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mercredi, 18 avril 2007

Marguerite de Servanches à Rabassa de Lépine

Paris, ce jour. 

Ma chère, je me suis mouchée toute la nuit, c’était horrible et j’ai passé la journée à éternuer, c’est épuisant. Ce rhume qui me tient depuis que, dimanche, j’ai pris – du moins je le suppose – un chaud et froid en sortant de la librairie La Hune, horriblement climatisée, dans la rue Saint-Benoît où avril était diaboliquement chaud, me fatigue beaucoup. Dire que, de plus, je n’ai trouvé nul ouvrage susceptible de retenir mon attention dans cette boutique ! Mais je ne veux pas vous lasser et me doute que vos propres petits ennuis vous tiennent suffisamment éveillée ces temps-ci pour que vous puissiez vous soucier de misères aussi infimes.

Vous le savez, 2007 est le centenaire de Roger Vailland. Eh oui, le Jeune homme seul aurait eu cent ans cette année. C’est aussi, dans un autre ordre d’idées, le vingtième anniversaire de la disparition de Dalida et de celle de Lino Ventura. C’est encore la dixième bougie de la mort de Barbara et de celle de Franquin. Et la trentième de celle de Prévert. Et la cinquantième de l’apparition de Gaston Lagaffe. Vous voyez que les célébrations de tous ordres ne manqueront point et, en cherchant bien, on en trouverait encore un grand nombre, soyez-en certaine. Depuis quelques années, un service officiel du ministère de l’Inculture s’occupe de ces célébrations. C’est ridicule, n’est-ce pas ? Tout cela, néanmoins, sera forcément occulté par la grande fête électorale : présidentielle, législatives et municipales, six tours, six bulletins, six signatures. On en aura pour son argent. À propos d’argent, vous avez certainement remarqué que le fisc, cette année, a comme oublié de nous adresser nos déclarations de revenus à remplir. Il attend que passe l’éruption boutonneuse des urnes. Il doit se dire que ce n’est pas le moment.

Je sais bien que vous êtes aux champs, mais vous avez sans doute appris néanmoins quelques faits-divers survenus non loin du lieu où je passe hélas le plus clair de mon temps. Je m’emploie par conséquent à vous rassurer : dimanche soir, je n’étais pas à la terrasse du Café de France, place d’Italie, pour recevoir quelques coups de couteau d’un sire qui passait ; je n’étais pas non plus hier gare d’Austerlitz au moment où la chaussée s’est effondrée. Ne vous effrayez donc pas, chère Rabassa. Ce n’est pas parce que ces lieux se situent dans mon immédiat entourage que j’ai à payer le prix de ces désagréments. Notez que ce fut pire sur certain campus américain, il y a peu, mais il paraît qu’il n’est pas toujours pas question d’interdire là-bas la vente libre des armes à feu.

J’évoquais en commençant le centenaire de Vailland. Vous savez combien son visage me fascine, combien j’ai d’estime pour sa plume. Figurez-vous, chère, que l’association dite des Amis de Vailland, à laquelle j’apporte annuellement ma modeste contribution financière, édite des Cahiers Roger-Vailland dont je m’honore de posséder la collection complète et dont le principal défaut, bien que je m’en sois fâchée souvent, est d’être composée dans un corps si minuscule que l’abonnement devrait comprendre la fourniture d’une loupe. Las, rien n’y fait. Je viens donc de recevoir la dernière livraison de ce bulletin. Quelle ne fut ma surprise en constatant que cette revue supposée semestrielle n’avait compté qu’un seul numéro en 2005 et que le tome me parvenant à présent était déclaré numéro double, valant pour toute l’année 2006. Il n'est pourtant pas plus épais que d’autres qui, en leur temps, ne comptèrent que pour un. Je crois pourtant avoir réglé un abonnement pour deux... Est-il mesquin d’ainsi faire connaître ces agissements ? Dites-le moi, tendre Rabassa. Vous savez que j’ai confiance en votre jugement. Remarquez, je ne dirai rien à personne et la dénonciation (oh, c’est un bien grand mot) de cette pratique ne sortira pas de cette lettre que nul, autre que vous, douce complice, ne lira. Imaginez : si, d’aventure, un membre influent de l’association venait à prendre connaissance de cette épître... Bah, je trouve que ce n’est pas moi qui suis mesquine, plutôt eux. D’ailleurs, je dois ajouter qu’à l’envoi était joint un bulletin de réabonnement mentionnant toujours la parution de deux numéros par an. J’en ferai retour prochainement, accompagné de quelques sous.

Je vous conterais volontiers les dernières turpitudes des éditeurs auxquels un sort malin me vaut de devoir me frotter, ma vie durant. C’est une véritable damnation, mais je craindrais alors de vous ennuyer par d’inconsidérées jérémiades. Je ne veux pas que, recevant de moi quelque nouveau pli, vous puissiez dire un jour que cette pauvre Marguerite, décidément, vieillit bien mal et qu’elle ferait mieux de quitter Paris pour s’en aller soigner ses rhumatismes en quelque chaumine. Adoncques, je ne vous dirai rien sur ce point et pourtant, vous savez, il s’en est encore produit de belles.

Je dépose entre vos bras mon souvenir le plus attaché et, j’espère, le mieux attachant. Dites-moi bientôt si vous comptez passer quelques jours ici. Je m’emploierais alors à préparer pour vous un réjouissant programme.

Marguerite de Servanches.

15:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (11)

Commentaires

Chère Marguerite,

Vous me voyez marrie et contrite d’apprendre votre état de santé. Mais quelle idée aussi de fréquenter ces librairies climatisées où règne un froid polaire. Je soupçonne d’ailleurs qu’il y a là derrière une volonté commerciale inavouée mais bien mal comprise, chez les marchands de livres (car, vous le déplorerez comme moi, la plupart des libraires sont devenus à notre époque des marchands de produits finis et ils appartiennent ni plus ni moins à la grande catégorie des dispensateurs de loisir, au même titre que les agences de voyages ou les restaurants touristiques). Or donc, les marchands de livres, disais-je, n’auront pas manqué d’observer que leur chiffre d’affaire est plus important durant la période hivernale, lorsque les passants ont tendance à venir se réchauffer en leur établissement plutôt que d’arpenter les rues boueuses et glaciales. Plus il fait froid et plus ils décident de chauffer, afin d’attirer le badaud. Forts de cette expérience, en ce mois d’avril pour ainsi dire caniculaire, ils ont sottement appliqué la recette à l’envers et ont cru offrir à l’acheteur potentiel un micro-climat soi-disant idéal. Hélas, ils se semblent pas avoir lu les auteurs du XVIII° et n’entendent donc rien à la théorie des climats. S’ils avaient, ne fût-ce qu’une fois, parcouru Montesquieu, ils sauraient, avec l’auteur de l’Esprit des Lois, que seul un climat tempéré permet à l’homme d’atteindre son équilibre et son plein épanouissement intellectuel et que des chaleurs trop fortes ou des froids trop piquants n’apportent à l’esprit qu’un engourdissement et un affadissement peu propices à l’achat des livres.

Mais laissons là ces considérations et venons-en à ce qui vous préoccupe, ma chère, à savoir le fait d’avoir vainement ouvert votre bourse pour deux Cahiers Roger –Vailland. Je comprends, certes, votre déconvenue et que vous regrettiez d’avoir ainsi été lésée, mais personnellement je m’attacherais surtout à ce que signifie la parution d’un seul Cahier, à savoir le manque d’intérêt de la gent critique pour cet auteur qui, avec son centenaire, commence à dater aux yeux de nos contemporains. Il est vrai que le personnage est parfois déroutant, vous en conviendrez, passant allégrement de la collaboration avec l’ennemi teuton à la Résistance communiste, abusant de la boisson et des drogues les plus diverses, il n’a pour me séduire que ses qualités d’écrivain. Encore ne suis-je pas comme vous, ma chère, fascinée par ses écrits érotiques. C’est qu’habitant sagement à la campagne, loin de la capitale et de ses frivolités, j’ai sans doute moins que d’autres l’occasion de me divertir et de m’adonner aux dérèglements du sexe.

Je retiens cependant votre proposition d’invitation, qui me séduit autre mesure, pour autant cependant que nous consacrions nos journées à la visite des grands musées et que vous me montriez des librairies encore inconnues de moi. Point de mondanités, donc, ni de dérèglements de tous ordres. Par contre je boirais volontiers un thé avec vous dans quelque salon, afin que vous ma racontiez vos déboires éditoriaux, qui, j’en suis certaine, vous affectent bien davantage que vous ne semblez le laissez croire.

Je vous pris d’agréer, très chère Marguerite, mes salutations les plus tendres et vous souhaite un bon rétablissement.

Rabassa de Lépine

Écrit par : Feuilly | jeudi, 19 avril 2007

On m'apporte à l'instant votre douce réponse, chère.

Mais que me dites-vous, Rabassa ? Collaboration avec l'ennemi teuton ? Où avez-vous pris une telle chose ? Il faut croire que votre éloignement vous a privée d'une information rigoureuse.

Puisque je vous tiens, veuillez pour notre bonne amitié éclaircir ce point : à la campagne, il n'y aurait pas de sexe ? Par tous les diables (oh, pardon) ! Là encore, d'où vous vient telle idée ?

Rassurez-moi rapidement, et me dites que j'ai mal lu.

Comtesse de Servanches.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 19 avril 2007

Ah, ma chère Marguerite, où voulez-vous donc trouver, en notre siècle, des informations rigoureuses ? Déjà qu’à Paris les nouvelles se répandent et se transforment à une vitesse inouïe, alors vous pensez bien que lorsqu’elles arrivent ici, en ce manoir reculé, elles sont devenues pour ainsi dire méconnaissables. J’ai ouï dire cependant que ce grand écrivain, avant de passer (fort tôt il est vrai) dans la Résistance, avait eu quelques sympathies non pas pour l’occupant proprement dit, mais enfin qu’il s’était montré complaisant pour l’idéologie à mettre en place. Qu’en tout cas il avait fréquenté Céline et que le susdit écrivain étant devenu fort peu fréquentable en 1945, il est fort possible que certains envieux aient tenté de discréditer le sieur Vailland eu égard à cette fréquentation. D’autant plus qu’il me semble avoir lu quelque part qu’il avait plus ou moins défendu Céline, lequel avait effectivement soigné (gratuitement selon son habitude) des personnes torturées par la Gestapo. Vous me demandez, chère Marguerite, des preuves écrites de mes affirmations et ce faisant vous me mettez dans le plus grand embarras. En effet, à part une encyclopédie populaire dans laquelle même les gens du commun se permettent d’écrire, je ne retrouve céans aucune information digne de foi. Je vous la transmets cependant en attendant d’approfondir la question :
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Vailland)
J’ajouterai, si vous me le permettez, que je ne souhaite de toute façon pas entrer dans une polémique avec vous sur ce sujet qui vous tient tant à cœur car je sens entre vous et ce monsieur Vailland une complicité telle qu’on finirait par croire que vous avez pu le connaître personnellement. Seule sa mort assurée vous lave à mes yeux de tout soupçon d’avoir eu avec lui des relations que la décence m’empêche d’écrire ici.

Quant aux rapports que les filles de la campagne, telles que moi, entretiennent avec les personnes de l’autre sexe, ils sont les plus naturels du monde, étant comme vous savez au milieu de la nature et des animaux. N’allez pas croire que toutes ces matières nous laissent plus indifférentes que d’autres. J’ai simplement voulu dire que nous n’avons point ici, en nos châteaux de province, l’habitude des grandes fêtes mondaines qui donnent souvent lieu à tous les débordements. Si quelqu’un digne d’intérêt a arrêté notre regard, nous le lui faisons savoir de manière pudique et décente, ensuite les choses suivent le cours qu’elles doivent suivre. Dans la capitale, au contraire, on nous dit que la moindre fête finit par des ébats incroyables. Sans doute n’est-ce là qu’une rumeur, mais enfin une rumeur se fonde toujours que quelque vérité et je me demande sérieusement si je ne vais pas remettre à plus tard la visite que je vous avais promise. J’attendrai, je crois, d’être mariée pour accomplir ce voyage. Cette union ne saurait d’ailleurs tarder car j’ai rencontré ces jours-ci un écrivain merveilleux qui m’envoie chaque jour des sonnets troublants. Je vous en dirai davantage dans une prochaine missive.

Écrit par : Feuilly | jeudi, 19 avril 2007

Mon Dieu, Rabassa, Céline ! Mais il voulait le tuer lui-même ! Quant aux idées collaborationnistes qu'évoque votre encyclopédie petit-bourgeoise dans laquelle figure même ce pitre de Layani (c'est tout dire), elles n'ont dû durer que le temps d'une cigarette, au mieux d'un paquet (le bougre en fumait quatre par jour).

Oh, mais parlez-moi plus avant de ces sonnets troublants. Qu'écrit donc cette âme si haute ? Prenez garde toutefois qu'à l'instar d'Oronte, il ne vous entretienne du temps qu'il met à les composer : on sait depuis Molière que "le temps ne fait rien à l'affaire", même si quelques incultes persistent à attribuer cette phrase à ce guitariste sétois dont le nom m'échappe.

Et contez-moi aussi vos vergers en fleurs en cet avril.

Comtesse de Servanches.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 19 avril 2007

Ma très chère Marguerite,

Vous vouliez quelques vers (je vous reconnais bien là) pour savoir, de mon soupirant, la manière d’écrire. En voici quelques-uns, qui j’espère, vous plairont. Je les ai choisis parmi les poésies qu’il a consacrées à la forêt d’ici, celle où nous nous promenons en devisant de la beauté du monde. Vous comprendrez, après tout ce que je vous ai dit, que ma pudeur n’a pu se résoudre à vous livrer ainsi les sonnets les plus tendres, ceux que l’être aimé à moi seule destine. C’est qu’il est grand amateur de belles choses et sait aussi bien décrire le corps de la femme que la nature environnante. Faites-vous donc une idée, par ces quelques extraits, de la manière dont peut parler avec grâce de mon anatomie ce gentilhomme hors du commun et comment il enflamme mon cœur à tous les coups en devisant ainsi, en poète avisé.

Mes vergers sont en fleurs, vous l‘avez deviné, ce qui ajoute à la beauté de ces lieux. Tout semble me sourire ces derniers temps, au point que je redoute un revers du destin. Il n’est pas possible, il me semble, que Dieu m’accorde ainsi autant de faveurs. J’ai l’impression, à mon âge, d’être redevenue la jeune fille que je fus, et que, tels ces arbres qui embaument, n’être plus qu’un bouquet de fleurs. Ah, Cupidon, quand tu décoches ta flèche, comme tu peux changer nos destins…


Votre dévouée Comtesse de Lépine.

Voici donc les vers dont ici nous devisons :


Couché sous tes ombrages verts,
Gastine, je te chante
Autant que les Grecs, par leurs vers
La forêt d'Érymanthe :

Car, malin, celer je ne puis
À la race future
De combien obligé je suis
À ta belle verdure,

Toi qui, sous l'abri de tes bois,
Ravi d'esprit m'amuses ;
Toi qui fais qu'à toutes les fois
Me répondent les Muses ;

Toi par qui de l'importun soin
Tout franc je me délivre,
Lorsqu'en toi je me perds bien loin,
Parlant avec un livre.

Tes bocages soient toujours pleins
D'amoureuses brigades
De Satyres et de Sylvains,
La crainte des Naïades !

En toi habite désormais
Des Muses le collège,
Et ton bois ne sente jamais
La flamme sacrilège !

Écrit par : Feuilly | vendredi, 20 avril 2007

Le rouge me monte aux joues, Rabassa. Si votre poète chante vos appas ainsi que la Gastine, il doit vous mettre en émoi. Oh, dites-moi son nom, je vous en prie !

Une bohémienne m'a dit l'autre jour qu'il aurait quelque jour son buste dans le petit square qui fera face à ce qui sera le Collège de France. Je n'ai pas très bien compris... Elle a ajouté que, sur le socle, serait gravé : "A Ronsard, la poésie française".

Nous appellerons donc de ce nom votre brillant soupirant. Oh, je suis émoustillée de seulement penser aux blasons qu'il vous doit consacrer.

Votre Marguerite, impatiente de faire la connaissance d'un tel poète.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 20 avril 2007

Comment! Se pourrait-il qu vous l’eussiez connu, pour ainsi citer son nom sous couvert de prédiction ? Vous aurait-il, par hasard, également écrit de ces vers enflammés auxquels nulle femme ne résiste ? Et ce que je croyais m’être destiné pour une autre que moi aurait été composé ? Le rouge aussi empourpre mes joues, mais c’est de colère, en pensant que ce vil manant, ce versificateur enrubanné, aurait, avec sa plume trompeuse, décrit des charmes étrangers pour m’offrir ensuite des vers qui décriraient une autre ? Quoi, quand il disait

« Bonjour mon coeur, bonjour ma douce vie »

sa pensée était ailleurs et quand il ajoutait

« Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle,
Bonjour, ma douce rebelle »

il pensait à d’autres appâts ? Déjà le printemps et mes vergers en fleurs m’enchantent moins qu’hier. Ils ont pour ainsi dire perdu tout le charme qu’ils avaient à mes yeux et je sens en mon sein poindre la jalousie, ce venin fatal, qui partout se répand.
Tirez-moi d’embarras, je vous prie, au plus tôt et ne me laissez pas dans cette expectative, j’en mourrais, c’est sûr. Dites-moi que jamais vous ne le rencontrâtes et que c’est par hasard que son nom sur vos lèvres a fleuri.

Écrit par : Feuilly | vendredi, 20 avril 2007

Que nenni ! Je vous ai dit qu'une bohémienne m'avait assuré de sa postérité. Mais il demeure pour moi aussi inconnu que l'âge d'or. Parlez-moi de lui. Dites-moi l'éclair de son oeil, le grain de sa voix, sa faculté d'à-propos et de repartie, enfin, ne me celez rien de ce qui, dans sa parole, a su vous charmer et vous rendre, dans le même temps, liée à son charme et maîtresse de son coeur.

Parlez, Rabassa, vous savez bien que vous pouvez avoir confiance en cette Marguerite citadine dont l'âme, cependant, a su rester champêtre.

de Servanches.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 20 avril 2007

Dans mon trouble, chère amie (mais dois-je encore vous appeler de la sorte) il me souvient tardivement avoir commis une faute impardonnable. Aux règles de la grammaire et aux usages de l’orthographe je me suis dérobée, au point d’écrire « appâts » quand j’aurais dû mettre « appas ». De peur que vous me trouviez ignorante, je vous envoie ce nouveau mot, c’est déjà bien assez que vous puissiez rire de mes amours qui s’en vont en lambeaux. Déchirez cette lettre, qu’elle ne tombe pas en des mains calomnieuses qui iraient répandre dans la capitale des rumeurs malveillantes sur l’éducation des femmes de province. C’est déjà bien assez que des hommes nous ne comprenions pas les mensonges pour qu’en plus, à notre naïveté, on vienne ajouter l’inculture.
Répondez-moi surtout, je vous en prie, à mon premier message et que votre valet frappe à ma porte à toute heure, même si la nuit est tombée. Je ne saurais, de toute façon, trouver le sommeil tant que ce doute oppressant inonde mon cœur.

Écrit par : Feuilly | vendredi, 20 avril 2007

Nos lettres se sont croisées, Rabassa. Il en va toujours ainsi quand le malentendu sert de messager. Allons, ce Mercure-là se sera enfui quand, dans l'intervalle, vous avez reçu ce mot de billet qui vous rassurait.

Quant à cette orthographe fautive que j'avais remarquée et certes non relevée, n'en prenez pas souci (laissez ce nom aux fleurs). J'ai l'habitude : le petit marquis de Feuilly, lorsqu'il soupire après moi, me comble souvent de telles horreurs. J'ai beau lui dire de se relire cent fois, il s'arrête toujours à la quatre-vingt dix-neuvième.

Margot.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 20 avril 2007

Ah ma chère vous me tirez du plus grand embarras. Je ne pourrais en ajouter davantage tant je suis émue et ravie à la fois. Et dans le même temps je m’en veux incroyablement d’avoir imaginé une seule seconde que vous eussiez pu connaître mon poète et que celui-ci eût pu penser à vous en composant ses vers enflammés. Une nouvelle fois le rouge me monte aux joues. Quelle honte d’avoir pu sans preuve accuser une amie ! Voyez ce que l’amour fait faire et comment on peut se méprendre quand le cœur est troublé et l’esprit obscurci. Je me tairai aujourd’hui, laissant pour une autre fois le suite de nos débats.

Comtesse de Lépine, en son château gâtinois

Écrit par : Feuilly | vendredi, 20 avril 2007

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