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vendredi, 23 décembre 2005

Au café du coin, 4

Il a l’air sombre, Fleming, aujourd’hui. Je l’interroge du regard. Je ne veux pas le forcer à s’exprimer, mais je sens un grand désarroi. « Je suis un minable », finit-il par lâcher. Je m’insurge immédiatement : « Sir ! » Il reprend, la voix tristement insistante : « Si si. Vous comprenez, Jacques, la pénicilline, c’était un jeu d’enfant, n’est-ce pas ? On peut être bienfaiteur de l’humanité à peu de frais. Le Nobel, pensez ! ». Mon étonnement ne l’arrête pas. « Mais à présent ? Vous vous rendez compte, je ne peux rien faire ! Je ne peux pas trouver le vaccin définitif contre le sida ! Je n’y arrive pas ». Il se tait, consterné. Je laisse couler un silence pudique mais prends garde qu’il ne s’installe. « Alexandre ». J’ai parlé tout bas, il lui faut un murmure d’amitié compréhensive. « Tout est de ma faute », ajoute Fleming. Il tripote son nœud papillon, bafouille, se reprend, puis : « Si j’appelais Pasteur ? Ah, ça m’embête... » Il ne prête attention à rien et Christelle le regarde ébahie, verser le contenu de son verre de vin dans la sauce de son pavé au poivre.

 

C’est au solstice d’hiver que Michel-Ange est venu déjeuner avec moi au Campo. Il s’était légèrement blessé à l’œil, certainement à cause d’un éclat de marbre de Carrare, tandis qu’il sculptait. Je lui en fis bêtement la remarque et, très méprisant, il répondit : « Tu ne veux pas que je travaille le plastique, par hasard ? » Je me le suis tenu pour dit. Il louchait sur Valérie, je comprenais qu’il était en train de la réinventer, de la modeler à sa manière, mentalement. Valérie par Michel-Ange, c’est du nanan. En attendant d’être servi, il regardait le plafond, obstinément. J’ai compris. À mon avis, le Campo ne tardera pas à être en travaux. Si c’est ça, les tarifs vont augmenter.

 

César m’écoute attentivement. Je lui demande ce qu’il pense des événements actuels et son opinion sur les dissensions existant entre Villepin et Sarkozy. Il s’exclame : « Nous sommes en pleine guerre des Gaules ! » et, mâchonnant son carpaccio de saumon accompagné de pommes sautées, grogne : « Je vais récrire des Commentarii ». Tout de même, Chirac et Sarkozy… Je tente de mieux connaître son opinion mais il est aujourd’hui peu loquace. Il marmonne, j’entends vaguement : « Hein ! Brutus, voilà… Tu quoque, filii… » Son téléphone sonne, il ne décroche pas mais jette un regard au cadran lumineux : « C’est Salluste, il m’ennuie ». Et il termine le gamay.

 

Il est là, le regard exigeant, la chevelure ample, le verbe définitif. En même temps, je sens une tendresse assurément, derrière le geste magnifique. « Votre blog est faible », me dit-il. Je m’y attendais. Je sais qu’il a raison, que puis-je donc dire ? « Oui, c’est exact ». Il paraît satisfait de ma réponse. « Vous en êtes conscient, parfait. Il vous reste deux solutions : vous relevez le niveau ou vous fermez ». Diable, que puis-je faire d’autre, en effet ? Je tente une timide sortie : « Pourtant, on ne cesse de me dire qu’il est difficile, ardu… » Il tranche sans appel : « Plaisanterie. Il est inepte. Fermez-le ». Je me tais, écrasé. Et soudain, son regard s’illumine, il se lève, il doit partir. Déjà, il regarde loin, il n’a même pas dû s’apercevoir que Christelle était totalement subjuguée par son allure, sa prestance, sa voix. Je le raccompagne jusqu’à la porte : « Au revoir, André ». Nous nous serrons la main. Tout en majesté, Breton s’éloigne vers le bas du boulevard.

 

À suivre

Commentaires

Ce Breton m'a tout l'air d'un sale prétentieux ! Il n'a qu'à s'en faire un de blog, on verra ce que ça donne ! Par contre Jules César me semble plutôt sympa - quoique bien taciturne.

Écrit par : fuligineuse | jeudi, 29 décembre 2005

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