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jeudi, 15 septembre 2005

Faites sortir la rentrée

L’hypocrite marée qu’on a coutume de désigner sous le nom fallacieux de « rentrée littéraire » est remontée jusqu’à la rive. Voilà, ça y est, la mer est pleine, nous sommes tranquilles jusqu’en janvier, date à laquelle une autre marée submergera le littoral.


Plusieurs centaines de romans, désormais, paraissent ainsi deux fois par an. Le phénomène n’est pas si vieux. Il y eut toujours des « rentrées littéraires » – comme si la littérature sortait –,  mais elles ne proposaient pas, deux fois l’an, six à sept-cents romans. Et puis, une question : si l’on ne veut pas de romans, que fait-on ? Car, on ne le dit peut-être pas assez, ces volumes, il faut les disposer sur les tables et dans les rayons, sur les éventaires, dans les vitrines. Ces livres prennent la place d’autres. Répétons-le : ces ouvrages occupent une place que l’on pourrait utilement réserver à d’autres domaines. Disons-le encore : les romans occupent tout l'espace. Martelons : il n'y a plus d'endroit où poser les livres relevant d'autres préoccupations. Pour tout le monde, lire, c’est lire des romans.


Il n’est pas question de manifester un quelconque ostracisme. Il est uniquement question de réclamer pour les autres livres le droit à l’existence. Un peu d’air pour eux, les pauvres. De toute manière, l’amateur de romans ne lira jamais mille quatre-cents livres par an. Il n’en lira pas trente non plus, ne serait-ce que parce que son budget ne le lui permettra pas. J’entends déjà l’argument que l’on croit susceptible de convaincre : le choix. Ah, le choix !


D’abord, c’est faux. Si l’acheteur de romans au budget moyen élimine tout ce qu’il ne pourra pas s’offrir, le choix devient restreint. Ensuite, qu’est-ce que choisir entre rien et rien ? Tous ces textes interchangeables, ces couvertures racoleuses, ces quatrièmes de couverture préfabriquées… Ces briquettes de papier encollées à la diable n’ont pour but que de faire de la cavalerie, c’est-à-dire de la trésorerie pour les éditeurs. En inondant les librairies d’ouvrages de sa marque, l’éditeur Machin étale son label jusqu’à ce que le chaland, inconsciemment, le photographie : s’il y a tant de livres parus dans cette maison, c’est qu’il s’agit d’un grand éditeur et, corollairement, les livres sont bons puisque ce sont ceux d’un grand éditeur. Quant aux « offices », ils procurent de l’argent frais. Enfin, les sept-cents titres de l’automne disparaîtront forcément quand arriveront les sept-cents volumes de janvier. Sans compter qu’entre-temps, il aura fallu faire de la place pour les livres d’étrennes, ces boîtes de chocolats que personne n’ouvre jamais mais qui ont l’avantage de coûter cher.


Je proteste aussi contre l’appellation « littéraire ». La littérature, ce n’est pas que le roman. Il faudra bien, quelque jour, faire rendre gorge à cette idée reçue. Et cela ouvre un autre débat que j’avais esquissé ailleurs sur l’impérieuse nécessité d’écrire les documents, les biographies, les études, les livres de critique, d'histoire. Je me propose d’y revenir.

Commentaires

Des "livres d’etrennes" ? Je trouve le terme joliment desuet! Chez moi, nul livre d'etrenne, juste des livres a etreindre et d'autres trainant parfois sur mon bureau...

Belle journee Jacques!

Écrit par : V. | jeudi, 15 septembre 2005

Ce qui m'ennuie le plus, dans les collections de poche, et le phénomène n'est pas récent, c'est la disparition de nombre de titres du fonds et l'exploitation systématique des récents succès qui n'ont rien à voir avec l'écriture à proprement parler.

Et puis, il faut maintenant six mois, voire moins, pour "passer" en "poche", quand il fallait deux ans autrefois. Le temps ne joue plus son rôle de filtre, de tamis.

Par ailleurs, est-ce une impression (je ne crois pas) ? Le papier des "poches", qui n'a jamais été sensationnel, certes, a encore perdu de sa qualité. Les "poches" d'il y a maintenant plus d'un demi-siècle sont encore lisibles même si l'encre a pâli. Ceux d'aujourd'hui ont un papier grisâtre, même neufs.

Enfin, il y a quelques éditeurs qui se foutent du monde dans la manière dont ils présentent leurs "poches". Je pense à la collection Tempus, au caractère microscopique et où les pages n'ont pas de marges du tout. Rigoureusement illisible, passé l'âge de vingt ans.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 15 septembre 2005

Pour la qualité matérielle des livres de poche, vous parlez à un convaincu, vous le savez…
Gallimard, qui jouit de l'indépendance concernant sa politique éditoriale, entretient plutôt bien son fonds à travers ses collections de poche, me semble-t-il. Il en va différemment, vous avez raison, des éditeurs qui, n'ayant pas leurs propres collections de poche, sont réduits à "vendre" leurs titres à des groupes pour l'exploitation en poche (y compris à Gallimard qui, du coup, peut devenir sourcilleux sur les chances de rotation du stock).
Concernant le passé, cherchez dans votre bibliothèque un volume de la collection "Idées" de Gallimard des années 1970, vous m'en direz des nouvelles sur le registre du papier et, surtout, du mode d'assemblage des feuillets "dos collé carré"… Il est probable que, dans un premier temps, vous ne tiriez que la couverture seule du rayonnage et qu'il vous faille utiliser la pelle et la balayette pour les pages intérieures.
À mon grand étonnement, mes étudiants de BTS édition n'attachaient aucun prix au confort de lecture. Je l'ai vérifié sur une durée de presque quinze ans. Il me semble que ces préoccupations sont liées à notre goût des livres (y compris en tant qu'objets) et… à l'état de nos yeux de séniors.

Écrit par : Dominique Autié | jeudi, 15 septembre 2005

Oui oui, ceux des années 70 sont dans un état lamentable, bien sûr. Mais les autres, plus anciens, vieillissent mieux.

Gallimard fait vivre son fonds, oui. Il a même inventé la manière de vendre plusieurs livres de poche sur le même sujet. Je ne sais plus comment s'intitule cette collection qui présente un dossier sur une oeuvre, mais pas l'oeuvre : Folio-dossiers, c'est ça ?

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 15 septembre 2005

Certains volumes du "Livre de poche" (la marque déposée, la première, historiquement) des années 1950 sont devenus des objets de collection. Et c'étaient, à l'époque, de "vrais" livres, cousus. Seul le pelliculage a mal vieilli – dans la plupart des cas, il s'est même complètement écaillé, comme une mue de serpent. Ces objets sont indissociables, dans ma mémoire, de la figure de ma grand-mère maternelle, qui en faisait une grande consommation, tout en en prenant un soin jaloux.

Écrit par : Dominique Autié | jeudi, 15 septembre 2005

Au temps où l'on couvrait les livres... Y compris ceux du Livre de Poche. Avec du papier kraft, ou bien cette espèce de papier ciré, noir ou bleu-marine, n'est-ce pas ?

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 15 septembre 2005

Les librairies offraient même à leurs meilleurs clients des custodes (en forme de protège-cahier) aux différents formats des volumes, selon leur épaisseur. Je crois que même dans les familles qui n'avaient aucune tradition universitaire ou professionnelle liée à la "chose imprimée", le respect quasi sacré du livre était assez spontané.
(Du livre, mais aussi de l'épluche-légumes, du briquet, du lit d'enfant qu'on transmettait à la génération suivante…)
[Quel est l'âge moyen de votre lectorat, Jacques ? Vos stats l'indiquent ? je crains que nous ne fassions quelque peu vieux cons, ce matin… Mais ça détend, n'est-ce pas, de parler des livres que nous aimons tant.]

Écrit par : Dominique Autié | jeudi, 15 septembre 2005

Oh, ce ne sera pas la première fois que je passerai pour un vieillard qui radote... Sauf erreur de ma part et pour autant que je connaisse les participants, cela va de dix-neuf ans à... vous, avec une bonne partie aux alentours de la quarantaine (plutôt avant). Dans cette tranche haute et lourde où nous cohabitons, il doit bien y avoir une ou deux personnes encore.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 15 septembre 2005

Mince, mon commentaire a disparu... J'ai dû riper.
En substance, je disais que ce que vous déplorez à juste titre sur la rentrée littéraire n'est qu'un avatar d'un phénomène culturel plus vaste. C'est le même principe qu'un cinéma : une poignée de "blockbusters" réquisitionne 90% des écrans, des films qui n'ont aucune autre fonction que de divertir sans réflexion et sans question sur l'impoact qu'ils peuvent avoir. Ce films se retrouvent ensuite à la télévision, ce formidable outil gâché par des tombereaux de fumier aux heures de grande écoute, des émissions faciles et décérébrantes qui repoussent aux heures indues les programmes regardables, intéressants, instructis, éducatifs, culturels...
Chaque secteur a ses romans, ces productions qui sont parfois remarquables mais si souvent insipides et sans relief.

Écrit par : Tanguy Cardo | jeudi, 15 septembre 2005

Ce qui me frappe lorsque je me rends dans LA librairie de Champignac, c'est le nombre de non-livres et pas de romans. Mémoires de Staracadémiciens, manuels pour Weight Watchers, horoscopes, portnawak du type des Hommes viennent de Mars, dictionnaires du point de croix, comment cuire un œuf à la coque pour les nuls, la psychologie de votre enfant expliquée par l'analyse d'un foie d'oie, les plus beaux enjoliveurs de pneus de voitures vus du ciel, les confessions du canari du concierge d'un garde républicain à l'Élysée, les dix mille meilleures blagues sur les blondes belges et juives. En linéaire, cela doit faire le triple ou le quadruple de la littérature (je ne compte pas les poches). Et tout cela finira ensuite dans les solderies, les brocantes ou chez Maxilivres !

L'autre problème, c'est bien sûr que la littérature se résume pour la plupart des personnes au sacro-saint roman et à sa déclinaison soft de la nouvelle. La lettre, le libelle, le pamphlet, les fragments, le dialogue, l'éloge, la chanson, le conte, l'essai érudit, tout passe à la trappe ! Et on ne parle même pas de la poésie réduite à moins d'un mètre linéaire, compressée entre les livres érotiques et des machins inclassables (puisqu'ils ne peuvent pas rentrer dans les cases du temple qui ne connaît que les thrillers, la fantasy, le témoignage comme dieux à chapelles). Je ne dis rien de nouveau, Renaud Camus et Jude Stefan ont déjà constaté cette forme de normalisation terrible des genres littéraires..

Écrit par : Dominique | jeudi, 15 septembre 2005

...et un certain Pierre Jourde a écrit sur la littérature censée être littéraire, la “vraie”, un pamphlet drolatique intitulé La littérature sans estomac. Ça se se laisse lire sans s'endormir.

Écrit par : Siganus Sutor | jeudi, 15 septembre 2005

Le truc amusant, c'est que la biographie et l'histoire étaient les genres nobles à l'époque classique, tandis que le roman était considéré comme fort vulgaire, plus bas que la fable. Dans les manuels du début du siècle dernier, on trouve comme grands écrivains du XIXe s. : Michelet, Guizot, Taine, Renan, Flammarion. Quelqu'un comme Lamartine brille alors surtout pour ses livres historiques. Barthes a théorisé au sujet de cette distinction nouvelle entre les écrivains et les écrivants, mais je trouve malgré tout sidérant que l'on doive qualifier un essai de littéraire s'il est le fruit d'un auteur de roman et d'essai tout court si le rédacteur n'a jamais commis de fiction : Marc Lévy, Paolo Coelho, Alexandre Jardin peuvent écrire des essais littéraires, mais aujourd'hui Montaigne ne serait plus un vrai auteur littéraire !

Écrit par : Dominique | jeudi, 15 septembre 2005

C'est très exactement ma préoccupation. J'ai prévu pour demain une note qui traite encore de ces problèmes. Avec cet état d'esprit que vous décrivez, on finira par assimiler aux non-livres dont vous parliez plus haut tous les ouvrages de débat et de référence.

Il faut bien dire cependant que ce sont les universitaires (et l'on sait qu'ici, ce n'est pas une insulte) qui ont fait, des années durant, leur propre malheur en publiant des travaux savants rédigés en charabia. En quoi cette érudition était-elle incompatible avec une rédaction authentique ?

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 15 septembre 2005

Je vous trouve bien sévère avec cette histoire de rentrée littéraire. Elle s'adresse aux gens qui justement lisent peu ou beaucoup de n'importe quoi. Lire les ouvrages mis en avant pour des raisons marketing précisément au moment de cette rentrée litteraire ne pas à priori arranger les choses pourtant, cette "rentrée" pousse un petit nombre à découvrir autre chose et à trouver des petits bijoux en se balladant dans les rayons après avoir lu tel commentaire de tel ou tel critique (nul ou pas).
Pour ce qui est de lire autre chose qu'un roman, c'est assez amusant car mon compagnon vient de lire un bouquin de Conficius (les recommendations de la rentrée litteraire concernant les bouquins anciens à découvrir (oui ici on en profite durant cette rentrée pour faire redécouvrir ceux qui ont été oublié)), le 1er livre non technique depuis près de 10 ans alors je dis un petit merci à cette rentrée littéraire pour le coup de pouce!

Écrit par : Livy | mardi, 20 septembre 2005

Jacques, vous avez bien fait de mentionner dans votre note d'aujourd'hui celle du 15 sept. portant sur la rentrée littéraire. En effet, ce sujet mérite qu'on s'y attarde quelque peu. Pour ma part, je n'ai jamais suivi le rythme des rentrées littéraires pour toutes sortes de raison, ne serait-ce que financières. Curieusement, cette panoplie de couvertures neuves de livres aux allures quasi-provocantes aurait quelque chose à voir avec un domaine que je connais encore moins, le défilé de mode... De toute façon, quand j'achète un livre, c'est que j'en ai besoin, non parce que la publicité systématique des éditeurs et libraires m'aurait ouvert les yeux sur un livre qui manquait à ma culture. Non mais! Et d'ailleurs, comment se retrouver dans ce magma de nouvelles parutions. Je me demande à quel point les éditeurs ne suivent pas un rythme d'impression de livres en fonction d'une vitesse de croisière ne tenant pas compte de la pertinence du propos de tel ou tel auteur, sans compter que certaines maisons ne survivent que grâce aux subventions du Ministère de la culture, faute de quoi, sans nouvelles parutions, les fonds diminuent l'année suivante. Pitoyable. C'est à se demander si le proverbe ou l'aphorisme, "la mauvaise monnaie chasse la bonne", ne s'appliquerait pas à cette situation. Quant à la qualité de l'édition, je crois que l'écrivain américain Paul Auster a déjà, dans une de ses fictions, fait allusion à la pauvre qualité des livres dans le seul but de faire vendre le même livre plus souvent par la même personne. J'ai la nette impression que cette théorie peut se vérifier dans tous les autres domaines de la consommation, de l'automobile à la machine à laver, cela afin de faire tourner l'économie à pleine capacité, leçon apprise au lendemain de la crise de 1929. Un dernier petit mot sur les essais et livres d'histoire. Si les gens en lisent moins, c'est peut-être qu'ils coûtent plus chers, mais est-ce une raison suffisante? Eh oui! la qualité d'un ouvrage de ce genre mérite autant d'attention qu'un roman. Tocqueville en a fait la preuve, comme d'autres auteurs étrangers tels que Macaulay, Ranke ou Gibbon...

Écrit par : ski-doo | mardi, 20 septembre 2005

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