez là aucun regret, j’achète et écoute aussi des disques compacts, mais, comment dire ? Je suis attaché à vous. Dans ses souvenirs, Polnareff disait n’avoir aucune nostalgie « de ces grandes pizzas noires. » Pizzas, non mais ! Quelle outrecuidance ! Il est vrai que l’image est plaisante et puis, Polnareff, je l’aime bien.

 

J’aime voir briller des reflets sur votre surface lorsqu’on vous incline vers la lumière, ainsi que les yeux d’une femme qu’on fait se cambrer dans ses bras. J’aime vous saisir et vous tourner d’un côté ou de l’autre sans vous toucher des doigts, le pouce, simplement, fixant l’équilibre tandis que le majeur se glisse sous vous et se pose sur votre petit trou. Vous allez dire que j’exagère et que ma description est osée. Il n’en est rien, c’est ainsi qu’on tient un disque.

 

Pour vous lire, il fallait un électrophone qu’on appelait aussi tourne-disques. Cet appareil a fait place, par la suite, à  un électrophone stéréophonique, puis à une chaîne stéréophonique dite chaîne stéréo, qui devint chaîne de haute-fidélité et, plus couramment, chaîne hi-fi. Le plateau sur lequel on vous posait était, au début, entraîné par un galet. On a vite su faire mieux, avec la transmission par courroie. On a même inventé l’entraînement direct mais c’était trop onéreux, le système par courroie est demeuré le prince. On posait sur vous un bras de lecture dit bras, terminé par un saphir qui devint ensuite un diamant, lorsque le bras, prenant du galon, se vit flanqué d’une tête de lecture ou, mieux, d’une cellule. On sut régler la pression de celle-ci par un système de contrepoids, pour qu’elle abîmât le poins possible le sillon. On apprit un jour à corriger le battement latéral du bras à l’intérieur du sillon, mouvement inévitable compte tenu de la rotation et du frottement ; on inventa un système qu’on se hâta de désigner sous le nom d’anti-skating. On alla jusqu’à imaginer une petite brosse tournante, disposée au bout d’un bras supplémentaire, qui venait vous débarrasser de toute poussière superfétatoire juste avant que passe le diamant. Incroyable ! Autrefois, pour vérifier la régularité de la vitesse du plateau, on disposait une rondelle de carton pompeusement appelée stroboscope ; elle était pourvue de hachures à intervalles réguliers ; il convenait que, visuellement, elles apparussent comme un cercle pour que la vitesse fût bonne. Bah, c’était bien empirique. Sans mentir, je vois à l’œil nu si vous tournez ou non à la bonne vitesse, rien qu’en regardant votre étiquette centrale que les snobs nomment label. Au fil des années, les progrès de la pétrochimie vous ont rendu de plus en plus léger. Depuis 1970 environ, vous êtes même incassable. Que d’attentions pour une galette noire ! Sur la chaîne de haute-fidélité, vous étiez royal, chouchouté, posé sur un trône. On vous aurait presque envié. Vous étiez monophonique, on vous fit multiphonique. Puis le terme changea : vous fûtes baptisé stéréophonique et l’on créa le fin du fin, la gravure universelle qui permettait la lecture sur tous les appareils. Là, de royal, vous deveniez impérial.

 

Quand le CD est arrivé, dans les toutes premières années 80, on a crié au miracle de la reproduction sonore. Dédaigneux mais un peu inquiet, vous avez résisté jusqu’en 1991, date à laquelle il vous a définitivement supplanté. Votre règne aura duré à peu près quarante ans, depuis que le père Barclay a ramené le brevet des États-Unis et que, petit à petit, vous avez vous-même tué le soixante dix-huit tours alors en vigueur. Vous êtes mort… provisoirement car, malin comme pas deux, vous revenez depuis quelque temps sous forme de tirages limités, de parutions exceptionnelles et, tiens, cela se vend, on dirait… Vous êtes rusé. Et puis, petit à petit, on a commencé à murmurer, puis à dire de plus en plus haut, que, tout compte fait, le son « parfait » du CD, pur de tout craquement, eh bien, mon Dieu, ce n’était pas si bien que ça… Aujourd’hui, à voix basse encore, on va répétant que, ma foi, le son du microsillon était bien meilleur, beaucoup plus chaud. Bien sûr, les craquements… Mais finalement, ce n’était pas très important. On dit des choses comme ça, oh, en douce, bien entendu, pour ne pas passer pour un crétin, mais on le dit, et pas seulement chez les vieillards gâteux de mon espèce…

 

Dans votre version trente-trois tours de trente centimètres de diamètre, vous proposiez, grosso modo, quarante minutes d’écoute et, évidemment, il fallait vous retourner entre-temps. C’est à mon avis la seule chose que le CD ait réellement apporté : ne plus avoir à tourner le disque. La durée d’enregistrement a été considérablement augmentée, c’est bien, mais on s’est aperçu que, décidément, beaucoup d’artistes n’avaient pas suffisamment de choses à dire pour « tenir » le temps d’un CD. C’est amusant. Au vrai, vous avez créé une notion, au travers de votre limitation technique, la notion d’album, mot d’ailleurs impropre. Quarante minutes, à peu près trois quarts d’heure, c’était votre carte de visite, en quelque sorte. Les firmes – on ne disait pas encore les majors – ont fini par tailler dans l’œuvre des artistes des albums (on disait aussi : trente centimètres ou grand microsillon) en écartant tel morceau relégué sur votre petit frère le quarante-cinq tours (dit aussi SP ou EP selon qu’il fût ou non extended playing). Vous étiez devenu un tout et l’on vous présentait lors d’une « rentrée », c’est-à-dire un spectacle parisien doublé d’une tournée en banlieue puis en province. C’est pour cela qu’en 1964, on vous a généralisé, abandonnant à l’assistance publique votre prédécesseur, le vingt-cinq centimètres avec qui vous coexistiez depuis le début ou presque. Pour faire la même chose avec un CD, il fallait sélectionner davantage encore de morceaux et tous n’étaient pas à la hauteur. Chez vous, déjà, il faut bien le dire, il arrivait qu’un bon quart de votre contenu ne fût pas très intéressant.

 

Et puis, il y a la question des pochettes et là, naturellement, vous êtes imbattable, avec vos beaux atours de grandes dimensions qui autorisaient des photographies et des textes, et même, tenez-vous bien, une mise en pages réelle et une typographie lisible. Je sais, je dis « typographie » par abus de langage, c’était de l’offset, ne me reprenez pas sans cesse, c’est énervant. Je sais même des pochettes sur beau papier, avec des livrets intérieurs magnifiques. Le CD, comment lui en vouloir, ne peut pas rivaliser avec vous.

 

Comme je suis un peu tordu, vous le savez d’ailleurs, il m’arrive, au rebours du plus grand nombre, de remplacer des CD par des microsillons. Si, si… Je suis toujours à contre-courant, je ne le fais pas exprès. Je sais bien que l’avenir de la musique (je veux parler, naturellement, de la musique enregistrée) est la dématérialisation. Dans quelques années, il n’y aura plus de disques, d’aucune sorte. Cela ne m’empêchera pas de vous aimer. Nous sommes déjà un vieux couple, que risquons-nous alors ?

À l’amitié

Chère amie,

 

C’est bien le moins que je puisse dire en m’adressant à vous. Je voudrais vous parler, vous dire combien, souvent, vous m’avez déçu. Souvent, oui, très souvent. Et pourtant, cet amour que j’ai pour vous persiste à croire en nos lendemains. Chaque fois, je reçois à bras ouverts l’ami nouveau et, avant lui, le simple espoir de la rencontre neuve. Cette lueur qui perce, ce fil blanc d’aube, lorsque le ciel se déchire, trouant les ténèbres avec une insistance tranquille. Après l’aube, il y a l’aurore, et la couleur. Voilà comment je vous vois. Je ne vous aime que dans la distinction et la finesse. J’ai horreur de saucissonner et de me faire taper sur le ventre. Le côté « Mon ami, moi, à la vie, à la mort », le tatouage du sentiment, très peu pour moi, souffrez que je préfère l’exquise discrétion.

 

Et pourtant, disais-je… Combien de fois m’avez-vous rendu mes lettres, combien m’avez-vous signifié que vous ne désiriez pas renouveler mon bail (car c’est vous, la propriétaire, naturellement). Vous avez été d’une cruauté sans nom, mais aussi sans fard : même pas maquillée, même pas cachée, vous avanciez à visage découvert, dureté en avant, pour frapper, déchirer, démantibuler, disséquer. C’était alors le début d’un temps noir, lourd et froid en même temps. Je savais qu’il faudrait attendre l’aube, mais quand ? Sous nos latitudes, c’est toujours vers les quatre heures du matin qu’il fait le plus froid, en toute saison. C’est l’heure du couteau qui transperce la moelle. Dans ces moments où vous me trahissiez, il était toujours quatre heures du matin, en permanence.

 

Pourquoi vous comportez-vous comme l’amour ? Parce que vous êtes l’amour, cette espèce de fleur malade de sa fragilité en même temps que de sa force. Cette fleur qui s’épanouit et se fane à chaque moment, quoi qu’on fasse. Dans votre carosse, parmi vos laquais, j’étais l’invité d’un moment, comme, en amour, je fus cent fois le passager provisoire, prêt à être débarqué au prochain relais de poste, voire au milieu du chemin. Est-ce parce que vous êtes une dame qu’il faut vous respecter et, surtout, tout admettre, tout accepter ? Vraiment, chère amie, faut-il que je sois fidèle et, dans ma désespérance habituelle, coutumière, plein d’espoir malgré tout, pour continuer à vous célébrer et ne désirer qu’une chose, marcher à vos côtés. Même empierrés, vos chemins m’attirent, ils sentent le châtaignier d’automne.

 

Je vous baise les mains.

lundi, 03 juillet 2006

À un censeur

À cette époque-là, on disait « censeur » à celui qui se nomme désormais proviseur-adjoint. En février 1966, j’avais commis quelque ânerie avec deux camarades de ma classe de 4e. Faire des bêtises n’est pas interdit, ce qui est interdit, c’est bien connu, c’est de se faire prendre. Ce fut le cas de deux d’entre nous. Un surveillant zélé nous emmena chez vous, censeur qui, apprenant les faits, commençâtes, étrange maniérisme assymétrique, par nous donner à chacun trois gifles sur la joue gauche. Elles n’étaient pas fictives, non, pas des gifles de cinéma, mais il se trouve que j’ai la peau dure. Vous avez demandé ensuite la dénonciation du troisième élève, ce que, d’un regard plus qu’assassin, j’interdis immédiatement à mon alter ego, déjà en larmes et prêt à tout lâcher pourvu qu’il n’eût pas d’ennuis. Alors se mit en route la procédure du conseil de discipline. Quinze jours plus tard, deux surveillants venaient me chercher en classe, encadrant ma modeste personne comme celle d’un dangereux criminel et me remettaient à mes parents, à qui la secrétaire du proviseur venait de signifier que j’étais un voyou. Exclusion définitive. Le lendemain matin, j’entrais dans un autre lycée.

 

Où êtes-vous, censeur, aujourd’hui ? Cendres dans quelque cimetière marseillais, sans doute. Vous avez pu mesurer l’inanité de vos baffes, du moins je l’espère pour vous. J’ai oublié votre nom et votre visage, il me semble seulement que vous étiez brun. Dites, quand j’y pense, des claques plus une comparution devant votre tribunal, c’était une double peine, non ? Maintenant, vous n’oseriez plus, ce ne serait plus possible. Et puis, après tout, ces trois gifles, je les avais bien méritées, je le reconnais bien volontiers, mais peut-être eussiez-vous dû, alors, en rester là ? C’était un drôle de temps, n’est-ce pas ? Tout ce bruit pour trois fois rien…

 

Deux ans plus tard, c’était Mai-68. Tout cela, d’un coup, était renvoyé aux archives d’un Moyen-Âge du système scolaire. Et quand je vois ce qui se passe à présent dans les écoles, je ris doucement – et bien jaune – en repensant à vous, oublié, dans votre glaise. Allez, crevez tranquille, continuez.

À un cahier

Ce qui est formidable avec vous, c’est que vous pouvez contenir n’importe quoi, un trésor ou un infâme brouillon. Vous acceptez tout et vous vous taisez. Vous n’êtes vraiment pas regardant. Lorsque vous êtes journal, vous conservez pour mémoire des événements dépassés à l’instant même où on les consigne. Ils ne sont rien mais vous êtes tout, transformé que vous êtes en coffre-fort plein d’une urgence sentimentale. Chez Clairefontaine, on vous a donné depuis longtemps des titres de noblesse : il y a cinquante ans déjà, cette maison annonçait « Couverture lavable », ce qui était une première, la plastification étant alors rarissime ; sous le même blason, on a droit, depuis des décennies, à un papier spécialement traité. Il ne faudrait pas, néanmoins, vous prendre pour ce que vous n’êtes pas : un personnage. Je n’aime pas beaucoup votre air avantageux. Vous vous habillez en petits ou grands carreaux, en lignes, en pages blanches, en alternance de pages quadrillées et de feuilles de dessin, en petit ou grand format, ce dernier divisé en 21 x 29, 7 ou en 24 x 32 centimètres. Vous vous faites le dos à spirale ou bien vous êtes agrafé. À partir d’un certain nombre de pages, vous avez l’échine thermocollée, bref, vous nous présentez la galerie des ancêtres, tous alignés sur les rayonnages du papetier et, de surcroît, vous déclinez quelques coloris épars. Vous en faites un peu trop, à mon sens. Soyez humble, cela ne messied point aux gens de votre espèce. Après tout, vous n’êtes qu’un ramassis de pages et vous contenez souvent des inepties, alors, un peu de silence, je vous prie. Et puis, l’ordinateur a fortement ébranlé votre trône, n’est-ce pas ? D’une pirouette, vous avez rétabli votre équilibre et assujetti l’écriture manuscrite à votre pérennité. Ne vous croyez pas trop malin ; cela pourrait n’avoir qu’un temps. Ce sont là contorsions, jeux d’équilibriste ou travers maniaques de professionnels de la politique. N’allez pas vous mêler à eux, ils sont plus retors que vous et, pour eux, vous n’êtes qu’un outil. Ils se prennent pour l’Olympe quand vous visitez à peine le carrefour Pompadour, sur la route de Créteil. On a les artères qu’on peut et, en parlant d’artères, il se trouve que les vôtres commencent à vieillir, aussi, évitez l’embonpoint, conservez une hygiène et délaissez les dîners en ville. Vous êtes mieux à votre place sur une table de travail, beau peut-être mais surtout utile. La lampe d’étude vous convient plus que la lampe à bronzer. Fuyez les paparazzi qui voudront photographier votre couverture. Contentez-vous d’être un honnête cahier et montrez-vous plus exigeant sur ce que vous serez appelé à contenir. Préférez servir Flaubert plutôt qu’un écrivaillon dans mon genre.

À un cinéaste

Quand je revois vos films pour la quinzième ou vingtième fois, je me rends compte du métier qui était le vôtre et de la solidité de votre œuvre. J’ai beau connaître au détail près chaque image et avoir en tête la quasi-totalité du dialogue, je me laisse prendre, chaque fois, à votre piège artistique. « Vous connaissez mes films mieux que moi », m’avez-vous dit un jour. C’était excessif, évidemment, mais enfin, je les connais un peu, c’est vrai.

 

Je ne vous ai pas rencontré souvent. La première fois, c’était dans ce café situé à cinquante mètres de chez vous. J’étais en avance et je vous guettais. Je vous ai vu arriver, aussi tranquillement que si nous nous connaissions depuis sept siècles, avec cette évidence de la simplicité qui fait les grands. Aucun goût du paraître. Rien. Vous êtes entré et avez regardé autour de vous. Vous ne m’aviez jamais vu. C’est moi qui suis venu vers vous, forcément. Vous étiez étonné de me voir déjà là – je suis toujours en avance ; je n’ai jamais été en retard à un rendez-vous, jamais. Nous avons discuté et j’ai eu, bien sûr, le sentiment de subir un examen de passage, mais ce fut plutôt facile. Je savais mon sujet. Je vous ai demandé si, depuis votre treizième film sorti deux ans plus tôt, vous aviez un projet en préparation : « Il y a eu quelques idées, qui n’ont pas décollé. L’oiseau ne s’est pas envolé », avez-vous répondu, ou à peu près. Et vous avez tenu à payer les consommations.

 

Les deux autres fois, ce fut chez vous. Chez vous, ça ressemblait au décor de vos films. Je n’étais pas dépaysé. « Vous avez l’âge de mon fils » : c’est une des rares paroles un peu personnelles que vous m’avez adressées. D’ailleurs, ce n’était pas tout à fait exact, je suis un peu plus âgé que lui, mais pour vous, cela n’avait pas d’importance. Un dimanche matin, j’arrivai au pied de votre immeuble. Vous étiez là, à m’attendre devant la porte, dans la rue. La porte est fermée le dimanche et vous aviez oublié de m’indiquer le code d’accès. Quand vous vous en êtes rendu compte, vous avez pensé m’appeler, mais c’était trop tard, j’étais en route, alors vous avez décidé de faire le pied de grue devant chez vous. Je ne sais pas beaucoup de gens de votre notoriété qui eussent ainsi procédé. La dernière fois, vous m’avez appelé par mon prénom en me raccompagnant à la porte de votre appartement.

 

Je ne vous ai jamais revu. Il n’y eut pas de quatorzième film. Trois ans plus tard, à peu près, vous êtes mort, au creux de juillet. Je l’ai appris par la presse, à la campagne : de loin, j’ai aperçu à l’éventaire un titre fragmentaire, j’ai compris. Dans mon carnet d’adresses, je ne raye jamais les noms des personnes décédées, c’est un principe. Comme ça, ça fait un peu moins cimetière, enfin, je m’en donne l’illusion. Vous y figurez toujours, avec ce numéro de téléphone qui était certainement sur liste rouge, mais que vous donniez volontiers. Tout à l’heure, je suis passé devant chez vous, volontairement. La porte était ouverte, j’ai regardé l’entrée, je vous ai revu sur le trottoir, qui m’attendiez. J’ai levé les yeux vers vos fenêtres. On fait ce qu’on peut.

À mon style

Je vous écris parce que nous devons, il me semble, nous expliquer une bonne fois pour toutes. Depuis que je vous connais, j’ai eu l’occasion de vous apprécier – c’est une façon de parler – et je pense vous connaître un peu. Plus précisément, je ne vous connais pas. Je m’explique.

 

Je suis en effet curieux de savoir qui vous êtes exactement, car je ne suis pas certain que vous existiez. Je me demande si vous n’êtes pas un pur et simple conglomérat d’influences. C’est un fait : il ne me paraît pas que vous possédiez une grande originalité, et croyez que j’en suis marri. C’est une chose terrible, brutale, de n’admirer que les plus grands stylistes sans être capable de leur arriver à la cheville. C’est frustrant. Je pense toujours à la chanson de Caussimon, dans laquelle il est dit : « On n’est que soi, c’est décevant. » Décevant, oui, très. C’est peu de le dire. Je pense à l’autre, là-bas : « Je veux être Chateaubriand ou rien. » Lui, au moins, il fut Hugo. Vous me voyez, moi, dire : « Je veux être Victor Hugo ou rien » ? On rirait durant un siècle et l’on aurait raison. C’est lamentable.

 

Oh, je sais, il m’arrive d’avoir quelques traits remarquables (je n’ai pas dit : admirables), mais il s’agit de ce que l’on nomme ordinairement des « bonheurs d’écriture », c’est-à-dire pas grand-chose, tout juste quelques lumières ici et là, qui en réalité font ressortir l’ennui du reste. Le bonheur, qu’il soit d’écriture ou d’autre chose, ne dure jamais très longtemps. Je vous en veux de n’être pas majestueux. Je ne suis pas un grand écrivain, je le regrette. C’est un peu comme la basilique Sainte-Geneviève. Depuis que la Révolution en a fait le Panthéon, elle se croit arrivée. Mais arrivée où, voyons ? Tout en haut de la montagne Sainte-Geneviève ? La belle affaire ! Elle domine orgueilleusement la rue Soufflot – ce type, ce n’est jamais que l’architecte du Panthéon – et la bibliothèque Sainte-Geneviève, et la faculté de droit, et la belle église Notre-Dame-du-Mont, et même l’hôtel des Grands-Hommes sur la façade duquel une plaque évoque André Breton. Eh bien, vous n’êtes pas le Panthéon, vous n’êtes même pas la basilique, vous êtes un petit ruisseau incapable de se jeter dans une grande rivière. Quand, en voiture, je passe la Loire, je me dis que vous êtes peu de chose. Lorsque je regarde le Rhône, vous me paraissez un filet d’eau filtrant encore d’une source tarie. Lorsque le mistral s’affale à Marseille après avoir tout balayé sur son passage, je pense à vous et vous imagine comme un frisson de fièvre. Les soirs d’été, enfin, lorsqu’à me briser la nuque, je lève les yeux vers les étoiles et songe une fois de plus à l’infinie petitesse de notre condition, je me dis que vraiment, vous n’avez aucune importance. J’eusse aimé que vous fussiez la Voie lactée, mais vous n’êtes qu’un demi-litre de lait écrémé, oublié à l’épicerie du coin. Je ne bois jamais de lait.

 

Je vous en veux beaucoup. Il faudra que, quelque jour, nous vidions cette querelle. Vous n’êtes même pas capable de dire le ciel violet de certains matins de Provence. Oui, j’ai bien dit : violet, on ne voit ça que là-bas, pas toujours, et vous n’êtes pas à même de le peindre, de le chanter. Vous me désespérez. Je vous ai nourri des plus grands auteurs ; engraissé au concentré de Flaubert ; abreuvé de jus de Montherlant ; je vous ai fait apprendre la musique chez le professeur Verlaine, c’était cher, je devais travailler la nuit pour vous payer des leçons ; je vous ai fait faire des piqûres de vitamine Rimbaud ; manger du Hugo à toutes les sauces, regardez, il y en a encore dans le congélateur ; je vous ai emmené au théâtre de Sartre ; je vous ai fait faire du cheval chez Cervantès ; je vous ai confié à Hemingway pour qu’il vous emmène en Espagne, apprendre l’héroïsme ; j’ai prié La Fontaine de vous enseigner l’irrespect dû aux rois et je l’ai payé grassement pour qu’il compose Les Animaux malades de la peste afin de vous montrer ce qu’on pouvait dire avec les mots de la langue française ; j’ai demandé à Baudelaire en personne de vous faire visiter Paris, « voilé de vapeurs roses » ; je vous ai fait travailler la concordance des temps chez Vailland, pour que vous appreniez à la distordre et à la réinventer. J’en passe. Rien de cela n’a suffi pour vous faire sortir de votre médiocrité. Vous êtes définitivement petit et, les années ayant passé, je n’aurai pas le temps, sur cette terre, de vous tirer encore vers le haut. Je dois me résigner : vous ne serez jamais royal.

 

Allez vous faire voir chez Modiano.

samedi, 01 juillet 2006

À un souvenir

Monsieur,

 

Je ne vous aime pas beaucoup, vous savez. Vous n’êtes pas quelqu’un de bien. Vous êtes toujours cruel, quoi qu’on puisse prétendre.  Je ne sais plus qui disait : « Il n’y a pas de bons souvenirs. » Je crois que c’est Gide mais je n’en suis pas certain. On lui attribue tellement de choses… Dans ce pays, il n’y eut semble-t-il que trois personnes à s’exprimer : Napoléon, Gide et de Gaulle. Chaque fois qu’on cite une parole mémorable, on fait de l’un d’entre eux l’auteur. Il ne faut pas écouter ce que l’on dit. Mais revenons à vous : je ne vous oublie pas, ce qui est normal, me direz-vous, étant donnée votre nature même. Oublier un souvenir serait curieux, mais peut-être pas sot, finalement…

 

Quand vous êtes poignant, vous vous appelez le passé. Lorsque vous voulez bien vous montrer doux, vous êtes un regret. Enfin, lorsqu’on veut vous engueuler, vous vous défilez car vous êtes lâche et vous dites : «  Ce n’est pas moi, c’est la mémoire. Moi, je n’ai rien fait. » Tout ça est très hypocrite, finalement. Vous ne valez pas l’encre que je vous consacre lorsque je vous écris. Vous êtes un moins que rien.

 

Vous avez dans les yeux un reflet mélancolique. Cela ne suffit pas à vous faire accueillir joyeusement. Vous voudriez qu’on vous ouvrît grand les bras alors que vous n’êtes qu’une vrille, vous ne savez faire que des trous dans les cœurs. Je vous trouve bien exigeant. Il faudrait vous dire que vous êtes le bienvenu parce que c’est vous. Je préfère ne pas vous regarder et m’en aller ailleurs voir si d’autres se souviennent d’autre chose. Les souvenirs d’autrui font vieillir moins vite. Quand, d’aventure, ils croisent les nôtres, nous nous trouvons tout bêtes. Nous avons l’impression d’être arrivés à un carrefour qui ne figurait pas sur les cartes de notre sensibilité.

 

J’ai remarqué que vous étiez exclusif. Lorsque vous arrivez, seul ou en foule – car vous êtes d’une famille nombreuse – il faut qu’impérativement, toute pensée cesse pour vous laisser cette place que vous réclamez quand elle ne vous est nullement due. Vous êtes un impérialiste cérébral. Vous ne vous étonnerez pas si, quelque jour, à votre oppression vient à faire face une résistance. C’est ainsi que les choses se passent, d’ordinaire, et il n’est pas d’exemple d’un régime autoritaire qui ait su demeurer plus d’un temps, long, parfois, certes, mais inéluctablement limité. Les luttes de libération finissent toujours par remporter la victoire. Ce jour-là, monsieur, vous serez traduit devant un tribunal révolutionnaire et, à ce moment-là, je ne donnerai pas cher de votre survie. Vous serez alors moins arrogant, et je m’y connais.

 

J’aimerais cependant, car je suis bon camarade, vous épargner un tel destin. Croyez-moi, oubliez votre quête de pouvoir, votre volonté folle de vous imposer à tous et à toute heure. Fuyez vers d’autres horizons, des cieux que le cliché dirait plus cléments. De tous temps, il s’est trouvé des pays pour accueillir les tyrans en exil. Vous irez en Argentine ou je ne sais où – enfin, où vous voudrez. Là-bas, vous vous ferez oublier et quand, au soir de votre vie – les souvenirs meurent aussi, vous savez – une jolie fille viendra vous caresser la joue et fleurir ainsi votre vieillesse, vous aurez une pensée pour votre temps jadis et pour Layani qui vous aura donné un si bon conseil. Un souvenir qui a une pensée, ce n’est pas une image fréquente, c’est un cadeau que je vous fais. Comme l’immense nature, vous aurez alors réussi à faire se côtoyer le myosotis et la pensée. C’est tout le mal que je vous souhaite.

vendredi, 30 juin 2006

À mes insomnies

Cela fait un bon quart de siècle que vous pourrissez mes heures noires, les cassant, les fragmentant, les asséchant. Vous êtes la grimace de la nuit, le programme du désespoir, la télévision de l’épuisement. Vous êtes la sécheresse des matins épuisés quand le réveil sonne, alors qu’enfin, je dors un peu, depuis pas très longtemps. Vous êtes d’étranges danseuses évoluant dans un théâtre où je ne désire pas me trouver, dans lequel on me force à entrer et à m’asseoir aux mauvaises places. J’ai bu aux bagues de vos patiences l’illusion des heures reposées. Au coin de l’œil brillant qui cisèle votre visage, j’ai vu la lune imaginer le serpentin d’une nuit longue et calme.

jeudi, 29 juin 2006

Raffariségolinade

Selon Le Monde du 29 juin, Ségolène Royal a déclaré : « Sans leur histoire, les socialistes ne seraient pas ce qu’ils sont. » Elle se surpasse, vraiment. C’est une véritable raffarinade.

12:10 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (1)

Le voyage de Guédiguian

Je suis allé voir, le jour de sa sortie, le quatorzième film de Robert Guédiguian, Le Voyage en Arménie.

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C’est un très bon film, qui témoigne une fois encore d’une volonté de renouvellement. Lorsque quatorze films se situent dans une perspective de remise en cause artistique en même temps que de fidélité à soi, mon Dieu, cela commence à s’appeler une œuvre, je crois.

 

Ici, s’ajoute un aspect documentaire évident, voire un côté ethnologique. On retrouve aussi le questionnement habituel de l’auteur, qui est un homme d’une lucidité et d’une sincérité peu communes. Questionnement, disais-je, de l’ancien militant communiste passé du rêve de notre jeunesse (Guédiguian a un an de moins que moi, presque au jour près) aux désillusions d’aujourd’hui en passant par la disparition du bloc de l’Est, l’effondrement des certitudes et l’évidence tranquille que, comme il est dit dans un de ses films ou dans un des suppléments accompagnant un DVD, « ce monde n’a jamais eu autant besoin de communisme. » J’en suis évidemment persuadé et qu’on ne vienne pas me faire les procès habituels ni l’historique de ce qui fut durant des décennies la caricature d’un communisme qui reste, évidemment, à inventer.

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Je ne sais pas si l’œuvre de Guédiguian comprendra un jour un chef-d’œuvre, au sens le plus fort du mot. Je n’en suis pas certain. Je suis sûr d’une chose cependant : le cinéaste construit quelque chose de solide et, après un quart de siècle de pratique, il ne fait aucun doute que son métier est ample. La direction d’acteurs est comme toujours très bonne tout en demeurant légère. Je ne sais pas ce qu’elle donnerait en présence de comédiens de haute lignée – encore qu’on ait pu voir ce que fit Bouquet dans le film précédent, Le Promeneur du Champ-de-Mars, film casse-gueule s’il en fut, dont Guédiguian s’est fort bien sorti. Je n’ignore pas ce qu’elle est aujourd’hui, avec l’émouvante Ariane Ascaride – cinquante-deux ans et une silhouette de quarante – et Gérard Meylan, étonnant acteur d’instinct, infirmier de son état, qui est toujours disponible pour venir tourner, durant ses vacances, avec son ami d’enfance Guédiguian.

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Avec ses grands yeux sombres, Ariane Ascaride est ici de tous les plans ou presque. Elle est à l’origine du projet et, pour la première fois, elle participe au scénario. Guédiguian, de père arménien et de mère allemande, s’est peu soucié jusqu’à présent de ses origines, sans en faire mystère néanmoins. En 2000, il est allé en Arménie pour la première fois, invité à une rétrospective de ses films. Il a été le premier surpris par la chaleur de l’accueil qu’on lui a réservé et c’est là qu’il reçut, moralement en tout cas, « commande » de ce Voyage. Il a donc débarqué avec son matériel de tournage et ses comédiens (le pays ne possède pas d’infrastructure cinématographique), et a distribué les nombreux seconds, troisièmes et quatrièmes rôles parmi les comédiens professionnels arméniens. La palette est large et tout le monde est bon. Je signale tout particulièrement Roman Avinian dans le rôle extrêmement plaisant et curieux du chauffeur, et la jeune Chorik Grigorian qui joue Schaké, avec une évidence d’autant plus forte qu’elle est ici à l’écran pour la toute première fois.

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L’Arménie est en vérité le principal personnage du film, avec l’aspect documentaire évoqué plus haut, mais aussi son histoire, sa culture, son peuple, sa nourriture, le poids du soviétisme disparu et celui du capitalisme qui lui a succédé. Rien n’est manichéen, les certitudes ou incertitudes sont battues en brèche et, derrière les crapuleries montrées comme parfois inévitables parce que découlant d’une histoire heurtée, demeure toujours l’espoir. L’espoir humain, l’espoir de l’amour. On pourra rire et je m’en moque, mais c’est ce que les gens comme moi, pour qui la politique n’est jamais loin, appellent la gauche.

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mardi, 27 juin 2006

À la mort

Je ne vous aime pas. Je n’en connais pas beaucoup qui vous aiment, c’est vrai, mais moi, je vous hais copieusement. Je vous hais parce que vous faites cesser la lumière, alors que je suis amoureux de la lumière. Quand il n’y a plus de lumière, il n’y a plus, non plus, de reflets. Je ne peux pas vivre sans reflets.

 

Chez vous, il n’y a pas d’odeurs. Je suis tellement sensible aux odeurs, comment ferais-je pour accepter de venir chez vous ? Au vrai, il y a votre odeur. Lorsqu’on l’a sentie une fois, on ne l’oublie jamais plus. C’est toujours la même. Une odeur fade, fade, persistante et douce, mais terriblement triste (bien sûr, une odeur peut être triste.) C’est bien l’odeur de la mort, aucun doute. C’est votre fragrance, la plus détestable de toutes, un parfum de misère douceâtre et tiède, implacablement définitive. Elle est accompagnée par le bruit des vis qu’on serre définitivement en fermant le cercueil.

 

On vous a trop chantée, trop mise en poèmes. On a fait sur vous trop de littérature. Vous êtes un thème bien trop important à mon goût. Il est temps que cela cesse et qu’on vous déteste sans jamais plus broder autour de ce sentiment. Ce que je fais ici, c’est encore de la littérature, me direz-vous. Pas du tout. Je vous crache dessus. Vous êtes horrible, une truie – et encore, les truies, c’est vivant et ça donne la vie.

 

Et puis, ces métaphores, sans cesse : le dernier repos, le dernier sommeil, toutes ces choses inutiles, ces figures de style d’ailleurs pas très stylées. C’est médiocre, minable. C’est fait pour conjurer des craintes légitimes, qui n’osent se dire et vous peignent alors sous des traits presque artistiques. Bah ! Vous ne valez pas cette peine. Allez, crevez, mais crevez ! Loin de moi, si possible.

 

Franchement, qui est allé vous inventer ? Quelle idée de faire ce métier ! Vous n’avez rien trouvé de mieux ? Même les contractuelles qui passent leur journée à distribuer des contraventions me paraissent, au moins par comparaison, plus utiles que vous. À quoi servez-vous ? Sans parler du fait, vraiment inacceptable celui-là, que vous emportez toujours les gens bien. Vous emportez tout le monde, je le sais. Les uns et les autres. Mais les ordures vivent longtemps et les gens bien sont tués jeunes. C’est indéniable. Ne mentez pas. Pourquoi faites-vous ça ? Parce que vous êtes vieille vous-même, et vieille depuis toujours… Alors, vous êtes jalouse, c’est cela. Et vous fauchez jeunes les gens intelligents et généreux. Vous êtes aussi gracieuse qu’un horodateur. Vous avez les yeux du sérieux, dans lesquels je voudrais, à mon tour, éteindre la lumière.

À elles deux

Vous êtes inséparables. Je vous connais depuis toujours, jumelles, siamoises, épuisées quelquefois mais sans cesse ensemble. Vous êtes identiques, vêtues de cuir noir depuis que je vous ai vues pour la première fois, il y a si longtemps déjà. Maquillées de cuir brun au soleil. Transfigurées de cuir gris, quelquefois, dans les brumes d’hiver. Vous êtes belles, volontaires, décidées. Élégantes.

 

Rien ni personne n’a jamais pu soigner votre manie déambulatoire. Vous allez plus loin, plus loin, en quête de quel ailleurs, de quel nouveau ? Vous n’ignorez pas que ce sera partout pareil, que vous vous emporterez toujours avec vous, qu’importe, vous allez plus loin. Après cette rue, il y en aura d’autres, vous y allez. Après ce quai, il y a la mer, et au-delà Dieu sait quelle autre misère, mais rien ne vous arrête, vous y allez. Ensemble, indéfectiblement.

 

 

Vous avez traîné dans Paris, toutes les deux. Puis vous vous êtes aperçues qu’au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue Saint-Guillaume, on ne croisait plus Apollinaire rentrant chez lui, seulement des étudiants de Sciences-po. À l’à-pic du pigeonnier du poète, un artisan que je ne connais pas portait le même nom que moi. C’est tout ce qui demeurait, là, il y a peu encore, en mémoire de l’écrit – le fantôme d’un auteur et l’homonyme d’un de ses admirateurs. Vous avez observé ça comme le reste et vous avez passé votre chemin, dénoué votre histoire, encore un peu.

 

 

Vous crevez parfois d’une fatigue soudaine, espérant de l’été venu qu’il vous repose et remonte vos mécanismes intimes, mais vous savez très bien que l’été, cet agent double, s’ajoute aux précédents et nous fait vieillir encore. Plus tard, quand vous ne serez plus qu’un souvenir intermittent, que l’idée d’une chanson tue, marquées, ridées, vous marcherez, je le sais, droit encore, imperturbables ou le faisant croire, dans la merde du monde, hautaines, fraternelles, sensuelles, vous moquant décidément des imbéciles portant stylo Montblanc et cheveux sales. Vous ne renierez rien de vos engagements, de vos rires d’antan. Vous ne serez jamais de la race des renégats. Même lorsqu’à bout de souffle, on vous rangera dans une boîte, la même sans doute, couchées tête-bêche, pour l’éternité vous demeurerez conjointes, liées, attachées et détruites, amies et dissoutes, sœurs, encore en robe de cuir, un peu fanée sans doute, mais toujours noire comme un drapeau pirate.

 

 

En attendant, votre détermination se lit en filigrane de votre démarche, vous avez d’irrespectueuses œillades aux terribles reflets. Vous allez dans les manifestations de rues, scandant tous les « Plus jamais ça ! ». Botter le cul des abrutis vous démange toujours quand se pointe la bêtise, à l’horizon doré des soirées d’automne.

 

 

Et puis vous m’avez parlé, certains soirs. De moi, pas de vous. Vous m’avez raconté mes hésitations, mes désespoirs, mes longs élans vers quel univers plus doux, quelles amitiés reniées d’avance. Je lisais sur votre peau, comtesses déchues, les rides de la mienne, vous évoquiez mon espérance et mes oublis, mes refuges et mon allant. Vous étiez ensemble, toutes deux, et vous étiez avec moi, je ne me sentais plus seul avec mon whisky. Devant mon air, vous vous tordiez de rire, alors je regardais mes pieds, ne sachant plus que faire. Vous êtes les seules femmes qui ne m’aient jamais quitté, fidèles comme ce cuir dont vous vous habillez. Vous évoquiez mon maintien voûté et mes travers comme s’ils vous avaient touchées au point de vous flétrir à jamais. C’était peut-être un peu le cas.

 

 

Je sais que vous êtes miennes, toutes deux, l’encre l’est à la plume, noire comme vous. Vous ne me trahirez qu’en expirant et je ferai semblant de vous retrouver en d’autres, ailleurs, semblant de les croire pareilles à vous, semblant d’imaginer leur sentiment attentif.

 

 

Je vais vous caresser à vous faire briller encore des reflets bleus, juvéniles, fiers que, chères chaussures, vous aimez tant.

À une lampe

Je vous ai sur ma table, lampe d’onyx que j’ai achetée à Marseille en 1975. J’ai chez moi neuf lampes, sans parler des suspensions et du lampadaire hallogène. Dans le bout de maison que je loue à la campagne, dans le Lot, je possède onze lampes, sans parler non plus des suspensions et des lampadaires. Je n’ai jamais su ce que représentaient pour moi les lampes. Je m’épargnerai le cliché en n’écrivant pas qu’elles sont de petits soleils domestiques (trop tard, c’est fait). Elles sont un sourire sur un pied.

 

D’ailleurs, on parle de « pied de lampe » pour signifier que vous n’avez pas encore trouvé abat-jour à votre pied. En imprimerie, on parle de « cul-de-lampe », avec des traits d’union. Vous étiez à huile, à pétrole, vous pouvez être à arc ou à souder.

 

Si vous éclairez mes doutes, vous ne me servez pas à grand-chose. Je préfèrerais que vous illuminiez mes passions, si ce n’est trop exiger de votre chaleureuse mansuétude. Quand je pense que des gens vous éteignent pour faire l’amour, je me demande comment ils font pour vivre, sans avoir jamais vu les reliefs et les ombres en mouvement sur la peau d’une femme dans le plaisir, quand s’exhalent ses odeurs. Il y a des personnes, comme ça, qui passent, leur vie durant, à côté de la beauté. Je les plains. Qu’y faire ?

 

L’expression « sous la lampe », qui signifie la veille studieuse, m’amuse beaucoup. Je la trouve belle mais je ne dois pas être le seul, si j’en juge par l’emploi fréquent qui en est fait. Il existe même des librairies qu’on a cru bon de dénommer ainsi.

 

Pour nous, il est désagréable, voire douloureux, d’avoir une ampoule ; pour vous, c’est au contraire quelque chose d’indispensable. La nature est curieuse : les ampoules nous viennent le plus souvent aux pieds ; elles vous montent au contraire à la tête. C’est étonnant, ne trouvez-vous pas ? Nous nous déplaçons avec nos pieds ; chez vous, le pied est ce qui ne bouge pas, autrement, vous tomberiez. Nous ne sommes pas des lumières, le plus souvent ; vous, vous avez toujours la tête lumineuse. Pour que nous puissions marcher, il faut nous libérer de nos entraves ; vous ne marchez, vous, qu’avec un fil à la patte. Finalement, nous sommes très différents.

lundi, 26 juin 2006

À mon sac

Je vous transporte avec moi comme un membre supplémentaire : je ne vous sens pas davantage que je ne sens mon bras. Vous êtes une poche de cuir fin ou, plus exactement, un ensemble de poches. Ce que vous contenez de carnets, d’étuis, de porte ceci ou cela, de papiers, de mouchoirs n’est pas à dire. Subtil et prudent, prévenant, même, vous conservez toujours la place d’un livre. Vous avez donné naissance à des expressions plaisantes : « plus d’un tour dans mon sac », « sac de nœuds », « mise à sac », « un sac d’os » et l’on trouve chez Jarry les célèbres « sac à malices, sac à tripes, sac à graines » qu’emploie le père Ubu. Caussimon en avait fait un dialogue, vous souvenez-vous ? Ubu lui demandait ce qu’il portait dans tous ces sacs, et Caussimon répondait au fur et à mesure : des idées, des viscères, des petits enfants. Il y avait toute une histoire, bien sûr. Je l’ai oubliée. À la fin, Ubu posait la question : « En quel endroit est donc ton âme ? » et le protagoniste avouait l’ignorer, avant de conclure : « Elle est peut-être dans les trois. » Oui, d’accord, c’était mieux fait que ce que j’en rapporte, que voulez-vous ? Je ne suis pas Caussimon. J’aurais aimé le connaître, cet homme de toutes les planches.

 

Vous dites ? Je m’éloigne de mon propos ? C’est vous, mon propos ? Oui, je sais. Vous mettez une certaine indécence à rappeler à tout… propos, eh oui… que c’est de vous que je dois parler. J’ai rarement vu un tel égocentrisme. Vous êtes un sac à nombril. Continuez à bien regarder le vôtre. Vous êtes un rien fier de battre à mon côté et que je vous confie mes secrets, je vois ça d’ici. Écoutez plutôt.

 

Dans les premières années 70, Yves Boisset avait réalisé un film, je ne sais plus son titre (vous voyez, j’oublie bien des choses, à présent, c’est attristant), dans lequel était prononcé le nom du Service d’action civique, cette entreprise de barbouzes qui, officiellement, n’existait pas. On disait : « Le SAC. » Évidemment, la censure, qui n’existait pas davantage que le service en question, était passée par là et un petit sifflement avait été superposé au sigle (on ne parlait pas encore couramment d’acronyme.) Je n’ai certes pas retenu la phrase incriminée, mais l’on entendait « Biiip » au mieu d’entendre « SAC », ce qui faisait rire tout le monde, d’ailleurs. Personne n’était dupe. Bien au contraire, l’attention du public était davantage encore appelée sur le SAC et l’on allait même, quelquefois, assister à la projection uniquement pour entendre « Biiip. » C’était grotesque mais, que voulez-vous, on ne va pas demander à la censure de se montrer intelligente. Il est des impossibilités techniques. Aujourd’hui, longtemps après, pour rire, je ne dis plus « Mon sac », mais « Mon bip. » C’est tout ce qu’ont gagné les barbouzes.