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lundi, 09 janvier 2006

Baudelaire se gausse

Voici quelques quatrains que, furieux, Baudelaire adressa À M. Eugène Fromentin à propos d'un importun qui se disait son ami. Ces vers sont datés : « Bruxelles, 1865 ».

 

 

Il me dit qu’il était très-riche,

Mais qu’il craignait le choléra ;

– Que de son or il était chiche,

Mais qu’il goûtait fort l’Opéra ;

 

– Qu’il raffolait de la nature,

Ayant connu monsieur Corot ;

– Qu’il n’avait pas encor voiture,

Mais que cela viendrait bientôt ;

 

– Qu’il aimait le marbre et la brique,

Les bois noirs et les bois dorés ;

– Qu’il possédait dans sa fabrique

Trois contre-maîtres décorés ;

 

 – Qu’il avait, sans compter le reste,

Vingt mille actions sur le Nord ;

– Qu’il avait trouvé, pour un zeste,

Des encadrements d’Oppenord ;

 

– Qu’il donnerait (fût-ce à Luzarches !)

Dans le bric-à-brac jusqu’au cou,

Et qu’au Marché des Patriarches

Il avait fait plus d’un bon coup ;

 

 – Qu’il n’aimait pas beaucoup sa femme,

Ni sa mère; – mais qu’il croyait

À l’immortalité de l’âme,

Et qu’il avait lu Niboyet !

 

 – Qu’il penchait pour l’amour physique,

Et qu’à Rome, séjour d’ennui,

Une femme, d’ailleurs phtisique,

Était morte d’amour pour lui.

 

Pendant trois heures et demie,

Ce bavard, venu de Tournai,

M’a dégoisé toute sa vie ;

J’en ai le cerveau consterné.

 

S’il fallait décrire ma peine,

Ce serait à n’en plus finir ;

Je me disais, domptant ma haine :

« Au moins, si je pouvais dormir ! »

 

Comme un qui n’est pas à son aise,

Et qui n’ose pas s’en aller,

Je frottais de mon cul ma chaise,

Rêvant de le faire empaler.

 

Ce monstre se nomme Bastogne ;

Il fuyait devant le fléau.

Moi, je fuirai jusqu’en Gascogne,

Ou j’irai me jeter à l’eau,

 

Si dans ce Paris, qu’il redoute,

Quand chacun sera retourné,

Je trouve encore sur ma route

Ce fléau, natif de Tournai !  

 

Commentaires

Jacques, je sais bien que vous n'aimez pas les "c'est très bien", "c'est super" que vous trouvez sur les blogs mais là c'est à peu près ce que j'ai envie d'écrire. Je trouve ce que Baudelaire a écrit fascinant. Il a une intensité et un sens de la dérision qui me fait chavirer où me fait dresser les cheveux sur la tête quasiment à chaque fois!

Écrit par : Livy | lundi, 09 janvier 2006

C'est vrai. Mon but, en donnant à lire ces quelques poèmes de circonstance, est de bien montrer que Baudelaire savait rire, même en grinçant. De plus, au beau milieu de la déception et des ennuis de santé qui l'assaillirent en Belgique, il trouve le moyen d'ironiser ainsi, avec un talent extraordinaire.

Je trouve par ailleurs le portrait de cet importun étonnamment actuel. Des buses pareilles existent toujours, elles n'ont pas changé d'un pouce. Le bourgeois vantard étalant sa récente culture, s'appropriant les (supposés) mérites de ses employés décorés, bref, l'emmerdeur...

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 09 janvier 2006

De nos jours, Bastogne est une très bonne marque de speculoos.

(Sincèrement désolé de ce fragment d'esthétique de la réception sauvage qui va te convaincre à tout jamais, cher Jacques, que mon cerveau a fondu.)

Écrit par : Guillaume | lundi, 09 janvier 2006

Non, ce sont les speculoos qui fondent dans la bouche, avec du café chaud. Mais je ne peux plus en manger, c'est trop sucré et je n'aime plus le sucre.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 09 janvier 2006

Les commentaires sont fermés.