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vendredi, 22 septembre 2006

Un amour en temps de guerre

medium_medium_Madeleine_Pages.jpgEn 1915, Apollinaire est au front. Il écrit à Madeleine Pagès, qu’il n’a vue qu’une fois au cours d’un voyage en train, le 2 janvier, des lettres passionnées qui trouvent un écho puisque – si l’on ne dispose pas des réponses de la jeune femme, éparpillées je crois dans des collections privées – on peut néanmoins en juger par des allusions figurant dans les missives du poète.

Rapidement, donc, tous deux s’éprennent d’un amour sincère et profond. Apollinaire demande, toujours par lettre, la main de Madeleine à sa mère. Madeleine Pagès, originaire de la Roche-sur-Yon (Vendée) où elle est née en 1892, est professeur de lettres à Oran. Elle a alors vingt-trois ans. Apollinaire la comble de lettres quotidiennes tendres, énamourées, accompagnées parfois de poèmes et de plus en plus empreintes d’un érotisme étonnant pour l’époque – ou pour l’idée que nous nous en faisons, puisqu’il semble bien que Madeleine réponde pratiquement sur le même ton. Ainsi, à cette jeune femme qui n’a jamais connu d’homme, le poète promet monts et merveilles dans la découverte de l’amour physique qu’il s’engage à lui faire connaître, y compris un certain type de rapports qu’on eût cru susceptibles d’effrayer une femme de 1915. Point du tout, Madeleine, s’il faut en croire certaines allusions à ses lettres que fait Apollinaire dans les siennes, poursuit joyeusement, et dans l’impatience, les objectifs fixés par son artilleur de futur mari.

Tout au long de cette correspondance, fort abondante puisque pratiquement quotidienne, tous deux attendent une permission sans cesse repoussée. Il la conjure de se montrer patiente et, dans le même temps, lui envoie des « poèmes secrets » où il l’initie notamment à la fréquentation des neuf portes du corps féminin.

Apollinaire obtiendra finalement sa permission lors du jour de l’an 1916 et ralliera Oran, depuis le front de l’Est où il se trouve. Il est si ignorant de toute forme de géographie qu’au début de leurs échanges, il ignorait même qu’Oran fût un port. Quant à la notion d’Afrique du Nord, d’Algérie ou de pays du Maghreb, elle lui est étrangère. Pour lui, au moins au début, sa chère et belle Madeleine est « africaine. » Nul ne sait, naturellement, ce que les futurs époux se dirent et firent lorsque le poète put rejoindre Oran pour passer quelques jours dans sa belle-famille.

En 1916, Apollinaire est blessé à la tête. Il est évacué, hospitalisé, trépané. « Une belle Minerve est enfant de ma tête / Une étoile de sang me couronne à jamais » écrira-t-il. Il interdit à Madeleine de venir le voir et l’assister. Peu à peu, les nouvelles qu’il donne se font plus brèves, les lettres plus rares, et, sans le dire, le poète se détache de sa jolie passion, rompt sans le dire leurs fiançailles et l’abandonne.

On a glosé, depuis, sur cette séparation en se demandant quelles raisons avait Apollinaire d’ainsi se comporter. On le sait pourtant, mais l’éditrice de la récente (2005) publication des Lettres à Madeleine chez Gallimard, Laurence Campa, fait semblant de l’ignorer encore, ou de mal comprendre. La blessure d’Apollinaire, l’opération qui s’ensuivit, l’ont énormément marqué. Dans le même temps, il souffre d’avoir perdu à la guerre des amis connus au front et qui sont morts sinon devant lui, du moins non loin. Il est dégoûté depuis longtemps de l’attitude de ceux qu’on nommait alors les « planqués » ou les « embusqués » qui, à l’arrière, mènent une vie tranquille quand on se bat atrocement à l’Est, quand lui-même, d’origine polonaise, s’est engagé volontairement. Le traumatisme de la blessure, du cerveau fouillé par l’obus puis par le bistouri, exacerbe tout cela et le poète se détache de tout, et de Madeleine avec. Le sentiment d’à-quoi-bon, qui est la pire chose qui puisse contaminer l’être humain, le taraude. Il s’en va en lui-même. Plus rien ne compte.

Surtout, on comprend à la lecture de cette correspondance et à l’étude de cette séparation qu’Apollinaire avait opposé à l’horreur de la guerre l’éclat de la beauté d’une jeune femme qu’il avait certainement sublimée. Il s’était construit, épistolairement, un refuge de paix et de calme, d’amour et d’érotisme, qu’il explorait tandis que résonnait le canon et que les hommes n’étaient plus que des promesses pour ces monuments aux morts dont on ne savait pas encore qu’ils seraient rendus obligatoires dans toutes les communes, quelques années plus tard. Apollinaire, en poète, en connaisseur des choses de l’art, réinvente sa vie au front et se dit presque heureux d’être à la guerre. Il admire les lueurs des tirs, couche sans rechigner dans un lit enterré dans un abri inondé par les pluies, se dit bien habillé et bien nourri, chante avec lyrisme une des plus grandes boucheries de l’humanité. L’amour fou trouve sa place dans ce schéma entièrement construit par une vue intellectuelle de la réalité. On ne saurait lui en vouloir : cela l’aide à vivre, c’est une attitude d’artiste cohérente et, au passage, la poésie française y gagne quelques chefs-d’œuvre.

Il épousera Jacqueline Kolb et mourra quelques mois à peine après leur mariage, le 9 novembre 1918, deux jours avant l’armistice. Sous son pigeonnier, 202, boulevard Saint-Germain, la foule défile en criant : « À bas Guillaume ! » Il s’agit du Kaiser, naturellement. L’épidémie de grippe espagnole qui frappe Paris à cette époque emporte avec elle l’auteur de La Chanson du mal-aimé, qui fut cependant un des hommes les plus couverts de femmes qui soient.

Madeleine Pagès restera célibataire. Elle n’oubliera pas son poète et, apparemment, ne lui tiendra pas rigueur de cet abandon, puisque ses multiples lettres furent conservées. En 1952, elle les publiera sous le titre Tendre comme le souvenir, avec une préface dans laquelle elle évoque leur rencontre dans le compartiment du train. Heureux temps où, empruntant le chemin de fer, on pouvait croiser Guillaume Apollinaire ! L’édition princeps, due à Pierre-Marcel Adéma, était expurgée par elle de passages que sa pudeur l’autorisait sans doute à accepter mais certainement pas à publier. Le nom de Pagès lui-même n’était pas mentionné. En 1966, une autre édition, celle de Pierre-Marcel Adéma et Michel Décaudin, corrigea partiellement les erreurs et manques de la première. En 2005 enfin, le texte intégral a été rendu disponible, agrémenté de fac-similés des lettres et dessins de l’auteur, et conservant la préface émue de 1952. « Intégral » certes, mais il ne s’agit que de l’intégralité de ce dont on dispose, car les dernières lettres de l’hiver 1916 sont perdues. On sait néanmoins qu’il n’est rien de tel qu’une publication pour faire ressortir du néant des documents qu’on croyait disparus. Attendons.

mardi, 12 septembre 2006

Désespérant ou pas ?

« Que notre tâche est aussi grande que notre vie, c’est ce qui lui donne une apparence d’infini. »

 

Kafka, Journal.

 

Dans un sens, c’est réconfortant, au contraire. On rapprochera cette phrase de celle de Chateaubriand : « L’ambition dont on n’a pas les talents est un crime. » Je ramasse les copies dans une heure.

vendredi, 08 septembre 2006

Faites sortir la rentrée, 2

On en a parlé déjà plusieurs fois dans ces pages. Le problème demeure entier. Une première vague de six ou sept-cents romans a envahi les magasins de librairie. La seconde nous parviendra en janvier. Je veux bien me montrer ouvert, comprendre qu’on puisse, en 2006, aimer les romans et penser encore qu’ils servent à quelque chose aux hommes d’aujourd’hui. Je veux bien faire semblant de croire que l’amateur, même pâlement éclairé, saura faire son choix dans cette avalanche entre une idiotie et une imbécillité. Je veux bien oublier que cette quantité de production éditoriale d’un genre unique élargit pour lui les possibilités de découverte. Je sais pertinemment que tout ça est faux, mais je veux bien, par respect d’autrui, me taire.

 

Il n’en reste pas moins, foutre de foutre, que ces six ou sept centaines de romans prennent de la place. Cela, c’est incontestable, n’est-ce pas ? Alors, j’en ai par-dessus la tête de l’impérialisme du roman. Dans les magasins de librairie, il n’y a plus de place pour autre chose. Comme ils ne peuvent pas pousser les murs, les libraires sacrifient délibérément tous les autres genres sans exception. On ne trouve plus d’ouvrages autres, ou en très petite quantité, avec un choix très restreint.

jeudi, 07 septembre 2006

Apollinaire parle de Claudel

« Vous m’avez parlé de Claudel dernièrement. Cet écrivain de talent est l’aboutissant du symbolisme. Il représente de façon absconse et réactionnaire la menue monnaie d’Arthur Rimbaud. Celui-ci était un Louis d’or dont celui-là est le billon. Claudel est un homme de talent qui n’a fait que des choses faciles dans le sublime. À une époque où il n’y a plus de règles littéraires, il est facile d’en imposer. Il n’a pas eu le courage de se dépasser et surtout de dépasser la littérature d’images qui est aujourd’hui facile. On s’est habitué aux images. Il n’en est plus d’inacceptables et tout peut être symbolisé par tout. Une littérature faite d’images enchaînées comme grains de chapelet est bonne tout au plus pour les snobs férus de mysticité. C’est à la portée de tout le monde et je me demande pourquoi les Annales ne publient pas du Claudel afin que les cousines se croient désormais aussi thomistes qu’elles sont bergsoniennes ou nietzschéennes. »

 

Apollinaire, lettre du 12 juillet 1915 à Madeleine Pagès.

mercredi, 06 septembre 2006

Apollinaire le précurseur

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 Le 1er juillet 1915, Apollinaire écrit du front à Madeleine Pagès, professeur de lettres à Oran :

 

« … s’il s’agit de vitesse, de raccourci, le style télégraphique nous offre des ressources auxquelles l’ellipse donnera une force et une saveur merveilleusement lyriques. » Il venait, sans le savoir, d’inventer le SMS dont on goûte aujourd’hui seulement le lyrisme.

mardi, 05 septembre 2006

Un nouveau site consacré à Albertine Sarrazin

Je viens de découvrir qu’un site en italien était consacré à Albertine Sarrazin. Son titre est Albertine Sarrazin, una scrittrice indomita. Il est réalisé par Aldo Giungi, un traducteur que j’ai un peu connu, par téléphone et par courrier uniquement, il y a quelques années, lorsqu’il traduisait La Traversière. C’est un beau site. Je ne lis pas l’italien mais, si vous le comprenez, la visite sera intéressante. Une belle iconographie, de surcroît. 

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Albertine à Alger, 1941.

mardi, 20 juin 2006

Pour Stendhal

L’ami Feuilly appelle mon attention sur la vente de manuscrits de Stendhal et sur une pétition lancée par l’association Stendhal de Grenoble.

mercredi, 07 juin 2006

Amis dérivés

Que sont mes amis devenus

C’est la rengaine du poète

C’est son antienne et son cœur nu

Il faut aller au bout des fêtes

 

Quand vous dansiez dessus la piste

De mon cœur poudré lumineux

Vous vous preniez pour des artistes

Le mois de juin était de feu

 

Nous savions parler de printemps

Aux lèvres bleues des demoiselles

Nous savions trouver amusant

Le cafard de pauvres ruelles

 

Nos yeux battus brillaient souvent

Notre peau ne descendait guère

Plus bas qu’il n’eût fallu pourtant

Nous étions beaux comme des frères

 

Et nos chorales chantaient juste

Dans les églises du beau temps

Nos voix unies face à l’injuste

Chanterellaient le bel instant

 

Où sont mes amis dérivés

Et quel courant absurde entraîne

Mes camarades de l’été

Mes garçonnets montés en graine

 

Nous ne sommes plus que des ombres

Millésimées cafard ancien

Bientôt nous serons dans la tombe

Avec le spleen du clavecin

lundi, 22 mai 2006

1844-1896

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mardi, 16 mai 2006

Spectacle d’un homme, par Martine Layani-Le Coz

Je le détaille de bas en haut, par étonnement autant que par souci d’épargner la brève et méprisante descente.

 

Les pieds, si douloureux quand le poids de tout le corps les oblige à danser ! Mais si intense le plaisir irradié en sens opposé et tout ce temps si bref, d’eux jusqu’au cerveau, qui suffit à inonder les ramifications de ses frissons sous les caresses… Le dos, qui vit à ses dépens et attire à lui ses sens endoloris quand la fatigue rejoint l’axe en aiguë colonne, qui nous porte à bout d’os et de muscles, douleur sublime qui nous pince au même lieu que le désir en ces reins mal nommés, constitués de hanches, de fesses d’où les viscères sont absents.

 

Les mains, qu’elles soient tranquilles, habiles ou maladroites, excitées, pressées ou bien tenaces langues de serpents, sont les interprètes des fruits défendus ou flagrant délit de dons. Les yeux, témoins jusqu’où fidèles de l’extérieur vers l’intérieur, piètre miroir de soi vers l’autre. La bouche, cet instrument de baiser, de parole, reste un mystère. Même muette, elle est expression d’amour ou de haine.

 

Enfin les cheveux, avec peut-être la blondeur, cette brume palpable, ce soupir très léger qui descend en brise des yeux jusqu’aux pieds, comme une hésitation de l’ange avant le saut, un mensonge inventé pour rire, une vérité, un printemps, l’enfance et sa lumière qui se tait sous la main. Mais il y a aussi le brun de l’été, sa chaleur exaltée, ce charme bavard aux nuances diverses, aphrodisiaque et long sous les soleils curieux, son ardeur. Sa chanson, c’est l’aplomb du bonheur à la face des ans, la grâce évidente aux chevilles souples qui court vers demain. Quant à la rousseur, cet automne éclatant qui croise l’été sans faiblir, accompagne la neige en mélodie très ancienne, berceuse et danse à la fois, fée descendue dans la rue, fleur éclatante des pavés, c’est la légende et le rêve, le mets délicat réservé à la tendresse inattendue d’un sourire absolu. Restent les cheveux blancs… ni gris, ni bleus, sincères et nobles, immobiles sous les dessins des mondes qui s’envolent.

 

Qu’à pleines poignées, le vent ramène sur les visages fatigués, ces rives d’éternité.

mardi, 25 avril 2006

Pour Bernard Delvaille

J’apprends par Le Monde la disparition de Bernard Delvaille, retrouvé mort le 18 dernier à Venise. Ça ne m’étonne pas, les artistes, les poètes meurent toujours à Venise. On le sait depuis Thomas Mann, et singulièrement depuis Visconti.

 

Je l’avais un peu connu – pas Visconti, Delvaille – aux éditions Seghers, il  y a vingt ans. C’était un homme raffiné et cultivé, un grand spécialiste de poésie. Il avait entre autres dirigé la collection « Poètes d’aujourd’hui ».

 

Une fois n’est pas coutume, une anecdote. Delvaille m’avait parlé de Blanche, la taulière du Bar Bac, 13, rue du Bac à Paris, un établissement (il existe toujours) qui, autrefois, restait ouvert toute la nuit par autorisation préfectorale, afin que les typographes de l’imprimerie, voisine, du Journal Officiel, puissent venir se désaltérer. Blanche était un personnage « haut en couleur » comme il est convenu de dire. Dans la salle, Delvaille, un jour, discutait de poésie avec des amis. Ils reconstituaient de mémoire un poème de Maurice Scève et ne se trouvaient pas d’accord sur le texte. L’un d’entre eux insistait : « Je te dis qu’il manque deux vers ». La dispute, certes toute littéraire, fit monter le ton et les éclats de voix parvinrent jusqu’à Blanche. De sa caisse, elle tonitrua, de la voix qu’on imagine : « Deux verres, deux verres ! Vous n’allez pas vous disputer pour deux verres ! Je vous les offre, vos deux verres ! »

lundi, 24 avril 2006

Un nouveau livre de Malraux

Exaspéré par les redites permanentes (d’une page à l’autre, maintenant ! Sans parler d’extraits de lettres cités deux fois !), je prends un instant pour respirer, au cours de la lecture du Dominique Aury d’Angie David, livre qui, je l’ai souvent dit, réussit à être aussi calamiteux qu’intéressant. Et je vais voir ailleurs.

 

Gallimard vient de faire paraître un mince volume, cousu, agréablement imprimé (avec des marges, enfin, quel repos pour mes yeux), intitulé Carnet du Front populaire, 1935-1936, signé Malraux. Le titre est un peu abusif, il n’est pas de Malraux, et d’ailleurs, le carnet manuscrit d’où est extrait le texte ne comporte qu’une seule date complète, les autres étant partielles ou pouvant être déduites des événements rapportés. Il s’agit en réalité d’un ensemble de notes, pas du tout d’un journal, prises par l’auteur, relatées comme des choses vues, parfois jetées sur le papier abruptement. Au total, il ne s’agissait évidemment pas d’un volume destiné à la publication, mais d’une mine, d’un ensemble de ressources, d’une somme d’idées destinées à servir, quelque jour, à un ouvrage. Certaines sont précédées d’un « R » qui indique vraisemblablement une destination : un roman à venir. Mais ce ne sera pas le cas. Le roman qui suivra sera L’Espoir, qui n’utilisera pas ce matériau.

 

Quoi qu’il en soit, quel plaisir de l’esprit, quel délice aigu représente cette lecture. Une note de Malraux, une bribe de quelques lignes seulement, réjouit davantage l’intellect que trente pages d’Angie David. Partout, fuse l’intelligence acérée.

 

Dominique estime, je crois – il n’a pas entièrement tort – que Malraux est un grand orateur alors qu’il n’a commis que des romans mal bâtis. Précisément, dans ces notes hâtives, aucune écriture ne semble avoir pris le pas sur le jaillissement de la pensée, l’originalité du fait entrevu. Pourtant, c’est écrit. Je ne suis pas du tout un malrucien idolâtre, mais il est difficile de nier qu’un premier jet, une observation hâtive, sont chez Malraux meilleurs que de laborieux chapitres signés par d’autres.

vendredi, 21 avril 2006

Dominique Aury par Angie David, 3

Je suis un lecteur, toujours très intéressé, de journaux et de correspondances. Pour un auteur, de plus, ces œuvres sont toujours des sources d’information importantes.

Angie David, dans ce livre que je trouve toujours incompréhensible dans son mouvement comme dans sa structure, utilise à loisir une très importante correspondance. Les lettres sont référencées avec précision, mais toujours attribuées à une « collection particulière ». J’aurais préféré une mention entre parenthèses comme « (archives d’Untel) », même si Untel n’est pas directement partie prenante de l’histoire et a reçu ces lettres en héritage, en legs ou pour quelque raison que ce soit. Passons.

Angie David, donc, a recours à la correspondance de Dominique Aury, essentiellement celle qu’elle échangea avec Paulhan, Maulnier et Blanchot. C’est très bien. Ce qui est moins bien, c’est que, durant des dizaines et des dizaines de pages, l’« action » ne progresse qu’au travers d’extraits de lettres. Ces extraits sont reliés entre eux par quelques lignes de l’auteur, voire quelques mots seulement, et l’on devine que ces lignes, ces mots, reprennent tout simplement la substance des passages non cités. À ce rythme, on eût mieux fait de publier purement et simplement une correspondance de Dominique Aury, éventuellement annotée par Angie David.

Parmi les choix éditoriaux étonnants, je signale celui-ci. Les lettres sont des citations reproduites dans le courant du texte et l’on doit les présenter comme telles, en romain, uniquement entourées de guillemets. C’est le cas. Mais il faut aller au bout de cette logique typographique, c’est-à-dire que les titres d’œuvres cités dans les extraits choisis doivent alors être imprimés en italique, et qu’il n’est pas nécessaire d’indiquer les retours à la ligne présents dans le manuscrit original. Or, dans cet ouvrage, on a mélangé allègrement deux types de disposition graphique : d’une part, la citation pure et simple ; d’autre part, la présentation qui est celle des recueils de correspondance, à savoir : titres soulignés (tout simplement parce que c’est l’usage dans un manuscrit, par impossibilité de rendre autrement l’italique), et traits obliques figurant les retours à la ligne. Bref, sur ce point comme sur d’autres que j’ai déjà relevés, le travail d’éditeur n’est pas réalisé correctement.

 

Angie David travaillant aux éditions Léo Scheer, on se demande si elle ne s’est pas chargée elle-même de ce travail, justement. Si c’est le cas, elle n’a pas les connaissances nécessaires et, surtout, c’est une erreur importante car le travail de correction doit être effectué par quelqu’un qui possède un regard extérieur. Mais ce n’est peut-être pas le cas.

Fin d’année

L’année se défile, s’effiloche. Je hais ces périodes, chaque fois un peu plus. Cependant, la paix calme de la campagne d’hiver est doublée par cette latence permanente de l’entre-deux-réveillons et c’est d’autant mieux. Paix silencieuse. Au loin, toutefois, une tronçonneuse chante le bois de l’hiver, l’âme du chauffage, le sang du poële. C’est comme le bruit familier d’un oiseau enroué. L’oiseau de décembre fait rendre gorge au bois qui crie son désespoir de foyer.

 

Louis Vaugier, Le taureau n’écrit jamais.

jeudi, 20 avril 2006

Dominique Aury par Angie David, 2

Le premier pas de Dominique Aury dans l’édition est la réalisation d’une anthologie de poésie pour laquelle elle effectue le choix, l’introduction étant signée de son amant Jacques Talagrand, alias Thierry Maulnier.

 

Introduction à la poésie française paraît chez Gallimard en septembre 1939. On tombe difficilement plus mal. Cependant, le succès est immédiat et considérable. En moins de deux mois, deux mille exemplaires sont vendus. André Breton en personne remarque l’ouvrage. En mai 1940 – on pourrait imaginer qu’à ce moment, on est préoccupé par autre chose – on procède à la troisième réimpression.

 

Pour une somme de poèmes, c’est à proprement parler incroyable, même si, traditionnellement, les anthologies se vendent mieux que les ouvrages originaux. Et pourtant, les choix des auteurs sont discutables. Hugo est considéré comme médiocre et l’on tente d’y trouver ce qu’il comprend de plus fort. Le XIXe, en dehors de lui, est limité (si je puis dire) à Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé, Nerval. Verlaine est ignoré. L’accent est mis sur le XVIe siècle, on s’en félicitera.

 

Bien sûr, au XVIIe, Racine est célébré et l’on tentera de pardonner à Maulnier bien des erreurs, notamment politiques, pour avoir écrit : « Racine porte à leur état de fusion poétique intégrale les matériaux jusque là rebelles de l’art tragique. (…) Racine jette au milieu du plus policé des siècles, d’un siècle qui attend de lui de beaux spectacles ordonnés, amoureux, héroïques, les bûchers humains, les meurtres rituels surgis du fond des âges, le vol noir des sorts funestes, le va-et-vient dans les âmes des grandes marées homicides. »

 

La belle réussite de ce livre peut prouver que la poésie est évidemment consubstantielle à l’homme : elle s’impose même en des temps on ne peut plus troublés. Une autre opinion consiste à penser que l’on se réfugie dans le génie français au moment où, justement, le quotidien entreprend de l’anéantir : c’est un peu ce que soutient l’auteur de cet étrange volume qui n’en finit pas de m’agacer tout en continuant à m’intéresser. J’y reviendrai certainement, d’autant que je suis de plus en plus persuadé d’une chose : c’est une supercherie littéraire. L’auteur désigné n’est pas le vrai. Je n’ai évidemment pas la moindre preuve de ce que j’avance. C’est un sentiment personnel, une impression confuse. Je continue à penser, par ailleurs, que c’est un bien étonnant éditeur que celui qui choisit volontairement de ne pas inclure d’index dans un tel volume ; surtout, qui accepte les choix incompréhensibles de l’auteur et ces redites permanentes, non seulement d’une partie à l’autre, mais à l’intérieur de la même partie.

vendredi, 14 avril 2006

Dominique Aury par Angie David

Compte tenu de la presse énorme dont elle bénéficie, il est peu probable que le nom d’Angie David vous échappe en ce moment. Cette jeune femme (née en 1978) dont je n’avais rigoureusement jamais entendu parler, mais qui est paraît-il un peu connue comme comédienne, vient de publier, aux éditions Léo Scheer (où elle travaille) un ouvrage intitulé Dominique Aury, présenté comme une biographie. Le livre compte 560 pages de grand format, imprimées serré. Ce n’est pas rien. Avec une telle densité, il faut du temps pour le lire, sauf à n’avoir que ça à faire. Je me demande par conséquent à quel moment les journalistes ont bien pu être en possession de ce volume, paru il y a quelques jours à peine. C’est à se demander s’ils n’ont pas reçu en service qu’un seul titre, ces dernières semaines.

 

Je suis en train de le lire moi-même. J’ai lu la première partie qui compte près de 200 pages et constitue déjà un livre en soi. Elle est titrée « Pauline Réage ». Je viens d’entamer la seconde partie, « Anne Desclos ». La troisième sera « Dominique ».  Le choix de la structure est curieux. Si l’auteur veut nous montrer que Dominique Aury a eu plusieurs vies simultanées, ce qui paraît être évident, il est étonnant qu’elle les scinde en parties aussi distinctes. Pire, à la fin de la première partie, l’héroïne meurt. On tourne la page, elle naît. C’est original, mais déboussolant.

 

Pour ce qui est de la première partie, il faut bien dire qu’on y parle davantage de Jean Paulhan et de la vie littéraire du moment que de Dominique Aury, hormis une peinture de la sortie d’Histoire d’O, faite dans les premières pages. Il y a gros à parier que ça va continuer dans les deux parties suivantes. Bref, on a le sentiment de ne pas lire l’ouvrage qu’on a cru acheter, mais un autre. Les redites sont extrêmement nombreuses et très ennuyeuses. Fréquemment, des phrases nominales, parfois réduites à de simples groupes de mots, tombent dans le récit d’une manière très abrupte. Tout ça est prodigieusement agaçant, mal fichu.

 

Cela étant, si l’on fait exception des défauts énoncés ci-dessus, le livre est bien écrit. Je veux dire : tout le reste, car son épaisseur est grande et sa documentation est sans faille. Le plus étonnant est la familiarité de l’auteur avec son sujet, alors qu’elle n’a pas connu son modèle et n’a pas vécu cette période. Étonnante empathie. Une très volumineuse correspondance, en grande partie inédite, est utilisée et citée. Les références sont très précises. Ce sérieux, justement, contraste avec les erreurs qui m’ont fait précédemment exprimer des réserves.

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Dominique Aury à la fin des années 40 (studio Lipnitzki).

Il n’y a pas de cahier de photographies, ni d’index des noms cités. L’auteur nous prévient, au bas de la page des remerciements : il s’agit d’un choix de l’éditeur. C’est très curieux. Les photos, passe – d’ailleurs, l’auteur a déposé de nombreuses images sur un blog – mais l’index ! Sans repères, l’ouvrage, une fois achevée la première lecture, sera pratiquement inutilisable. Comment retrouver, dans une pareille somme, un passage, quel qu’il soit, sans liste de noms ? Autres petites choses très agaçantes : les poses maniérées de l’auteur (cliquer sur « Galerie ») et la bande racoleuse : « La vie secrète de l’auteur d’Histoire dO », totalement à côté du sujet. 

mercredi, 29 mars 2006

Maurice Pons, 2

En octobre dernier, j’avais reproduit ici mon texte de présentation de Maurice Pons, augmenté d’un chapeau prévenant le lecteur que l’étude en question avait été publiée en 1999 et précisant les trois titres dont le commentaire n’était pas donné dans le texte.

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Pons vient de publier un nouveau livre, un petit – par ses dimensions comme par le nombre de pages – recueil de nouvelles, Délicieuses frayeurs, au Dilettante. Il napportera rien de neuf à lœuvre dans son  ensemble, il se contente de la prolonger, de la remettre dans lactualité. Il s’agit toujours dune fiole de poison. De poison amer, de préférence. Premier texte publié par Pons depuis de nombreuses années, cet ensemble, que je suis en train de lire, ne fera pas certes pas oublier Les Saisons et Mademoiselle B. Je crois quil ny prétend pas. On y prendra toujours, cependant, un vénéneux plaisir. 

 

On regrettera seulement que soit encore proposée ici la nouvelle La Vallée, parue aux Lettres nouvelles en 1960 et dans Le Monde diplomatique en 1993. Certes, elle paraît enfin en recueil, mais enfin, c’est tout de même la troisième fois que l’auteur nous la fourgue. Quant on sait que, de plus, elle fut le point de départ des Saisons, on est en droit de se dire que c’est un peu long, tout de même. En cela, Pons, spécialiste des rééditions multiples (mais pourquoi pas, ainsi, son travail vit, et lui aussi), ne déroge pas à sa mauvaise habitude : le manque de clarté. En effet, il y eut en 1992 et en 2000, deux rééditions d’anciens ouvrages, chez de nouveaux éditeurs et sous des titres différents. Le titre initial était bien indiqué, mais en petits caractères, à lintérieur du volume, très discrètement. Il y avait vraiment de quoi prêter à confusion, dautant plus que, parallèlement, se produisaient dautres rééditions, faites, elles, sans changement de dénomination.

 

La confusion est entretenue, cette fois, par léditeur qui, pour justifier que Pons est un écrivain rare, nhésite pas à affirmer sur le premier rabat de couverture quil a publié « une dizaine de titres en près de quarante ans décriture ». Sans doute veut-il parler des quarante dernières années car, en réalité, Pons écrit depuis 1951, et sa bibliographie comprend beaucoup plus de volumes. Confusion toujours, puisquaprès avoir évoqué une dizaine de titres, léditeur, dans la page « Du même auteur », en annonce douze, restant de toute façon en-deçà de la vérité. On se demande vraiment pourquoi se produisent de telles erreurs dans une information pourtant fort simple à donner.

 

Pons semble être un peu brouillon. Je lui avais évidemment envoyé mon livre lors de sa parution. Il ma répondu par une lettre aimable... plusieurs années après. La lettre en question mannonçait par ailleurs une étudiante italienne l’ayant contacté pour un travail à son sujet ; il se contentait... de la diriger vers moi, afin que je réponde à ses questions. Remarquez, cela signifie une chose : mon topo ne lui avait pas déplu, mais cest étonnant. Je ne comprends pas l’italien mais je pense que les demandes auraient de toute façon été formulées en français. Je ne le saurai pas : la jeune fille ne sest jamais manifestée.

samedi, 25 mars 2006

Adhérer au réel

« Et qu’est-ce qu’un écrivain qui n’est pas lu ? L’écriture est un système, un système parmi tant d’autres, où l’indépendance n’a pas de sens. Celui qui écrit doit, d’une manière ou d’une autre, par un mot, une expression, une idée, se rattacher, se soumettre et s’admettre. Sa révolte ne peut pas être autre chose qu’une nouvelle manière d’adhérer. C’est-à-dire, non seulement d’adhérer au réel, de s’accepter comme homme vivant dans le monde vivant, mais aussi de se vouloir dans la société, de participer à la pensée, aux rythmes et aux rites collectifs. »

 

Le Clézio, préface à Lautréamont, Chants de Maldoror, Poésie-Gallimard, 1973.

vendredi, 10 mars 2006

Axel Toursky

« Il est aujourd'hui prouvé que l'imbécillité nourrit son homme », disait le poète Axel Toursky (1917-1970). C’est l’ami Pierre Bosc qui le rappelle par une note publiée sur son site.

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Illustration : Paul Lombard, Toursky, collection « Poètes d’aujourd’hui », n° 251, Seghers, 1986.

jeudi, 09 mars 2006

Autoportrait

Je suis laid

Je suis bête et prétentieux

Je suis inculte et je ne sais rien faire

Je suis imbuvable, invivable

Je suis veule, un imbécile invétéré

Je suis faible et lâche, égoïste 

Capricieux

Vantard, fanfaron, léger, pas courageux

Compliqué et tortueux

Peu fiable et sans ressort

Sans rien de valable ni de ferme

Pas solide

Un crétin remarquable

À consigner dans les annales

Insupportable en somme

Insupportable en homme

Je ne mérite que ce qui m’arrive

Rien de bon

Je me déteste

Pour de bon

 

 

 

Louis Vaugier, Le taureau n’écrit jamais.

mercredi, 22 février 2006

Un article de Pierre Bosc

L’ami Pierre Bosc a fait paraître sur son site un article qu’il a retrouvé, à propos d’Albertine Sarrazin. Il l’avait signé en 1976.

 

vendredi, 17 février 2006

Gustave Beckett

L’ami Benoît me signale un article du Monde du 17 février, intitulé La littérature contre la « belle langue ». Apparemment, cet article ne figure pas sur la Toile. Les auteurs, Julien Piat et Gilles Philippe, qui codirigent une histoire de la langue littéraire en France (1850-2000) à paraître chez Fayard, soutiennent la thèse suivante : le français est une langue claire, très claire, mais justement trop explicite pour rendre ce que la littérature peut avoir de particulier, de profond, de spécifique. Le français serait sec, analytique, donc contraignant. Beckett, par le choix de cette langue, serait plus « français » que Flaubert.

 

Qu’en pensez-vous ?

jeudi, 26 janvier 2006

Mélanc-au lit

À Mme Sabatier, que Théophile Gautier nommait « la Présidente », Baudelaire adressa de nombreux poèmes non signés, puis avoua son sentiment. Il entreprit une cour assidue. On sait qu’au lendemain d’une unique nuit, il la quitta, la femme réelle lui étant apparue quand, peut-être, il préférait l’idéaliser.

 

Ma surprise est immense, lisant Baudelaire, l’ivresse des images qu’ont cosigné Jean-Paul Avice et Claude Pichois dans la collection « Passion » que publie Textuel, de lire ceci : « Mais Baudelaire ne peut concevoir un « type de beauté où il n’y ait du Malheur » ; à cette femme décidément « trop gaie », il rêve même, dans un autre poème, d’infuser son venin. Le poison noir de la mélancolie ».

 

Le poème en question, À celle qui est trop gaie, s’achève sur ces vers que je cite de mémoire sans pouvoir en rétablir l’exacte ponctuation :

 

Ainsi je voudrais une nuit

Quand l’heure des voluptés sonne

Vers les trésors de ta personne

Comme un lâche ramper sans bruit

 

Pour châtier ta chair joyeuse

Pour meurtrir ton sein pardonné

Faire à ton flanc étonné

Une blessure large et creuse

 

Et vertigineuse douceur

À travers ces lèvres nouvelles

Plus éclatantes et plus belles

T’infuser mon venin ma sœur

 

De qui se moquent les auteurs, spécialistes du poète ? Pichois est un baudelairien reconnu depuis des décennies. Il s’agit bel et bien, et uniquement, d’une image érotique. « Flanc étonné », « blessure large et creuse », « vertigineuse douceur », « lèvres », « t’infuser mon venin », est-il besoin de commenter ?

 

Ou bien n’ai-je définitivement rien compris ?

samedi, 21 janvier 2006

Roger Vailland écrit

À Fuligineuse

 

Je voudrais vous montrer Roger Vailland au travail, mais je n’ai pas le temps de rechercher dans plusieurs mètres de bibliothèque vaillandienne les éléments nécessaires à ce portrait. Je me contente donc de reproduire ce qu’en disait René Ballet au colloque qui s’est tenu à Bourg-en-Bresse en novembre 2004 (lui-même a repris des pages de Vailland ou de son épouse Élisabeth). Ces propos sont reproduits dans les actes dudit colloque, qui ont paru dans les Cahiers Roger Vailland, n° 23, juin 2005, que je viens de recevoir. La scène est dans la maison de l’écrivain, à Meillonnas (Ain).

 

Crayon, d’après une photographie d’H. Varenne

 

 

Le matin, il se préparait, comme un sportif se prépare, se met en forme. Mise en forme progressive dans sa chambre de 8 h 30 à 11 h 30. Échauffement d’abord : la lecture des journaux. Puis la préparation à l’épreuve proprement dite : il commençait à imaginer les scènes qu’il allait écrire l’après-midi.

L’entraînement terminé, léger repas : œuf à la coque, thé, eau minérale. L’heure de l’épreuve approchait ; il passait dans le cabinet de travail... Il travaillait régulièrement chaque après-midi... et s’imposait régime ou abstinence, ce qu’il estimait nécessaire pour se sentir dispos pendant les heures consacrées à l’écriture.

À cette époque de sa vie, la qualité de ce qu’il écrivait, estimait-il, dépendait essentiellement de l’état dans lequel il se trouvait au moment où il écrivait, état de grâce dans les meilleures conditions et qu’il comparait à ce que les sportifs appellent la forme, les mystiques la grâce précisément, et les joueurs la chance. L’inverse, disgrâce, mauvaise forme ou malchance, pouvant se redresser, se renverser, se remettre au pas, par un changement de régime, une discipline plus stricte, un geste propitiatoire ou davantage d’humilité devant la tâche à accomplir.

Ultime phase de préparation avant l’épreuve : une tasse de café et un comprimé de maxiton. Il lisait en attendant l’effet combiné du café et du maxiton. Il était alors totalement « en forme » et abordait l’épreuve. Il commençait par relire ce qu’il avait écrit la veille.

Seul témoin de l’épreuve, un graphique de travail accroché au mur. En ordonnée, le nombre de pages écrites dans la journée ; en abscisse, la succession des jours. D’après le graphique, il pouvait vérifier s’il tenait le rythme.

L’épreuve se poursuivait pendant quatre heures et demie sous la surveillance muette du graphique. Il y mettait fin à 19 h 30. Non qu’elle soit terminée, mais il savait qu’un écrivain, comme un sportif, ne tient pas indéfiniment la forme. Il se levait souvent en disant : « Il est temps d’aller boire un verre avec les filles ».

vendredi, 20 janvier 2006

Un nouveau site chez les Layani

Je suis heureux d’annoncer la naissance, après mille soucis techniques qui, c’était incompréhensible, m’empêchaient de le mettre en ligne, d’un nouveau site consacré à Albertine Sarrazin :

 

 

Albertine Sarrazin, délit de jeunesse.

 

 

Cela se trouve à : astragaleetcavale.free.fr

 

 

La première page, une chronologie, n’est pas terminée mais le site fonctionne.

lundi, 09 janvier 2006

Baudelaire se gausse

Voici quelques quatrains que, furieux, Baudelaire adressa À M. Eugène Fromentin à propos d'un importun qui se disait son ami. Ces vers sont datés : « Bruxelles, 1865 ».

 

 

Il me dit qu’il était très-riche,

Mais qu’il craignait le choléra ;

– Que de son or il était chiche,

Mais qu’il goûtait fort l’Opéra ;

 

– Qu’il raffolait de la nature,

Ayant connu monsieur Corot ;

– Qu’il n’avait pas encor voiture,

Mais que cela viendrait bientôt ;

 

– Qu’il aimait le marbre et la brique,

Les bois noirs et les bois dorés ;

– Qu’il possédait dans sa fabrique

Trois contre-maîtres décorés ;

 

 – Qu’il avait, sans compter le reste,

Vingt mille actions sur le Nord ;

– Qu’il avait trouvé, pour un zeste,

Des encadrements d’Oppenord ;

 

– Qu’il donnerait (fût-ce à Luzarches !)

Dans le bric-à-brac jusqu’au cou,

Et qu’au Marché des Patriarches

Il avait fait plus d’un bon coup ;

 

 – Qu’il n’aimait pas beaucoup sa femme,

Ni sa mère; – mais qu’il croyait

À l’immortalité de l’âme,

Et qu’il avait lu Niboyet !

 

 – Qu’il penchait pour l’amour physique,

Et qu’à Rome, séjour d’ennui,

Une femme, d’ailleurs phtisique,

Était morte d’amour pour lui.

 

Pendant trois heures et demie,

Ce bavard, venu de Tournai,

M’a dégoisé toute sa vie ;

J’en ai le cerveau consterné.

 

S’il fallait décrire ma peine,

Ce serait à n’en plus finir ;

Je me disais, domptant ma haine :

« Au moins, si je pouvais dormir ! »

 

Comme un qui n’est pas à son aise,

Et qui n’ose pas s’en aller,

Je frottais de mon cul ma chaise,

Rêvant de le faire empaler.

 

Ce monstre se nomme Bastogne ;

Il fuyait devant le fléau.

Moi, je fuirai jusqu’en Gascogne,

Ou j’irai me jeter à l’eau,

 

Si dans ce Paris, qu’il redoute,

Quand chacun sera retourné,

Je trouve encore sur ma route

Ce fléau, natif de Tournai !  

 

samedi, 07 janvier 2006

Baudelaire se marre

Baudelaire expédie à un ami ces deux quatrains que lui inspira la découverte d’un cabaret au nom curieux, sis à Uccle, sur la route de Bruxelles.

 

Vous qui raffolez des squelettes

Et des emblèmes détestés

Pour épicer les voluptés,

(Fût-ce de simples omelettes !)

 

Vieux Pharaon, ô Monselet !

Devant cette enseigne imprévue,

J’ai rêvé de vous : À la vue

Du Cimetière, Estaminet !

Baudelaire s’amuse

Voici des vers de circonstance de Baudelaire. Le poète s’excuse ici de ne pas accompagner à Namur son éditeur Poulet-Malassis, qui l’en avait prié.

 

 

 

 

Puisque vous allez vers la ville

Qui, bien qu’un fort mur l’encastrât,

Défraya la verve servile

Du fameux poëte castrat ;

 

Puisque vous allez en vacances

Goûter un plaisir recherché,

Usez toutes vos éloquences,

Mon bien cher Coco-Malperché,

 

(Comme je le ferais moi-même)

À dire là-bas combien j’aime

Ce tant folâtre monsieur Rops,

 

Qui n’est pas un grand prix de Rome,

Mais dont le talent est haut comme

La pyramide de Chéops !

jeudi, 05 janvier 2006

Quand Baudelaire fait rire

Baudelaire le tourmenté, celui dont le regard fait trembler les femmes (alors qu’il avait peur d’elles) ou les fait s’apitoyer selon les photographies que par ailleurs il détestait, Baudelaire n’est pas seulement cette grande âme triste que l’on croit, lui, le premier poète moderne, celui qui, de la boue du monde, fit de l’or.

 

Il existe des poèmes de circonstance très drôles. Ainsi, ces vers laissés chez un ami absent, datés « 5 heures, à l’Hermitage » :

 

Mon cher, je suis venu chez vous

Pour entendre une langue humaine ;

Comme un qui, parmi les Papous,

Chercherait son ancienne Athène.

 

Puisque chez les Topinambous

Dieu me fait faire quarantaine,

Aux sots je préfère les fous

– Dont je suis, chose, hélas ! certaine.

 

Offrez à Mam’selle Fanny

(Qui ne répondra pas : Nenny,

Le salut n’étant pas d’un âne),

 

L’hommage d’un bon écrivain,

– Ainsi qu’à l’ami Lécrivain

Et qu’à Mademoiselle Jeanne.

 

Cette assurance de voir son hommage accepté, « le salut n’étant pas d’un âne », me fait rire aux éclats. Comme d’ailleurs cette adresse rimée, qu’il faut oser imaginer inscrite sur une enveloppe :

 

Monsieur Auguste Malassis

Rue de Mercélis

Numéro trente-cinq bis

Dans le faubourg d’Ixelles,

Bruxelles.

(Recommandée à l’Arioste

De la poste,

C’est-à-dire à quelque facteur

Versificateur.)

mercredi, 04 janvier 2006

Du côté de chez Autié

Je rappelle qu’on peut lire, chez Dominique Autié, une série de textes sur le livre et la chose imprimée (déjà quatorze livraisons sur le sujet) et une autre, de célébrations inattendues (trois notes, à ce jour). Il serait dommage de vous priver de ces fragments somptueux, toujours illustrés avec un étonnant à propos, fragments dont l’écriture célèbre la langue et dont la langue magnifie l’écriture.

mardi, 03 janvier 2006

Introduction

Pour ouvrir l’année nouvelle, je vous propose cette phrase :

« Le propre des poètes (des artistes) est de percevoir au-delà de toutes inconstances opportunes, des phénomènes d’harmonie. Trajectoires spirituelles. Qu’importe la matérialité des éléments présents ! Qu’importe la conséquence – bouleversements imminents ou futurs ! Les baguettes du coudrier décèlent la source ou le métal sous terre. Le poète s’agite, s’inquiète, frémit, perçoit et, inévitablement, proclame une vérité. Il parle au nom de tous ; c’est son rôle social, c’est son unique raison d’être. Ce qu’il débrouille au milieu de la confusion, dans un désintéressement complet, c’est la réalité de demain ».

Elle est signée Le Corbusier.