Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 22 décembre 2005

Ramuz

À l’instigation de Dominique Autié, je découvre Ramuz (1878-1947) à cinquante-trois ans. Il n’est jamais trop tard, dit-on. Il peut être tard, tout simplement. Car rencontrer un écrivain, une langue, une écriture en un temps où l’on ne supporte plus de lire des romans est ennuyeux. Il est vrai qu’il est aussi l’auteur d’essais.

 

Dans Derborence, par conséquent, je ne suis l’anecdote que de très loin mais je succule la langue et me repaîs des tournures et du rythme. On parle beaucoup de Giono mais Ramuz le vaut très largement.

 

L’ennui est que, décidément, je ne puis plus entrer, simplement entrer dans une matière romanesque. Je vois les coutures, la fabrication, j’ai le regard trop expérimenté pour que le cœur se laisse aller, pour que l’esprit soit emporté. Il ne faut voir là nulle outrecuidance, moins encore de prétention. C’est technique. Lorsque je vais au cinéma, c’est la même chose. Je ne vois plus l’image mais l’emplacement de la caméra, les lumières, l’équipe, j’imagine le micro tenu hors-champ, là-haut, prompt à recueillir les propos des acteurs. Je vois les ourlets du scénario.

 

Est-ce donc qu’il est un âge malheureux où l’âme ne s’émerveille plus guère ? Je ne sais pas. En tout cas, lisez Ramuz pour le goût des mots dans la bouche, le rythme de la phrase mené de main de maître ou artistiquement cassé.

 

Charles-Ferdinand Ramuz, Derborence, roman, Grasset, 1936 (rééd. collection Les Cahiers rouges). Illustration : Gilbert Guisan, C. F. Ramuz, collection « Poètes d’aujourd’hui », n° 154, Seghers, 1966.

 

Le Centre de recherches sur les lettres romandes parle de Ramuz.

Commentaires

Je vous comprends tout à fait Jacques et c'est pour cela que je recherche au cinéma, souvent en vain, l'équivalent du poème ou de l'essai, car le roman filmé, la fiction et ses ourlets comme vous dites joliment, j'ai de plus en plus de mal à les laisser m'emporter. J'ai trouvé avec Peter Watkins un honnête compromis (je vous recommande son Munch).

Écrit par : Ludovic | jeudi, 22 décembre 2005

Bonjour, trop rare ami. Vous m'avez parlé, déjà, de Watkins. Je ne l'ai pas encore découvert mais c'est noté dans un coin de ma tête, avec l'estampille "Ludovic", label contrôlé.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 22 décembre 2005

De quel étrange mal êtes-vous atteint, Jacques ?
Je suis certain qu'on en guérit, je vous le souhaite de tout cœur, en tout cas.
Pour ma part, c'est l'âge, au contraire, qui me rend "innocent". Je m'émerveille comme jamais. Peut-être est-ce dû (je cherche à vous donner des pistes, très sincèrement) à la découverte d'autres littératures (dans l'espace et le temps).
Décrochez de notre époque, quelque temps, de façon radicale. Lisez "naïvement" une traduction un peu littéraire du Cantique des Cantiques (hors de toute dimension confessionnelle ), la version de Lemaître de Sacy, disponible en "Bouquins", par exemple. Oubliez la sauce contemporaine, oubliez TOUT. Et vous reviendrez, je vous le souhaite, prêt à vous émerveiller en lisant Ramuz.

Écrit par : Dominique Autié | jeudi, 22 décembre 2005

Mais je m'émerveille. De la langue, du maniement syntaxique "éclaté", des différents points de vue, de la manière de rendre les sentiments féminins, de faire vivre les éléments... Tout cela, toutefois, c'est du métier littéraire. Il est chez lui incontestable et je l'apprécie. Après, c'est l'histoire et ça, bah. C'est tout ce que je voulais dire. Pour ce qui est du travail littéraire et de la création d'une langue propre, ou du moins d'un registre personnel, je suis comblé.

J'oubliais. Il n'est pas entièrement exact de dire que je découvre Ramuz. Je connaissais bien sûr l'Histoire du soldat, son livret pour Stravinski.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 22 décembre 2005

Entendez-moi, je parlais de façon générale de ce sentiment, dont vous faites état, de toujours voir les coutures, les ourlets, le bâti, le "patron" – comme au cinéma, dites-vous. Et c'est très sincèrement que je m'en étonne, cherchant d'ailleurs à imaginer l'effet que cela me ferait de ne plus pouvoir lire Quignard (dans mon cas) sans qu'un "procédé" me saute aux yeux. J'en serais profondément malheureux, il me semble.
Je mets donc entre parenthèses l'écriture de Ramuz, en la circonstance, à partir de quoi vous évoquez vous-même un phénomène plus vaste, qui touche à votre mode de lecture.
Il me semble que l'appauvrissement de l'usage que nos contemporains font de la langue renforce ma capacité d'émerveillement devant les ressources mêmes de la langue : l'existence (ou son rappel) d'un seul mot, parfois, me plonge dans des sortes d'états seconds, brefs mais intenses. Je pourrais en monter certains en collier, ou en chapelet (mais sans doute perdraient-ils bien vite leur magie première) : martyrologe, plombagine, ourlet (justement…). Michel Jonasz déclarait volontiers (sans doute est-ce toujours vrai, on le lui souhaite) que le mot "tristesse" était le mot le plus beau de notre langue, qu'il avait sur lui un effet pour ainsi dire narcotique.
Il y a la technique du sculpteur, le burin, le marteau. Il y a le marbre pur…

Écrit par : Dominique Autié | jeudi, 22 décembre 2005

S'il s'agit de mots goûteux, magnifiques, luisants comme des pierres, nous sommes bien d'accord. Purpurine, tintinnabuler -- le verbe qui sonne et cogne me trouvera toujours preneur.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 22 décembre 2005

Mais on avait déjà senti chez Jacques une quasi aversion pour le roman en tant qu'histoire racontée.

Peut-être en-t-il trop lu?

Personnellement j'alterne chaque fois mes lectures. Après un texte long, il me faut un roman court, puis de la poésie, puis un essai et ainsi de suite.

Le seul remède pour le mal de Jacques me semble être une mise à la diète de quelques mois. Ne lire que de l'Histoire ou des essais. Même parcourir les livres sur l'actualité. En principe, le goût pour la littérature et même pour le côté merveilleux des choses racontées devrait revenir.

Ou alors...

Ou alors il est devenu comme ces peintres qui n'apprécient plus un tableau qu'en fonction de critères techniques.

Rem : c’est amusant, pour la première fois je ne m’adresse pas à Jacques mais je parle de lui à la 3° personne (et cela sur son blog !), comme on fait en parlant d’un malade dont le cas est désespéré.

Écrit par : Feuilly | jeudi, 22 décembre 2005

C'est un peu le sentiment que j'avais eu à te lire.

Diète de quelques mois ? Mais il y a des années qu'elle dure, cette diète. Je lis tout à l'exception des romans (sauf, de très loin en très loin, un roman dans des circonstances exceptionnelles comme ici, ou pour un travail en cours).

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 22 décembre 2005

Ramuz, un écrivain remarquable. Avec les descriptions, c'est un poète en prose...

Écrit par : Guillaume Cingal | jeudi, 22 décembre 2005

Assurément. Stylistiquement, c'est merveilleux.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 22 décembre 2005

Les commentaires sont fermés.