samedi, 21 janvier 2006
Roger Vailland écrit
À Fuligineuse
Je voudrais vous montrer Roger Vailland au travail, mais je n’ai pas le temps de rechercher dans plusieurs mètres de bibliothèque vaillandienne les éléments nécessaires à ce portrait. Je me contente donc de reproduire ce qu’en disait René Ballet au colloque qui s’est tenu à Bourg-en-Bresse en novembre 2004 (lui-même a repris des pages de Vailland ou de son épouse Élisabeth). Ces propos sont reproduits dans les actes dudit colloque, qui ont paru dans les Cahiers Roger Vailland, n° 23, juin 2005, que je viens de recevoir. La scène est dans la maison de l’écrivain, à Meillonnas (Ain).
Le matin, il se préparait, comme un sportif se prépare, se met en forme. Mise en forme progressive dans sa chambre de 8 h 30 à 11 h 30. Échauffement d’abord : la lecture des journaux. Puis la préparation à l’épreuve proprement dite : il commençait à imaginer les scènes qu’il allait écrire l’après-midi.
L’entraînement terminé, léger repas : œuf à la coque, thé, eau minérale. L’heure de l’épreuve approchait ; il passait dans le cabinet de travail... Il travaillait régulièrement chaque après-midi... et s’imposait régime ou abstinence, ce qu’il estimait nécessaire pour se sentir dispos pendant les heures consacrées à l’écriture.
À cette époque de sa vie, la qualité de ce qu’il écrivait, estimait-il, dépendait essentiellement de l’état dans lequel il se trouvait au moment où il écrivait, état de grâce dans les meilleures conditions et qu’il comparait à ce que les sportifs appellent la forme, les mystiques la grâce précisément, et les joueurs la chance. L’inverse, disgrâce, mauvaise forme ou malchance, pouvant se redresser, se renverser, se remettre au pas, par un changement de régime, une discipline plus stricte, un geste propitiatoire ou davantage d’humilité devant la tâche à accomplir.
Ultime phase de préparation avant l’épreuve : une tasse de café et un comprimé de maxiton. Il lisait en attendant l’effet combiné du café et du maxiton. Il était alors totalement « en forme » et abordait l’épreuve. Il commençait par relire ce qu’il avait écrit la veille.
Seul témoin de l’épreuve, un graphique de travail accroché au mur. En ordonnée, le nombre de pages écrites dans la journée ; en abscisse, la succession des jours. D’après le graphique, il pouvait vérifier s’il tenait le rythme.
L’épreuve se poursuivait pendant quatre heures et demie sous la surveillance muette du graphique. Il y mettait fin à 19 h 30. Non qu’elle soit terminée, mais il savait qu’un écrivain, comme un sportif, ne tient pas indéfiniment la forme. Il se levait souvent en disant : « Il est temps d’aller boire un verre avec les filles ».
21:50 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
Moi aussi je viens de recevoir le Cahier n° 23. Sport, ce n'est pas exactement le thème qui me branche, mais te lire me donne envie d'aller plus loin. Ca c'est bien...
Écrit par : fuligineuse | mardi, 24 janvier 2006
Dans ma hâte à lire ton billet, je n'avais pas vu la dédicace. Merci Jacques...
Écrit par : fuligineuse | mardi, 24 janvier 2006
Serviteur.
Écrit par : Jacques layani | mardi, 24 janvier 2006
Encore une actualité cinéma sur Vailland - et bêtement je n'ai pas pensé à te le signaler... - la Cinémathèque vient de passer le film que Joseph Losey a tiré de la Truite (livre que je n'aime pas follement). Bon, le film n'est pas trop mauvais, mais il est loin, bien loin du livre. Toutefois Jeanne Moreau est très bien en Lou, et Isabelle Huppert est parfaite en Frédérique, avec cette espèce de vivacité froide du personnage.
Écrit par : fuligineuse | mercredi, 25 janvier 2006
J'ai vu La Truite à sa sortie et j'ai le film en cassette dans mes documents sur Vailland. Losey avait voulu moderniser l'intrigue et la transposer au Japon. Le film (1981 ou 1982) a vieilli, bien plus que l'ouvrage qui date pourtant de 1964.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 26 janvier 2006
Le film de 1982, en effet, a une allure plutôt "seventies". Et la partie Japon est hypertrophiée, alors que le voyage aux USA du livre occupe une place et une importance assez limitées...
Écrit par : fuligineuse | vendredi, 27 janvier 2006
Eh oui, voilà ce qui arrive quand on veut dépoussiérer ce qui n'est pas poussiéreux du tout.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 28 janvier 2006
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