mercredi, 26 septembre 2007
Frapper plusieurs fois
J’avais dit que je parlerais d’autre chose mais, qui sait pourquoi, je repense encore à la Grande guerre.
Adoncques, l’armée prévenait la gendarmerie, laquelle dépêchait aussitôt deux pandores à la mairie. C’était le maire qui devait apprendre à ses administrés la mort au combat d’un des leurs. On imagine sans peine, en un temps où la France est encore très rurale, dans ces villages où tout le monde se connaît, l’impression que devait procurer l’arrivée des gendarmes se dirigeant vers la mairie. Et puis, ensuite, des champs où elles travaillaient parce que les hommes étaient tous partis, ou de chez elles où elles travaillaient encore parce que, de toute façon, elles ne faisaient que ça, ces mêmes femmes guettaient le maire. Il s’était habillé, avait noué une cravate et passé un veston, pris son chapeau juste pour pouvoir se découvrir. On imagine leurs respirations suspendues et le soulagement lorsqu’elles le voyaient, l’avis officiel à la main, passer devant chez elles et poursuivre son chemin. Et puis la douleur mêlée au soulagement quand il s’arrêtait devant la porte de la voisine, de l’amie, de cette autre femme que, de toute façon, elles connaissaient bien. On imagine ce que peut ressentir une femme qui sait que le maire va venir chez l’une ou chez l’autre et entend soudain frapper à son huis. On imagine le cœur des femmes qui ont déjà entendu frapper plusieurs fois.
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mardi, 25 septembre 2007
La manche et le pilon
Lorsque j’étais petit, les mutilés de la guerre de 1914 étaient encore nombreux dans les rues. Je revois celui-ci, remontant la rue Franklin, avec sa jambe artificielle. Dans les années 50, qui plus est, les prothèses étaient horribles : il n’y avait pas encore de biomécanique, on leur entait un horrible pilon de bois avec un bout en caoutchouc. Je me rappelle aussi les manches vides des vestons, qui pendaient comme des suppliciés. Et les béquilles, pour ceux qui avaient encore des mains pour les empoigner. Cela m’avait beaucoup impressionné.
Je ne sais pas pourquoi, depuis quelques années maintenant – peut-être est-ce justement le nombre de mes années qui commence à devenir indécent – je prête beaucoup d’attention aux monuments aux morts. On sait que j’aime la campagne et, en zone rurale, c’est affreux, on les voit mieux. Parfois, la même stèle porte un nom en plusieurs exemplaires, jusqu’à quatre. S’agissait-il du père et des trois fils, ou de quatre frères, ou de cousins, ou bien de simples homonymes ? J’imagine les femmes apprenant la disparition d’un premier, d’un deuxième, d’un troisième, d’un quatrième de leurs proches, voire de leurs enfants.
J’ai pensé à toutes ces choses ce matin, au réveil, et j’ai imaginé cette note en repassant ma chemise. Quel moral d’acier ! La prochaine fois, je vous parlerai d’autre chose.
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mardi, 04 septembre 2007
Mes ennuis de l’été
Le temps pourri, évidemment. Il est pourri depuis début mai et les mauvaises langues datent le début du mauvais temps du soir de l’élection de Sarkozy.
Conséquemment au mauvais temps en question, j’ai commencé mes vacances en étant malade durant dix jours.
J’ai eu mal au dos, mal aux reins, mal à la nuque, mal partout.
J’ai eu une crise de foie.
J’ai eu des allergies.
J’ai été piqué par une guêpe, alors que je m’étais abrité sous une bâche pour échapper à la pluie.
Ma voiture est tombée en panne de batterie un vendredi soir à 18 h 55, ce qui m’a laissé cinq minutes pour m’assurer que rien ne pourrait être fait avant le lundi suivant et téléphoner ensuite à l’office du tourisme où j’avais réservé un ordinateur afin de dire qu’on pouvait en disposer puisqu’il m’était impossible de venir.
Mon courrier a été fidèlement réexpédié par les services postaux à l’exception d’un envoi dont, précisément, j’avais besoin.
Je pense qu’il y eut d’autres choses, mais il ne faut pas se complaire dans l’apitoiement. Ce fut un été délicieux.
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dimanche, 15 juillet 2007
Au revoir
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dimanche, 03 juin 2007
Les étais
Hier, Dominique, dans un billet ému, nous rappellait l’importance fondatrice des grands-mères. C’est une réflexion que je m’étais faite il y a déjà plusieurs années, non sans avoir repensé au nombre important d’écrivains ayant choisi pour pseudonyme le nom de leur grand-mère, justement. On ne dit jamais assez combien est grande l’influence des grands-parents. On s’en rend compte relativement tard, disons, souvent, entre trente et quarante ans. En 2004, Dominique Autié avait évoqué sa grand-mère, lui aussi.
Sur cette image qui doit dater de 1963, on aperçoit au fond la grand-mère maternelle de l’infâme taulier – onze ans – et la mère dudit taulier. Toutes deux ont leur bras dans son dos. Voilà comment il comprend la vie, le taulier en question. À l’abri des femmes avec, au premier plan, le grand-père bienveillant. Quant au monsieur en chemise claire et cravate sombre, qui se marre et a l’air aussi solide que le Mont-Blanc, c’est le père du taulier. La sœur du taulier n’était pas encore née (ils ont quinze ans d’écart). Trente ans plus tard, le Mont-Blanc a disparu, le cancer ayant mis deux années à le bouffer sournoisement. Les grands-parents sont partis avant lui. Il ne reste des personnes présentes sur cette photographie que le taulier et sa mère.
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vendredi, 18 mai 2007
Six siècles pour en arriver là
Nous avions un grand poète, François Villon.
Nous avons un petit ministre, François Fillon.
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jeudi, 17 mai 2007
Se relever, par Martine Layani-Le Coz
Immobilisé par la force très peu élastique et implacable d’un Dujarier, le côté droit perd sa fonction. Pour ne pas en souffrir à chaque instant, il faut l’oublier. Dans la journée, la lecture est possible. Elle a parfois besoin d’être remplacée par une autre activité, confiant à ce qui reste du corps la responsabilité de la personne complète.
Le plus difficile : conserver l’idée de complétude en la personne. Le repos nocturne devient relatif, attendant l’adaptation. Au cours des premières nuits, la position sur le dos trouve un écho dans celle de la tortue renversée. La chaleur complique tout : le soir, le drap suffirait, mais le petit matin frais réclame de couvrir l’épaule libre. La pression, oubliée par moments le jour, redevient constante. Une part de soi sans accès. Lourd pour soi-même, pris dans la négativité, ce qui subsiste souffre en silence. Avant le sommeil, les anciens arrangements du chien qui cherche sa place au creux de sa litière se révélant impossibles, il faut inventer un calme. Une feinte pour soi-même qui permettra le plongeon dans l’inconscient.
Au réveil, la main, retenue au poignet, se souvient qu’elle est à peu près libre. Elle fait ses gammes en attendant que l’autre, la gauche, apprenne à évoluer avec plus d’adresse. Une sorte d’ordre, dans le cerveau, communique à ce qui émerge le SOS : rester soi-même. Apprendre à s’habiller d’une main, prendre les objets, s’installer confortablement – agir sans souffrir – dans l’attitude de lecture et coincer le livre de manière à tourner les pages facilement. Mais la douleur n’est plus cet accident vif et surprenant qui suspend la respiration C’est au contraire cette pression constante, cet encore renouvelé, rivage si lointain de l’exécution libre des mouvements choisis. Noyé dans l’irréductible, penser les actions différemment.
Ce retour inévitable au bras serré redit chaque jour et chaque nuit l’impossibilité d’agir en réflexe. L’idée de faire autre chose, de faire tout ce qui est possible pour dépasser la contention, devient obsessionnelle en guise de secours. N’être qu’un contenu – comme un contenant, en pensant aux organes – devient humiliant. Être empêché physiquement, mal reçu. La sollicitude pèse autant que les regards interrogateurs. Que faire de l’aide, sinon l’accepter ?
Le temps passé dans l’attente de la délivrance semble s’étirer sans fin. Le corps pourtant s’habitue à sa prison rédemptrice. Il s’adapte peu à peu ; l’équilibre déplace le centre de gravité. De nouveaux réflexes prennent le relais. Au milieu du parcours, une trêve s’établit ; on commence à compter les semaines passées, puis celles à venir, puis les jours et les nuits. Entre-temps, à force de bouger, la contention faiblit, le corps a repris un minimum de confiance en lui ; on peut se tourner sur un côté pour essayer de dormir. On peut sortir, vêtu en brouillon, avec ce qui a pu passer sur l’épaule, guettant avec inquiétude les mouvements autour de soi, les aspérités et les occasions éventuelles de rechute. Vaincu par l’obligation d’attendre le temps exigé, il faut mettre à profit cette interdiction d’être en certains endroits pour expérimenter, chez soi, les positions, les choses nouvelles. On ne peut plus dessiner, soit, la souris de l’ordinateur prolongera l’invention, tâtonnante au début, puis de moins en moins.
Quand le jour J arrive, la prison brisée par la magie d’un coup de ciseaux, les premiers instants sont déconcertants. L’équilibre, d’abord. En un instant, il faut se tenir droit, sans soutien, alors qu’une certaine fragilité est encore ressentie car les muscles endormis par des semaines d’immobilité ne sont pas prêts à fonctionner. L’appui a disparu et les habitudes ne reviendront qu’en quelques jours. La douleur, elle aussi endormie par le Dujarier, revient parler au corps du traumatisme subi. C’est pourtant le moment de reprendre l’avantage, de vouloir se relever, jamais réellement actif depuis la chute. Il faut se décider, forcer les défenses de ce corps qui s’était abandonné à l’oubli, lui rendre l’aptitude et l’unité.
Il y a résistance, il y a fatigue et aussi impatience, impatience encore. La communication s’établit à nouveau entre les parties du corps touchées et celles qui ne l’étaient pas. Oui, la relève arrive… le naturel peu à peu fait oublier l’exercice. Alors, venue semble-t-il d’aussi loin que les souvenirs tirés par surprise d’une armoire ancienne, quand le bois craque un peu, la dentelle des gestes naturels sourit.
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dimanche, 13 mai 2007
Les amants d’Al Capone
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Proposition de nouveaux ministères
Ministère de la Protection personnelle du président de la République.
Ministère de l’Homophobie nationale.
Ministère de la Médiocrité intellectuelle.
Ministère du Racisme.
Les nominations des titulaires seront faites à parité : trois hommes et une femme (celle-ci étant d’office affectée à la médiocrité intellectuelle).
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mercredi, 18 avril 2007
Marguerite de Servanches à Rabassa de Lépine
Paris, ce jour.
Ma chère, je me suis mouchée toute la nuit, c’était horrible et j’ai passé la journée à éternuer, c’est épuisant. Ce rhume qui me tient depuis que, dimanche, j’ai pris – du moins je le suppose – un chaud et froid en sortant de la librairie La Hune, horriblement climatisée, dans la rue Saint-Benoît où avril était diaboliquement chaud, me fatigue beaucoup. Dire que, de plus, je n’ai trouvé nul ouvrage susceptible de retenir mon attention dans cette boutique ! Mais je ne veux pas vous lasser et me doute que vos propres petits ennuis vous tiennent suffisamment éveillée ces temps-ci pour que vous puissiez vous soucier de misères aussi infimes.
Vous le savez, 2007 est le centenaire de Roger Vailland. Eh oui, le Jeune homme seul aurait eu cent ans cette année. C’est aussi, dans un autre ordre d’idées, le vingtième anniversaire de la disparition de Dalida et de celle de Lino Ventura. C’est encore la dixième bougie de la mort de Barbara et de celle de Franquin. Et la trentième de celle de Prévert. Et la cinquantième de l’apparition de Gaston Lagaffe. Vous voyez que les célébrations de tous ordres ne manqueront point et, en cherchant bien, on en trouverait encore un grand nombre, soyez-en certaine. Depuis quelques années, un service officiel du ministère de l’Inculture s’occupe de ces célébrations. C’est ridicule, n’est-ce pas ? Tout cela, néanmoins, sera forcément occulté par la grande fête électorale : présidentielle, législatives et municipales, six tours, six bulletins, six signatures. On en aura pour son argent. À propos d’argent, vous avez certainement remarqué que le fisc, cette année, a comme oublié de nous adresser nos déclarations de revenus à remplir. Il attend que passe l’éruption boutonneuse des urnes. Il doit se dire que ce n’est pas le moment.
Je sais bien que vous êtes aux champs, mais vous avez sans doute appris néanmoins quelques faits-divers survenus non loin du lieu où je passe hélas le plus clair de mon temps. Je m’emploie par conséquent à vous rassurer : dimanche soir, je n’étais pas à la terrasse du Café de France, place d’Italie, pour recevoir quelques coups de couteau d’un sire qui passait ; je n’étais pas non plus hier gare d’Austerlitz au moment où la chaussée s’est effondrée. Ne vous effrayez donc pas, chère Rabassa. Ce n’est pas parce que ces lieux se situent dans mon immédiat entourage que j’ai à payer le prix de ces désagréments. Notez que ce fut pire sur certain campus américain, il y a peu, mais il paraît qu’il n’est pas toujours pas question d’interdire là-bas la vente libre des armes à feu.
J’évoquais en commençant le centenaire de Vailland. Vous savez combien son visage me fascine, combien j’ai d’estime pour sa plume. Figurez-vous, chère, que l’association dite des Amis de Vailland, à laquelle j’apporte annuellement ma modeste contribution financière, édite des Cahiers Roger-Vailland dont je m’honore de posséder la collection complète et dont le principal défaut, bien que je m’en sois fâchée souvent, est d’être composée dans un corps si minuscule que l’abonnement devrait comprendre la fourniture d’une loupe. Las, rien n’y fait. Je viens donc de recevoir la dernière livraison de ce bulletin. Quelle ne fut ma surprise en constatant que cette revue supposée semestrielle n’avait compté qu’un seul numéro en 2005 et que le tome me parvenant à présent était déclaré numéro double, valant pour toute l’année 2006. Il n'est pourtant pas plus épais que d’autres qui, en leur temps, ne comptèrent que pour un. Je crois pourtant avoir réglé un abonnement pour deux... Est-il mesquin d’ainsi faire connaître ces agissements ? Dites-le moi, tendre Rabassa. Vous savez que j’ai confiance en votre jugement. Remarquez, je ne dirai rien à personne et la dénonciation (oh, c’est un bien grand mot) de cette pratique ne sortira pas de cette lettre que nul, autre que vous, douce complice, ne lira. Imaginez : si, d’aventure, un membre influent de l’association venait à prendre connaissance de cette épître... Bah, je trouve que ce n’est pas moi qui suis mesquine, plutôt eux. D’ailleurs, je dois ajouter qu’à l’envoi était joint un bulletin de réabonnement mentionnant toujours la parution de deux numéros par an. J’en ferai retour prochainement, accompagné de quelques sous.
Je vous conterais volontiers les dernières turpitudes des éditeurs auxquels un sort malin me vaut de devoir me frotter, ma vie durant. C’est une véritable damnation, mais je craindrais alors de vous ennuyer par d’inconsidérées jérémiades. Je ne veux pas que, recevant de moi quelque nouveau pli, vous puissiez dire un jour que cette pauvre Marguerite, décidément, vieillit bien mal et qu’elle ferait mieux de quitter Paris pour s’en aller soigner ses rhumatismes en quelque chaumine. Adoncques, je ne vous dirai rien sur ce point et pourtant, vous savez, il s’en est encore produit de belles.
Je dépose entre vos bras mon souvenir le plus attaché et, j’espère, le mieux attachant. Dites-moi bientôt si vous comptez passer quelques jours ici. Je m’emploierais alors à préparer pour vous un réjouissant programme.
Marguerite de Servanches.
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lundi, 16 avril 2007
Tout ceci est rigoureusement exact, et cependant...
Voici ce que, ces tout-derniers jours, j’ai pu faire en matière de démarches éditoriales et d’activités littéraires. Pour un projet de livre encore très hypothétique, j’ai contacté l’agent d’une artiste et en ai averti un éditeur. J’ai reçu un long message de la dernière femme d’un poète, enchantée de l’étude que j’ai commise sur son compagnon décédé, étude que je lui avais transmise pour corrections éventuelles. J’ai proposé mon ultime recueil de nouvelles à un éditeur qui produit des livres illustrés. Un autre éditeur, lui, n’a jamais répondu à ma proposition concernant un autre ouvrage. On m’a demandé de participer à une lecture autour d’un auteur en octobre 2007, à un colloque sur un autre écrivain en octobre 2008. J’ai écrit quelques textes destinés aux divers carnets que je tiens sur internet. Une page a été ouverte dans Wikipédia.
Question simple : qu’est-ce qui ne va pas dans les lignes ci-dessus ?
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dimanche, 25 mars 2007
Intention de vote
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samedi, 10 février 2007
Des racines, par Martine Layani-Le Coz
Du matin au soir, Firmin travaillait à l’hôpital de Bicêtre, comme infirmier. Ensuite, il allait au Fort, cultiver un bout de jardin. Justine, entre deux lessives sans machine, cousait les vêtements de la famille, quand des commandes pour quelque particulier lui en laissaient le temps. Leur vaisselle venait de primes, de collections sorties des chicorées ou de paquets de biscottes. Tous les restes étaient accommodés en leur temps. La discipline dans laquelle étaient tenus les trois enfants était courante et sans contestation. Ils n’étaient pas dans la confidence des profits et pertes.
Cependant, tous les enfants grandissent un jour. La première fille, Yvonne, avait trouvé du travail, mais restait avec ses parents. En prenant de l’âge, ceux-ci avaient envie d’une maison à la campagne, pas trop loin. Ils finirent par trouver une ancienne ferme. Ils s’y rendaient en été et, année après année, l’aménagèrent. Un jardin, indépendant de la maison, réveillait en ces anciens travailleurs agricoles leurs gestes de jeunesse.
Le deux-pièces a d’abord laissé s’envoler Roger, qui s’est marié puis est parti à la guerre. C’est alors que la maison a recueilli sa femme et leur garçon – il était prisonnier en Allemagne. Les deux filles, Yvonne et Andrée, occupaient l’appartement. Entre-temps, Andrée elle aussi travaille. Elles aident leurs parents de leur mieux. Pendant l’Occupation, elles vont à bicyclette dans cette campagne éloignée de plus de cent kilomètres. Firmin et Justine élevaient un ou deux lapins et des poules, cela valait le voyage.
Après la guerre, le deux-pièces abrite les deux sœurs. Puis Andrée se marie et vit un temps dans une chambre meublée jusqu’à la naissance du premier enfant. L’enfant né, ils y vivent – comme bien souvent avant 1955 – à quatre : un couple avec enfant et la sœur célibataire. À la naissance du second enfant, le couple enfin trouve une petite maison mitoyenne à louer en banlieue, à Juvisy-sur-Orge. Et la maison de la campagne, où Firmin et Justine ont élu retraite, accueille la famille aux vacances. Ô combien les fruits et légumes du jardin avaient-ils de goût. Le lait venait de la ferme d’en face, comme les lapins ou les œufs.
Mais Firmin ne verra pas 1955. Justine, restée seule dans cette maison, supporte mal son départ brutal et revient vivre avec Yvonne, dans le deux-pièces du Kremlin. Justine décède en 1968. Le deux-pièces sera abandonné en 1971, à la retraite d’Yvonne. La maison sera alors ouverte de début mai à fin octobre. Au creux de l’hiver, Yvonne habite chez sa sœur, dans un appartement loué cette fois plus près de Paris. Cette génération aménage la grange, fait installer une salle de bain et des toilettes. À partir de Pâques et jusqu’à la fin de la belle saison, on vient y passer de nombreuses fins de semaines.
Cette maison a vu aujourd’hui arriver le gaz de ville.
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jeudi, 08 février 2007
L’enfant et les manèges
Sur le mur blanc de la cuisine, il écrasait les mouches. C’était facile : on les voyait bien et il opérait avec la lance de sa panoplie d’Indien. Le manche était de bois peint en rouge, la lame de plastique jaune. Avec la longueur du manche, on avait le mouvement ample et la mouche, en dépit de ses yeux incroyables, ne voyait rien venir. La souplesse du plastique permettait un coup sec, sans rebond. Il s’était fait gronder parce que ça faisait sale sur le mur blanc, ces mouches écrasées. Il devait avoir quelques huit ans. Il a toujours détesté les mouches. C’est le seul être vivant auquel il soit capable de faire du mal. C’est sale, bête, laid. Qu’on ne lui en veuille pas, il exècre les mouches, ça le dégoûte. Pourtant, il n’est pas bégueule.
Il avait élevé des vers à soie dans une boîte de chaussures en carton tapissée de feuilles de mûrier. Les jours avaient passé. Ils avaient fait leur cocon. Cela l’amusait beaucoup, l’intriguait : la métamorphose, c’est fascinant pour l’esprit humain, Ovide le savait déjà – mais il ne connaissait pas encore Ovide. Philémon et Baucis, cela lui plairait… plus tard. Un matin, ce fut l’horreur. Des fourmis venues d’il ne savait où avaient envahi la boîte, des centaines, des milliers de fourmis avaient tout mangé. Une hécatombe. Un chagrin immense, aussi. Des cris et des larmes et, soudain, l’horrible désir de vengeance : prendre des ciseaux et découper, dans son Encyclopédie pour les enfants de France, l’image de la fourmi afin de la réduire en miettes. On l’arrêta, il ne fallait pas abîmer le livre, ajouter une horreur à l’autre. On le consola, mais il y pense encore aujourd’hui, l’encyclopédie intacte dans sa bibliothèque. Ce désir amer de destruction l’effraie, quand il y pense : prendre une revanche, c’est bien ; se venger est horrible. Il est content de ne pas l’avoir fait.
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vendredi, 19 janvier 2007
Melancholia
Une de mes fréquentes attitudes est de laisser aller mon regard sur mes rayonnages, dans telle ou telle pièce, dans l’entrée, dans le couloir. Martine m’avait dit un jour : « Tu regardes tes livres comme on regarde la mer, l’horizon ». Depuis quelque temps, c’est plutôt avec mélancolie que je les regarde. Je ne veux pas penser à ce qu’ils deviendront – c’est l’angoisse habituelle et l’on ne peut répondre à cette question. Je pense plutôt, et cela fait quelque temps déjà, au fait que, depuis 1993, date à laquelle j’ai aménagé dans mon logement actuel, certains volumes, selon toute vraisemblance, n’ont pas bougé de la place qu’ils avaient alors trouvée. Je ne les ai plus ouverts, je ne les ai même pas déplacés. J’aurais pu, à la rigueur, les décaler pour insérer de nouveaux venus – mais à partir du moment où tout est bloqué sur des mètres et des mètres linéaires, il n’y a rien d’autre à faire que de poser les livres qui malgré tout s’ajoutent en dépit de tout bon sens, en travers, à leur place approximative. Certains ouvrages, donc, n’ont plus été consultés et je me demande avec inquiétude s’ils le seront de nouveau ou bien si notre commerce est définitivement interrompu, notre amitié saccagée sans même qu’eux et moi le sachions.
Alors, puisqu’il faut respirer tout de même, je me dis qu’un déménagement inéluctable aura lieu dans quelques années et qu’ils pourront ainsi remuer leurs membres ankylosés, ces livres immobiles, paralysés, sclérosés. Je ne veux pas penser que ce sera pour aller se figer ailleurs, sur les mêmes rayonnages qu’un camion aura transportés, emportant sans le savoir ma mélancolie avec lui. Je la retrouverai à l’arrivée.
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mercredi, 08 novembre 2006
À la manière d’Hubert Nyssen
À Benoît
Cette femme merveilleuse est une femme. C’est-à-dire que, contrairement aux hommes, elle a hérité de son sexe tout ce qui la rend femme. En montant hier dans l’avion qui devait, pensais-je, voler dans le ciel, je ne me doutais pas que cette femme si femme dans ses voiles légers et colorés allait avoir sur moi l’effet du mistral dans mes cheveux d’octo, qui n’ont de blanc que ce que les couvertures des éditions que j’ai créées, moi qui suis un passeur mais ne sais pas ce que je passe vraiment, ont de tilleul ou, si on le désire, de champagne. Elle devait, cette femme dont les yeux me faisaient penser à ses jambes, décoiffer à jamais, comme disent les gens au moderne parler, ce qui, sous le platane, me faisait croire à de possibles racines. Mon flair d’éditeur me disait déjà que je tenais là une nouvelle Nancy Huston ou, le dirai-je sans honte, la possibilité d’une Berberova. Icelle, dont j’étais allé jusqu’à supprimer le prénom afin qu’elle ne soit plus qu’un patronyme, comme Aragon ou, mieux, comme Hugo, avait enflammé les derniers feux allumés et brûlants qui enflammaient eux-mêmes ma jeunesse. Voilà que cette en vérité si femme me disait sans le secours d’aucun mot : « Hubert, quand tu allumes ta pipe, tu me donnes envie de… » Mais j’en ai dit suffisamment et que souffle le dévergondé et dévergondant mistral. Il est l’heure de retourner, moteur chaud, au roman.
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mardi, 07 novembre 2006
Viens chez moi, j’ai des gisants
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vendredi, 03 novembre 2006
Ma poussière
Je trouve que l’automne est arrivé en douceur, cette fois. Arrivé comme une main qui m’aurait caressé sans que j’en prenne conscience. Arrivé ainsi qu’un souffle léger dans les feuilles mortes entassées de ma vie. Arrivé tel une écharpe sortie du placard où elle s’était tenue quelques mois dans le silence calme des tissus. Je trouve que l’automne, cette plainte tranquille, ce psaume coloré, est venu sans brutalité, je l’aime et, dans sa main tendue, je reconnais l’amitié qu’il m’offre depuis toujours. Je suis né en automne, cette saison cyclothymique, sous les arbres affolés mais pas mécontents d’être rudoyés par quelque bise faussement agressive. L’automne qui nous rhabille progressivement, les chemises succédant aux chemisettes, les pull over sans manches arrivant à la rescousse, la veste, l’imperméable qui attendent au coin du bois, non pas en embuscade mais en rendez-vous secret et pourquoi pas complice. L’automne est une page tachée de roussures, c’est la page de mes années entassées. D’aucuns font la somme de leurs printemps, je tiens le compte de mes automnes et j’attends de mourir comme s’achève une chanson, comme au temps des électrophones dont le bras ne revenait pas encore, en fin de sillon, dont le plateau continuait à tourner ; il fallait intervenir pour tout arrêter ou bien changer le disque, c’était avant les automatismes et bien avant les plages numériques des disques compacts ; c’était mon enfance et même un peu après, ce temps suspendu d’automne en automne, ce temps à marronniers et à cours de récréation – j’attends de mourir comme s’achève une chanson, ainsi que se taisent les rumeurs, pas celles de la calomnie mais celle du vent, celle de la rivière dont on s’éloigne, celle enfin de la ville dont nous parlait Verlaine. L’automne qui vient ce matin me dicter ce fragment poussiéreux.
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mardi, 24 octobre 2006
À la manière des journalistes
Prenez un doigt d’amalgame, fouettez-le pour qu’il mousse bien.
Pendant cela, préparez un roux de clichés et d’idées reçues.
Au four, faites cuire l’opposition « tout noir et tout blanc », en arrosant régulièrement d’esprit binaire.
Liez le tout, au moment de servir, d’un fond de bouc émissaire à montrer du doigt.
Savourez en connaisseur la démagogie reine que vous aurez ainsi obtenue.
Vins conseillés : Château-Calomnie XXe siècle, Rumeur 2002.
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lundi, 23 octobre 2006
Couleur du temps, par Martine Layani-Le Coz
Le temps qui coule se désaltère dans l’été, alors on est heureux.
Mais qu’il nous présente son front métallique comme une guerre, alors notre matière grise en sent tout le poids.
Même l’harmonie des couleurs ne parvient pas à éclaircir d’un sourire le chapelet insistant des minutes. Il ne faut pas s’étonner que les fleuves soient aux poètes emblèmes de nostalgie païenne ; eux seuls connaissent avec nous l’horreur de l’identique et du semblable réunis dans l’indifférence.
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mercredi, 18 octobre 2006
À la manière de Raffarin
Parcourir le chemin, c’est déjà faire route ensemble.
Je ne sais pas si mon soutien est réel, je sais qu’il existe.
Toujours sur la route, toujours au travail, j’irai droit au but, quels que soient les tournants.
Sur mon agenda, entre mes obligations, se distingue en filigrane mon emploi du temps.
Je sais ce que c’est qu’être premier ministre. C’est être un ministre premier.
Mon devoir est là, il ne servirait à rien de ne pas en tirer les leçons.
L’avenir est toujours ouvert devant.
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mercredi, 11 octobre 2006
Une voyageuse
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mardi, 03 octobre 2006
Je suis une banque de données à moi tout seul (air connu)
Depuis longtemps maintenant, je suis devenu un centre de documentation et une banque de données. On vient me consulter pour obtenir des documents ou des renseignements, on me confie des corrections typographiques, on m’écrit par la poste et par internet, on demande des rendez-vous, on me sollicite pour déchiffrer des écritures que je suis paraît-il seul à parvenir à lire, on me confie des travaux de dactylographie, des épreuves à relire, on me demande mon avis…
Je ne vais certainement pas me plaindre. Cela relève de la confiance et de l’amitié. Mais je n’en peux plus. Aujourd’hui, je devrais recevoir par la poste des épreuves à relire d’un livre à paraître, partiellement consacré à Ferré. Ce soir, je reçois chez moi un étudiant de DEA à propos d’un mémoire qu’il veut consacrer à Albertine Sarrazin. Ce matin, m’arrive un courrier électronique me demandant un texte sur Vailland pour un site en préparation. Accessoirement, je m’occuperai de mes propres travaux en cours et, s’il reste des secondes, je tâcherai de lire un peu. Naturellement, cela s’ajoute à la maintenance de trois sites personnels et à l’animation de ce blog. Sans parler des 37 h 30 hebdomadaires qui me nourrissent (mal) et du temps de transport, heureusement réduit au minimum, qui m’est nécessaire pour aller les effectuer. Ni d’une conférence qu’on m’a demandée pour le mois de novembre, dans l’Est.
En revanche, du côté des éditeurs, c’est le silence complet. Eux ne me demandent rien.
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jeudi, 28 septembre 2006
Carnaval
La Fnac-Italie, littéralement envahie par les romans de la rentrée dite littéraire, gonflée à bloc d’inepties nombrilistes et d’immondices narratifs, a pris une initiative d’une audace folle. Les rayons (c’est vraiment beaucoup dire) de poésie, de théâtre, d’essais et biographies littéraires ont été déplacés de l’autre côté de l’alvéole dénommé « Littérature francophone », occupant désormais la place qui était jusque là dévolue au roman historique.
Tenez-vous bien, car c’est là que tout commence. Qu’est devenu le roman historique ? Je ne vous infligerai pas une insoutenable attente : il a été déplacé à l’endroit qu’occupaient encore il y a peu les rayons (c’est vraiment beaucoup dire) de poésie, de théâtre, d’essais et biographies littéraires. Non ? Si. Je n’invente rien. On mesure la folle modernité d’un pareil choix. Du jamais vu. Un risque professionnel et intellectuel qu’on ne peut que saluer. Franchement, on n’y aurait pas pensé.
Nous avions parlé de ce système – car c’en est un – dans l’ancien blog, à propos de la librairie Gibert qui danse, presque rituellement maintenant, cette valse dont les visées sont exclusivement commerciales. Il n’y a rien de neuf dans mon propos, sinon que c’est encore plus absurde, imbécile, calamiteux, dans cette Fnac de poche voire de gousset, où l’alcôve « Littérature francophone » est de toute manière si minuscule et si peu achalandée que rien ne sera apporté par ces grandes manœuvres, sinon des douleurs dans le dos pour les malheureux « libraires » (je n’ose vraiment pas employer ce terme) qui auront effectué le déménagement.
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mardi, 26 septembre 2006
Le pont du silence
La perspective – la découverte – que l’on peut admirer sur la bannière présentée en ce moment est celle de la passerelle des Arts, autrefois pont des Arts, plongeant vers l’Institut. Sur ce pont, ont été remis à des émissaires des exemplaires du Silence de la mer, l’inoubliable drame silencieux imaginé par Vercors. Ces livres étaient destinés au Général de Gaulle qui se trouvait à Londres. Le Silence était le premier ouvrage publié par les Éditions de Minuit, alors clandestines, d’où, bien entendu, leur nom. En ces temps où l’écrit avait une valeur incommensurable, il devint l’emblème du combat de l’ombre. Quand on traverse la Seine, on peut admirer le square du Vert-Galant ainsi nommé car situé sous le Pont-Neuf où trône une statue équestre d’Henri IV, plus loin, Notre-Dame-de-Paris, monument d’émotion, et, à l’opposé, la fuite de la Seine vers le musée d’Orsay. Sur l’autre rive, d’où la photographie a été prise, le palais du Louvre.
Cet endroit est un de ceux qui, architecturalement parlant, me manquera le plus lorsque je quitterai Paris, ce qui est inéluctable. Ce paysage est magnifique et la Seine elle-même est plus verte là qu’ailleurs. Plus verte aux beaux jours, plus mordorée quand approche le froid. Avec la montagne Sainte-Geneviève et le groupe architectural que forment le Panthéon, Saint-Étienne-du-Mont, la faculté de droit, la bibliothèque Sainte-Geneviève et le lycée Henri IV, sans parler de la mairie du Ve arrondissement, cet endroit de Paris est vissé dans mon corps avec la vis sans fin de ma jeunesse.
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dimanche, 17 septembre 2006
Hier après-midi
11:55 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 13 septembre 2006
On continue
Ce carnet a un an. Je suis fort peu porté sur les anniversaires mais je veux bien, toutefois, respecter cette espèce d’usage en vigueur dans le monde des blogs selon lequel on annonce, chaque fois, cette date dont tout le monde, en réalité, se moque. Il y a donc un an que vous supportez mes élucubrations et mes silences, que vous lisez aussi les rares mots de Martine et que vous nous faites l’amitié d’y répondre parfois. Nous vous en remercions.
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lundi, 11 septembre 2006
Quand Fabienne était au marché
Je parlais ce matin des bouquinistes qui enchantent les rives de la Seine et déroulent un ruban de papier imprimé du musée d’Orsay à l’Institut du Monde arabe et, sur l’autre rive, de la bibliothèque Forney (hôtel de Sens) au Louvre.
Il est un autre lieu que j’affectionne, c’est le Marché aux livres de la rue Brancion (XVe), à l’ancien emplacement des abattoirs de Vaugirard, devenus parc Georges-Brassens (il demeurait à vingt mètres, rue Santos-Dumont). La halle des abattoirs, très grande, a été conservée. Elle abrite depuis près d’un quart de siècle – il me semble que c’était hier, bon sang ! – plusieurs dizaines de bouquinistes dont la plupart ont pignon sur rue partout en France et viennent s’installer là, le samedi et le dimanche, sur les pavés en pente, parmi des rigoles qui, régulièrement, descendent vers leur enfer.
C’est un endroit où il fait toujours plus frais qu’ailleurs, ou même froid en hiver : exposé à l’ouest, plein de vents coulis et de traîtrises météorologiques, le marché est un lieu de perdition pour la santé, mais bah ! Il en vaut la peine. L’âme des chevaux morts traîne encore par là et c’est peut-être leur souffle qu’on prend pour des courants d’air.
On trouve là de tout, à tous les prix ou, plus exactement, à deux sortes de prix : le bradé et le trop cher. Il n’y a pratiquement plus de prix intermédiaires. Il n’y a que peu de raretés et, lorsqu’il y en a, elles sont hors de prix. C’est un lieu de promenade néanmoins.
J’aimais bien aller déjeuner, avant de m’y rendre, sur le trottoir d’en face. Il est un café établi au coin de la rue, dénommé avec finesse et originalité Au Bon Coin. Fameux, n’est-ce pas ? J’aimais y aller parce qu’on y mange solidement pour un peu cher (mais acceptable cependant) et surtout parce qu’on y était, jusqu’au printemps dernier, servi par la délicieuse Fabienne, ronde aux longs cheveux blonds-roux, aux yeux gris-bleus, et surtout pleine d’humour et d’esprit d’à-propos, très anticonformiste. On sait que je me nourris essentiellement de femmes et de livres, d’où mon teint fatigué. Las, elle ne travaille plus là et je n’ai plus aucun plaisir devant mon assiette attristée. Même mon verre fait la gueule.
15:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (5)
dimanche, 03 septembre 2006
Un été studieux
Dans le très grand parc du couvent de Vaylats (Lot), se trouve une espèce de kiosque, plus simplement un abri de jardin où se dresse une table de pierre, en réalité une ancienne roue de moulin. Là, les tauliers ont travaillé à d’immortels manuscrits, comme en témoignent ces deux images. En troisième position, figure la preuve indubitable que le taulier est à lui seul un gros... lot.
20:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (10)
vendredi, 01 septembre 2006
Bulletin de santé
Durant cet été où je me suis montré si paresseux pour ce qui touche à ce carnet, j’ai lu la Correspondance de Cézanne, le Journal des années noires 1940-1944 de Guéhenno, échoué sur le lamentable journal de Pierre Bergounioux intitulé Carnet de notes 1980-1990, commencé une vie de Gabrielle d’Estrées par Janine Garrisson. J’ai écumé des bouquinistes à Cahors, Villefranche-de-Rouergue et Caylus, sans dénicher autre chose que le Mauriac de Jean de Fabrègues paru chez Plon en 1971. Nous avons visité un nombre incalculable d’églises et un prieuré, admiré une série de halles et de châteaux. Nous avons parcouru les salles du musée Henri-Martin de Cahors où, hormis les collections permanentes, on pouvait découvrir l’œuvre du sculpteur Marc Petit, celles du musée Regnault de Saint-Cirq-Lapopie où se trouvait d’ailleurs la seconde partie de l’exposition de ce même Marc Petit. Nous avons regardé quelques DVD empruntés, et en avons acheté deux d’une anthologie d’archives télévisuelles de Gainsbourg. J’ai corrigé, relu, revu, moult manuscrits. J’ai contacté trois éditeurs pour un projet d’ouvrage que deux d’entre eux n’ont même pas désiré recevoir. J’ai obtenu deux refus pour deux autres livres proposés précédemment. Je me suis battu pour qu’on veuille bien me verser les droits de 2005 sur un autre livre encore et je n’ai toujours rien reçu. Nous avons parcouru une douzaine, une quinzaine peut-être de brocantes. J’ai acheté deux microsillons d’occasion, un 25-cm et un 30-cm, consacrés à des séries thématiques de chansons et de textes. Martine a acheté, elle, un 45-tours de Philippe Clay chantant deux textes de Nougaro. J’ai relu le mémoire de DEA de ma seconde fille, consacré au paysage et au regard chez Wim Wenders. Martine a lu une correspondance commentée échangée entre Gide, Verhaeren et Rilke, un livre d’anthropologie, Qu’est-ce que la littérature ? de Sartre, Qu’appelle-t-on philosopher ? par Pierre Bouretz, une piteuse vie de Sagan par Geneviève Moll. Elle a étudié les Cahiers pour une morale de Sartre. Elle a aussi tricoté. Nous avons roulé durant quelques milliers de kilomètres, rencontré des amis et rêvé devant des sites naturels, fait des kilogrammes de confitures (abricots, fraises, prunes, mirabelles, mûres.)
Je dois en oublier… Au bout de cet inventaire, nous revenons et sommes surpris de n’avoir pas été oubliés dans le grand bombardement que la canicule puis l’été pourri ont fait subir à la rue Franklin. Bonne rentrée.
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vendredi, 04 août 2006
Les derniers seront les premiers
Je me suis toujours beaucoup étonné du destin des livres, j’entends : de leur cheminement dès qu’ils se retrouvent dans le circuit de l’occasion. Je me rappelle avoir acheté dans le Lot, il y a quelques années, un ouvrage portant, sur la page de garde, le cachet d’un couvreur du Nord. Comment le livre était-il arrivé là ?
Avant-hier soir, triant quelques volumes que je désire emmener demain à la campagne, je suis tombé sur le Journal des années noires 1940-1944 de Guéhenno. Ce livre, imprimé en 1947 pour le compte de Gallimard, m’avait été offert en 1985 et fut oublié par moi qui ne l’ai jamais lu, pas plus que son ou ses propriétaires précédents. Preuve irréfutable : il n’était pas coupé. Il est entièrement neuf, son papier à peine vieilli et encore. Je l’ai donc coupé et couvert et je le lirai dans le train. C’est amusant parce que j’ai effectué mon tri dans une partie seulement de ma bibliothèque, celle qui se trouve dans l’entrée et dans le couloir (il y a des livres dans toutes les pièces, hormis pour le moment dans la cuisine et la salle de bains.) Cette partie représente dix-huit mètres linéaires et, en réalité, davantage puisque les volumes sont parfois sur deux rangées et même au-dessus, en travers. Eh bien, c’est presque au ras du sol, sur la dernière tablette que, derrière la seconde rangée, tout au bout de la première, tout à fait à droite, encore dissimulé par plusieurs épaisseurs de tomes couchés en travers, j’ai trouvé ce journal. Pour la première fois depuis 1947, il va être lu. C’était le dernier des rayonnages consultés, le plus caché des livres et le plus oublié des titres.
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