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samedi, 24 décembre 2005

Les poètes conseilleurs

On sait, de Ronsard, l’attention absolue qu’il portait au temps qui passe et flétrit inexorablement, avec la mort au bout. Il a, de cette matière désespérée, modelé plusieurs magnifiques poèmes, tous très connus, à la fin desquels il ne manquait pas de conseiller à « mignonne » de se hâter. Se hâter de quoi, en fait ? De le rejoindre au déduit, bien sûr.

 

Corneille, nul ne l’ignore, a repris, un siècle plus tard, la manière, conseillant à Marquise – c’était son nom, je crois, pas un titre – de ne pas croire en sa jeunesse éternelle et de lui céder.

 

Deux siècles plus tard, ce fut au tour de Baudelaire, l’immense Baudelaire, de tarauder le cœur de la « belle ténébreuse » par un Remords posthume, lui conseillant de connaître très vite « ce que pleurent les morts ».

 

Un siècle après, Queneau a suivi la même voie, conseillant à la « fillette » de ne pas s'imaginer trop de choses et de se dépêcher de cueillir les roses dont parlait déjà Ronsard.

 

On peut se demander si toutes ces belles ne furent pas effrayées par les noirceurs que leur décrivaient ces hommes pour qui les mots n’avaient pourtant aucun secret. J’ignore s’il eurent gain de cause, mais la poésie française y a gagné des splendeurs.

Commentaires

D'où cette espérance, fausse sans doute, que la fine fleur de la poésie serait, elle, immortelle et ne fanerait pas avec les années.
Les mots seraient éternels alors l'attrait érotique n'est que passager. Et pourtant, il n'y a rien de plus léger que des mots qui s'envolent.

Écrit par : Feuilly | samedi, 24 décembre 2005

C'est précisément une des grandes différences entre la poésie qui demeure et le roman qu'on brade sur le trottoir... Ronsard, c'était il y a cinq siècles. Un roman d'aujourd'hui, dans cinq siècles, tu imagines ?

Euh, non, je ne vais pas recommencer ma diatribe...

(Oui, bon, je sais, Hugo a déjà deux siècles et ses romans demeurent... Mais je cherche toujours un Hugo aujourd'hui).

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 24 décembre 2005

La poésie est plus proche des origines, plus archaïque (si l'on veut), elle s'adresse à une partie spécifique de notre subconscient, ce qui la rend immortelle. Le roman, lui, est plus ancré dans une époque précise. Il vieillit donc peut-être plus vite.

Écrit par : Feuilly | samedi, 24 décembre 2005

Ce n'est pas dit. Les Misérables, Madame Bovary, très ancrés dans leur époque, ne vieilliront pas parce qu'ils expriment des choses authentiques et importantes. Pour la poésie, je suis d'accord. Le théâtre est "plus proche des origines", lui aussi.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 25 décembre 2005

Ce qui est le plus intéressant, ce sont les difficultés de l'amour. Après « Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants », il n'y a plus de conte, plus de roman, plus de théâtre.
Et si la poésie semble parfois décrire le bonheur avec l'être aimé (Aragon ou Queneau, par exemple), c'est que, profonfément, l'auteur(e) a peur de le perdre. Alors, sans aller juqu'à dire avec le même Aragon « Il n'y a pas d'amour heureux », je me demande si Florian n'avait pas raison quand il écrivait il y a plus de 200 ans : « Pour vivre heureux, vivons cachés ».

Écrit par : Stéphane De Becker | dimanche, 25 décembre 2005

Quelque soit l'époque, les chef-d'oeuvres ne sont jamais nombreux. Et les genres se développent par nécessité. Le roman s'est développé, permettant de transcrire la complexité infinie du monde. Le premier roman "moderne", c'est Don Quichotte.
Et ça vieillit très bien non ?
Il n'y a pas d'Hugo maintenant ? Peut-être qu'il ne doit pas y en avoir parce que le Roman s'en va ailleurs mais on ne le sait pas encore ? (Et je lis, une fois par année ou aux deux ans, un roman qui emporte mon adhésion, que je qualifie peut-être un peu vite de chef-d'oeuvre, en tout cas, ce sont de grands livres. Leurs auteurs n'ont sans doute pas le souffle d'Hugo, de Balzac, mais ils auront écrits un ou deux très grands livres, la postérité décidera. Pour moi, le Roman existe bel et bien. Qu'il soit en panne dans le spleen ambient qui règne en France, ce n'est pas le problème du Roman mais du spleen français...)

Pour la poésie, y a t-il présentement beaucoup de Ronsards, de Rimbauds ?

Le théâtre me semble plus près des origines, les Grecs en avaient besoins pour se raconter leurs histoires qui sont devenues nos mythes. Le besoin d'histoire(s) est fondamental. Il est à l'origine. C'est pour ça que là-dessus, on ne peut pas être d'accord, Jacques et moi.

(D'ailleurs, j'espère qu'on trouvera bientôt le remède au virus qui vous affecte. Il y a une expression que j'aime beaucoup, concernant la fiction, c'est "se faire mener en bateau." On embarque dans un film, un livre, une pièce de théâtre, et on sait parfaitement qu'on est DANS le bateau: on voit le mât, on sent le roulis, l'odeur de la mer. L'important n'est pas le bateau, mais la navigation. Vous regardez les voiles Jacques, examinez l'état des cabines, mais vous oubliez de regarder le ciel, le soleil qui se couche.

Si l'auteur nous parle sans arrêt du mât, je m'emmerde. Si j'y suis, c'est que je veux aller quelque part. Qu'on me mène en bateau. Je m'abandonne au capitaine, qu'il me montre ce dont il est capable. S'il ne peut que me parler de la construction du bateau, qu'il change de métier: qu'il enseigne.)

J'ai lu un passionnant article dans le New Yorker pendant les vacances, sur l'écrivain britanique Philip Pullman. Il a écrit une trilogie "pour les enfants" inspirée du Paradis perdu de Milton. Beaucoup plus exigeante qu'Harry Potter, elle a même été récompensé par le Whitbread Fiction Prize pour adultes.

Il dit ceci: " "il y a des thèmes, des sujets, trop grands pour la fiction pour adulte ; ils peuvent seulement (désormais) êtres traités de façon juste dans un livre pour enfants. Dans la fiction littéraire adulte, les histoires sont là mais à peine tolérés. D'autres choses sont considérées plus importantes : technique, style, connaissances littéraires... Les George Eliots potentiels prennent leurs histoires avec des pincettes. Ils sont embarassés par elles. S'ils pouvaient écrire des romans sans histoires ils le feraient. Ils le font parfois".

"Nous avons tellement besoin d'histoires que nous sommes même disposés à lire de mauvais livres pour les obtenir, si les bons livres ne les fournissent pas. Nous avons tous besoin d'histoires, mais les enfants sont plus francs à ce sujet."

Il dit ailleurs, qu'à son avis, même si le monde s'en va vers une grande théocratie, "cela ne signifie pas que nous devrions abandonner et nous rendre... Je pense que nous devrions agir comme si. Je pense que devrions lire des livres, raconter des histoires aux enfants, les amener au théâtre, apprendre des poésies, jouer de la musique, comme si cela faisait une différence... Nous devrions agir comme si l'univers nous écoutait et répondait. Nous devrions agir comme si la vie allait gagner... "

Un pessimiste qui aime rigoler et qui a de l'imagination: c'est décidé, je vais lire À la croisée des mondes.

Écrit par : Benoit | vendredi, 06 janvier 2006

J'ai lu la trilogie de Pullman dès sa publication et j'y ai trouvé énormément d'intérêt, jusqu'au... dernier volume qui est vraiment trop confus parce que la barre avait été placé très haut avant et que l'équation finale aurait mérité plus de place ou moins de précipitation.

Écrit par : Dominique | vendredi, 06 janvier 2006

Ah, le vieux débat, souvent abordé ici... Il commence à y avoir un tas de notes et de commentaires sur la question.

Le théâtre ne raconte pas d'histoires, heureusement ! Le théâtre est un monde où des sentiments réels s'expriment dans des décors de carton. Au théâtre, il y a duperie acceptée par le spectateur (c'est la règle du jeu) et stylisation. Le théâtre, c'est tout sauf une histoire. Et tant mieux.

Non, je n'ai pas (plus) besoin d'histoires mais au contraire de références exaltantes réelles.

Pour le reste, "lire des livres, raconter des histoires aux enfants, les amener au théâtre, apprendre des poésies, jouer de la musique", je n'ai jamais fait que ça. Mais lire des livres, nom d'un marque-pages, ce n'est pas forcément lire des histoires.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 06 janvier 2006

Dominique : après la solitude confortable du sleeping de Pullman, si les lumières d'ambiance se mettent à vaciller, je comprends votre déception :-))

Avec un pareil patronyme, même si je ne l'ai pas lu, il me semble aller de soi que l'homme vous emporte...

Écrit par : Martine Layani | vendredi, 06 janvier 2006

"Le théâtre ne raconte pas d'histoires, heureusement !"

Ah non ? Mais, de quel théâtre parlez-vous ?
Les personnages, à qui des histoires arrivent ?
Tout Shakespeare !
La tragédie grecque, la mythologie, ce ne sont pourtant QUE ça, des histoires. Dont on fait l'analyse ENSUITE.

"Au théâtre, il y a duperie acceptée par le spectateur (c'est la règle du jeu) et stylisation."
C'est ce que je disais, mais ça s'applique à tous les arts: il y a "suspension de l'incroyance" comme disent les anglais, suspension of disbelief. Condition sine qua non pour que le roman, le théâtre, le cinéma advienne.

Je précise qu'il n'est pas question ici uniquement d'histoires romanesques, de bons et de méchants.
Un couple qui s'écorche chez Strindberg ou Edward Albee, on y croit par l'épaisseur de l'histoire qui est la leur, l'authenticité recréée par duperie. Le théâtre permettra une représentation particulière, que Begman illustrera bien différemment au cinéma dans Scènes de la vie conjuguale, avec les moyens spécifiques du médium. Mais on en sort pas: ils nous racontent des histoires.

C'est promis, j'arrête là.

Vous devriez peut-être regrouper toutes les interventions là-dessus Jacques, et en faire une section spéciale.

C'est vrai qu'on en a jamais fini il semble, avec cette histoire...

Écrit par : Benoit | vendredi, 06 janvier 2006

Niet !

"Un couple qui s'écorche chez Strindberg ou Edward Albee, on y croit par l'épaisseur de l'histoire qui est la leur" : faux. Un couple qui s'écorche chez Strindberg, on y croit parce que c'est Strindberg. La preuve ? Si c'est votre voisin et votre voisine qui s'écorchent, tout le monde s'en fout. Arrive Strindberg (ou Molière, ou Racine, ou Dante ou qui vous voudrez) et ça intéresse tout le monde. Pourquoi ? Parce que le théâtre, ce n'est pas une histoire. C'est tout, sauf une histoire.

Et heureusement !

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 06 janvier 2006

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