vendredi, 08 septembre 2006
Faites sortir la rentrée, 2
On en a parlé déjà plusieurs fois dans ces pages. Le problème demeure entier. Une première vague de six ou sept-cents romans a envahi les magasins de librairie. La seconde nous parviendra en janvier. Je veux bien me montrer ouvert, comprendre qu’on puisse, en 2006, aimer les romans et penser encore qu’ils servent à quelque chose aux hommes d’aujourd’hui. Je veux bien faire semblant de croire que l’amateur, même pâlement éclairé, saura faire son choix dans cette avalanche entre une idiotie et une imbécillité. Je veux bien oublier que cette quantité de production éditoriale d’un genre unique élargit pour lui les possibilités de découverte. Je sais pertinemment que tout ça est faux, mais je veux bien, par respect d’autrui, me taire.
Il n’en reste pas moins, foutre de foutre, que ces six ou sept centaines de romans prennent de la place. Cela, c’est incontestable, n’est-ce pas ? Alors, j’en ai par-dessus la tête de l’impérialisme du roman. Dans les magasins de librairie, il n’y a plus de place pour autre chose. Comme ils ne peuvent pas pousser les murs, les libraires sacrifient délibérément tous les autres genres sans exception. On ne trouve plus d’ouvrages autres, ou en très petite quantité, avec un choix très restreint.
13:58 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (14)
Commentaires
Par quel mystère ne retrouve-t-on pas ces romans soldés chez les bouquinistes ? Parce que les boîtes déborderaient et qu'ils seraient obligés de louer une "terrasse" à la municipalité ?
Parce que depuis qu'on s'y promène, les boîtes n'ont pas plus de papier qu'avant (je ne parle pas des fausses, qui vendent des tours Eiffel). Alors les gens qui pilonnent ne doivent pas être au chômage... Tiens, un job très en vogue, finalement.
Écrit par : Martine Layani | vendredi, 08 septembre 2006
Les exemplaires de service de presse sont fourgués par les journalistes destinataires auprès des boutiques de livres neufs à prix réduit qui, dans un premier temps, les revendent à moitié prix à peu près puis, au bout de quelques mois, les bradent carrément.
Les exemplaires achetés par les lecteurs sont conservés par eux ou cédés à des gens comme Boulinier, boulevard Saint-Michel, qui les revend ensuite 80 centimes (c'est dire à quel prix il les reprend initialement) sur des éventaires disposés sur le trottoir, en vrac.
Le reste du tirage est invendu et pilonné, bien sûr.
Cette production démesurée est une fuite en avant qui n'a qu'un seul but : assurer aux éditeurs une "surface" comme on dit aujourd'hui, c'est-à-dire leur permettre d'être vus ; leur marque est d'autant plus repérée qu'elle est plus présente. Ce qui ne se traduit nullement par une augmentation des ventes de l'auteur, surtout s'il est inconnu, mais par un bénéfice pour la maison d'édition. L'arnaque est grandiose. Le dindon, comme de coutume, est l'auteur.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 08 septembre 2006
Pourtant, on n'achète pas un "Gallimard" mais un livre, pas plus qu'on ne désire un objet à 10 euros (par exemple), mais un stylo, un mouchoir, un chapeau, etc.
Tout ça ressemble à une mise en conditions pour "les horribles fêtes" de fin d'année... De fait, on est consommateur ou non et, quand on l'est, comme un mouton, on suit.
Je rêve d'une révolution pour laquelle les lecteurs boycotteraient les livres et les écriraient... jusqu'à satisfaction.
Pareil pour tout : pas d'essence: on va à pieds ou en vélo, pas de vêtements comme on les veut, on les fait, (ou on va tout nus ?), pas de prix adaptés : ON N'ACHETE PAS ! Mais, c'est vrai, je rêve.
Écrit par : Martine Layani | vendredi, 08 septembre 2006
Visite à une librairie d’occasion, ce midi, après deux mois d’absence (pour cause de vacances ou de mois d’août trop pluvieux). Hélas, à peine le seuil franchi, je me rends compte que tous les rayonnages sont chamboulés. Repoussés le long des murs, ils sont devenus inaccessibles. Devant moi des cordes canalisent les acheteurs, pour une fois nombreux, vers le comptoir principal et la caisse enregistreuse. Rentrée scolaire oblige, des parents tentent de se procurer à moindre prix ce que leur allocation de chômage ne leur permet sans doute pas d’acheter ailleurs. Je m’en vais sur la pointe des pieds, entre les livres de physique et de mathématique.
La Fnac n’est pas loin et un petit détour s’impose. Trois fois hélas. J’en ressors, sans rien acheter, avec le sentiment étrange et désagréable de ne plus retrouver mes repères. Sur tous les étalages, plusieurs dizaines d’auteurs contemporains dont je connais le nom mais dont je n’ai jamais lu une ligne. A côté de cela, une bonne centaine d’autres parfaitement inconnus de moi. On m’aurait mis comme chef des ventes dans un magasin pour pièces détachées automobiles que je n’aurais pas été plus perdu. Pour retrouver mes repères, il a fallu se pencher quelque peu et regarder plus près du sol. Là Rimbaud et les autres poètes avaient trouvé refuge. Encore me semblaient-ils plus nombreux autrefois. Etrange. Seule consolation : un peu plus loin, à une hauteur normale pour le regard, les tragédies d’Eschyle, d’Euripide et de Sophocle. Pour une fois la Grèce antique est remise au goût du jour. C'est ce que je disais: rentrée scolaire oblige.
Écrit par : Feuilly | vendredi, 08 septembre 2006
Merci, Feuilly. Notre correspondant particulier en Belgique nous fait, une fois de plus, un beau rapport qui nous permet de nous rendre compte du désastre : chez lui comme chez nous, c'est pareil. J'étais aussi à la Fnac aujourd'hui, à l'heure du déjeuner : je peux contresigner le rapport de Feuilly.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 08 septembre 2006
C'est ce que l'on nomme en comptabilité la cavalerie : le paiement des livres placés en office chez les libraires permet de rembourser les dettes en cours et de couvrir le déficit en trésorerie, les libraires deviennent les banquiers des éditeurs (pas des petits, il ne faut pas exagérer). Le système a un résultat : il n'y a plus dans ma ville que deux librairies, l'une appartient à la famille de l'ex-patron du Médef laquelle est aussi éditrice, l'autre à un entrepreneur blogueur et démagogue.
Écrit par : Dominique | vendredi, 08 septembre 2006
Et voilà. C'est là un aspect, encore plus particulier, de ce que j'exposais.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 09 septembre 2006
Je me sens mal placé pour abonder dans votre sens à tous, car je suis un grand partisan de l'abondance.
Si au moins le lectorat suivait... J'en ai glissé un mot ici :
http://mumm.hautetfort.com/archive/2006/09/08/quelle-idee-vraiment.html
Comme j'écris beaucoup trop, je me vois mal critiquer un éditeur qui, en publiant quinze romans par an, contribue à l'avalanche. Cela dit, vous constaterez que, dans mon billet, sur les cinq titres que je cite de livres achetés, un seul est un roman !
Écrit par : MuMM | samedi, 09 septembre 2006
Vive le roman !
(Non mais vous n'alliez pas croire que j'allais dire autre chose tout de même.)
On a souvent parlé de ce sujet, je n'élabore donc pas sur le fond, mais je souligne juste qu'il y avait un article de Claude Durand, que je ne retrouve pas sauf pour ce petit extrait sur le site de Livres Hebdo: ""Avez-vous remarqué que l'édition, la critique littéraire, les émissions consacrées aux livres "ferment", ou peu s'en faut, précisément à l'époque des longs loisirs? (...) Pour permettre au "raz de marée" des romans d'août-septembre de bénéficier d'une longue plage de temps durant laquelle lecteurs, critiques, jurés pourraient leur consacrer le maximum du leur, je suggère d'avancer sans coup férir la rentrée littéraire à la première quinzaine de juin." Moins de stress pour les médias, plus de temps pour les lecteurs, des budgets moins étriqués par les dépenses scolaires et le retour des vacances, une durée de vie plus longue pour les nouveautés, et au final de cet inventaire d'avantages, moins d'invendus ! Pourtant, cette recommandation n'enchante pas forcément les libraires (voir LH n° 655, du 1er septembre 2006)."
Si la durée de mise en place revenait à un minimum raisonnable, si chaque livre disposait de plus de 3-4 semaines avant d'atterrir dans une boîte pour être retourné et pilonné, il redeviendrait possible pour le libraire, de découvrir à son propre rythme de petits trésors. Parce qu'ils existent. J'en cite deux d'il y a longtemps, arrivés sans fanfare, ni grosse caisse: Luis Sepulveda, Le vieil homme qui lisait des romans d'amour. Office à 2- 3 exemplaires. Là ou je travaillais, on s'était enthousiasmé pour ce livre que le représentant n'avait pourtant pas souligné (Métaillé était une maison encore toute neuve) et c'était devenu un best-seller mais sur la durée complète de l'office, pas un feu de paille. L'autre, La vie laborieuse, de Massimo Bontempelli, chez Gallimard/L'arpenteur. Un office à une copie seulement. La fana de littérature italienne de l'équipe l'emprunte, communique son enthousiasme. Une vingtaine de copies vendues, sans aucune couverture médiatique, pour un écrivain futuriste italien méconnu des années 20. Ces livres là ont de moins en moins la chance d'êtres découverts, ils passent à la trappe trop rapidement. (Jean-Marc Roberts a déjà raconté que d'après lui, Gary n'aurait peut-être pas pu mettre Émile Ajar au monde s'il était né dans les années 90, alors que l'accélération avait déjà commencé: il aurait été perdu dans la masse.)
Alors oui, trop de romans: couper dans la production, et laissez les livres arriver pendant toute l'année. Je me demande ce que les libraires ont contre cette suggestion. Ce n'est pas magique, mais au moins, ils ne seraient plus entièrement à la merci des quelques locomotives qui d'ailleurs, ne tirent pas toujours grand chose derrières elles, et ils pourraient consacrer plus de temps aux livres eux-mêmes plutôt qu'à l'infernale ronde des manipulations du produit.
Écrit par : Benoit | samedi, 09 septembre 2006
@Benoît : Une vingtaine de copies vendues
Argh ! Vade retro satanas anglesorum...
Écrit par : Dominique | samedi, 09 septembre 2006
Ah bon, vous n'aimez pas ? Because c'était un facho dans les années 20 ? (enfin, 20-30 mais il est sorti du rang et a fini par travailler au théâtre avec des gens pas du tout fachos si je me souviens pas trop mal.) Ou alors, 20 copies ça vous paraît peu ? Dans une libraire de grandeur moyenne, pour ce genre de texte c'est un excellent score.
Écrit par : Benoit | samedi, 09 septembre 2006
Mais non, Benoît, voyons, Dominique faisait seulement allusion à l'emploi de "copies", qui est un anglicisme, pour "exemplaires."
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 09 septembre 2006
Anglesorum.
Oh dear.
Je apologize pour ma anglicisme.
I do live in Canada you know.
Copie est utilisé aussi fréquemment qu'exemplaire par ici.
C'est mal je sais.
Écrit par : Benoit | samedi, 09 septembre 2006
Haro sur le roman ? Je ne me sens pas de m'y rallier. Parce que : 1) Mieux vaut des romans que pas de fiction du tout. 2) Le terme de "roman" (sans doute souvent apposé par l'éditeur) recouvre désormais à peu près n'importe quoi, en tout cas tout ce qui n'est pas, disons, strictement documentaire.
Plus je vois ce qui se passe dans le monde de l'édition, par contre, moins je me sens l'envie d'essayer de faire éditer les petites choses que j'écris, envie qui a pu me titiller dans le passé, mais il me semble aujourd'hui que ce serait bien vain, dans tous les sens du terme.
Écrit par : fuligineuse | mardi, 12 septembre 2006
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