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jeudi, 22 décembre 2005

Ramuz

À l’instigation de Dominique Autié, je découvre Ramuz (1878-1947) à cinquante-trois ans. Il n’est jamais trop tard, dit-on. Il peut être tard, tout simplement. Car rencontrer un écrivain, une langue, une écriture en un temps où l’on ne supporte plus de lire des romans est ennuyeux. Il est vrai qu’il est aussi l’auteur d’essais.

 

Dans Derborence, par conséquent, je ne suis l’anecdote que de très loin mais je succule la langue et me repaîs des tournures et du rythme. On parle beaucoup de Giono mais Ramuz le vaut très largement.

 

L’ennui est que, décidément, je ne puis plus entrer, simplement entrer dans une matière romanesque. Je vois les coutures, la fabrication, j’ai le regard trop expérimenté pour que le cœur se laisse aller, pour que l’esprit soit emporté. Il ne faut voir là nulle outrecuidance, moins encore de prétention. C’est technique. Lorsque je vais au cinéma, c’est la même chose. Je ne vois plus l’image mais l’emplacement de la caméra, les lumières, l’équipe, j’imagine le micro tenu hors-champ, là-haut, prompt à recueillir les propos des acteurs. Je vois les ourlets du scénario.

 

Est-ce donc qu’il est un âge malheureux où l’âme ne s’émerveille plus guère ? Je ne sais pas. En tout cas, lisez Ramuz pour le goût des mots dans la bouche, le rythme de la phrase mené de main de maître ou artistiquement cassé.

 

Charles-Ferdinand Ramuz, Derborence, roman, Grasset, 1936 (rééd. collection Les Cahiers rouges). Illustration : Gilbert Guisan, C. F. Ramuz, collection « Poètes d’aujourd’hui », n° 154, Seghers, 1966.

 

Le Centre de recherches sur les lettres romandes parle de Ramuz.

mercredi, 21 décembre 2005

À vos souhaits

À Paris où l’on est aimable – chacun le sait depuis (au moins) Villon, « il n’est bon bec que de Paris » – on souhaite les meilleures choses à son prochain. C’est, tout au long du jour, un festival de « Bon courage », « Bonne chance », « Bonne journée », « Bon après-midi », « Bonne soirée », « Bon week end », « Bon retour ».

 

Quand l’Éducation nationale me nomma en banlieue parisienne, il y a mille ans au moins, je fus frappé, installant mes pénates, de la quantité de « Bon courage » que se disaient les gens autour de moi. Diable, la vie était-elle donc si difficile en ces lieux, la moindre tâche paraissait-elle si insurmontable à qui devait l’accomplir qu’elle nécessitât de si conséquents encouragements ? Je compris rapidement que le souhait n’avait aucune réalité, relevant la plupart du temps du tic de langage, à tout le moins de la considération routinière.

 

Ce qui continue de m’étonner, c’est le nombre de fois où l’on s’entend dire « Bonne journée ». Peut-être le souhait en question est-il formulé si machinalement qu’on se demande si son auteur prête seulement attention à ce qu’il dit. Par ailleurs, l’accélération grotesque de la vie urbaine conduit à des excès dont on ne relève même pas le ridicule. L’an dernier je crois, j’ai cru mourir d’un grand rire intérieur en entendant préciser : « Bonne fin de journée »… à neuf heures du matin.

 

Le comble est atteint depuis quelques années. La manie technocratique qui consiste à découper la journée en fractions de fractions – manie singulièrement colportée par les malfaiteurs langagiers qui sévissent dans l’audiovisuel : première partie de soirée (en français : prime time), deuxième partie de soirée – s’est répandue partout. J’ai entendu dire : « On verra ça en deuxième partie d’après-midi » sans savoir précisément ce que cela pouvait bien signifier. En fait, c’était après seize heures. S’agissait-il d’une survivance de l’heure, inscrite en notre tréfonds, du goûter ?

 

Dans le même ordre d’idées, on commence maintenant à se souhaiter un bon week end le vendredi matin. Ce n’est pas grave : personne n’y croit.

10:40 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (18)

mardi, 20 décembre 2005

La collection « Passion »

La collection « Passion » que publie Textuel est élégante et très intéressante. Ce sont de grands livres au format 28 x 25, 5 cm, illustrés (environ trois-cent cinquante images par volume) contenant des biographies simples, relativement peu fouillées (pas réellement scientifiques) mais toujours honnêtes – et surtout présentées selon un éclairage particulier, l’auteur mettant l’accent sur des points bien définis, en général annoncés par le sous-titre. Cette optique fait qu’on peut lire ces textes même si l’on connaît très bien le sujet ; on découvrira forcément quelque chose.


 

Une des originalités de cette série est que les illustrations sont de deux sortes : « directes » – en rapport avec le sujet – et  « indirectes » – images d’ambiance recréant un contexte. Le texte renvoie à toutes, systématiquement, si bien que rien n’est gratuit (encore une de mes obsessions : éviter la gratuité du propos).


 

 

 

Une autre particularité : ces livres en noir et blanc paraissent être en couleurs. Rêve visuel à l’explication fort aisée. Les maquettistes, très talentueux, choisissent pour chaque sujet une dominante colorée et une seconde couleur de contrepoint. Ces deux teintes sont utilisées en surimpression de certains documents en noir et blanc, mais pas de tous. Le résultat est que les images sont parfois en noir et blanc, d’autres fois en bichromie (couleur choisie et noir). Les titres sont aussi imprimés dans la dominante. Si bien que le lecteur a vraiment le sentiment de lire un livre… en quadrichromie. Le papier légèrement teinté ajoute aussi, évitant l’indécente blancheur artificielle et usante pour les yeux, à cette impression.

 

Le choix des sujets s’effectue dans plusieurs domaines. Des musiciens (Bach), des personnages historiques (Napoléon, de Gaulle), des artistes (Piaf, Ferré), des poètes (Rimbaud, Baudelaire, Hugo, Apollinaire), des architectes (Le Corbusier), des écrivains (Sartre, Simenon, Colette)… Il est vrai que c’est sans risque mais l’originalité, précisément, tient dans l’optique de l’auteur, comme il a été dit au début.

 

Cependant, tout n’est pas parfait. J’ai attendu longtemps le volume consacré à Apollinaire et, l’ayant feuilleté, je ne l’ai pas acheté, un peu déçu. Les documents d’ambiance ne valent qu’en complément de ceux, plus « directs ». S’agissant d’Apollinaire, je connaissais déjà toutes les images « directes », le reste alors n’avait plus le même intérêt. C’est que l’entreprise a ses limites iconographiques : on ne peut pas inventer des documents qui n’existent pas.

 

J’écris cette note d’autant plus librement que les éditions Textuel m’ont joué, il ya deux ans et demi, un très sale tour, si bien que je ne les porte pas dans mon cœur. J’ai donc un réel plaisir à présenter, avec beaucoup d’indépendance, cette collection. Je le fais sans intérêt personnel aucun, faut-il le préciser ? Malheureusement, ces livres coûtent cher : quarante-neuf euros.

10:25 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (3)

lundi, 19 décembre 2005

La collection « Poètes et chansons »

                                                                Je vous recommande, une fois de plus (et vous savez que je ne fais jamais de prosélytisme, c’est donc sincère et désintéressé),

la collection « Poètes et chansons » que publie EPM. Si tous les enregistrements ne sont pas égaux, c’est cependant une incontestable réussite artistique et didactique.


Ensembles de poèmes chantés par un ou plusieurs interprètes, groupant des enregistrements parfois anciens et d’autres réalisés spécialement pour la collection, disques consacrés à un auteur, d’autres à un groupe, les CD de « Poètes et chansons » (plusieurs dizaines de volumes figurent déjà au catalogue)
sont présentés dans une pochette à trois volets de belle facture.

 

Ils comprennent la plupart du temps un livret contenant les textes eux-mêmes. Une notice intelligemment conçue présente chaque auteur. Viennent de paraître Tristan Corbière et Jean Richepin ; pour suivre, Seghers, Senghor et Le Corbusier. Je rêve d’un Paul Fort (je crois qu’il est prévu mais il y a je pense des problèmes de droits), d’un Breton et d’un Toursky. Chaque disque coûte dix-sept euros.

 

Je les achète systématiquement, même s’il s’agit de poètes que j’aime moins comme Max Jacob, par exemple.

 

 

 

Je pense aujourd’hui que cette collection peut devenir, pour le disque, ce qu’était autrefois, pour le livre, la légendaire série « Poètes d’aujourd’hui » publiée chez Seghers. Ce n’est pas rien. Parmi les titres que jai trouvés très réussis, j’écoute toujours avec plaisir Luc Bérimont.

Puisqu’on doit, paraît-il, offrir des présents en cette saison, faites des cadeaux littéraires et artistiques au contenu indémodable et magnifique. Le catalogue est riche si vous ne l’êtes guère et le dédicataire de votre offrande ne perdra pas son temps.

15:20 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (3)

Décembre

Décembre s’écoule, s’en va, que je n’aime pas. J’aime novembre, pas décembre, à cause des « fêtes » tout d’abord, qui sont une chose sinistre, poisseuse, gluante. Pas à cause de la lumière toujours plus rare, non, d’ailleurs, la proche survenue du solstice d’hiver nous promet le recommencement, l’allongement, l’étirement minute après minute d’une flambée nouvelle. Je n’aime pas décembre qui pourtant m’a vu naître parce que c’est un mois d’attente, quelques semaines mises entre parenthèses – et je n’aime pas l’attente, je n’aime pas ce qui s’étend entre des parenthèses. C’est un mois sans consistance, impalpable, qui échappe des doigts parce que tout en lui est dédié aux « fêtes » ; si l’on veut vivre autre chose, on ne peut pas. Je n’aime pas les lieux qu’on ne peut pas habiter parce qu’ils sont universellement dédiés et qu’il faut faire sienne cette dédicace. Il suffit qu’on veuille m’imposer quelque chose pour que je me rebelle immédiatement. Décembre est un mois sans courage, décembre s’échappe, on ne peut pas le prendre aux épaules et le regarder dans les yeux. Décembre me plairait s’il n’était vendu.

10:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (15)

vendredi, 16 décembre 2005

La « présentification » selon Sartre

Je relance aujourd’hui un débat fréquent en ce lieu, celui de l’écriture et de ses exigences. Après une série d’échanges sur le style, nous étions convenus il y a quelques semaines de nous arrêter sur l’expression « justesse de l’énonciation » (Barthes).

 

On peut ici compléter les conclusions, toutes provisoires, auxquelles nous étions parvenus par ces propos de Sartre définissant la fonction du style comme faisant dire au texte « ce qu’il ne dit pas ou n’a pas à dire ». Le style est « une manière de dire trois ou quatre choses en une », déclare Sartre qui baptise cela « présentification », afin de « viser la signification tout en l’alourdissant de quelque chose qui doit vous donner des présences ».*

 

Ce style-là – je veux dire : cette définition du style et de son rôle – j’y adhère entièrement. C’est celui que j’espère approcher sinon atteindre quelque jour, en travaillant beaucoup et en m’abreuvant d’humilité, car je pense – on reconnaîtra là une de mes obsessions – qu’il est le meilleur moyen de rendre littéraire l’écriture non romanesque.

 

* Jean-Paul Sartre, Situations, IX, Gallimard, 1987. Cité par Bernard Pingaud, « Le Génie de la famille », in catalogue de l’exposition Sartre (ss. dir. Mauricette Berne), Bibliothèque nationale de France et Gallimard, 2005.

Au café du coin, 3

Évidemment, connaissant la modestie du lieu, j’ai hésité à inviter Louis XIV au Campo. Le Roi-Soleil, pourtant, est un homme simple. Il me parle de Mme de Maintenon en avalant un pavé cuit à point et m’entretient des soucis que lui donne La Fontaine. Le poète n’a pas hésité à le moquer publiquement par une fable intitulée Les Animaux malades de la peste. « Je n’ai pas cillé », ajoute Sa Majesté. J’ai souri car j’ai bien vu que Valérie, elle, le faisait ciller en lui apportant, au dessert, un tiramisu aux fruits rouges.

 

Lorsque Richelieu, de son large manteau vêtu, m’a rejoint à ma table, il a produit un certain effet, il faut bien le dire. « Éminence », l’ai-je salué en l’accueillant. Ses bottes étaient poudreuses : il arrivait de loin et ne voulut pas couper son téléphone portable car il attendait des informations politiques. « Vous voyez bien, Jacques, c’est important, je joue ma réputation ». Je l’ai assuré que je le comprenais. En mangeant une cuisse de canard à l’orange et aux navets, il m’a proposé d’entrer à son service, j’ai réservé ma réponse. À ce moment, Valérie tout à son travail, prenant un virage sur les chapeaux de roues, nous désigna du doigt : « Coffee ? » demanda-t-elle, déjà partie vers l’office. « Cette jeune personne est charmante », a estimé le cardinal.

 

Comme il y a beaucoup de monde au Campo, on est un peu serré. Heureusement, Jeanne d’Arc est menue. Je la regarde, en face de moi, grignoter un morceau de pain en mangeant une salade. Cette pauvre fille qu’on s’acharne à représenter blonde sous prétexte qu’elle vient de Lorraine, est brune en réalité. Une fois, elle est arrivée à cheval, ce qui n’a pas beaucoup d’importance, mais il a été difficile de l’installer à une toute petite table : elle était en armure. Je crois bien que, lorsque je déjeune avec Jeanne, Christelle est un peu piquée au vif. Il faudra que je m’en assure.

 

Le général de Gaulle est lui aussi très simple, comme Richelieu, comme Louis XIV, comme l’Empereur, comme tous mes amis qui déjeunent au Campo avec moi lorsque leurs occupations le leur permettent. Quand sa DS noire le dépose boulevard de l’Hôpital et qu’il entre dans l’établissement, Christelle est impressionnée, qu’elle l’avoue ou pas. Spontanément, d’ailleurs, tout le monde se lève et un grand silence s’établit. Cependant, chacun reprend vite ses esprits et son repas. Le général m’entretient ensuite des affaires de la France. Il fait mine d’ignorer mon amitié avec Sartre, l’indéfectible affection qui me lie à Cohn-Bendit, il est au-dessus de ces contingences. « La France libre, Layani ! Il n’y a que ça » me dit-il quelquefois en s’en allant. À son chauffeur, il lance : « Nous rentrons, Marroux. Direction Colombey ». J’ajoute qu’au rebours de Léonard de Vinci, le général paie toujours l’addition.

 

Je prends quelquefois des leçons de grandeur avec Victor Hugo, lorsque ses multiples tâches l’autorisent à déjeuner en ma compagnie d’une brochette accompagnée de tagliatelles. Valérie, qui se permet tout – elle pourrait être sa petite fille, mais j’ai comme l’impression qu’il ne la regarde pas du tout comme telle – l’appelle « Mon Totor chéri », comme le faisait Juliette Drouet. Le poète, grand séducteur devant l’Éternel, ne désapprouve pas. Hugo peut regarder bouger les hanches de Christelle tout en évoquant pour moi sa prochaine œuvre de géant. Je lui demande : « Maître, pourquoi ne sanctionnez-vous pas Chirac de traits vengeurs, altiers, ainsi que vous le fîtes pour Napoléon-le-Petit ? » Hugo me regarde fixement et, au bout d’un temps de silence, me dit : « Je suis trop vieux. Je n’ai plus de temps à perdre avec la misère intellectuelle ».

 

(À suivre)

mercredi, 14 décembre 2005

Quelques chiffres

Pour information :

 

Ce blog vit maintenant depuis un peu plus de trois mois. Il compte 80 notes (celle-ci est la 81e) et 955 commentaires.

 

Entre ceux que j’ai conviés initialement et ceux qui sont venus s’ajouter depuis, trente personnes possèdent le code d’accès, même si peu s’expriment.

16:53 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (2)

L’histoire aujourd’hui

Voici le texte d’une pétition qui circule actuellement parmi les historiens. Qu’en pensez-vous ?

 

 

Émus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l’appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs, nous tenons à rappeler les principes suivants :

 

L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant.

 

L’histoire n’est pas la morale. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique.

 

L’histoire n’est pas l’esclave de l’actualité. L’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les événements d’autrefois la sensibilité d’aujourd’hui.

 

L’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits.

 

L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas.

 

L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un État libre, il n’appartient ni au parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’État, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire.

 

C’est en violation de ces principes que des articles de lois successives, notamment lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005,­ ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites.

 

Nous demandons l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique.

 

Jean-Pierre Azéma, Élisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker, Françoise Chandernagor, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf, Jean-Claude Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock.

 

Voici ce que précise Le Monde du 14 décembre 2005 : « Livrant une liste non exhaustive, ils [les signataires] visent la loi du 23 février 2005 (sur le "rôle positif" de la colonisation), mais aussi les lois du 13 juillet 1990 (dite loi Gayssot, réprimant la négation de crimes contre l’humanité), du 29 janvier 2001 (reconnaissance du génocide arménien) et du 21 mai 2001 (reconnaissance de l’esclavage et de la traite des Noirs comme crimes contre l’humanité). »

07:00 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (96)

mardi, 13 décembre 2005

Un peu d’ordre

Peut-être aurez-vous remarqué que j’ai créé deux nouvelles catégories, dont les liens figurent dans la colonne de gauche. « L’édition », comme son nom l’indique… Et « Cour de récréation » qui regroupe les petites bêtises comme les différents épisodes d’Au café du coin et les jeux du vendredi.

 

Ces classements nouveaux ne rendent pas mes notes plus intéressantes, je vous l’accorde volontiers, mais ils permettent d’éviter le fourre-tout qu’était devenue la catégorie « Humeur » et le bazar né de « Société ».

12:00 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (3)

Un livre de Bernard Grasset

J’ai acheté sur les quais de la rive gauche un volume de Bernard Grasset, La Chose littéraire, publié par Gallimard en 1929. Il s’agit d’un recueil d’articles parus auparavant dans Le Journal.

Outre que Grasset y apparaît tel qu’en lui-même, hautain, arrogant, élitiste, méprisant, péremptoire, misogyne, outre qu’il accumule les affirmations en prétendant démontrer avant de conclure : « Vous voyez bien que » alors qu’on n’a rien vu du tout – il reste une chose qui m’amuse quand elle ne me fait pas grincer des dents, c’est ce que Grasset raconte de l’état de l’édition au moment où il écrit. Nous sommes, je le redis, en 1929, au moment de la crise, dix ans avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale (quand il note : « Avant la guerre », c’est « Avant la Première Guerre mondiale » qu’il faut comprendre).

Eh bien, Grasset brosse alors un tableau que j’avais déjà vu avant de lire son livre. C’est celui qu’on me présente depuis ma toute première tentative éditoriale, en 1971. Les mêmes problèmes, les mêmes mots et la même fâcheuse tendance à lier ces questions à l’époque en ce qu’elle a de soi-disant particulier et d’exceptionnel.

Alors, quand les éditeurs vous parleront de la crise de l’édition et des difficultés inhérentes et du goût du public et des problèmes de stockage et des prétentions financières des auteurs et du coût des stocks et de la course aux prix et patati et patata, si m’en croyez, éclatez de rire. En 1929, Grasset, avec ses excès classiques, ses outrances d’expression, disait déjà tout ça. N’en croyez pas un mot.

07:00 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (2)

lundi, 12 décembre 2005

« Le directeur de Centrale Lyon était un imposteur »

Je reproduis une brève parue dans La Lettre de l’étudiant du 5 décembre 2005.

 

Au lieu de laver son linge sale en famille, le recteur de l’académie de Lyon a choisi de divulguer la vraie raison du départ de Jacques Labeyrie. Directeur de l’école depuis mars dernier, ce dernier avait maquillé son CV : « Normalien », alors qu’il avait fait une école normale d’instituteurs, agrégation de mathématiques non répertoriée, habilitation partielle à diriger une recherche. Le procureur général de Lyon a demandé l’ouverture d’une enquête pour falsification dans le cadre d’un recrutement. Patrick Bourgin, le directeur-adjoint, devrait devenir administrateur provisoire de l’école.

 

Voilà une affaire peu banale. Si j’en fais le sujet de cette note, c’est pour vous demander votre avis. Il y a quelques années, une histoire comme celle-là n’aurait pas été rendue publique. L’imposteur eût été évidemment sanctionné (faux, usage de faux, abus de confiance, falsification, manquement d’un fonctionnaire à ses obligations, tout ce qu’on voudra) mais on ne l’aurait certainement pas dit.

 

Était-il utile de faire savoir, au risque de jeter une fois de plus le discrédit sur la fonction publique en général et l’enseignement en particulier, que de tels agissements avaient eu lieu ? Je ne réponds pas, je ne juge pas, je n’en sais rien.

samedi, 10 décembre 2005

La cour d’appel de Paris bloque la vente de manuscrits d’Emil Cioran, par Clarisse Fabre

Je propose un article paru dans Le Monde du 4 décembre 2005. Il me paraît présenter un point de droit fort intéressant, en même temps qu’une énigme.

 

La vente aux enchères des trente-sept cahiers manuscrits du philosophe Emil Cioran, mort en 1995, n’a pas eu lieu. Prévue vendredi 2 décembre, à 14 heures, à l’Hôtel Drouot, la vente a été suspendue in extremis par une ordonnance de la 14e chambre, section B, de la cour d’appel de Paris, rendue vendredi, à 12 h 30 précises.

 

C’était une « affaire exceptionnelle » pour le commissaire-priseur qui a organisé l’opération, Me Vincent Wapler : les manuscrits en question comprennent cinq versions successives de l’un des ouvrages majeurs de Cioran, De l’inconvénient d’être né (1973) ; des cahiers de notes préparatoires à d’autres livres, Écartèlement (1979) et Aveux et anathèmes (1987) ; enfin, dix-huit cahiers inédits contenant des souvenirs et réflexions de Cioran, de 1972 à 1980 : son obsession de la mort, sa souffrance au quotidien... Ce sont de simples cahiers à spirales « Joseph Gibert », jaunis par le temps. « Kandinsky soutenait que le jaune est la couleur de la vie. C’est bien possible et, dans ce cas, on comprend mieux pourquoi cette couleur fait si mal aux yeux », lit-on sur l’un d’eux.

 

Le plus déroutant, dans cette affaire, est la façon dont ces manuscrits ont été découverts. Il faut revenir dix ans en arrière : quelques semaines avant la mort de Cioran, sa compagne, Simone Boué, dévoilait, dans une lettre datée du 25 février 1995, son « intention » de faire don à la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet de « tous les manuscrits de Cioran en français comme en roumain ayant fait l’objet d’une édition ou inédits ». Le courrier était adressé à la chancellerie des universités, établissement public sous la tutelle du ministère de l’éducation nationale, qui gère la bibliothèque Jacques-Doucet.

 

Une « fouille » de trois jours

 

Cioran meurt en juin 1995 et, le 14 décembre 1995, la chancellerie accuse réception d’une « exceptionnelle donation » réalisée par Mme Boué. Celle-ci meurt en septembre 1997. Le 24 octobre 1997 a lieu l’inventaire notarié de l’appartement qu’occupait le couple, rue de l’Odéon, à Paris. Suit une nouvelle fouille de trois jours réalisée par le directeur de la bibliothèque Jacques-Doucet et « ami » des Cioran, Yves Peyré. Aucun manuscrit n’est mentionné à l’inventaire. En février 1998, le frère de Mme Boué, légataire universel, charge Simone Baulez, brocanteuse, de « débarrasser complètement » l’appartement des « meubles et objets » qui s’y trouvent encore. La dame ne sait alors pas qui est Cioran, dit-elle.

 

Elle récupère, entre autres, un buste en plâtre du philosophe, non signé, son bureau, etc. Elle met de côté une cruche en faïence où il est écrit « Cioran et Simone ». Il y a, surtout, « ces cahiers à spirales éparpillés au sol, dont certains ont les pages arrachées ». « J’ai dû en jeter certains... », avoue-t-elle aujourd’hui. Mais pas tous : elle fait le tri et stocke les meubles d’un côté, les manuscrits de l’autre. « Mon gendre a vu la cruche : tiens, Cioran, c’est un écrivain. Il faut peut-être garder les affaires..., m’a-t-il dit », raconte la brocanteuse. Elle connaît Me Wapler pour avoir effectué dans le passé d’autres successions prestigieuses. « Au printemps 2005, Me Wapler m’annonce qu’il va vendre des écrits de Céline. Je lui réponds : j’ai des manuscrits de Cioran. »

 

Les documents sont aussitôt authentifiés, et leur valeur estimée à environ 150 000 euros ; la vente aux enchères est annoncée dans la Gazette de l’Hôtel Drouot, datée du 11 novembre. Alertée, la chancellerie des universités demande, en référé, l’interdiction de la vente, au motif que Mme Boué a fait une donation de l’oeuvre de Cioran à la bibliothèque Jacques-Doucet, en 1995, et que les trente-sept manuscrits relèvent de son « domaine public mobilier ».

 

Le 30 novembre, le tribunal de grande instance déboute la chancellerie des universités en estimant qu’elle n’a « aucun droit » sur les documents, comme l’a plaidé l’avocat de la brocanteuse, Me Roland Rappaport. Coup de théâtre, le 2 décembre : les juges de référé de la cour d’appel ordonnent, au contraire, le retrait de la vente aux enchères des manuscrits litigieux en vue de prévenir un « dommage imminent », et leur mise sous séquestre. La chancellerie des universités a deux mois pour saisir les juges du fond, faute de quoi l’ordonnance de la cour d’appel sera caduque. Mais il n’est pas exclu que l’affaire soit réglée à l’amiable.

 

Reste une question : comment le directeur de la bibliothèque Jacques-Doucet, qui a fouillé de fond en comble le deux-pièces de Cioran, a-t-il pu laisser passer les manuscrits ? « Ils n’y étaient pas ! Trente-sept manuscrits, ça ne se rate pas ! », a déclaré au Monde M. Peyré. La partie adverse rit sous cape, et maintient sa version : « Si la brocanteuse n’avait pas fait son travail, les manuscrits de Cioran auraient fini à la poubelle », grince son avocat.

07:00 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (10)

vendredi, 09 décembre 2005

Au café du coin, 2

Apollinaire fait une exception pour moi. Il accepte de déjeuner à deux et d’être raisonnable. Je m’explique. Apollinaire est fort gourmand. Un de ses jeux consiste à se rendre au restaurant avec deux amis et à commander toute la carte. Le premier qui craque avant la fin paie l’addition. Jeu que je ne puis jouer, naturellement. Quand nous mangeons ensemble au Campo, donc (j’avais omis de vous dire que le bistrot en question se nomme le Campo), le cher Guillaume se contente d’un repas plus classique. Je prends garde, connaissant sa propension au désespoir amoureux, à ce que Christelle ne lui tape pas trop dans l’œil. Pourtant, en le regardant marcher à mes côtés boulevard de l’Hôpital, je peux lire sur son visage le souvenir du pont Mirabeau et de Marie Laurencin s’éloignant vers Auteuil.

 

J’ai raconté à Ravel, dernièrement, cette histoire vraie. Visitant une nouvelle fois sa maison de Montfort-l’Amaury, je me suis entendu répéter plusieurs fois par la personne chargée du lieu que je ressemblais au maire de la commune. J’eus beau la détromper, elle insista longuement et ne fut pas totalement persuadée par ma réponse. Ravel, ce jour-là, paraissait distrait et négligeait son plat du jour. Ni Christelle ni Valérie ne devaient l’intéresser, je suppose : on ne lui connaît aucune liaison. Peut-être pensait-il à quelque œuvre nouvelle ? Ou bien son horrible tumeur au cerveau…

 

Il m’est encore arrivé de partager mon repas avec Flaubert qui, ce jour-là, en avait contre Sartre. Il tonitruait : « L’idiot de la famille ! Moi ! Non mais… Pour qui se prend-il, ton Sartre ? Ton Popaul ? Comment peux-tu nous compter tous deux parmi tes amis ? » La serveuse qui, je l’ai dit, en pince pour Sartre se retenait à grand peine ; je crus qu’elle allait intervenir. Je risquai (je précise que, si Flaubert me tutoie, je continue de lui donner du « vous », c’est la moindre des choses) : « Vous savez, Gustave, Sartre s’en est pris aussi à Baudelaire ». Mais Flaubert aime Baudelaire et mes propos firent redoubler sa colère. Bref, je devais aller reprendre mon travail et nous sortîmes très vite, non sans qu’il se fût effacé et incliné devant une dame qui entrait à ce moment-là. Je l’interrogeai du regard : « C’est ma chère Emma » me répondit-il avant de remonter le boulevard.

 

Picasso est ennuyé chaque fois qu’il déjeune dans un restaurant. Le patron veut toujours lui offrir son repas et ne manque jamais de solliciter un petit dessin en échange. L’ami Pablo s’exécute fort gentiment. Le patron, alors : « Maître… Vous avez oublié de signer ». Et Picasso, fine mouche : « Je paie mon repas, je n’achète pas le restaurant ». Au Campo, pas de ça. On le connaît. Lorsqu’il lui laisse un chèque, Christelle se contente de ne pas l’encaisser. C’est du pareil au même.

 

 

 

(À suivre)

jeudi, 08 décembre 2005

Leçon d’histoire

« Nous serons indépendants à l’époque où tous les journaux parlent de la liberté de la presse mais sont esclaves de leurs propriétaires, de la pub, d’un parti. Où il y a une crise des journaux : pub à la télé.

 

Nous ne connaîtrons pas cette crise. Nous n’aurons d’argent que celui qui viendra au départ d’une souscription populaire. Nous n’aurons de responsabilité qu’envers le peuple.

 

Cela veut dire : envers les ouvriers, les paysans, les intellectuels et la petite bourgeoisie commerçante.

 

C’est le peuple qui informera.

 

Comment l’entendons-nous ?

 

Le peuple fait l’histoire.

 

C’est auprès de ceux qui font l’histoire que nous nous informons. Nos journalistes jusqu’aux directeurs seront payés comme les OS avec quelques arrangements en cas de famille nombreuse : [illisible] en gros 1000. Ils iront sur les lieux (grèves, etc.), bistrots, etc. Ils n’interrogeront pas les chefs s’il y en a mais les grévistes.

 

Un journal démocrate. Ça veut dire que le peuple y est maître.

 

Pas comme les autres.

 

Il ne sera pas un journal politique (inféodé à un parti). Pas même à un groupe gauchiste. Il y aura des maos. Et il faut reconnaître que les maos l’ont inspiré. Mais il ne servira pas les maos : journalistes professionnels. Et puis Foucault, Gavi et moi : sans partis. D’autres. Les maos eux-mêmes demandent un renforcement des non-maos pour les luttes internes du journal.

 

Divergences.

 

Luttes qu’il ne cachera jamais.

 

Mettre en plein jour.

 

Pas d’investissements et de parts : l’argent vient du peuple. Souscriptions. Abonnements. Donc pas de capitalistes pour infléchir l’orientation du journal.

 

Pas de publicité. Journaux d’information vivent de la pub. Résultat : si un produit est nuisible, ne peuvent le dire. »

 

Pour aujourd’hui, un petite leçon d’histoire et de culture politique. À quoi se rapportent ces notes ? Qui en est l’auteur ? À quelle période furent-elles rédigées ?

14:20 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (15)

mercredi, 07 décembre 2005

Spectacle raté

Nous sommes allés l’autre soir, rue de Nesle, au théâtre de Nesle, assister à une représentation des Années Saint-Germain, spectacle musical joué chaque lundi.

 

Nous avons vu et entendu une femme sans voix chanter (?) quelques chansons sans risque : un Trenet, un Gainsbourg, deux Brel, trois Gréco (dont un Queneau et un Sartre), un Caussimon-Ferré, un Frères Jacques, un Vian, trois Prévert et quelques autres succès attendus. C’était un spectacle très décevant et artistiquement nul. Dans les citations obligatoires de la fin, on nous fit saluer de nos applaudissements la responsable de la mise en scène (pardon : la « mise en espace », novlangue oblige). Cette mise en scène consistait à aller de gauche à droite puis de droite à gauche avec, quelquefois, deux pas vers l’avant-scène et deux pas vers le fond de scène. Autres plaisirs : enfiler un imperméable rouge puis l’enlever, l’enfiler puis l’enlever, l’enfiler puis l’enlever. Enfin, s’asseoir sur un banc ou bien sur une chaise. La « mise en espace », c’était ça.

 

J’ajoute que cette plaisanterie durait une heure dix, mettons quinze avec les applaudissements, ce qui est vraiment, à vingt euros le tabouret de bois vaguement recouvert de feutrine noire usée, se ficher du monde.

 

Naïf comme je sais l’être, je m’attendais à un spectacle exigeant comme j’en ai vu beaucoup, heureusement, mais il y a longtemps, hélas. Je pense à cette grande fresque historique et chantée que j’avais pu apprécier un soir de 1982 à Nanterre. Une histoire de France par les chansons, qui s’arrêtait je crois à l’orée du XXe siècle. La seconde partie du spectacle devait aller jusqu’à nos jours mais ne fut jamais montée faute de subventions alors que la première avait connu un succès considérable. Il ne s’agissait pas d’une accumulation de chansons, d’un « filage » chronologique ; il existait une « mise en perspective », une « problématisation » (ah, ces mots !) et un coryphée, le diable. L’argument de la fresque était en effet que la chanson était une invention du diable et c’était Satan qui en racontait l’histoire, depuis les pont-neufs et les mazarinades. D’où le titre de cet excellent moment : Que diable nous chantez-vous là ?

 

On pourrait en citer d’autres, de ces spectacles musicaux ancrés dans l’histoire, par exemple En revenant de l’expo ou les premiers spectacles du théâtre du Campagnol.

 

Au lieu de cela, nous avons vu à Saint-Germain-des-Prés une façon de revue déstructurée et piteuse, animée par une chanteuse (?) inexistante qui, comme souvent, n’a pas pu résister au désir de conclure par une chanson de sa composition avec incitation du public à taper dans ses mains et descente obligatoire dans la salle. Cette fille n’a rigoureusement rien compris à Saint-Germain-des-Prés, ni à l’art de la présentation scénique qui devrait conduire à préférer l’épure au geste paraphrasant systématiquement le texte, ni à l’histoire de la chanson qui a toujours scandé celle des idées. Elle évoque un Saint-Germain qu’elle n’a pas connu puisqu’elle doit avoir approximativement mon âge et le caricature à l’extrême. C’est une fantaisiste, une Annie Cordy sans notoriété.

 

Heureusement, il y avait deux bons musiciens, dont l’excellent Roland Romanelli qu’on vit jadis en scène avec Barbara. Que venait-il faire là ? Les lumières étaient de Rouveyrollis qui a tendance, semble-t-il, à vendre son nom car elles n’avaient rien d’extraordinaire, c’était une série d’éclairages classiques : des pleins feux, du rouge, du bleu et une « poursuite » classique. Pas de quoi se pâmer.

 

Il n’y a pas tellement de Parisiens ici, juste quelques uns. Pour eux, donc : si vous me faites confiance, n’y allez pas. Surtout, n’accordez aucun crédit à la presse unanimement positive.

 

Un spectacle de Corinne Cousin mis en scène par Dominique Conte, interprété par Corinne Cousin accompagnée par Roland Romanelli et Raoul Duflot.

mardi, 06 décembre 2005

À classer

Durant trois ans, de 2001 à 2004, j’ai classé les archives de l’ancienne université de Paris, celle que 1968 fit exploser et que la loi Edgar-Faure de novembre 1968 transforma en treize universités pluri-disciplinaires. Ces documents remontaient au XIXe siècle et le classement a demandé quelques vingt années, je crois. Je me suis également occupé des archives de l’ancienne école normale supérieure de jeunes filles de Fontenay-aux-Roses, devenue par la suite Fontenay-Saint-Cloud puis ayant émigré à Lyon. J’ai encore trié quelques fonds divers et j’ajoute que j’ai, durant ces trois années, contracté une solide allergie à la poussière de stockage, ce qui, pour un amoureux du (vieux) papier, est cruel. Tout cela se passait au rectorat de Paris, dans les locaux de la Sorbonne. C’était un local de pré-archivage, les cartons, avec leurs répertoires, étant ensuite versés aux archives nationales, plus précisément au centre des archives contemporaines (CAC) de Fontainebleau. Les chercheurs en histoire de l’éducation disposent ainsi de fonds considérables dont l’intérêt est triple : historique, pédagogique et administratif.

 

Cela représente des millions de feuilles de papier, quelques dossiers passionnants, d’autres moins intéressants. Cela représente surtout, et c’est pour cela que j’en parle ici, un usage (en même temps qu’une utilisation) de l’écrit qui laisse rêveur. En effet, une large part de ces documents n’existerait plus aujourd’hui, l’usage du téléphone et, par la suite, d’internet ayant réduit considérablement la production d’écrits. Au moins sur ce plan : tout ce qui se règle par téléphone, par exemple, ne laisse plus de traces ; plus de lettres demandant un rendez-vous, de réponses l’accordant, plus de correspondance du type : « Pense à prendre ton parapluie car il pourrait pleuvoir » (j’exagère à dessein). Tout ce qui se traite par courrier électronique ne figurera plus désormais dans les archives, sauf à imprimer le moindre message, ce qui n’aurait pas de sens.

 

Les dossiers d’aujourd’hui, archives de demain, seront plus légers mais je me demande ce que trouveront les chercheurs. Il ne seront plus encombrés de lettres sans intérêt autre que leur charme désuet, mais ils auront devant eux des dossiers pratiquement vides. De plus en plus de choses se traitent numériquement et ne sont pas toujours conservées dans des disquettes ou dans des CD. Il y a toujours, dans l’administration de l’Éducation nationale, beaucoup de papier, certes, mais tout de même moins qu’autrefois, vraiment beaucoup moins. Surtout – est-ce une habitude, contractée, de l’éphémère ? – on ne le conserve plus systématiquement, comme on le faisait. Il ne viendrait plus à l’idée de personne, à présent, d’archiver pour l’éternité, notre dérisoire éternité, un dos d’enveloppe sur lequel on peut lire : « À classer ».

07:00 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (8)

lundi, 05 décembre 2005

Une constatation

On m’a souvent dit que ce blog était difficile, d’un niveau élevé, ce qui m’a toujours étonné. Je n’ai pas du tout cette impression. J’avais parlé de cela le 14 octobre dernier, dans une note (Quelque chose m’échappe) qui s’achevait ainsi : « Il y a ici, dans la mesure où j’ai pu avoir connaissance du métier de chacun, des professeurs de toutes disciplines (pas seulement de lettres), des éditeurs, des étudiants, d’anciens libraires, des philologues, des littéraires en général, des cinéphiles. Beaucoup de participants se piquent d’écrire. Et ce sont ceux-là qui me disent à moi, presque entièrement autodidacte, qu’il est ardu de se promener rue Franklin ? Par exemple ! Quelque chose m’échappe. »

 

Lorsque je regarde ce qui s’est produit les trois vendredis précédents, je m’amuse beaucoup. J’ai publié ces jours-là : un petit jeu portant sur des pseudonymes d’auteurs (Au royaume des pseudonymes) ; un autre jeu consacré aux métaphores « canines » existant dans la langue (Un chien vaut mieux que deux tu l’auras) ; un récit sans importance, particulièrement fantaisiste et pas réellement écrit (Au café du coin).

 

Ces trois notes n’étaient pas difficiles à lire, à comprendre, à commenter. Or, ce sont ces trois billets qui ont le moins intéressé les participants. Je m’en réjouis beaucoup, mais je ne comprends pas très bien.

10:05 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (12)

vendredi, 02 décembre 2005

Au café du coin

Comme tout le monde, je déjeune quelquefois avec des amis. Je dispose de peu de temps lors de la pause méridienne – ah, cette expression technocratique ! – et nous nous rendons par conséquent dans un petit café du boulevard de l’Hôpital, non loin de l’endroit où je travaille. C’est un établissement où l’on mange plutôt bien, pour peu d’argent ; qui plus est, la serveuse est aimable et la patronne jolie.

 

L’autre jour, Léonard de Vinci est venu partager avec moi un travers de porc arrosé de merlot. Il louchait un peu sur la serveuse et m’a fait confidence, le vin sans doute ayant produit quelque effet, de la forte impression que lui faisait ce qu’il nomma son « tambourin ». J’étais ennuyé car j’avais espéré de Vinci un propos plus élevé, mais demeurait en moi l’espoir de voir naître bientôt une nouvelle Joconde. Il faut ce qu’il faut. Léonard, cependant, a le don de se déclarer en retard et obligé de partir au moment de régler l’addition. Je m’y suis fait, il est si charmant le reste du temps.

 

J’ai coutume d’inviter Einstein, également. Si je passe sur le fait qu’invariablement, il salit sa moustache, je ne suis pas mécontent de pénétrer dans le restaurant en sa compagnie. Même sans merlot, l’effet est garanti. Il faut dire qu’il a de l’allure et que son visage attire la sympathie. Enfin, l’autre jour, je n’étais pas très tranquille, à le voir griffonner des formules de physique et de mathématiques sur la nappe en papier (avec lui, on ne sait jamais ce qui peut advenir), s’absorbant de plus en plus dans ses pensées tandis que Christelle – la taulière – lui demandait s’il désirait un café : « Et pour monsieur Albert ? », s’impatientait-elle, le pied nerveux tapant du talon.

 

L’autre jour, déjeunant avec l’Empereur, j’ai commis une bévue. J’avais purement et simplement oublié l’anniversaire d’Austerlitz. Napoléon en fut attristé et son humeur s’assombrit encore lorsque la serveuse lui déclara qu’elle n’avait plus de mousse au café, son dessert préféré. Il devait se dire que ce n’était pas son jour. « Sire, ai-je tenté, peut-être qu’une île flottante… » La gaffe ! L’Empereur ne supporte plus les allusions aux îles. Il crut que je me moquais… Il est parti furieux. Devant le café, Las Cases l’attendait, qui lui ouvrit, l’air digne, la portière arrière de sa Mercédès noire puis s’installa au volant.

 

Christelle a compris qu’elle ne devait rien proposer à Beethoven, puisqu’il n’entend pas. Elle dépose donc l’ardoise sur la table, sous son regard. Il choisit et clame le nom du plat, très fort. Christelle n’a pas besoin de noter la commande, le cuisinier l’entend depuis ses fourneaux : « Et une raie, une ! » Impossible, toutefois, d’obtenir du serveur, au bar, qu’il ne salue pas mon ami, lorsqu’il entre, d’un très machinal « M’sieur Ludwig ».

 

 

J’hésite, chaque fois que Verlaine me téléphone, à l’accepter comme commensal. Il est trop vite ivre, c’est ennuyeux, surtout pour ma réputation, l’ensemble des clients de l’endroit provenant de l’antenne de l’université implantée sur le trottoir d’en face ou de la grande école qui m’emploie. J’ai même coutume de dire « L’annexe » en parlant du restaurant. Mais quoi ! La conversation de Lélian est passionnante et, chaque fois, le bougre m’émeut considérablement. Il ne s’est jamais remis du départ de Mathilde, de ne plus tellement voir son fils Georges, de l’abandon de Rimbaud : la dernière fois qu’il l’a croisé, à Stuttgart, l’Ardennais l’a roué de coups, l’ingrat, le laissant pour mort sur le bord du chemin. Le décès de Lucien Létinois a ensuite abattu le pauvre Verlaine. Alors, mon Dieu, je le laisse boire plus que de raison.

 

Je soupçonne la serveuse d’avoir un faible pour Sartre. Sait-elle qu’il est déjà couvert de femmes ? Il faut dire qu’il est extrêmement généreux et laisse en pourboire l’équivalent du prix du repas. Il me confie : « Robert Gallimard trouve toujours que j’exagère. Il me dit que c’est trop. Mais pourquoi ? » Entre nous, je ne suis pas certain que Sartre trouve très correct le « Popaul » que lui donne Christelle, lorsqu’elle l’accueille. Il sourit à moitié lorsqu’elle se permet cette familiarité mais c’est dans la moitié manquante que je sens son désaccord. Comme il est très gentil, il ne dit rien. Tout en mangeant, il lit un ouvrage au titre compliqué. Il ne perd pas un mot de notre conversation. Au dessert, il la résume puis me parle en détail de l’ouvrage qu’il vient de lire. Bref, c’est Sartre. Une intelligence rare. Oui… Il boit trop, lui aussi.

 

À suivre

Assez

S’il est une expression qui me répugne, c’est bien celle-ci. Elle me rend malade et pourtant, elle est de plus en plus employée, même à tort et à travers.

 

Comme un roman.

 

La correspondance de Truc se lit comme un roman. Ce traité se lit comme un roman. C’est insupportable et dévalorisant, à la fois pour le roman dont on laisse supposer qu’il se lit facilement (et je ne demande pas à un livre de se lire facilement ; je n’attends pas de lui qu’il soit nécessairement abscons, certes, mais je ne veux pas qu’il se lise facilement) ; mais aussi pour l’autre livre, celui qu’on compare à un roman, en laissant entendre qu’il se lira facilement (ah, cette sainte horreur que j’ai de la facilité) et qu’ainsi, le lecteur ne se fatiguera pas. Pauvre lecteur, qu’il faut chouchouter, assurer sans cesse qu’il n’aura pas trop d’efforts à faire. C’est lamentablement honteux, honteusement lamentable.

 

Je n’aime pas, je déteste, je hais, j’exècre, j’abhorre cette expression.

 

Et puis, il est des romans qui ne se lisent pas comme un roman. Ils demeurent exigeants et ne s’avalent pas. Qui les écrivit ? Oh, des gens sans importance, des auteurs de trois fois rien, Vailland, Mauriac, Hugo, Gary, Hemingway, Flaubert... De ceux-là, je veux bien lire des romans. Ou bien, si j’en crois l’ami Dominique Autié qui nous parle de lui, et pourquoi ne le croirais-je pas ?, Ramuz.

 

Autrefois, on disait « comme le journal ». Oh, ça se lit comme on lit le journal, ça. C’était dévalorisant pour les journaux, mais les journaux méritent d’être dévalorisés, ils n’étaient déjà pas très bons et ils sont tous devenus très mauvais, il faut bien le dire. Seulement voilà, aujourd’hui, on respecte la presse (alors qu’elle est nulle), on la craint, on n’ose plus dire du mal des journalistes, on les admire nécessairement. Alors, on dit « comme un roman ».

 

Je n’aime plus beaucoup les romans, on le sait. Nous en avons parlé ici. Mais si on les associe à la facilité – et, pourquoi pas, à la détente, à la distraction, au loisir, trois mots hideux – alors, c’est la fin.

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mercredi, 30 novembre 2005

Aillant, par Martine Layani-Le Coz

J’ai touché de ma main le temps qui s’écoule. Le bruit des pas sur les petits cailloux s’associe au vol discret des insectes. Je sais que je m’accroche à ces chants parce qu’ils m’arrachent au présent. Cette sérénité trompeuse pousse à l’inertie. Mes cheveux sont des herbes, mes yeux des pétales qui se ferment la nuit. Le souvenir d’une enfant qui courait au soleil se distille lentement. Mon regard s’arrête aux dessins des assiettes, retenant ma mémoire aux pointes des grilles bleues, ouvragées comme autant d’étés passés.

 

Il y avait le trot éclatant des chevaux sous les charrettes grinçantes, le braiment d’un âne ouvrant la matinée, l’odeur mélangée de l’herbe et du lait. Sans autre souci que leur perception, notre enfance s’allongeait jusqu’à la nuit tombée. Comblés nous étions, ô combien plus que ces charmants bambins que console accessoirement la richesse. Ici mieux qu’ailleurs, s’approche-t-on de soi-même. Le silence y résonne de voix familières, tant de rires, de joies, de colères enfantines ; la découverte de nos secrets de polichinelle valait bien le marc de café.

 

Et voici que les roses ont remplacé les lys ; le ciment a pris la place des briques. Une grille noire succède à la grille verte et la sonnette à la clochette qui s’est tue. Il ne passe plus devant la maison que des autos, des camions, incongrus dans ce qui reste un village pour nos souvenirs. J’ai peur qu’un été, nous n’y voyions plus de papillons. Chaque brique rouge avait gardé sur les hivers un œil ouvert. Les nuages peuvent se succéder devant le ciel bleu, les arbres peuvent tendre leurs branches vers ces voyageurs lointains, quelque chose en eux s’évanouit déjà. Leur substance, de même que la nôtre, n’est pas faite pour la durée. La pierre vit à un autre rythme, d’autres vies nous regardent passer avec envie, sans comprendre. Connaître sa juste place est le parti-pris du bonheur. Derrière les gestes de la vie, nous cherchons notre position, et plus notre conscience s’ouvre à la taille de l’environnement, plus il devient difficile de cerner notre creuset.

 

Il est bien loin le temps où les fils électriques étaient si peu tendus qu’au travers des chemins, les hirondelles sautaient à la corde. On passait nos vacances, avec un peu de chance tout l’été, chez des oncles ou des grands-parents. En fin d’après-midi, quand le soleil chauffe un peu moins fort, les chevaux revenaient des champs. Les charrettes débordantes qu’ils tiraient en peinant du haut en bas et puis retour, par les raidillons, encouragés de force hue et dia, portaient jusqu’à la cour de notre maison leur odeur fauve et salée. Sitôt les premiers grincements de moyeux entendus, nous courions jusqu’à la grille et demandions la permission de sortir pour admirer ces bêtes courageuses. Nos héros à crins jaunes ou marron hennissaient en passant et déposaient parfois un crottin chaud devant nos regards attentifs. Le jardin avait besoin d’engrais. On prévenait le grand-père qui allait, à la suite des croupes ondulantes, récolter avec promptitude ces boules précieuses. Nous tenions, en procession, la pelle et la binette, et lui, poussant la brouette, souriait sous sa casquette.

 

Arrivés au jardin, la tête encore perdue dans les chemins qui longent les champs, nous restions sous les arbres fruitiers ou dans les allées, seuls accès autorisés à nos pieds maladroits. Nos joues se coloraient de soleil au-dehors et de cerise au-dedans. Les groseilles qu’on croquait à même l’arbuste envahi de toiles d’araignées, étaient à notre portée. Quand le travail se prolongeait et que les vaches appelées au secours de notre oisiveté devaient rentrer, nous savions qu’il nous faudrait, à notre tour, regagner la cour et la maison.

 

Grand-mère rinçait alors la laitière blanche au liseré bleu et nous la confiait avec un peu de monnaie. C’était une responsabilité. Les produits de la nature nous semblaient sacrés. Tout était sérieux, même si rien n’était grave.

 

Le monde n’est plus qu’envie. Trouver la vie bonne, une espèce de farce ou la trouver dure, ainsi que le pain de la veille, nous ne la cherchions pas, c’est elle qui nous débusque. Nous avions des mots pour nous battre, des mots pour nous plaindre, des mots pour le plaisir, bien à nous, presque intimes. Insouciants ? Mais bien sûr ! Aujourd’hui, il faut être « ouverts », bienveillants et énergiques. Hors de ces qualités, point de salut. À présent que la guerre est partout, répandue comme un cancer, l’énergie n’est plus dans une bataille. La politique non plus n’est plus une arme, elle ne nous sert que d’alibi. Le combat est toujours ailleurs, toujours plus urgent, plus juste, les réveils ont sonné si tard. Le bon moment, la bonne place, la crédibilité des professionnels, toutes ces tâches, tous ces loisirs, tout cet ennui… Nous voici au temps où l’humain se doit de mûrir plus vite que le blé qu’il sème.

 

Juin 1991

21:10 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (3)

mardi, 29 novembre 2005

Une opinion de Pierre Magnan

Je relaie une note de l’écrivain Pierre Magnan, publiée sur son site (http://www.lemda.com.fr/) dans la « Rubrique de l'indigné permanent ». C'est une belle leçon de liberté émanant d’un homme né en 1922.

 

Il est grand dommage que le dernier numéro des dossiers du Canard enchaîné intitulé « Comment les hypers gagnent » paru au début octobre 2005, ne soit pas lu par les soixante millions de consommateurs car ils y apprendraient des choses succulentes. Entre autres et par exemple, la technique du « remballe » qui consiste à changer les emballages des produits en fin de course pour les remettre en vente après avoir modifié la DLC (date limite de consommation). Ceci est légitime aux yeux de certains commerçants avisés mais ce qui l’est moins c’est que le « remballe » n’est pas un délit en soi. Aucune réglementation nous dit le Canard n’impose de norme stricte au commerçant pour établir le délai de consommation de la viande.

 

D’autres coups fourrés tout aussi défrisants (et tout aussi dragueurs de gastro-entérites qui drainent les patients vers la sécurité sociale en déficit) sont dénoncés au cas par cas dans cet album qui ne manque pas de nous faire rire jaune.

 

Néanmoins le Canard attaque les supers et les hypers, ce qui est louable mais il omet de dénoncer l’illettrisme dans ce domaine, du consommateur de base. Il n’y a pas d’alphabétisation contre les nouveaux morticoles, ceux que J.-J.Gauthier appelait naguère « les assassins d’eau douce ».

 

On apprend depuis longtemps aux ménagères à balancer leur sac à main bien lesté sur les loubards qui en veulent à leur portefeuille mais pas à aller entarter le directeur de supermarché ce qui rendrait la profession beaucoup moins glorieuse ! Même si c’est sur ordre verbal de ces patrons qu’il vient de leur refiler un sachet de surgelés dont la chaîne du froid a subi trois ou quatre ruptures avant d’arriver au consommateur.

 

Comment faire ? Par les horaires de tous savamment calculés pour, en toutes choses, laisser le moins de temps possible à la maturation du discernement, laquelle a besoin de temps ; l’assommoir des sonos tonitruantes qui abrutissent et désorientent, tout est fait pour nous pousser pieds et poings liés vers les caisses enregistreuses avec des caddys surpondérés (comme dit la Bourse) par des packs qui vous obligent à prendre quatre articles à la fois alors qu’un seul suffirait ; par des emballages aux couleurs attrayantes mais vides au tiers parce qu’un emballage volumineux (c’est calculé par ordinateur) est plus tentant qu’un minable petit kilo strictement serré par un carton dans ses limites naturelles. (Nos poubelles pléthoriques sont pleines d’un vide qu’on néglige de compresser !)

 

Comment faire ? Comme toujours ce combat sera une longue patience. Il faut créer dans les écoles un espace de temps pour enseigner dès le plus jeune âge à résister à la publicité sous toutes ses formes ; enseigner le mécanisme par lequel on conditionne le consommateur à acheter deux fois plus que ce dont il a besoin. Il faut enseigner à l’école avec obstination qu’égaler son prochain en étalant comme lui la même paire de chaussures, le même blouson, la même casquette, le même cartable, les mêmes rollers perfectionnés et peints en jaune, n’est pas une originalité mais une imitation servile.

 

Je suis bien tranquille : une petite minorité seule se dégagera pour profiter de cet enseignement mais ceux-là seuls seront demain maîtres de leur destinée, les autres seront des esclaves. C’est ainsi que je me suis enseigné et renseigné dès mon plus jeune âge. S’il suffisait que ces lignes soient captées et entendues par un seul individu, ce serait déjà une victoire insigne.

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lundi, 28 novembre 2005

La boue et la grâce, 2

Les droits du Journal de Goebbels seront donc versés à la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Soit.

 

Précisons ici ce qu’on entend habituellement par « droits ». N’allez surtout pas imaginer que l’éditeur de cette cochonnerie ne touchera rien. Les bénéfices de l’éditeur, s’il y en a, et il y en aura, ne sont pas considérés comme des droits. De quels droits s’agit-il alors ? Certainement pas de ceux des traducteurs. On ne voit pas pourquoi les trois traducteurs professionnels, Dominique Viollet, Gaël Cheptou et Eric Paunowitsch, ne serait pas payés pour leur travail, un travail d’ailleurs considérable. Grands dieux, pourquoi ont-ils accepté une telle commande ? Si j’étais traducteur, je refuserais tout net ce genre de besogne.

 

Les droits de Pierre Ayçoberry, qui a établi et annoté le texte français ? Sûrement pas.

 

Alors, les droits de qui ? Les droits d’auteur. Il n’y en a pas d’autres. Or, l’auteur est mort. S’il avait pu mourir beaucoup plus tôt, d’ailleurs, c’eût été encore mieux. Il faut donc chercher du côté des ayants-droit. Qui est l’héritier de Goebbels ? Un banquier suisse. François Genoud est l’héritier de Goebbels et d’autres dirigeants nazis, si j’en crois Le Point du 24 novembre 2005. Ce serait donc ce monsieur qui, très large, n’est-ce pas, très généreux, donnerait ses droits. Quelle hypocrisie. Comme je suis infiniment naïf, j’aurais pensé, a priori, que l’héritier de Goebbels se serait fait tout petit, aurait bien pris soin de cacher une telle ascendance ou, s’il n’a pas avec le fou de liens de famille, une telle relation, et n’aurait en aucun cas autorisé la publication des ordures du malade.

 

Au lieu de cela, ce type s’en sort avec les honneurs, passe pour généreux et pour racheter l’horreur.

 

Oui, je suis très naïf.

10:30 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (19)

samedi, 26 novembre 2005

La boue et la grâce

Les éditions Tallandier publient le premier tome du Journal de Goebbels. Ce volume sera suivi de trois autres.

 

Je suis tombé hier sur ce livre, qui m’a fait me poser mille questions.

 

Il est précisé que les droits correspondants seront versés à la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Je crains qu’il ne s’agisse d’un effet pur et simple. Les sommes, sans doute, ne seront pas significatives et la Fondation ne sera guère avancée dans son action. Au rebours, le mal que pourront faire de telles « idées » sera forcément plus important. Je demande : qu’est-ce que publier les délires de Goebbels dans un pays où Mein Kampf est interdit ? Où veut-on en venir ? Le nazisme est le mal absolu – il s’est bien appliqué à le prouver, me semble-t-il – et les journaliers de Goebbels ne peuvent pas, à mon avis, être considérés ainsi qu’un document historique comme un autre. Le nazisme n’est pas anodin. Une édition scientifique de ces saloperies n’est pas une édition scientifique comme une autre. On peut, même si l’on déteste Napoléon, lire sa correspondance ou le Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases sans risque majeur pour l’avenir de l’humanité. On ne peut pas lire l’hystérie nazie sans risque, même si l’on est cuirassé, blindé, bétonné.

 

Car il faut dire une chose.

 

Nous en arrivons au point de la responsabilité éditoriale. Je m’explique. J’ai tenu dans mes mains cet ouvrage. C’est un livre magnifique. D’un format légèrement supérieur à la moyenne des publications, d’une épaisseur en parfait accord avec ses dimensions, il possède par conséquent une main merveilleuse. C’est terrible : ce livre est sensuel. C’est affreux. Il est extrêmement bien présenté, très bien imprimé, avec des marges agréables, bref, il est presque parfait en tant qu’objet. C’est même un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné de voir depuis fort longtemps : le danger est immense. Il est rendu plus grand encore par le portrait du sinistre bonhomme qui figure en couverture. Un portrait était-il nécessaire ? Une couverture typographique n’eût-elle pas suffi ? Le portrait en question étant de grande qualité, le diariste risque de paraître séduisant.

 

Vous savez que l’édition est un de mes dadas. J’étudie les problèmes du livre depuis trente ans au moins et je pense connaître l’effet que peuvent avoir les livres sur le public, avant même d’être lus. Celui-ci est trop beau pour le poison qu’il contient. L’abjection n’a pas besoin d’être fleurie. La boue ne doit pas être ornée des rubans de la grâce. C’est bien trop risqué. Cela ne s’arrête pas là. En quatrième de couverture, une photographie en couleurs montre Goebbels aux côtés d’Adolf Hitler. Les deux hommes rient. Une image en couleurs des premières années 40, ce n’est pas fréquent et donc d’autant plus attirant pour l’esprit, la curiosité. Toujours en quatrième de couverture, figurent quelques mots de l’auteur du Journal, disant en substance que, parfois, Hitler lui demandait de rester avec lui parce qu’il avait beaucoup de choses à lui dire et que sa présence le rassurait ; le fou malade explique qu’il se sentait très honoré de cela. C’était exactement le genre de propos qu’il ne fallait pas reproduire : ils induisent un Hitler proche, affectueux, demandant à être rassuré (!).

 

Je résume : un texte dangereux et puant est édité dans une superbe présentation avec une couverture attirante. Il paraît un mois avant Noël. J’ajoute que, pour 766 pages de texte, ce volume ne coûte que 35 euros. C’est inadmissible. À titre de comparaison, le tome premier de la Correspondance générale de Verlaine (1857-1885) proposé cette année par Fayard dans l’édition de Michael Pakenham, coûtait 45 euros. C’était cher, j’avais abordé ce sujet dans un article de mon ancien blog. Toujours par comparaison, Le Corbusier, la planète comme chantier de Jean-Louis Cohen paru chez Textuel dans la collection « Passion » (191 pages très illustrées) est vendu 49 euros. C’est cher aussi. Verlaine et Le Corbusier me paraissent pourtant avoir été plus utiles à l’humanité que le pitre infâme Goebbels. Autrement dit, la monstruosité, l’ignoble, la honte de l’histoire ont droit à un prix raisonnable. Je ne sais pas à quoi l’on joue mais je sais que c’est avec le feu.

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vendredi, 25 novembre 2005

Un chien vaut mieux que deux tu l’auras

Petit jeu du vendredi. Jeu de langue, en vérité.

 

Si les enfants ont la tournure animalière aisée et fréquente, les adultes ont aussi, dans leur langage familier, cette même habitude. L’allusion canine, surtout, pullule dans notre parler.


Elle peut être métaphorique : un temps de chien ; la queue basse ; la queue entre les jambes ; baisser (ou dresser) l’oreille ; ne sois pas chien ; je lui garde un chien de ma chienne ; fidèle comme un chien ; avoir du  flair ; donner (laisser) sa part au chien ; jeter (livrer) aux chiens…


Elle est aussi du domaine des proverbes : les chiens ne font pas des chats…
 

D’autres expressions vous viennent-elles à l’esprit ?

jeudi, 24 novembre 2005

L’Unicef tire la sonnette d’alarme sur l’excision

Je reproduis une dépêche de l’AFP, en date du 24 novembre 2005.

 

L’excision est un phénomène dont l’ampleur avait été jusqu’à présent sous-estimée et qui est en voie de globalisation, selon un rapport publié jeudi par l’Unicef.

 

« L’excision touche beaucoup plus de femmes qu’on ne l’a estimé auparavant », indique l’agence de l’Onu pour l’enfance, dans une étude sans précédent sur les pratiques de mutilations génitales féminines (MGF). Environ trois millions de femmes sont victimes de l’excision chaque année rien que sur le continent africain, selon l’organisation. Cent à cent quarante millions de femmes à travers le monde auraient subi, à divers degrés, une mutilation sexuelle, selon des estimations publiées par le rapport. Sa pratique, qui est étroitement liée à l’appartenance ethnique, semble être en déclin dans certains pays (Bénin, Bukina Faso, Nigeria, Yémen), mais reste stable dans d’autres (Côte d’Ivoire, Égypte, Niger, Soudan). Selon les pays et les traditions locales, les MGF incluent des pratiques qui vont d’une coupure au clitoris jusqu’à l’ablation totale des parties génitales externes et la suture de la vulve. « Cette pratique constitue une violation du droit des filles et des femmes à l’intégrité physique, porte atteinte à leur liberté et constitue une forme extrême de violence et de discrimination », selon l’Unicef. L’excision est interdite par les législations nationales de nombreux pays africains et du Moyen-Orient et est condamnée par la Convention internationale sur les droits de l’enfant, rappelle le rapport. Elle n’est prescrite par aucune religion, même si des justifications religieuses sont souvent avancées par ceux qui la pratiquent. Parmi les tendances relevées dans le rapport   fruit de deux ans de recherches par des agences onusiennes et des ONG locales l’Unicef note la globalisation du phénomène. L’excision ne se limite plus au seul continent africain mais est également pratiquée au Moyen-Orient et dans les communautés immigrées en Occident (Europe occidentale, États-Unis, Australie, Nouvelle Zélande). Mettre un terme au développement de ce phénomène s’avère une tâche difficile, selon le rapport. « L’excision est une convention sociale profondément ancrée » dans certaines sociétés, estime le rapport, soulignant que les familles qui ne s’y plient pas risquent souvent d’être stigmatisées. L’Unicef en appelle à une campagne accrue au niveau des pouvoirs publics, des systèmes éducatifs et des médias, afin de créer un lien entre les solides garanties légales qui existent sur la question et les communautés concernées.

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mercredi, 23 novembre 2005

Loger les blousons

Un des ridicules de la République est le vote de lois qui ne sont jamais respectées. Celle qui impose aux communes vingt pour cent de logements sociaux en est une remarquable illustration.

 

La semaine dernière, Le Parisien, avec le sens de la retape qui le caractérise, titrait en une et en gras sur les communes hors-la-loi. De fait, un certain nombre de maires ne veulent pas entendre parler du logement social : ils évoquent le coût du mètre carré dans leur ville, le manque d’espace, tout ce qu’on voudra. La seconde opposition au logement social vient de leurs administrés qui, eux-mêmes, n’en veulent pas, au motif que leur commune doit maintenir son standing : j’ai lu les propos d’une commerçante qui, sans rire aucunement, déclarait que le logement social, cela signifiait qu’on verrait dans les rues des gens en blouson. Mais si, mais si. Ne riez pas.

 

Comme toute loi, celle-ci prévoit des amendes pour les contrevenants. Dans ce cas précis toutefois, les maires et leurs administrés préfèrent – et le disent – les amendes à la construction de HLM. Les citoyens de ces communes se déclarent prêts à accepter une augmentation des impôts locaux (conséquence inévitable des pénalisations). Tout plutôt que d’accueillir des personnes à revenus modestes. Sans parler, bien entendu, du racisme évidemment tu, mais qui irrigue ces propos.

 

Jacques Chirac vient d’exiger l’application de la loi. Il demande aux préfets de faire le recensement des villes contrevenantes avant la fin de l’année et de les pénaliser. On veut croire que cela se fera...

10:50 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (11)

mardi, 22 novembre 2005

Expérience du monde de l’édition, par Feuilly

L’ami Feuilly nous fait part ici de ses démêlés éditoriaux.

 

F. Weyergans, qui vient d’obtenir le prix Goncourt, a fait un roman sur la difficulté d’écrire un roman. Ne pourrait-on en faire un sur la difficulté que rencontrent certains à se faire éditer ?

Voici, pour ceux que cela tenterait, un exemple tiré de la réalité. Il n’y a plus qu’à broder là-dessus, transformer quelque peu les données et vous obtiendrez un roman qui ne sera peut-être pas mauvais, mais qui à son tour… ne sera jamais publié.

 

***

 

Un lecteur assidu décida un jour de prendre la plume. Modestement, il commença par quelques nouvelles. Les mois passant, les feuilles s’empilèrent sur son bureau au point de constituer un gros volume. Comme on écrit tout de même pour être lu, le lecteur devenu « écrivant » proposa donc ses textes à quelques éditeurs. Les grandes maisons lui répondirent dans les deux mois qu’elles n’étaient pas intéressées.  Les petites maisons lui dirent la même chose, mais dans un délai d’un an et demi. L’une d’entre elles, cependant, précisa qu’elle n’éditait jamais de nouvelles mais que pour des textes de qualité, elle suggérait l’auto édition (à la même adresse). Intrigué, mais encore fort naïf, le pauvre lecteur devenu « écrivant » demanda pourquoi, si le texte était bon, l’éditeur ne le publiait pas lui-même. La réponse (immédiate) fut qu’il était impensable de publier des nouvelles d’un auteur inconnu car le méchant public ne s’y intéressait pas. Au mieux on acceptait des nouvelles de la part des auteurs « maison », mais encore fallait-il tricher sur la couverture et faire croire qu’il s’agissait d’un roman. Non, pour les nouvelles, il n’y avait qu’une méthode : se faire connaître en insérant des textes dans des revues.

 

Comme justement le petit éditeur en possédait une, de revue, et que cela tombait fort à propos, le lecteur devenu « écrivant » proposa donc une nouvelle. Elle ne fut pas retenue. Sans doute était-elle mauvaise, mais à vrai dire les autres qui étaient publiées dans la revue n’étaient pas très bonnes non plus. Il comprit alors que la revue demandait des textes à des auteurs locaux ayant quelque notoriété dans leur région, lesquels exécutaient à la va-vite ce travail de commande. Comme personne à part eux ne lisait la revue, ce n’était pas très grave.

 

Notre lecteur devenu « écrivant » (et beaucoup moins naïf) n’en continua pas moins à écrire des nouvelles. Les feuilles s’empilèrent de nouveau et constituèrent rapidement un deuxième volume. Il eut la sagesse de ne pas chercher à l’éditer et s’attela plutôt  à la rédaction d’un roman. Comme il n’écrivait que la nuit (la journée, il devait travailler afin de pouvoir acheter des feuilles et de l’encre pour son imprimante), cela lui prit un certain temps, mais il éprouva beaucoup de plaisir à cette occupation.

 

Ensuite, le manuscrit terminé, il l’envoya de nouveau à quelques grandes maisons qui, comme précédemment, lui répondirent dans le deux mois qu’elles n’étaient pas intéressées. Plus naïf du tout, il contacta pour s’amuser le petit éditeur qui ne publiait pas de nouvelles en lui disant en substance : « Comme vous me l’aviez demandé, me revoici avec un roman. » Trente-quatre mois après, il reçut une réponse du petit éditeur qui le prenait encore pour un niais car il disait dans sa lettre qu’il était débordé et que son programme était déjà complet pour plusieurs années. Il expliquait que le texte envoyé « n’avait pas résisté à l’écrémage inévitable » et ajoutait hypocritement que « la qualité de l’écriture était là mais qu’il lui fallait faire un choix parmi les bons manuscrits. » Tout cela afin de faire croire qu’il avait lu le texte du lecteur « écrivant », que ce texte  avait été en compétition avec d’autres et qu’il était même bon. Complètement déniaisé, le lecteur qui entre-temps avait renoncé à écrire éclata de rire.

 

Morale de l’histoire : pourquoi attendre aussi longtemps pour envoyer une réponse ? Pourquoi donner aux gens de l’espoir sur la qualité de leur texte alors que celui-ci n’a bien évidemment pas été lu ?

 

***


 

Dominique Autié a souvent défendu ici sa profession et c’est normal. Il n’en reste pas moins que la forteresse de l’édition semble imprenable à qui ne dispose pas des bonnes armes.

 

Pour être objectif, Feuilly tient à joindre un article du Monde.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3246,36-712472@51-688805,0.html

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lundi, 21 novembre 2005

L’écrivain porte conseil

Le ministre de l’Éducation nationale, Gilles de Robien, a installé dans leurs fonctions, le 8 novembre dernier, les neuf membres qui constituent le Haut conseil de l’éducation (HCE), instance indépendante qui doit remplacer le Conseil national des programmes (CNP) et le Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCEE). Le rôle de cet organisme sera de  formuler des avis sur la pédagogie, les programmes, le système éducatif, la formation des enseignants.


On trouve parmi eux un conseiller-maître à la Cour des comptes, directeur du centre Georges-Pompidou ; un professeur des universités, ancien recteur et ancien directeur d’institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) ; un professeur des universités, inspecteur général de l’Éducation nationale (IGEN) et ancien recteur, ex-directeur de cabinet de Jack Lang alors ministre de l’Éducation nationale ; un professeur des universités, membre de l’académie nationale de pharmacie, ancien député UDF ; la directrice de l’agence nationale de lutte contre l’illettrisme ; un professeur d’histoire, directrice de la rédaction du magazine L’Histoire ; un professeur à l’Institut des hautes études scientifiques, membre de l’académie des sciences ; le président de la banque BNP-Paribas, directeur du Comité pour l’école du Medef ; un inspecteur général de l’Éducation nationale (IGEN) devenu délégué à la communication au ministère de l’Éducation nationale.


Jusque là, on peut être étonné de ce que les mêmes personnes cumulent autant de fonctions, de titres et de responsabilités, mais on a l’habitude… On peut aussi s’interroger sur le fait d’accepter la cohabitation, quand on a été directeur de cabinet d’un ministre socialiste, avec un ancien député UDF mais on sait bien que, pour aller à la soupe, personne n’est jamais très regardant. On peut se féliciter de la présence du Medef ou la déplorer. Au fond, toutes ces personnes paraissent compétentes et l’on ne doute pas un instant qu’elles rempliront au mieux les fonctions qui viennent de leur être confiées.


Le plus curieux reste le dernier membre, qui est un écrivain médiocre (au sens premier du terme) et même très médiocre (toujours au sens premier). Il est par ailleurs président-directeur général des éditions de La Table Ronde, historiquement marquées à droite. Il est surtout l’ami personnel du président de la République, ce n’est pas un secret, il l’a toujours clamé. J’ai nommé Denis Tillinac. Que fait-il donc là ? Ce n’est pas moi qui trouverais étrange de nommer un écrivain dans une instance chargée de questions d’éducation. J’ai bien dit : un écrivain. Nommons Malraux, Vailland, Gary, Montherlant, Mauriac… On pourra discuter, contester même, ensuite, leurs positions et leurs avis, pas leur légitimité. Mais Tillinac ! Tillinac !

Quatrième épisode

Suite et sans doute fin de l’histoire de France Culture. Je ne vous infligerai pas un résumé des trois épisodes précédents (Chasse gardée, Précision, Suite de l’affaire de France Culture).  

 

J’ai écouté hier soir Projection privée de Michel Ciment, qui ne dure qu’une demi-heure. Trois voix (l’animateur et les deux auteurs de Sautet par Sautet), dans ces conditions, c’est déjà beaucoup et je me demande quel temps de parole aurait pu rester à chacun si j’étais allé participer à l’émission.

 

Pour ce qui est du contenu, je n’ai rigoureusement rien appris. Il est vrai que j’ai beaucoup étudié le sujet et que cela, sans doute, ne m’était pas destiné. Tout confirme que l’album est une boîte de chocolats pour Noël et qu’il utilise des entretiens déjà utilisés ailleurs. À part ça, Ciment a quand même fait trois erreurs en trente minutes. À la fin de l’émission, il a signalé mon « court essai » (sic) en une phrase. Je m’y attendais, et puis c’est l’usage, ça se fait. J’ajoute quand même que le « court essai » contient plus de texte que le gros album-gâteau-chantilly. Et ce texte, qui vaut ce qu’il vaut, c’est moi qui l’ai pondu, quand celui du gros album-barbe-à-papa est le résultat d’entretiens.

 

L’émission peut être écoutée cette semaine sur le site de France Culture.

http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissio...

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samedi, 19 novembre 2005

Paul Fort l’oublié

À Dominique

 

Paul Fort, poète français né à Reims en 1872, fonde la revue Vers et prose qui publiera Apollinaire et Gide, excusez du peu. De 1896 à sa mort en 1960, il publie trente volumes des Ballades françaises, imitation du poème à forme fixe remontant au Moyen Âge, mais réinventant sa disposition typographique en évoquant la prose (voire les versets) et en s’autorisant l’apocope et l’assonance.

 

 

Par là, il crée dans ses textes une musique propre qui les apparente à la chanson et renoue ainsi avec la tradition populaire et orale de la poésie, depuis ses origines. Son œuvre fut publiée chez Flammarion et Pierre Béarn lui consacra en 1960, chez Seghers, un volume des « Poètes d’aujourd’hui » que Fort ne vit pas paraître.