vendredi, 29 septembre 2006
Amélie-du-Japon
Lassé hier soir de mes travaux habituels et fatigué d’avoir regardé mes écrans professionnel et personnel toute la journée, j’ai – quelle exception ! – regardé la télévision. Pour se reposer les yeux, on peut trouver mieux. Pour se reposer l’esprit, c’est difficile car on ne fait guère plus médiocre. Bref, j’ai opté pour l’adaptation, par Alain Corneau, de Stupeurs et tremblements, d’après le « roman » d’Amélie Nothomb. C’est dire que c’était la soirée des exceptions, vraiment. Je précise que j’avais lu le « livre », en son temps. On ne dira pas que je suis borné.
J’ai été extrêmement déçu. J’ai même failli abandonner au bout d’une demi-heure, tant ce film était lassant, plein d’ennui et statique. C’est un huis-clos : il y a tout juste deux ou trois échappées à l’extérieur, mais ce sont des prétextes, on y voit des personnages marcher dans les rues. Un huis-clos, donc, qui se déroule dans les bureaux d’une entreprise japonaise. Je ne raconterai pas l’argument que tout le monde connaît, le « livre » étant célèbre. Mais voilà, ne manie pas le huis-clos qui veut, et Corneau, dont j’avais un parfait souvenir en tant que réalisateur de films d’action et d’aventures il y a trente ans (Police Python 357, La Menace, Le Choix des armes), s’est tranquillement fourvoyé dans une absence totale de mise en scène, des prises de vues inexistantes et un montage banalissime. Qu’est-il allé faire dans cette galère japonaise ?
Pour compenser l’absence de cinéma – je veux dire : de propos personnel à exposer et d’art de l’exposition – il fait appel à une voix off qui reprend les mots d’Amélie Nothomb, c’est-à-dire du rien, le Rien majusculisé par l’ennui et la platitude. Ce procédé fait ressortir davantage encore l’artifice total de cette prose. De plus, l’adaptation démarque le « roman » pratiquement scène à scène. Corneau n’apporte rien. Il n’est même pas capable d’un brin de folie. La scène la plus célèbre, celle où l’héroïne passe la nuit dans le bureau et fait l’amour avec un ordinateur avant de se coucher au sol et de se couvrir d’immondices n’est pas traitée avec le délire qui eût convenu. On nage finalement dans le plastique fondu. Le film devient une caricature du Japon en même temps que d’Amélie Nothomb, qui en est déjà une par elle-même. Et l’on se dit que la musique de Bach pour accompagner cela, c’est tout de même très étonnant.
On retiendra toutefois une très bonne distribution (Sylvie Testud, Kaori Tsuji, sans parler des personnages masculins tous bien choisis.) C’est vraiment tout ce qu’on peut sauver de ces instants d’images qui bougent (le mot cinéma ne peut tout de même pas être à ce point galvaudé.)
14:15 Publié dans Fauteuil payant | Lien permanent | Commentaires (4)
jeudi, 28 septembre 2006
De l’indexation quand elle est exotique
J’ai publié onze livres (douze, bientôt) ; neuf d’entre eux sont parfaitement disponibles : il y a un épuisé et un autre, disparu dans le naufrage de l’éditeur. On n’en trouve aucun en vente, même pas les deux derniers, parus en 2005 et consacrés à des artistes qui ont eux-mêmes un public, ce qui pourrait très éventuellement justifier la présence de ces ouvrages dans les fonds thématiques des librairies. Enfin, on trouve mes modestes travaux en Amérique, en Angleterre, au Centre culturel français de Pékin, dans des bibliothèques universitaires réparties dans le monde entier, bref, cela me console ou plutôt me fait rire : mes éditeurs sont des casseroles qui ne savent placer leurs parutions qu’auprès des institutions. C’est plus facile, plus immédiatement rentable.
L’indexation est une chose curieuse. Elle est très souvent erronée et, depuis l’apparition du courtage de livres sur internet, on s’aperçoit que toutes les chaînes de vente puisent aux mêmes sources. Les erreurs sont donc répétées à l’envi et personne ne s’avise, par exemple, qu’un titre comme Avec le livre, propos de réflexion, ne signifie rien. Il fallait lire, évidemment : Avec le livre, propos et réflexions. De même, Spectacle hôtel n’a pas grand sens, le titre exact est Spectacle total. Enfin, Léo Ferré, la mémoire du temps est presqu’en permanence substitué à Léo Ferré, la mémoire et le temps. Cet essai se voit d’ailleurs, la plupart du temps, affubler de deux cent trente-sept pages dans les notices des vendeurs comme dans celles des bibliothèques, quand il en propose deux cent trente-huit. Cela n’a pas grande importance, certes, mais pourquoi ?
Il arrive que les éditeurs eux-mêmes se fourvoient dans leur propre indexation, ce qui n’est pas ordinaire. L’Harmattan, qui a publié On n’emporte pas les arbres, le fait figurer, dans son propre catalogue, sous la rubrique « Littérature, romans, nouvelles Océan Pacifique », on se demande vraiment pourquoi.
Ce même recueil, On n’emporte pas les arbres, doit à son titre de figurer sur un site qui recense les ouvrages consacrés à la nature. C’est de l’interprétation au premier degré ou je ne m’y connais guère.
Dans la notice consacrée à Écrivains contemporains, toujours par son propre éditeur l’Harmattan, on peut lire : « Ce qui domine, dans ces monographies, c’est toujours le sentiment de l’affection », quand j’avais écrit, et le texte de quatrième de couverture le dit bien : « Ce qui domine, dans ces monographies, c’est toujours le sentiment, l’affection. »
Le douzième livre à paraître groupe deux pièces de théâtre portant le nom de leur personnage principal (Racine, qui me téléphone de temps en temps, me l’a vivement conseillé), Manon et Guillemine. En principe, je ne devrais pas avoir de surprise. Encore que… Peut-être lirai-je, dans les recensements divers, Canon et Cuisine ? Cela permettra au volume d’être indexé en « Militaria » et en « Ouvrages pratiques », pourquoi pas ? À moins que Guillemine ne devienne Guilledou, ce qui expédiera l’ouvrage en « Curiosa », qui sait ?
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Carnaval
La Fnac-Italie, littéralement envahie par les romans de la rentrée dite littéraire, gonflée à bloc d’inepties nombrilistes et d’immondices narratifs, a pris une initiative d’une audace folle. Les rayons (c’est vraiment beaucoup dire) de poésie, de théâtre, d’essais et biographies littéraires ont été déplacés de l’autre côté de l’alvéole dénommé « Littérature francophone », occupant désormais la place qui était jusque là dévolue au roman historique.
Tenez-vous bien, car c’est là que tout commence. Qu’est devenu le roman historique ? Je ne vous infligerai pas une insoutenable attente : il a été déplacé à l’endroit qu’occupaient encore il y a peu les rayons (c’est vraiment beaucoup dire) de poésie, de théâtre, d’essais et biographies littéraires. Non ? Si. Je n’invente rien. On mesure la folle modernité d’un pareil choix. Du jamais vu. Un risque professionnel et intellectuel qu’on ne peut que saluer. Franchement, on n’y aurait pas pensé.
Nous avions parlé de ce système – car c’en est un – dans l’ancien blog, à propos de la librairie Gibert qui danse, presque rituellement maintenant, cette valse dont les visées sont exclusivement commerciales. Il n’y a rien de neuf dans mon propos, sinon que c’est encore plus absurde, imbécile, calamiteux, dans cette Fnac de poche voire de gousset, où l’alcôve « Littérature francophone » est de toute manière si minuscule et si peu achalandée que rien ne sera apporté par ces grandes manœuvres, sinon des douleurs dans le dos pour les malheureux « libraires » (je n’ose vraiment pas employer ce terme) qui auront effectué le déménagement.
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mardi, 26 septembre 2006
Le pont du silence
La perspective – la découverte – que l’on peut admirer sur la bannière présentée en ce moment est celle de la passerelle des Arts, autrefois pont des Arts, plongeant vers l’Institut. Sur ce pont, ont été remis à des émissaires des exemplaires du Silence de la mer, l’inoubliable drame silencieux imaginé par Vercors. Ces livres étaient destinés au Général de Gaulle qui se trouvait à Londres. Le Silence était le premier ouvrage publié par les Éditions de Minuit, alors clandestines, d’où, bien entendu, leur nom. En ces temps où l’écrit avait une valeur incommensurable, il devint l’emblème du combat de l’ombre. Quand on traverse la Seine, on peut admirer le square du Vert-Galant ainsi nommé car situé sous le Pont-Neuf où trône une statue équestre d’Henri IV, plus loin, Notre-Dame-de-Paris, monument d’émotion, et, à l’opposé, la fuite de la Seine vers le musée d’Orsay. Sur l’autre rive, d’où la photographie a été prise, le palais du Louvre.
Cet endroit est un de ceux qui, architecturalement parlant, me manquera le plus lorsque je quitterai Paris, ce qui est inéluctable. Ce paysage est magnifique et la Seine elle-même est plus verte là qu’ailleurs. Plus verte aux beaux jours, plus mordorée quand approche le froid. Avec la montagne Sainte-Geneviève et le groupe architectural que forment le Panthéon, Saint-Étienne-du-Mont, la faculté de droit, la bibliothèque Sainte-Geneviève et le lycée Henri IV, sans parler de la mairie du Ve arrondissement, cet endroit de Paris est vissé dans mon corps avec la vis sans fin de ma jeunesse.
13:40 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (2)
lundi, 25 septembre 2006
Une initiative de l’hébergeur
Depuis la semaine dernière, il arrive, de façon totalement aléatoire, que les commentaires qu’on désire laisser sur les blogs soient retardés par le système. On vous demande de taper un code visuel pour validation de votre texte. Le commentaire n’apparaît sur le blog que quelques instants plus tard. Dans le même temps, le taulier est avisé, dans sa messagerie, qu’un commentaire a été déposé par telle personne : on lui rappelle qu’il est juridiquement responsable. Tout ça est ennuyeux et surcharge les messageries personnelles.
Bref, tout cela se fait à l’initiative d’Haut et Fort. Je précise que je n’y suis absolument pour rien.
11:05 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (16)
dimanche, 24 septembre 2006
Un documentaire de Sandrine Dumarais
France 3 Sud redonnera, samedi 7 octobre à 16 h 20, Albertine Sarrazin, le roman d’une vie, réalisé par Sandrine Dumarais. Je rappelle qu’on peut y rencontrer le beau Pierre Bosc et l’horrible taulier. Pour ceux qui vivent dans les environs, donc, et qui n’auront pas peur d’entendre le père Layani et surtout de le voir.
21:20 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (2)
samedi, 23 septembre 2006
Le nouveau Juillard
J’achète une fois tous les ixe, vraiment tous les ixe, un album de bande dessinée. Je suis très exigeant en la matière (ailleurs aussi.) J’attendais le nouveau livre de Juillard (sur un scénario de Christin), Le Long voyage de Léna, depuis plusieurs mois.
Voici la note que j’ai laissée sur un site de bandes dessinées : « Cet album est très décevant. C’est à mourir d’ennui. Il ne suffit pas de faire voyager une femme dont on devine le passé tragique pour créer quoi que ce soit. Le scénario est consternant de banalité et on a l’impression que Juillard s’est ennuyé à le dessiner. Eh oui, même graphiquement, ça sent l’ennui – et pourtant, c’est Juillard ! J’attendais cette œuvre depuis un bon moment. Bah, c’est raté. »
21:30 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (13)
vendredi, 22 septembre 2006
Un amour en temps de guerre
En 1915, Apollinaire est au front. Il écrit à Madeleine Pagès, qu’il n’a vue qu’une fois au cours d’un voyage en train, le 2 janvier, des lettres passionnées qui trouvent un écho puisque – si l’on ne dispose pas des réponses de la jeune femme, éparpillées je crois dans des collections privées – on peut néanmoins en juger par des allusions figurant dans les missives du poète.
Rapidement, donc, tous deux s’éprennent d’un amour sincère et profond. Apollinaire demande, toujours par lettre, la main de Madeleine à sa mère. Madeleine Pagès, originaire de la Roche-sur-Yon (Vendée) où elle est née en 1892, est professeur de lettres à Oran. Elle a alors vingt-trois ans. Apollinaire la comble de lettres quotidiennes tendres, énamourées, accompagnées parfois de poèmes et de plus en plus empreintes d’un érotisme étonnant pour l’époque – ou pour l’idée que nous nous en faisons, puisqu’il semble bien que Madeleine réponde pratiquement sur le même ton. Ainsi, à cette jeune femme qui n’a jamais connu d’homme, le poète promet monts et merveilles dans la découverte de l’amour physique qu’il s’engage à lui faire connaître, y compris un certain type de rapports qu’on eût cru susceptibles d’effrayer une femme de 1915. Point du tout, Madeleine, s’il faut en croire certaines allusions à ses lettres que fait Apollinaire dans les siennes, poursuit joyeusement, et dans l’impatience, les objectifs fixés par son artilleur de futur mari.
Tout au long de cette correspondance, fort abondante puisque pratiquement quotidienne, tous deux attendent une permission sans cesse repoussée. Il la conjure de se montrer patiente et, dans le même temps, lui envoie des « poèmes secrets » où il l’initie notamment à la fréquentation des neuf portes du corps féminin.
Apollinaire obtiendra finalement sa permission lors du jour de l’an 1916 et ralliera Oran, depuis le front de l’Est où il se trouve. Il est si ignorant de toute forme de géographie qu’au début de leurs échanges, il ignorait même qu’Oran fût un port. Quant à la notion d’Afrique du Nord, d’Algérie ou de pays du Maghreb, elle lui est étrangère. Pour lui, au moins au début, sa chère et belle Madeleine est « africaine. » Nul ne sait, naturellement, ce que les futurs époux se dirent et firent lorsque le poète put rejoindre Oran pour passer quelques jours dans sa belle-famille.
En 1916, Apollinaire est blessé à la tête. Il est évacué, hospitalisé, trépané. « Une belle Minerve est enfant de ma tête / Une étoile de sang me couronne à jamais » écrira-t-il. Il interdit à Madeleine de venir le voir et l’assister. Peu à peu, les nouvelles qu’il donne se font plus brèves, les lettres plus rares, et, sans le dire, le poète se détache de sa jolie passion, rompt sans le dire leurs fiançailles et l’abandonne.
On a glosé, depuis, sur cette séparation en se demandant quelles raisons avait Apollinaire d’ainsi se comporter. On le sait pourtant, mais l’éditrice de la récente (2005) publication des Lettres à Madeleine chez Gallimard, Laurence Campa, fait semblant de l’ignorer encore, ou de mal comprendre. La blessure d’Apollinaire, l’opération qui s’ensuivit, l’ont énormément marqué. Dans le même temps, il souffre d’avoir perdu à la guerre des amis connus au front et qui sont morts sinon devant lui, du moins non loin. Il est dégoûté depuis longtemps de l’attitude de ceux qu’on nommait alors les « planqués » ou les « embusqués » qui, à l’arrière, mènent une vie tranquille quand on se bat atrocement à l’Est, quand lui-même, d’origine polonaise, s’est engagé volontairement. Le traumatisme de la blessure, du cerveau fouillé par l’obus puis par le bistouri, exacerbe tout cela et le poète se détache de tout, et de Madeleine avec. Le sentiment d’à-quoi-bon, qui est la pire chose qui puisse contaminer l’être humain, le taraude. Il s’en va en lui-même. Plus rien ne compte.
Surtout, on comprend à la lecture de cette correspondance et à l’étude de cette séparation qu’Apollinaire avait opposé à l’horreur de la guerre l’éclat de la beauté d’une jeune femme qu’il avait certainement sublimée. Il s’était construit, épistolairement, un refuge de paix et de calme, d’amour et d’érotisme, qu’il explorait tandis que résonnait le canon et que les hommes n’étaient plus que des promesses pour ces monuments aux morts dont on ne savait pas encore qu’ils seraient rendus obligatoires dans toutes les communes, quelques années plus tard. Apollinaire, en poète, en connaisseur des choses de l’art, réinvente sa vie au front et se dit presque heureux d’être à la guerre. Il admire les lueurs des tirs, couche sans rechigner dans un lit enterré dans un abri inondé par les pluies, se dit bien habillé et bien nourri, chante avec lyrisme une des plus grandes boucheries de l’humanité. L’amour fou trouve sa place dans ce schéma entièrement construit par une vue intellectuelle de la réalité. On ne saurait lui en vouloir : cela l’aide à vivre, c’est une attitude d’artiste cohérente et, au passage, la poésie française y gagne quelques chefs-d’œuvre.
Il épousera Jacqueline Kolb et mourra quelques mois à peine après leur mariage, le 9 novembre 1918, deux jours avant l’armistice. Sous son pigeonnier, 202, boulevard Saint-Germain, la foule défile en criant : « À bas Guillaume ! » Il s’agit du Kaiser, naturellement. L’épidémie de grippe espagnole qui frappe Paris à cette époque emporte avec elle l’auteur de La Chanson du mal-aimé, qui fut cependant un des hommes les plus couverts de femmes qui soient.
Madeleine Pagès restera célibataire. Elle n’oubliera pas son poète et, apparemment, ne lui tiendra pas rigueur de cet abandon, puisque ses multiples lettres furent conservées. En 1952, elle les publiera sous le titre Tendre comme le souvenir, avec une préface dans laquelle elle évoque leur rencontre dans le compartiment du train. Heureux temps où, empruntant le chemin de fer, on pouvait croiser Guillaume Apollinaire ! L’édition princeps, due à Pierre-Marcel Adéma, était expurgée par elle de passages que sa pudeur l’autorisait sans doute à accepter mais certainement pas à publier. Le nom de Pagès lui-même n’était pas mentionné. En 1966, une autre édition, celle de Pierre-Marcel Adéma et Michel Décaudin, corrigea partiellement les erreurs et manques de la première. En 2005 enfin, le texte intégral a été rendu disponible, agrémenté de fac-similés des lettres et dessins de l’auteur, et conservant la préface émue de 1952. « Intégral » certes, mais il ne s’agit que de l’intégralité de ce dont on dispose, car les dernières lettres de l’hiver 1916 sont perdues. On sait néanmoins qu’il n’est rien de tel qu’une publication pour faire ressortir du néant des documents qu’on croyait disparus. Attendons.
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mercredi, 20 septembre 2006
En chantant
Nous irons en février 2007 entendre Juliette Gréco au théâtre du Châtelet. Oui, oui, en février prochain. Nous avons loué nos places au mois de juin dernier. C’est de plus en plus comme ça : il faut réserver des mois et des mois à l’avance. Cela n’a pas beaucoup de sens, mais si l’on veut assister à tel ou tel spectacle à Paris, il faut en passer par là.
Je n’ai jamais vu Gréco en scène. C’est difficile à croire, mais je ne l’ai jamais vue. Il était temps que je me réveille. Je n’ai jamais vu Gainsbourg ni Trenet, non plus. Pourquoi ? Jamais vu Ferrat qui ne chante plus, ni Brel ou Piaf parce que j’étais trop jeune. Pourtant, j’ai vu Moustaki, Montand, Brassens, Barbara, Reggiani, Bedos, Devos, Font et Val, Nougaro, Catherine Sauvage, Mouloudji, Cora Vaucaire, Marie-Paule Belle, Caussimon, Escudero, Utge-Royo, Aurenche, Tachan, un nombre incalculable de fois. Et Ferré (quarante-deux fois.) Et encore Vigneault, Nicole Croisille, Lama, Brigitte Fontaine et même… Claude François (une fois.) Mais Gainsbourg et Trénet sont passés au travers comme d’ailleurs les Frères Jacques ou Jacques Douai.
C’est peut-être parce que je n’aime pas la chanson en soi, mais des auteurs ou des interprètes bien particuliers. Mais non, c’est idiot, Gainsbourg, Trenet, Gréco, je les aime aussi. L’explication n’est pas suffisante. C’est un peu comme ces écrivains qu’on n’a jamais lus, sans pouvoir expliquer pourquoi. Souvent, on a lu plus difficile qu’eux, plus ardu, mais pas ceux-là. Il en est de même des cinéastes. C’est le grand mystère des choix, lorsqu’ils se conjuguent avec des opportunités non maîtrisables. Bien entendu, il y a cent autres critères, mais une culture se bâtit, se forge en fonction de cela, également.
Je possède plusieurs DVD proposant des spectacles de chansons. Les artistes que je n’ai jamais vus, je peux les regarder aujourd’hui dans ces galettes mystérieuses. Mais, je l’avais observé déjà lors de l’apparition des cassettes, la vidéographie ne restitue pas la présence. Rien à faire. Je ne sais pas si c’est le relief, la chaleur de la salle, l’odeur du théâtre, la présence des autres spectateurs, mais il manque quelque chose. Enfin, elle nous donne l’image en mouvement et la voix, « l’inflexion des voix chères qui se sont tues » eût dit Verlaine. Ne nous plaignons pas.
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lundi, 18 septembre 2006
Vingt-cinq ans de prix unique
La loi sur le prix unique du livre, dite « loi Lang », a vingt-cinq ans. Le point est fait dans un article du Monde par Alain Beuve-Méry, qui écrit toujours d’une façon aussi confuse. Il faudra s’y faire puisqu’il est le « Monsieur Édition et Librairie » du journal.
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dimanche, 17 septembre 2006
Hier après-midi
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vendredi, 15 septembre 2006
Une stratégie élémentaire
Ce qui me dégoûte le plus, chez les hommes politiques, c’est qu’ils nous prennent systématiquement pour des imbéciles. C’est insupportable. Vraiment, cela me débecte.
Il y a quelques jours, Fillon fait une sortie à propos des régimes spéciaux de retraite. Toute la droite, comme un seul homme, se cache le visage et crie à l’importun : « Mais enfin, pourquoi parle-t-il de ça ? Ce n’est pas le moment. » La gauche ne fait pas mieux. Les syndicats disent qu’ils ne commenteront pas.
À qui fera-t-on croire que Fillon a fait une bourde incompréhensible ? Tout cela est voulu, planifié, orchestré. Là-dessus, Arc-au-Zizi, depuis les États-Unis où il joue au président, s’étonne : « Je ne comprends pas la polémique », dit-il. Eh, tiens !
Voilà comment on annonce officiellement ce qu’on va faire, lorsqu’on sera élu. On envoie le fidèle lieutenant Fillon au casse-pipe. Oh, pas énorme, le casse-pipe. En moins d’une semaine, l’indignation (feinte) a cessé. Arc-au-Zizi, bien au contraire, s’en tire avec tous les honneurs. Il passe pour un homme franc, qui annonce avant ce qu’il fera après, rompant ainsi avec la langue de bois, l’opacité, la démagogie.
Maintenant, il va y avoir des réactions. On parle de grève de la SNCF au mois d’octobre. C’était bien évident. C’est le deuxième ressort de la politique arc-au-zizienne. Il va faire supporter le poids du mécontentement par le gouvernement actuel, si bien que, lorsqu’il arrivera, lui, eh bien, toute l’agitation sera retombée et, résignés, les intéressés ne diront plus rien. Il vaut mieux mettre les pieds dans le plat tant qu’il est servi aux autres. Passez muscade.
Car au vrai, plus personne n’imagine un instant que les régimes spéciaux vont subsister. Ils sont les derniers. Après Balle-Dure en 1993, Gros-Couffin en 2003, à qui l’on a cédé, qui peut penser un instant qu’il demeurera quelques professions qui n’auront pas le même statut que les autres ? Surtout, qui voudra admettre que les conditions de travail des salariés de la Banque de France nécessitent un régime différent ? Ils ont déjà fait savoir qu’ils refusaient de passer au statut, disons commun. Qui va les soutenir, dans l’opinion ? Et qui les prendra au sérieux (ils sont 14 400 salariés.) Au total, cinq millions de personnes seulement (si j’ose écrire) sont concernées. Ils ne feront pas le poids.
Il y aura des barouds d’honneur, mais c’est perdu d’avance. Je me rappelle avec terreur les trois semaines de grève de la fin de l’année 1995, en France en général, à Paris en particulier. Plus de transports du tout, cinq à six heures quotidiennes au volant, à dix à l’heure dans le meilleur des cas. Je me rappelle le boulevard Diderot, un soir, coincé sur six files dont quatre à contre-sens. Heureusement, il ne s’était pas mis à neiger sur tout ça. C’eût été la retraite (!) de Russie. Ça va recommencer, peut-être à moindre échelle. Mais c’est perdu d’avance. Conduire des rames de métro toute sa vie est naturellement difficile et vivre la plus grande partie de son temps dans des tunnels n’est certainement pas sans répercussions sur la santé ou le psychisme. Qui admettra cependant que les salariés de la Comédie-Française, eux, exercent des fonctions plus pénibles que les autres ? Je ne nie pas leurs contraintes, celles des horaires, notamment, mais c’est le cas de toutes les personnes qui travaillent à l’heure où les autres ne travaillent plus. Ça ne vaut pas un régime de retraite particulier. En tout cas, l’opinion ne l’admettra pas.
Après les grèves qui s’annoncent, l’hiver passera et, au printemps, Arc-au-Zizi arrivera. Patience, mes amis, l’horrible reste à venir.
14:00 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (19)
jeudi, 14 septembre 2006
Dans le texte
J’ai eu hier matin une conversation téléphonique avec un responsable des services culturels de Jarny (Meurthe-et-Moselle), au sujet d’un modeste exposé que je dois faire le 11 novembre prochain. Il était temps : on me l’a demandé en novembre 2005 et je n’ai plus eu la moindre nouvelle depuis… Bref, ce monsieur m’informe, au cours de notre entretien, qu’il souhaite « développer une conférence. » J’ignorais cet emploi du verbe développer. Comme je lui faisais remarquer, fort poliment, qu’il était déjà un peu tard pour annoncer l’ensemble de manifestations dont fait partie mon exposé, il me répondit qu’il allait « lancer la com. » À la fin de la communication, il m’a souhaité une « bonne fin de journée » : il était 9 h 20.
10:20 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (4)
mercredi, 13 septembre 2006
On continue
Ce carnet a un an. Je suis fort peu porté sur les anniversaires mais je veux bien, toutefois, respecter cette espèce d’usage en vigueur dans le monde des blogs selon lequel on annonce, chaque fois, cette date dont tout le monde, en réalité, se moque. Il y a donc un an que vous supportez mes élucubrations et mes silences, que vous lisez aussi les rares mots de Martine et que vous nous faites l’amitié d’y répondre parfois. Nous vous en remercions.
07:00 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (8)
mardi, 12 septembre 2006
Désespérant ou pas ?
« Que notre tâche est aussi grande que notre vie, c’est ce qui lui donne une apparence d’infini. »
Kafka, Journal.
Dans un sens, c’est réconfortant, au contraire. On rapprochera cette phrase de celle de Chateaubriand : « L’ambition dont on n’a pas les talents est un crime. » Je ramasse les copies dans une heure.
17:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (15)
lundi, 11 septembre 2006
Quand Fabienne était au marché
Je parlais ce matin des bouquinistes qui enchantent les rives de la Seine et déroulent un ruban de papier imprimé du musée d’Orsay à l’Institut du Monde arabe et, sur l’autre rive, de la bibliothèque Forney (hôtel de Sens) au Louvre.
Il est un autre lieu que j’affectionne, c’est le Marché aux livres de la rue Brancion (XVe), à l’ancien emplacement des abattoirs de Vaugirard, devenus parc Georges-Brassens (il demeurait à vingt mètres, rue Santos-Dumont). La halle des abattoirs, très grande, a été conservée. Elle abrite depuis près d’un quart de siècle – il me semble que c’était hier, bon sang ! – plusieurs dizaines de bouquinistes dont la plupart ont pignon sur rue partout en France et viennent s’installer là, le samedi et le dimanche, sur les pavés en pente, parmi des rigoles qui, régulièrement, descendent vers leur enfer.
C’est un endroit où il fait toujours plus frais qu’ailleurs, ou même froid en hiver : exposé à l’ouest, plein de vents coulis et de traîtrises météorologiques, le marché est un lieu de perdition pour la santé, mais bah ! Il en vaut la peine. L’âme des chevaux morts traîne encore par là et c’est peut-être leur souffle qu’on prend pour des courants d’air.
On trouve là de tout, à tous les prix ou, plus exactement, à deux sortes de prix : le bradé et le trop cher. Il n’y a pratiquement plus de prix intermédiaires. Il n’y a que peu de raretés et, lorsqu’il y en a, elles sont hors de prix. C’est un lieu de promenade néanmoins.
J’aimais bien aller déjeuner, avant de m’y rendre, sur le trottoir d’en face. Il est un café établi au coin de la rue, dénommé avec finesse et originalité Au Bon Coin. Fameux, n’est-ce pas ? J’aimais y aller parce qu’on y mange solidement pour un peu cher (mais acceptable cependant) et surtout parce qu’on y était, jusqu’au printemps dernier, servi par la délicieuse Fabienne, ronde aux longs cheveux blonds-roux, aux yeux gris-bleus, et surtout pleine d’humour et d’esprit d’à-propos, très anticonformiste. On sait que je me nourris essentiellement de femmes et de livres, d’où mon teint fatigué. Las, elle ne travaille plus là et je n’ai plus aucun plaisir devant mon assiette attristée. Même mon verre fait la gueule.
15:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (5)
Les bouquinistes de la Seine
Les bouquinistes des quais de Seine, à Paris, sont en évolution. Depuis longtemps déjà, ceux qui se trouvaient à hauteur de Notre-Dame-de-Paris, comme leurs collègues des environs du Louvre ou ceux voisins du musée d’Orsay, vendaient surtout des tours Eiffel miniature, des reproductions, des colifichets… Toutefois, cela restait circonscrit aux abords de ces lieux hautement touristiques. J’ai pu constater hier après-midi – un chaud dimanche, donc au moment où le plus grand nombre de boîtes étaient ouvertes – que la tendance s’accentue : on vend de plus en plus d’objets sans intérêt, de croûtes, de souvenirs, et la part réservée aux ouvrages continue à diminuer. J’ai même pu observer que certaines boîtes ne proposaient plus un seul livre. Plus du tout.
Je crois savoir qu’il est dans le « cahier des charges », si je puis dire, des bouquinistes, de réserver une part au moins de leur offre aux livres. Ils ont le droit de vendre autre chose, pas d’éliminer purement et simplement les volumes. Apparemment, certains font fi de cette obligation professionnelle.
Ce n’est pas la première fois. Ils ont aussi obligation d’ouvrir trois jours par semaine mais ne le font pas. Je ne sais pas s’ils ont une heure d’ouverture imposée, je sais seulement qu’ils doivent fermer à dix-huit heures, ce qu’il ne manquent jamais de faire. Au mieux, en été, ils commencent à fermer à cette heure-là. Or, j’en ai vu, hier, qui ouvraient vers seize heures… pour fermer deux heures plus tard.
Je ne comprends pas très bien. Cette profession multi-séculaire (les premiers s’installèrent autrefois sur le Pont-Neuf) est très recherchée. La mairie de Paris, responsable des concessions de boîtes et des mutations périodiques des marchands, a des listes d’attente de plusieurs années. C’est dire qu’il y a une demande. On peut même en vivre, si j’en juge par le fait que certains sont présents sur les quais depuis vingt ans au moins (je fréquente les bouquinistes depuis trente-six ans.) Néanmoins, de nombreuses boîtes n’ouvrent pas, même pas les week end ensoleillés où ils peuvent pourtant espérer la plus nombreuse clientèle. D’autres ouvrent très peu de temps. Pourquoi, alors, ces bouquinistes s’obstinent-ils à attendre deux à quatre ans une concession ? Pour moi, c’est un mystère, vraiment.
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vendredi, 08 septembre 2006
Faites sortir la rentrée, 2
On en a parlé déjà plusieurs fois dans ces pages. Le problème demeure entier. Une première vague de six ou sept-cents romans a envahi les magasins de librairie. La seconde nous parviendra en janvier. Je veux bien me montrer ouvert, comprendre qu’on puisse, en 2006, aimer les romans et penser encore qu’ils servent à quelque chose aux hommes d’aujourd’hui. Je veux bien faire semblant de croire que l’amateur, même pâlement éclairé, saura faire son choix dans cette avalanche entre une idiotie et une imbécillité. Je veux bien oublier que cette quantité de production éditoriale d’un genre unique élargit pour lui les possibilités de découverte. Je sais pertinemment que tout ça est faux, mais je veux bien, par respect d’autrui, me taire.
Il n’en reste pas moins, foutre de foutre, que ces six ou sept centaines de romans prennent de la place. Cela, c’est incontestable, n’est-ce pas ? Alors, j’en ai par-dessus la tête de l’impérialisme du roman. Dans les magasins de librairie, il n’y a plus de place pour autre chose. Comme ils ne peuvent pas pousser les murs, les libraires sacrifient délibérément tous les autres genres sans exception. On ne trouve plus d’ouvrages autres, ou en très petite quantité, avec un choix très restreint.
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jeudi, 07 septembre 2006
Apollinaire parle de Claudel
« Vous m’avez parlé de Claudel dernièrement. Cet écrivain de talent est l’aboutissant du symbolisme. Il représente de façon absconse et réactionnaire la menue monnaie d’Arthur Rimbaud. Celui-ci était un Louis d’or dont celui-là est le billon. Claudel est un homme de talent qui n’a fait que des choses faciles dans le sublime. À une époque où il n’y a plus de règles littéraires, il est facile d’en imposer. Il n’a pas eu le courage de se dépasser et surtout de dépasser la littérature d’images qui est aujourd’hui facile. On s’est habitué aux images. Il n’en est plus d’inacceptables et tout peut être symbolisé par tout. Une littérature faite d’images enchaînées comme grains de chapelet est bonne tout au plus pour les snobs férus de mysticité. C’est à la portée de tout le monde et je me demande pourquoi les Annales ne publient pas du Claudel afin que les cousines se croient désormais aussi thomistes qu’elles sont bergsoniennes ou nietzschéennes. »
Apollinaire, lettre du 12 juillet 1915 à Madeleine Pagès.
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mercredi, 06 septembre 2006
Apollinaire le précurseur
Le 1er juillet 1915, Apollinaire écrit du front à Madeleine Pagès, professeur de lettres à Oran :
« … s’il s’agit de vitesse, de raccourci, le style télégraphique nous offre des ressources auxquelles l’ellipse donnera une force et une saveur merveilleusement lyriques. » Il venait, sans le savoir, d’inventer le SMS dont on goûte aujourd’hui seulement le lyrisme.
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mardi, 05 septembre 2006
Un nouveau site consacré à Albertine Sarrazin
Je viens de découvrir qu’un site en italien était consacré à Albertine Sarrazin. Son titre est Albertine Sarrazin, una scrittrice indomita. Il est réalisé par Aldo Giungi, un traducteur que j’ai un peu connu, par téléphone et par courrier uniquement, il y a quelques années, lorsqu’il traduisait La Traversière. C’est un beau site. Je ne lis pas l’italien mais, si vous le comprenez, la visite sera intéressante. Une belle iconographie, de surcroît.
15:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 04 septembre 2006
Fauteuil payant
Les chroniques consacrées ici au cinéma sont à présent regroupées dans la catégorie « Fauteuil payant » dont le lien figure dans la colonne de gauche.
Le fauteuil payant, c’est celui du spectateur qui n’est pas journaliste, confrère, professionnel, personnalité… C’est celui de l’homme libre, ne tenant chronique que lorsqu’il le désire, ne devant rien à personne et ne faisant aucune révérence. C’est celui de qui n’a pas de comptes à rendre. L’homme payant sa place n’est inféodé à rien ni à personne. Il n’assiste pas aux projections privées, n’a pas de carte, ne fait pas de compliments et ne dit pas merci, hormis par élémentaire politesse. Il loue s’il lui est agréable de louer, critique s’il en a envie, se tait quand il le veut. Il donne son point de vue qui n’engage que lui et qu’il tente d’étayer par un doigt de culture et un brin d’exigence. Surtout, il ne se prend pas au sérieux.
15:00 Publié dans Fauteuil payant | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 03 septembre 2006
Un été studieux
Dans le très grand parc du couvent de Vaylats (Lot), se trouve une espèce de kiosque, plus simplement un abri de jardin où se dresse une table de pierre, en réalité une ancienne roue de moulin. Là, les tauliers ont travaillé à d’immortels manuscrits, comme en témoignent ces deux images. En troisième position, figure la preuve indubitable que le taulier est à lui seul un gros... lot.
20:20 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (10)
samedi, 02 septembre 2006
Moderato
Que manque-t-il à La Tourneuse de pages pour être un grand film ? De la maturité à Denis Dercourt, son scénariste-réalisateur, peut-être. Ce film qui, dès l’abord, paraît très bon, s’essouffle aux deux tiers du récit. À partir de là, tout est prévisible. Or, c’est lorsque tout devient prévisible qu’on n’accepte plus les quelques invraisemblances du scénario, alors que, jusque là, on faisait bonne figure, les accueillant volontiers (à l’exception de deux scènes « téléphonées » qui font douter du bon réveil du scénariste, ce matin-là.)
Ce qui est intéressant, c’est l’ambiguïté de la situation. On ne sait pas précisément à quel moment la jeune Mélanie choisit, pour sa vengeance, de détruire une femme, sa vie, sa carrière, son couple et son fils. On ne sait pas non plus quand, au juste, elle décide d’utiliser pour cela tel ou tel moyen. Parfait. La question de la séduction de la pianiste Ariane Fouchécourt par Mélanie est bien plus délicate. On n’y croit pas beaucoup, voire pas du tout. Et c’est parce que le film s’essouffle qu’on ne peut pas y croire. Le scénario commence à être traité avec une telle force qu’on se demande jusqu’où le malaise installé dès les scènes d’exposition va pouvoir grandir. On attend quelque chose, forcément… qui ne vient pas. On est déçu. Le réalisateur a joué l’exigence dès l’ouverture de son film et je ne peux que l’en féliciter. Il ne tient pas totalement ses promesses : on l’attendra donc au film suivant, et même aux films suivants car il y a promesse d’une œuvre, selon toute vraisemblance.
Catherine Frot est excellente. Ce jeu qui est le sien, sans sourire jamais ou presque, avec ce visage aux pommettes hautes et ce corps charpenté, ces épaules et ces bras bien dessinés, elle en a fait une musique. Jouer la fragilité lorsqu’on paraît robuste, c’est du grand art. Et quel talent ! Elle est aussi à son aise et émouvante ici, en robe longue de concert, comme sculptée dans du Saint-Laurent, qu’elle l’était en tenue de fermière dans une étable du Cottentin il y a un demi-siècle, pour le ridicule navet creux Le Passager de l’été.
La photographie est volontairement très dure, contrastée. Les contours sont coupants. Au début surtout, où les personnages sont la plupart du temps vêtus de sombre, où ils se détachent sur des parois claires, voire blanches. Au cours du récit, les costumes peuvent s’éclaircir parfois (les teintes bourgeoises, beige, crème, daim, des vêtements d’Ariane Fouchécourt) mais ils durcissent sur des fonds bleus. Puis le noir s’étale de nouveau (entre autres, les tenues de concert) et se heurte à des murs tendus de bleu. Les voitures sont elles-mêmes de couleur foncée. Les regards sombres de la tourneuse Mélanie (Déborah François), perverse à souhait (c’est devenu un lieu commun de la critique d’évoquer Chabrol à propos de ce film), sont durs aussi ; ils s’opposent au déséquilibre retenu du personnage de Catherine Frot, brûlante, qui sait si bien exprimer avec authenticité des sentiments de jeunesse dans un corps de femme mûre. Le dialogue est très réduit, sans mots brillants artificiels bien sûr, sans aucune parole trop haute non plus. C’est certes un poncif du thriller, fût-il psychologique. Tout se déroule d’un regard à un silence, d’une atmosphère malsaine à une légère angoisse. Le réalisateur prend son temps. Il maîtrise la durée : les semaines passent, on le sent, on l’accepte. Le tempo est lent mais il n’y a pas de longueurs. Dercourt a le sens de la mesure. C’est naturel, il est musicien. J’aime bien que le cinéma traite du milieu musical : ce sont deux arts qui s’assemblent parfaitement, lorsque la touche est discrète. Le toucher, pourrait-on dire – et ce serait musicalement évident.
Il reste à souhaiter que les futurs rôles confiés à Déborah François ne soient pas systématiquement ceux de personnages pervers. On sait le cinéma, surtout français, tellement conformiste ! Il ne serait pas étonnant de la voir jouer soixante-quinze femmes perverses dans les six mois à venir. Ou dans les trente années qui s’ouvrent. Pourvu que son talent, qui est certain, sa présence indéniable, son physique solide, soient à l’avenir traités avec intelligence.
16:45 Publié dans Fauteuil payant | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 01 septembre 2006
Bulletin de santé
Durant cet été où je me suis montré si paresseux pour ce qui touche à ce carnet, j’ai lu la Correspondance de Cézanne, le Journal des années noires 1940-1944 de Guéhenno, échoué sur le lamentable journal de Pierre Bergounioux intitulé Carnet de notes 1980-1990, commencé une vie de Gabrielle d’Estrées par Janine Garrisson. J’ai écumé des bouquinistes à Cahors, Villefranche-de-Rouergue et Caylus, sans dénicher autre chose que le Mauriac de Jean de Fabrègues paru chez Plon en 1971. Nous avons visité un nombre incalculable d’églises et un prieuré, admiré une série de halles et de châteaux. Nous avons parcouru les salles du musée Henri-Martin de Cahors où, hormis les collections permanentes, on pouvait découvrir l’œuvre du sculpteur Marc Petit, celles du musée Regnault de Saint-Cirq-Lapopie où se trouvait d’ailleurs la seconde partie de l’exposition de ce même Marc Petit. Nous avons regardé quelques DVD empruntés, et en avons acheté deux d’une anthologie d’archives télévisuelles de Gainsbourg. J’ai corrigé, relu, revu, moult manuscrits. J’ai contacté trois éditeurs pour un projet d’ouvrage que deux d’entre eux n’ont même pas désiré recevoir. J’ai obtenu deux refus pour deux autres livres proposés précédemment. Je me suis battu pour qu’on veuille bien me verser les droits de 2005 sur un autre livre encore et je n’ai toujours rien reçu. Nous avons parcouru une douzaine, une quinzaine peut-être de brocantes. J’ai acheté deux microsillons d’occasion, un 25-cm et un 30-cm, consacrés à des séries thématiques de chansons et de textes. Martine a acheté, elle, un 45-tours de Philippe Clay chantant deux textes de Nougaro. J’ai relu le mémoire de DEA de ma seconde fille, consacré au paysage et au regard chez Wim Wenders. Martine a lu une correspondance commentée échangée entre Gide, Verhaeren et Rilke, un livre d’anthropologie, Qu’est-ce que la littérature ? de Sartre, Qu’appelle-t-on philosopher ? par Pierre Bouretz, une piteuse vie de Sagan par Geneviève Moll. Elle a étudié les Cahiers pour une morale de Sartre. Elle a aussi tricoté. Nous avons roulé durant quelques milliers de kilomètres, rencontré des amis et rêvé devant des sites naturels, fait des kilogrammes de confitures (abricots, fraises, prunes, mirabelles, mûres.)
Je dois en oublier… Au bout de cet inventaire, nous revenons et sommes surpris de n’avoir pas été oubliés dans le grand bombardement que la canicule puis l’été pourri ont fait subir à la rue Franklin. Bonne rentrée.
19:30 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (12)