Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 13 décembre 2005

Un livre de Bernard Grasset

J’ai acheté sur les quais de la rive gauche un volume de Bernard Grasset, La Chose littéraire, publié par Gallimard en 1929. Il s’agit d’un recueil d’articles parus auparavant dans Le Journal.

Outre que Grasset y apparaît tel qu’en lui-même, hautain, arrogant, élitiste, méprisant, péremptoire, misogyne, outre qu’il accumule les affirmations en prétendant démontrer avant de conclure : « Vous voyez bien que » alors qu’on n’a rien vu du tout – il reste une chose qui m’amuse quand elle ne me fait pas grincer des dents, c’est ce que Grasset raconte de l’état de l’édition au moment où il écrit. Nous sommes, je le redis, en 1929, au moment de la crise, dix ans avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale (quand il note : « Avant la guerre », c’est « Avant la Première Guerre mondiale » qu’il faut comprendre).

Eh bien, Grasset brosse alors un tableau que j’avais déjà vu avant de lire son livre. C’est celui qu’on me présente depuis ma toute première tentative éditoriale, en 1971. Les mêmes problèmes, les mêmes mots et la même fâcheuse tendance à lier ces questions à l’époque en ce qu’elle a de soi-disant particulier et d’exceptionnel.

Alors, quand les éditeurs vous parleront de la crise de l’édition et des difficultés inhérentes et du goût du public et des problèmes de stockage et des prétentions financières des auteurs et du coût des stocks et de la course aux prix et patati et patata, si m’en croyez, éclatez de rire. En 1929, Grasset, avec ses excès classiques, ses outrances d’expression, disait déjà tout ça. N’en croyez pas un mot.

07:00 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Hum... Je ne peux que juger d'après les allusions, mais il me semble que le génie de Grasset a été justement celui de saisir la mutation économique et culturelle qui était en train de se faire.

En 1929, le cinéma parlant naît. Or Grasset a tout de suite compris qu'il pouvait se servir de l'écran et faire ainsi une publicité massive et efficace, là où ses concurrents faisaient la fine bouche ou bien se lamentaient. Il a inventé le premier message filmé au sujet d'un livre. Il a aussi lancé par la même occasion un jeune écrivain comme un phénomène (le scandale comme publicité existait avant lui, le jeune prodige aussi, mais Grasset réunit les deux avec Radiguet). On n'est pas très loin de la Starac' par la signature du contrat qui est filmé. Il vide aussi le slogan de tout sens (les 4 M) pour le rendre plus parlant, là où les autres éditeurs hésitent. À la même époque, le Mercure de France s'enfonce dans le vieillissement et le rabachage faute de modernisation. Le téléphone et la machine à écrire arrivent dans les années 30 au Mercure !

Il se plaint du système des prix. Mais il faut voir qu'entre 1911-1912 et 1935, il n'aura aucun prix Goncourt ! Jusqu'en 1935, aucun prix Fémina. Un prix Renaudot en 1928 (et rien jusqu'en 41). Tout le système des prix était noyauté par Gallimard et Albin-Michel (le même éditeur qui se plaignait du système Galligrasseuil lorsqu'il ne remportait pas de prix depuis les années 50). Grasset avait démarré en fanfare avant guerre, mais très vite il avait été marginalisé dans le milieu de l'édition. C'est d'ailleurs à son instigation que le prix Interallié (ou prix Grasset en fait) a été créé afin de récompenser Malraux en 1930. Je sais que Grasset était un peu parano, mais ce n'est pas parce que l'on est parano que l'on n'a pas d'ennemis (Woody Allen). Il devait lutter pour rester dans la course, c'était le vilain petit dernier.

Il faut dire aussi qu'il écrit à une période où les recompositions de maisons s'accélèrent : Émile-Paul, Charpentier, Taillandier Hetzel, etc. sont absorbés ou bien périclitent. La pieuvre Hachette est déjà en place. Il tente un livre populaire à bon marché avec les Cahiers Verts, une sorte de précurseur du Livre de poche, mais il est concurrencé par Fayard sur ce terrain. En tout cas, il a l'intuition que la littérature feuilletonnesque, boulevardière ou mondaine (Gyp, Bourget) n'avait plus aucun avenir, et c'est tout à son honneur. Il a mieux négocié le tournant de la guerre que les maisons nées au siècle précédent, mais il se trouve alors exactement sur le même terrain que Gallimard en moins chic, malheureusement pour lui. Le drame de Grasset, c'était l'existence de Gallimard, mais c'était aussi son aiguillon.

Quant au bonhomme, on est d'accord : c'est un personnage exécrable (je m'étonne d'ailleurs qu'il n'y ait pas une allusion à son racisme). Mais c'est aussi un monstre de contradictions : il prend lui-même la plume dans un Journal déclinant (le France-Soir finissant de l'époque) alors que Gaston laissait entendre à ses affidés que peut-être... une petite note... Cela montre son manque de relais dans la presse, mais aussi sa volonté d'intervenir sur tout et de tout contrôler. Il est un peu à l'origine du mélange des genres et des casquettes que l'on retrouve chez nos éditeurs-présentateurs-écrivains-critiques qui s'agitent dans les médias, mais au fond ce n'était pas simplement la pathologie de Grasset mais la logique d'un système.

Écrit par : Dominique | mardi, 13 décembre 2005

Merci Dominique pour ce commentaire développé. Nous avions d'ailleurs évoqué Grasset l'autre jour, tous les deux.

Bien entendu, j'ai évoqué uniquement ce que recélait ce court volume (deux cents pages de petit format imprimées en garamond de corps 14), sans m'étendre sur l'apport de Grasset à sa profession, qui est indéniable. J'ajoute qu'il déclare ici ne pas apprécier outre mesure ses propres méthodes mais y avoir été contraint par l'air du temps.

Je ne voulais signifier rien d'autre que la persistance de ce qu'il dénonçait en 1929, dont on me fait l'étalage depuis 1971 et qu'on continue de répéter aujourd'hui -- en ajoutant toujours que c'est une caractéristique de l'époque. Cela me fait rire... douloureusement.

Ce qui m'agace aussi, c'est que Grasset, qui a beaucoup écrit, ne sait pas écrire. Sa prose est lourdingue, brutale, épaisse comme une sauce indigeste. Son ton péremptoire n'étant soutenu par aucun talent, il agace. Pour asséner, il faut savoir y faire.

Je n'ai pas parlé de racisme parce que ce bref ouvrage n'en contient pas, sans quoi je n'aurais pas manqué de le relever. Il ne contient "que" les autres choses délicieuses que j'ai mentionnées.

Une petite précision : "Galligrasseuil" a été inventé par Laffont.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 13 décembre 2005

Les commentaires sont fermés.