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samedi, 02 septembre 2006

Moderato

Que manque-t-il à La Tourneuse de pages pour être un grand film ? De la maturité à Denis Dercourt, son scénariste-réalisateur, peut-être. Ce film qui, dès l’abord, paraît très bon, s’essouffle aux deux tiers du récit. À partir de là, tout est prévisible. Or, c’est lorsque tout devient prévisible qu’on n’accepte plus les quelques invraisemblances du scénario, alors que, jusque là, on faisait bonne figure, les accueillant volontiers (à l’exception de deux scènes « téléphonées » qui font douter du bon réveil du scénariste, ce matin-là.)

 

Ce qui est intéressant, c’est l’ambiguïté de la situation. On ne sait pas précisément à quel moment la jeune Mélanie choisit, pour sa vengeance, de détruire une femme, sa vie, sa carrière, son couple et son fils. On ne sait pas non plus quand, au juste, elle décide d’utiliser pour cela tel ou tel moyen. Parfait. La question de la séduction de la pianiste Ariane Fouchécourt par Mélanie est bien plus délicate. On n’y croit pas beaucoup, voire pas du tout. Et c’est parce que le film s’essouffle qu’on ne peut pas y croire. Le scénario commence à être traité avec une telle force qu’on se demande jusqu’où le malaise installé dès les scènes d’exposition va pouvoir grandir. On attend quelque chose, forcément… qui ne vient pas. On est déçu. Le réalisateur a joué l’exigence dès l’ouverture de son film et je ne peux que l’en féliciter. Il ne tient pas totalement ses promesses : on l’attendra donc au film suivant, et même aux films suivants car il y a promesse d’une œuvre, selon toute vraisemblance.

 

Catherine Frot est excellente. Ce jeu qui est le sien, sans sourire jamais ou presque, avec ce visage aux pommettes hautes et ce corps charpenté, ces épaules et ces bras bien dessinés, elle en a fait une musique. Jouer la fragilité lorsqu’on paraît robuste, c’est du grand art. Et quel talent ! Elle est aussi à son aise et émouvante ici, en robe longue de concert, comme sculptée dans du Saint-Laurent, qu’elle l’était en tenue de fermière dans une étable du Cottentin il y a un demi-siècle, pour le ridicule navet creux Le Passager de l’été.

 

La photographie est volontairement très dure, contrastée. Les contours sont coupants. Au début surtout, où les personnages sont la plupart du temps vêtus de sombre, où ils se détachent sur des parois claires, voire blanches. Au cours du récit, les costumes peuvent s’éclaircir parfois (les teintes bourgeoises, beige, crème, daim, des vêtements d’Ariane Fouchécourt) mais ils durcissent sur des fonds bleus. Puis le noir s’étale de nouveau (entre autres, les tenues de concert) et se heurte à des murs tendus de bleu. Les voitures sont elles-mêmes de couleur foncée. Les regards sombres de la tourneuse Mélanie (Déborah François), perverse à souhait (c’est devenu un lieu commun de la critique d’évoquer Chabrol à propos de ce film), sont durs aussi ; ils s’opposent au déséquilibre retenu du personnage de Catherine Frot, brûlante, qui sait si bien exprimer avec authenticité des sentiments de jeunesse dans un corps de femme mûre. Le dialogue est très réduit, sans mots brillants artificiels bien sûr, sans aucune parole trop haute non plus. C’est certes un poncif du thriller, fût-il psychologique. Tout se déroule d’un regard à un silence, d’une atmosphère malsaine à une légère angoisse. Le réalisateur prend son temps. Il maîtrise la durée : les semaines passent, on le sent, on l’accepte. Le tempo est lent mais il n’y a pas de longueurs. Dercourt a le sens de la mesure. C’est naturel, il est musicien. J’aime bien que le cinéma traite du milieu musical : ce sont deux arts qui s’assemblent parfaitement, lorsque la touche est discrète. Le toucher, pourrait-on dire – et ce serait musicalement évident.

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Il reste à souhaiter que les futurs rôles confiés à Déborah François ne soient pas systématiquement ceux de personnages pervers. On sait le cinéma, surtout français, tellement conformiste ! Il ne serait pas étonnant de la voir jouer soixante-quinze femmes perverses dans les six mois à venir. Ou dans les trente années qui s’ouvrent. Pourvu que son talent, qui est certain, sa présence indéniable, son physique solide, soient à l’avenir traités avec intelligence.  

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