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vendredi, 16 décembre 2005

La « présentification » selon Sartre

Je relance aujourd’hui un débat fréquent en ce lieu, celui de l’écriture et de ses exigences. Après une série d’échanges sur le style, nous étions convenus il y a quelques semaines de nous arrêter sur l’expression « justesse de l’énonciation » (Barthes).

 

On peut ici compléter les conclusions, toutes provisoires, auxquelles nous étions parvenus par ces propos de Sartre définissant la fonction du style comme faisant dire au texte « ce qu’il ne dit pas ou n’a pas à dire ». Le style est « une manière de dire trois ou quatre choses en une », déclare Sartre qui baptise cela « présentification », afin de « viser la signification tout en l’alourdissant de quelque chose qui doit vous donner des présences ».*

 

Ce style-là – je veux dire : cette définition du style et de son rôle – j’y adhère entièrement. C’est celui que j’espère approcher sinon atteindre quelque jour, en travaillant beaucoup et en m’abreuvant d’humilité, car je pense – on reconnaîtra là une de mes obsessions – qu’il est le meilleur moyen de rendre littéraire l’écriture non romanesque.

 

* Jean-Paul Sartre, Situations, IX, Gallimard, 1987. Cité par Bernard Pingaud, « Le Génie de la famille », in catalogue de l’exposition Sartre (ss. dir. Mauricette Berne), Bibliothèque nationale de France et Gallimard, 2005.

Commentaires

D'autre part, cette définition se rapproche de celle du polylinguisme par Bakhtine, qui y voit justement le génie de l'écriture romanesque et de ses équivoques.

http://cours2005.hautetfort.com/archive/2005/10/15/bakhtine-et-le-polylinguisme.html

Écrit par : Guillaume Cingal | vendredi, 16 décembre 2005

Ah mais attention, c'est moi et non lui qui parle ici d'écriture non romanesque. En lisant hier soir ces phrases vers la fin du catalogue cité, j'ai trouvé qu'elles recoupaient bien mes préoccupations et pouvaient m'aider à clarifier mes idées et ma recherche d'un style qui ne soit ni abscons ni élémentaire, ni ampoulé ni plat et serve des travaux d'écriture (essais, documents, biographies...) en les "alourdissant de quelque chose".

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 16 décembre 2005

Normalement, c'est la polyphonie du roman chez Bakhtine et non son polylinguisme dont je me demande d'où il peut bien sortir et comment il serait en accord avec ses idées.

Écrit par : Dominique | vendredi, 16 décembre 2005

Je ne trancherai certainement pas. Toutefois, en toute rigueur, il me semble que Dominique est dans le vrai avec "polyphonie".

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 16 décembre 2005

Il y a un article dans le Cahier de l'Herne sur Gary qui examine, à la lumière des travaux de Bakhtine, l'influence des langues étrangères sur l'oeuvre de Gary, cette "batardisation" du français par l'application du carnavalesque et d'une certaine tradition de la littérature russe sortie de Pouchkine qui fait "sonner" la langue française autrement. Ce qui explique en grande partie l'incompréhension critique (particulièrement dans les années 40 et 50) envers l'oeuvre de Gary, qui lui reproche de ne pas écrire en français. Le "bon" français. Alors là, oui, polylinguisme serait juste, mais je ne crois pas que ce soit le sens que Jacques entendait.

Ou plutôt, dans le cas de Gary, il y alliage entre polyphonie et polyliguisme.

Écrit par : Benoit | vendredi, 16 décembre 2005

Jacques > j'avais compris. C'est cela qui m'amusait : on peut tirer la citation de Sartre dans un tout autre sens, mais ta proposition est fascinante aussi.

Dominique > Polylinguisme, polyphonie et hétéroglossie sont trois notions distinctes. Il faudrait revérifier les termes russes, parce que les traductions françaises et anglaises ont un peu semé la pagaille.
La polyphonie est d'ordre structurel, le polylinguisme d'ordre linguistique ; évidemment, ils se rejoignent dans l'effet d'opacité produit.

Écrit par : Guillaume | vendredi, 16 décembre 2005

Je me suis replongé brièvement dans « l'Œuvre de François Rabelais » et je ne vois nulle part de polylinguisme, même si on ne peut nier que la polyphonie recouvre aussi des langues autres (latin, grec, faux latin, patois, argot, langues inventées). Je me demande si en fait le concept n'est pas dû à quelqu'un qui se réclamait de Bakhtine et s'il n'y a pas mélange des références (peut-être indirectes).

Écrit par : Dominique | vendredi, 16 décembre 2005

Bon, je ne veux pas paraître insister, mais si vous jetez un oeil à l'extrait d'ESTHETIQUE ET THEORIE DU ROMAN que j'ai donné en lien plus haut, vous verrez que je n'invente pas. J'ai lu presque tout Bakhtine, en anglais et en français (pas en russe, d'accord), pour ma thèse, et je ne sache pas que L'OEUVRE DE FRANCOIS RABELAIS soit son seul texte... Dans mes souvenirs, l'hétéroglossie (que le traducteur d'Eshétique et théorie du roman rend par "bivocalisme", histoire de compliquer un peu) est surtout développée dans le livre sur Dostoïevski.

Écrit par : Guillaume Cingal | vendredi, 16 décembre 2005

Polylinguisme + Bakhtine = 21
Polylinguisme + Cingal = 11

Écrit par : Dominique | vendredi, 16 décembre 2005

Ce doit être la fièvre (comme tous les enseignants sérieux, je tombe définitivement malade le jour du début des vacances), mais je ne comprends pas.

Écrit par : Guillaume Cingal | samedi, 17 décembre 2005

A mon avis, il s'agit d'occurrences relevées par Google, mais Dominique répondra lui-même.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 17 décembre 2005

D'après mon essai, à l'instant, les résultats respectifs, dans ce cas, seraient 33 et 4 ! Mais ce que j'aimerais faire comprendre, et il suffit pour cela de lire la citation donnée sur mon blog (lien plus haut), c'est que je ne suis pas l'auteur de la formule "polylinguisme"...

Écrit par : Guillaume Cingal | samedi, 17 décembre 2005

Comme tous ces pinaillages circumbakhtiniens, dont je suis indirectement responsable, nous ont éloigné du sujet, j'aimerais en revenir à ce bien vilain mot de "présentification" dans la citation de Sartre : ce qui me semble très intéressant, c'est l'idée d'alourdir la signification. Les présences sont pesantes ; ce qui pousse à penser, c'est ce qui pèse.

Écrit par : Guillaume Cingal | samedi, 17 décembre 2005

Ce n'est pas 4 résultats, mais 4 pages affichées sur 11 résultats. Soit la moitié ou le tiers des citations en français. Et on pourra comparer ce chiffre avec 225 bakhtine + plurilinguisme (même concept).

Écrit par : Dominique | samedi, 17 décembre 2005

Sartre fait-il référence à une expérience passée qui ne serait pas exprimée mais cependant présente dans le texte écrit (suggérée, en quelque sorte) ou bien veut-il dire que par le style il faut faire passer autre chose que le récit, comme par exemple des éléments actuels et annexes (l'ambiance, les rapports psychologiques, les tensions, etc.)?

Écrit par : Feuilly | dimanche, 18 décembre 2005

Les commentaires sont fermés.