jeudi, 29 juin 2006
Le voyage de Guédiguian
Je suis allé voir, le jour de sa sortie, le quatorzième film de Robert Guédiguian, Le Voyage en Arménie.
C’est un très bon film, qui témoigne une fois encore d’une volonté de renouvellement. Lorsque quatorze films se situent dans une perspective de remise en cause artistique en même temps que de fidélité à soi, mon Dieu, cela commence à s’appeler une œuvre, je crois.
Ici, s’ajoute un aspect documentaire évident, voire un côté ethnologique. On retrouve aussi le questionnement habituel de l’auteur, qui est un homme d’une lucidité et d’une sincérité peu communes. Questionnement, disais-je, de l’ancien militant communiste passé du rêve de notre jeunesse (Guédiguian a un an de moins que moi, presque au jour près) aux désillusions d’aujourd’hui en passant par la disparition du bloc de l’Est, l’effondrement des certitudes et l’évidence tranquille que, comme il est dit dans un de ses films ou dans un des suppléments accompagnant un DVD, « ce monde n’a jamais eu autant besoin de communisme. » J’en suis évidemment persuadé et qu’on ne vienne pas me faire les procès habituels ni l’historique de ce qui fut durant des décennies la caricature d’un communisme qui reste, évidemment, à inventer.
Je ne sais pas si l’œuvre de Guédiguian comprendra un jour un chef-d’œuvre, au sens le plus fort du mot. Je n’en suis pas certain. Je suis sûr d’une chose cependant : le cinéaste construit quelque chose de solide et, après un quart de siècle de pratique, il ne fait aucun doute que son métier est ample. La direction d’acteurs est comme toujours très bonne tout en demeurant légère. Je ne sais pas ce qu’elle donnerait en présence de comédiens de haute lignée – encore qu’on ait pu voir ce que fit Bouquet dans le film précédent, Le Promeneur du Champ-de-Mars, film casse-gueule s’il en fut, dont Guédiguian s’est fort bien sorti. Je n’ignore pas ce qu’elle est aujourd’hui, avec l’émouvante Ariane Ascaride – cinquante-deux ans et une silhouette de quarante – et Gérard Meylan, étonnant acteur d’instinct, infirmier de son état, qui est toujours disponible pour venir tourner, durant ses vacances, avec son ami d’enfance Guédiguian.
Avec ses grands yeux sombres, Ariane Ascaride est ici de tous les plans ou presque. Elle est à l’origine du projet et, pour la première fois, elle participe au scénario. Guédiguian, de père arménien et de mère allemande, s’est peu soucié jusqu’à présent de ses origines, sans en faire mystère néanmoins. En 2000, il est allé en Arménie pour la première fois, invité à une rétrospective de ses films. Il a été le premier surpris par la chaleur de l’accueil qu’on lui a réservé et c’est là qu’il reçut, moralement en tout cas, « commande » de ce Voyage. Il a donc débarqué avec son matériel de tournage et ses comédiens (le pays ne possède pas d’infrastructure cinématographique), et a distribué les nombreux seconds, troisièmes et quatrièmes rôles parmi les comédiens professionnels arméniens. La palette est large et tout le monde est bon. Je signale tout particulièrement Roman Avinian dans le rôle extrêmement plaisant et curieux du chauffeur, et la jeune Chorik Grigorian qui joue Schaké, avec une évidence d’autant plus forte qu’elle est ici à l’écran pour la toute première fois.
L’Arménie est en vérité le principal personnage du film, avec l’aspect documentaire évoqué plus haut, mais aussi son histoire, sa culture, son peuple, sa nourriture, le poids du soviétisme disparu et celui du capitalisme qui lui a succédé. Rien n’est manichéen, les certitudes ou incertitudes sont battues en brèche et, derrière les crapuleries montrées comme parfois inévitables parce que découlant d’une histoire heurtée, demeure toujours l’espoir. L’espoir humain, l’espoir de l’amour. On pourra rire et je m’en moque, mais c’est ce que les gens comme moi, pour qui la politique n’est jamais loin, appellent la gauche.
10:20 Publié dans Fauteuil payant | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
On attire notre attention sur les célébrations en ¨Pologne qui commémorent les manifestations qui avaient eu lieu en 1956 contre l’occupant soviétique et donc contre ce communisme stalinien qui n’était certainement pas à visage humain. C’est très bien et c’est normal. Il ne faut rien oublier de l’histoire. Pas plus la dictature communiste que la dictature hitlérienne ou les camps de la mort.
Ce qui m’embête, c’est le ton employé par les journalistes, ton qui justement nous plonge dans le manichéisme : seule notre société incarne la liberté et la prospérité tandis que le communisme incarne la barbarie. On nous montre en plus des commémorations religieuses (message : la liberté du culte est enfin retrouvée à l’est) alors qu’au nom de la laïcité on se garderait bien de nous montrer cet aspect si une cérémonie semblable se déroulait en France.
C’est oublier tout d’abord que Staline n’est pas le communisme dont les gens avaient rêvé. C’est oublier aussi que le capitalisme sauvage qu’on a implanté dans ces pays ne fait pas que des heureux, même s’il a fait quelques millionnaires. Dans un autre reportage on apprend qu’un salaire de secrétaire est de 300 euros net en Tchéquie et on explique qu’avec de tels salaires le pays est compétitif et rattrape son retard (sous entendu : acceptez vous aussi une diminution de vos rémunérations. Mais alors pour dépasser les Tchèques il faudrait accepter combien ? 250 euros ?)
Pour revenir à la Pologne, je me méfie beaucoup, moi qui suis peu religieux , de ce clergé omniprésent et très conservateur qui semble prendre sa revanche sur les 50 années de communisme d’une manière un peu trop ostentatoire. C’est d’ailleurs l’aile droite catholique dure qui a gagné aux dernières élections. Comme en plus la Pologne, en élève docile, a suivi Bush en Irak dans sa guerre des civilisations, je crois qu’on ‘a pas fini d’en voir. N’oublions pas que le même Bush avait critiqué à l’époque la vieille Europe (la France et l’Allemagne socialiste) et vanté les mérites des nouveaux alliés de l’Est. Forcément : soumis, dociles, ils plongent avec délectation dans le capitalisme, ils représentent un vivier énorme de consommateurs et ils acceptent de travailler pour presque rien (puisqu’ils sont encore pauvres). Et pour ne pas qu’ils oublient la chance qui est la leur on leur rappelle bien, par des commémorations, que l’ère stalinienne n’est pas si éloignée.
Écrit par : Feuilly | jeudi, 29 juin 2006
Toujours lucide Feuilly. Merci de cette teinte jamais criante si ce n'est de vérité.
Écrit par : Martine Layani | jeudi, 29 juin 2006
Entretien avec le réalisateur (29 juin 2006) à écouter sur le site de France-Inter :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-inter01/emissions/grand/
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 30 juin 2006
*Tchat* entre Guédiguian et les lecteurs du Monde et de Télérama :
http://www.telerama.fr/cinema/B060703000981.html
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 juillet 2006
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