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dimanche, 30 avril 2006

Les archives de l’Ina

Les archives de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) s’ouvrent au public. Enfin ! Enregistrements sonores, images, toute cette richesse historique et culturelle est désormais accessible. Toute ? Non. Seule une partie des documents a été mise à disposition sur Internet. Qui a fait les choix et selon quels critères ? Le mystère est entier.

 

Tous les journaux, les télévisions, les radios ont annoncé l’événement, en précisant que 80 % de l’offre étaient gratuits. Tant mieux. C’est sans doute le sort malin ou un hasard curieux qui font que, systématiquement, toutes mes demandes sont payantes. Elles font partie des 20 % restants, certainement. Ne soyons pas de mauvaise humeur, le prix demandé n’est pas excessif : d’un à quatre euros par document, si l’on désire acheter (on peut aussi, c’est alors un peu moins cher, simplement consulter).

 

J’ai essayé, pour commencer, avec vingt euros, immédiatement encaissés. On m’a même fait une fleur : deux euros de « bonus ». Me voilà avec vingt-deux euros à ma disposition. J’achète donc, pour sept euros, deux documents… que je ne peux télécharger depuis plusieurs jours. Même le bon docteur Dalmasso, professeur émérite, immédiatement contacté par téléphone afin d’obtenir une consultation en urgence dans son service de CIA (chirurgie informatique appliquée), n’a rien pu faire pour moi, lui qui, pourtant, est le plus grand spécialiste mondial des problèmes informatiques et des ordinateurs malades.

 

L’Ina a vu petit, tout petit. On a prévu un million de connexions quotidiennes. La réalité : trois millions huit cent mille connexions par jour. Le système ne fonctionne plus. Saturation totale. Les documents que j’ai achetés sont ainsi annotés dans l’historique de mes commandes : pour l’un, « poids du fichier 0 Mo », ce qui n’est vraiment pas beaucoup ; pour l’autre « Patientez ». Et ça s’arrête là.

 

Je peux comprendre les problèmes techniques, évidemment. Mais on pouvait s’y attendre. Jusque là, les consultations à l’Ina se faisaient avec beaucoup de barrages : il fallait montrer patte blanche, justifier d’un travail en cours, produire une attestation, un contrat, bref, obtenir une autorisation. Il fallait, s’il s’agissait d’archives du film, aller à Bois-d’Arcy, dans un fort, sur rendez-vous, avec badge à la boutonnière. D’autres documents, à la maison de la Radio, étaient plus proches mais tout aussi difficilement accessibles. Par dessus tout, le coût était exorbitant : une demi-journée de consultation d’archives sonores coûtait, en 1996, la somme de cinq cents francs.

 

Il n’était pas difficile, par conséquent, de prévoir le succès de cette ouverture sur Internet. Non, personne, apparemment, n’a imaginé la bousculade.

 

Hier, un peu agacé, j’ai tenté de joindre le service d’assistance, non au téléphone que je devinais saturé et dont le prix était à mon sens un peu élevé, mais en envoyant un message, puisqu’un bouton « Contact » est prévu. Les messages ne partaient pas. Impossible. J’ai utilisé ma messagerie, en ayant bien lu, sur le site, l’engagement pris par l’Ina de répondre dans les quarante-huit heures. Voici ce que j’ai écrit :

 

Bonjour, il m’est impossible de télécharger les deux documents que j’ai achetés  depuis le premier jour. Il est indiqué : « Poids du fichier : 0 Mo » pour  l’un, et « Patientez » pour l’autre. Merci de me répondre (en revanche,  le paiement, lui, fonctionne bien mais… pour rien.) Avec mes remerciements, Jacques Layani.

 

Je dois à la vérité de dire que la réponse est arrivée dans les dix minutes qui ont suivi. En voici le texte :

 

Bonjour Mr Layani, En effet vu l’affluence sur le site ina.fr, plus de 3,8 millions de personnes, il se peut que la préparation des documents progresse lentement voire se bloque. Nous nous excusons du désagrément occasionné. Je vous prie de réessayer cette opération ultérieurement. Merci de votre confiance et à très bientôt sur Ina.fr !  

 

Ce n’était pas la réponse que j’espérais. La situation, je la connaissais, je voulais une solution. J’ai donc répondu, un peu agacé :

 

Je suppose que cette réponse est une plaisanterie ? Si c’était pour me dire de recommencer plus tard, je pouvais m’en douter. Pour payer, ce n’est jamais plus tard, n’est-ce pas ? L’affluence ! Cela fait des décennies que les chercheurs attendent cette ouverture des fonds au public. On ne pouvait pas se douter qu’il y aurait affluence ! On a préféré voir petit, tout petit, comme d’habitude. C’était difficile, en effet, de prévoir des millions de connexions ! Je suis furieux. C’est se moquer du monde. Jacques Layani.

 

Oui, je sais, j’ai été désagréable. Dans l’heure, j’ai obtenu une autre réponse :

 

Bonjour, vous avez pas perdu votre argent juste le temp que les téléchargement seront Ok vous retrouverez dans l’historique tous vos télécharment. Merci de votre confiance et à très bientôt sur Ina.fr !

 

Que pouvais-je faire ? J’attends toujours. Ce matin, j’obtiens une annonce informant le public qu’en raison de l’affluence, le service est purement et simplement suspendu pour quelques heures.

12:15 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (25)

mercredi, 26 avril 2006

Réglement intérieur – Un acte d’indiscipline à l’École normale supérieure de jeunes filles de Fontenay-aux-Roses en 1961

Dans l’impossibilité où je me trouve de publier ce récit, je le donne à lire ici en espérant qu'il pourra intéresser ceux qui sont curieux d'histoire des mentalités et, bien entendu, tous ceux que touche, de près ou de loin, celle de l’Éducation nationale. Réglement intérieur paraîtra en dix fois.

 

AVANT-PROPOS
Ce bref récit est établi à partir de documents archivés depuis 1961 dans les papiers de l’École normale supérieure de jeunes filles de Fontenay-aux-Roses. Ils sont soumis au délai de communication trentenaire et peuvent donc, par conséquent, être reproduits. Si les faits qu’ils rapportent étaient seulement concevables à présent, on les qualifierait de péripétie.
Cependant, l’anecdote est d’un profond intérêt, aussi bien en ce qui concerne l’histoire de l’Éducation nationale – celle, en particulier, d’un prestigieux établissement – que celle des us et coutumes. On dira, pour résumer, que, sept ans avant Mai-68, un mouvement de protestation plutôt mesuré va prendre des proportions inusitées, être répercuté par la presse et s’achever en déférentes lettres d’excuses, avant qu’un courrier ministériel ne sonne la fin de la récréation.
Mai-68, qui a existé pour moins que ça, n’est pas né sans gestation. Depuis longtemps, en silence mais obstinément, se manifestait un désir d’autre chose. L’évènement mineur, mais combien intéressant sociologiquement et culturellement, qu’on va raconter ici est une des minuscules pluies qui firent germer le grain. Les jeunes filles concernées avaient, à l’époque des faits, entre vingt et vingt-quatre ans. Si elles se sont trouvées, plus tard, parmi les actrices de Mai, elles ont donc compté parmi les plus âgées (vingt-sept à trente et un ans). Elles sont maintenant retraitées ou sur le point de l’être.
Ce qu’on va lire est beau et modeste comme une histoire d’école, cependant grave comme une histoire de femmes et important comme une histoire des mentalités.
 

I
DANS L’ÉCOLE
L’École normale supérieure de jeunes filles, au n° 5 de la longue rue Boucicaut à Fontenay-aux-Roses (Seine), est une des sept ENS de France. Elle a été créée par un décret de Jules Ferry, du 13 juillet 1880. De cette date jusqu’à 1937, elle est rattachée à la direction de l’enseignement primaire, puisque sa vocation est alors de former des institutrices. À partir de 1937, elle dépend de la direction de l’enseignement supérieur. Par décret du 19 février 1945, l’ENS d’enseignement primaire devient ENS préparatoire à l’enseignement du second degré pour les jeunes filles. Le droit syndical est reconnu aux élèves en 1945. De 1948 à 1954, elles acquièrent, progressivement, le statut de fonctionnaires stagiaires, et la loi n° 54-304 du 20 mars 1954 le leur confère définitivement. Elles perçoivent un traitement sur lequel elles doivent payer à l’établissement le coût de leur entretien. René Coty est alors président de la République et André Marie, ministre de l’Éducation nationale. En 1956, la formation est portée à quatre années, et la préparation à l’agrégation inscrite dans les textes – elle était, jusque là, pratiquée de fait. C’est justement pour cette préparation qu’en 1959, est acceptée, au ministère, la proposition de la directrice d’accepter des auditeurs libres.
La rentrée d’octobre 1960 a lieu dans un contexte politique douloureux. L’Union nationale des étudiants de France (UNEF) distribue un tract, imprimé sur un papier bleu : « Pour la paix en Algérie (...) pour la reprise des négociations, pour la défense des libertés et de la démocratie, tous devant la Mutualité jeudi 27 octobre, à 18 heures ». La manifestation initialement prévue place de la Bastille a été interdite, mais elle est autorisée à la Mutualité.
En 1960, on compte soixante-dix mille étudiants à Paris (vingt pour cent d’entre eux sont mariés), dont quatorze mille vivent en cités universitaires et en foyers. Le problème du logement est important et l’accroissement de cette population d’ici 1970, tel que le prévoient l’INSEE d’une part, les doyens des cinq facultés de l’université de Paris d’autre part, le rendra plus difficile encore. Les Fontenaysiennes, en théorie, sont logées dans leur établissement, mais ce n’est pas tout à fait le cas.
Elles sont, en effet, réparties dans plusieurs centres. Si la majorité d’entre elles (cent cinq) se trouve à l’École elle-même, desservie par la ligne de Sceaux – la gare de Fontenay se situe à deux-cents mètres de l’établissement – trente sont logées à la résidence universitaire Jean-Zay d’Antony,[1] trente-cinq au « logement féminin » de la rue Lhomond,[2] quinze au foyer Concordia,[3] tout proche du précédent, et six au foyer des étudiantes, boulevard Raspail.[4]
Les cent cinq élèves qui habitent l’École sont inscrites en première et deuxième années en toutes sections, ainsi qu’en quatrième année de mathématiques-sciences.
Les jeunes filles installées dans les centres extérieurs connaissent des impératifs particuliers. Ainsi, rue Lhomond, elles doivent être rentrées, chaque soir de la semaine, à 22 heures 30, sauf le samedi et le dimanche. Elles payent 1 nouveau franc pour prendre une douche ou bien 0, 20 nouveau franc pour pouvoir être admises à sortir après 22 heures, le samedi ou le dimanche. Afin de préserver le silence nécessaire à l’étude, on leur interdit l’emploi de transistors et d’électrophones. Surtout, elles savent qu’elles sont admises au foyer en tant qu’étudiantes et non comme élèves de Fontenay, ce qui leur interdit, de fait, de se regrouper. Boulevard Raspail, les élèves de troisième année, littéraire ou de mathématiques, partagent à quatre l’espace étroit d’un studio. C’est d’autant plus regrettable qu’une très belle résidence universitaire de jeunes filles est en cours d’achèvement à Fontenay-aux-Roses. Elle est due aux architectes Cazaneuve et Peray, comprend deux cent douze chambres et ouvrira le 1er janvier 1961. À Antony, les Fontenaysiennes ne bénéficient pas du tarif fixé pour les étudiants et doivent verser une redevance complémentaire.
Bien sûr, le fait d’être éloignées de l’École contraint les élèves à des déplacements constants, rapidement fatigants et coûteux, car l’assistance aux cours dispensés à Fontenay reste obligatoire. Enfin, il n’est pas nécessaire d’insister sur le fait qu’il n’y a pas de contact réel entre des élèves aussi disséminées, isolées de leur établissement. Ces conditions ne permettent pas une réelle vie scolaire, une « vie d’École » ni, par conséquent, une authentique identité de Fontenaysiennes.
Les candidates au recrutement doivent être âgées de plus de dix-huit ans et de moins de vingt-cinq ans au 31 décembre de l’année du concours. Elles doivent encore avoir souscrit un engagement décennal et avoir été jugées aptes médicalement. Depuis trois années déjà, les effectifs augmentent. On a établi, de longue date, les plans d’un nouvel internat, mais rien n’a encore été réalisé. Dans ce contexte, ce sont naturellement les cent cinq élèves de l’École qui sont les plus favorisées, en tout cas les moins à plaindre, puisque les mieux installées. C’est pourtant parmi elles que va naître l’incident majeur de l’année universitaire 1960-1961, à Fontenay.
Le Cartel fédéral des Écoles normales supérieures, qui fait partie de l’UNEF, installé 45, rue d’Ulm, non loin du Panthéon, a l’idée, a priori parfaitement légitime, d’unifier les réglements intérieurs des sept établissements qu’il « chapeaute ». Il élabore donc un projet. Avant de le présenter au ministre de l’Éducation nationale ainsi qu’au haut-commissariat à la Jeunesse et aux sports, il désire le soumettre à l’approbation des directeurs et directrices des Écoles. Le 18 février 1961, il adresse ce document de travail – il importe d’y insister – qui comprend onze articles, à chaque chef d’établissement, accompagné d’une lettre de deux pages, signée du président du Cartel. Cette lettre est ainsi rédigée :[5]
 
Madame la Directrice,
 
Le Cartel des Écoles normales supérieures, au nom des élèves des sept ENS, a décidé de présenter au ministère de l’Éducation nationale et au haut-commissariat à la Jeunesse et aux sports, un projet de réglement intérieur qui serait commun à toutes ces Écoles, et soumet d’abord ce projet à votre approbation.
Si la situation dans votre École est celle que prévoit ce projet, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir appuyer notre action en nous donnant sur ce sujet un avis favorable, qui aurait d’autant plus de poids qu’il serait autorisé par une longue expérience.
Dans le cas contraire, nous vous demandons de bien vouloir prendre notre projet en considération et de nous communiquer vos objections au cas où il s’en présenterait.
Nous n’ignorons pas qu’il existe entre les sept ENS des différences sensibles, différences en premier lieu des [sic] conditions matérielles (locaux, situation géographique), différences de fonctions puisqu’elles préparent à divers ordres d’enseignement, différences entre Écoles de jeunes filles et de jeunes gens, différences enfin dues aux traditions des Écoles, dont la création s’est échelonnée sur plus d’un siècle. Néanmoins, depuis 1951, les élèves des ENS ont le même statut de fonctionnaires stagiaires ; ils bénéficient du même traitement et effectuent un reversement annuel de taux identique. De plus, ils se préparent tous à la profession d’enseignant.
Il existe donc, à notre avis, assez de traits communs pour justifier l’extension de l’uniformité de leur statut à l’organisation même de la vie dans chaque École.
La plupart des élèves des ENS sont majeurs et sont tous en âge d’être considérés comme responsables de leurs actes. Il est nécessaire que rien ne vienne entraver leur liberté personnelle, qui ne soit indispensable à la bonne marche de leurs études.
En outre, il n’est pas possible de confiner à la seule École normale supérieure la formation d’un futur enseignant, il doit dans l’intérêt de sa formation professionnelle et culturelle, participer à de multiples activités extérieures (théâtre, conférences, concerts…).
Enfin, le libre choix reconnu à chacun dans les domaines politique, syndical et religieux, n’implique pas seulement la possibilité de participer à de telles activités à l’extérieur mais aussi d’exercer ce droit à l’intérieur de chaque École qui en constitue le cadre naturel.
C’est pourquoi nous avons élaboré un projet de réglement intérieur, dont les dispositions essentielles suivantes seraient communes aux sept ENS :
– liberté de sorties ;
– liberté des visites, non limitées au parloir ;
– liberté pour les élèves de tenir les réunions et conférences de leur choix à l’intérieur des Écoles ;
– liberté de diffusion de tracts, journaux et livres de toute nature ;
– droit pour les élèves de prendre les repas en dehors [sic] et d’être indemnisés dans les limites de prévisions nécessaires à l’intendance, dans les Écoles où il ne fonctionne pas de système de tickets ;
– possibilité pour les élèves d’être logés dans les Écoles pendant les vacances de Noël et de Pâques quand ils y sont contraints par des nécessités familiales ou pécuniaires ;
– représentation effective des élèves au Conseil d’administration de toutes les Écoles.
Nous estimons en outre qu’il serait souhaitable d’associer les élèves, à l’avenir, à toute révision du réglement intérieur des Écoles et de prévoir des dispositions pratiques à cet effet. Cette participation des élèves sera également souhaitable pour envisager l’adaptation de ce réglement aux conditions locales de chaque École [mais alors, il ne s’agirait donc plus d’un réglement intérieur commun !].
Cette collaboration que nous espérons fructueuse entre la direction et les élèves de chaque ENS ne sera possible que s’il est procédé dès maintenant à un large échange de vues sur ces questions.
Dans l’espoir d’une réponse favorable, nous vous prions, Madame la Directrice, d’agréer l’assurance [sic] de notre profond respect.
 
Pour le bureau du Cartel : le Président.

 

À suivre

© Jacques Layani


 


[1] La résidence universitaire Jean-Zay fonctionne depuis novembre 1955, date à laquelle le premier pavillon d’habitation a pu être mis en service. L’inauguration a lieu en juin 1956. Fin octobre 1956, tous les pavillons sont ouverts, logeant mille trois cent quarante-huit jeunes gens et cinq cent quarante-huit jeunes filles. À la fin de l’année 1956, sont disponibles les trois pavillons destinés aux étudiants mariés, soit quatre cent quatre-vingt-dix ménages.

[2] La maison d’étudiantes du 53, rue Lhomond (Ve arrondissement) dite foyer Pierre-de-Coubertin, a été fondée par Yvonne de Coubertin, qui en fera don à l’État en 1966.

[3] Ce sont des donateurs protestants américains et français qui ont fondé, en 1912, le cercle Concordia, pour aider les étudiants. Dirigée par Mme R. Rocard de 1946 à 1963, la résidence, située 41, rue Tournefort dans le Ve arrondissement (Gobelins 75-16), sera cédée à l’État en 1962, et gérée alors par le comité parisien (COPAR) du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS).

[4] Il s’agit de la maison des étudiantes, 214, boulevard Raspail dans le XIVe arrondissement (Danton 76-09), gérée par la société universitaire des amis de l’étudiante, fondée sous le haut patronage du ministre de l’Instruction publique et du recteur de l’académie de Paris, reconnue d’utilité publique.

[5] Dans cette lettre comme dans tous les documents cités dans cet ouvrage, on s’autorisera quelques annotations personnelles. Ces incidentes sont signalées entre crochets.

Alida Valli

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Nous parlions il y a quelque temps du film de Colpi, Une aussi longue absence. J’apprends aujourd’hui qu’Alida Valli, comédienne, est décédée à Rome le 22 avril.

17:16 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (7)

mardi, 25 avril 2006

Pour Bernard Delvaille

J’apprends par Le Monde la disparition de Bernard Delvaille, retrouvé mort le 18 dernier à Venise. Ça ne m’étonne pas, les artistes, les poètes meurent toujours à Venise. On le sait depuis Thomas Mann, et singulièrement depuis Visconti.

 

Je l’avais un peu connu – pas Visconti, Delvaille – aux éditions Seghers, il  y a vingt ans. C’était un homme raffiné et cultivé, un grand spécialiste de poésie. Il avait entre autres dirigé la collection « Poètes d’aujourd’hui ».

 

Une fois n’est pas coutume, une anecdote. Delvaille m’avait parlé de Blanche, la taulière du Bar Bac, 13, rue du Bac à Paris, un établissement (il existe toujours) qui, autrefois, restait ouvert toute la nuit par autorisation préfectorale, afin que les typographes de l’imprimerie, voisine, du Journal Officiel, puissent venir se désaltérer. Blanche était un personnage « haut en couleur » comme il est convenu de dire. Dans la salle, Delvaille, un jour, discutait de poésie avec des amis. Ils reconstituaient de mémoire un poème de Maurice Scève et ne se trouvaient pas d’accord sur le texte. L’un d’entre eux insistait : « Je te dis qu’il manque deux vers ». La dispute, certes toute littéraire, fit monter le ton et les éclats de voix parvinrent jusqu’à Blanche. De sa caisse, elle tonitrua, de la voix qu’on imagine : « Deux verres, deux verres ! Vous n’allez pas vous disputer pour deux verres ! Je vous les offre, vos deux verres ! »

lundi, 24 avril 2006

Un nouveau livre de Malraux

Exaspéré par les redites permanentes (d’une page à l’autre, maintenant ! Sans parler d’extraits de lettres cités deux fois !), je prends un instant pour respirer, au cours de la lecture du Dominique Aury d’Angie David, livre qui, je l’ai souvent dit, réussit à être aussi calamiteux qu’intéressant. Et je vais voir ailleurs.

 

Gallimard vient de faire paraître un mince volume, cousu, agréablement imprimé (avec des marges, enfin, quel repos pour mes yeux), intitulé Carnet du Front populaire, 1935-1936, signé Malraux. Le titre est un peu abusif, il n’est pas de Malraux, et d’ailleurs, le carnet manuscrit d’où est extrait le texte ne comporte qu’une seule date complète, les autres étant partielles ou pouvant être déduites des événements rapportés. Il s’agit en réalité d’un ensemble de notes, pas du tout d’un journal, prises par l’auteur, relatées comme des choses vues, parfois jetées sur le papier abruptement. Au total, il ne s’agissait évidemment pas d’un volume destiné à la publication, mais d’une mine, d’un ensemble de ressources, d’une somme d’idées destinées à servir, quelque jour, à un ouvrage. Certaines sont précédées d’un « R » qui indique vraisemblablement une destination : un roman à venir. Mais ce ne sera pas le cas. Le roman qui suivra sera L’Espoir, qui n’utilisera pas ce matériau.

 

Quoi qu’il en soit, quel plaisir de l’esprit, quel délice aigu représente cette lecture. Une note de Malraux, une bribe de quelques lignes seulement, réjouit davantage l’intellect que trente pages d’Angie David. Partout, fuse l’intelligence acérée.

 

Dominique estime, je crois – il n’a pas entièrement tort – que Malraux est un grand orateur alors qu’il n’a commis que des romans mal bâtis. Précisément, dans ces notes hâtives, aucune écriture ne semble avoir pris le pas sur le jaillissement de la pensée, l’originalité du fait entrevu. Pourtant, c’est écrit. Je ne suis pas du tout un malrucien idolâtre, mais il est difficile de nier qu’un premier jet, une observation hâtive, sont chez Malraux meilleurs que de laborieux chapitres signés par d’autres.

dimanche, 23 avril 2006

Le taulier vous salue bien, 5

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Ne reculant devant aucune démagogie pour complaire à son public, l’horrible taulier se montre maintenant tout nu. Labjection qui règne sur ce blog nest plus douteuse.

vendredi, 21 avril 2006

Dominique Aury par Angie David, 3

Je suis un lecteur, toujours très intéressé, de journaux et de correspondances. Pour un auteur, de plus, ces œuvres sont toujours des sources d’information importantes.

Angie David, dans ce livre que je trouve toujours incompréhensible dans son mouvement comme dans sa structure, utilise à loisir une très importante correspondance. Les lettres sont référencées avec précision, mais toujours attribuées à une « collection particulière ». J’aurais préféré une mention entre parenthèses comme « (archives d’Untel) », même si Untel n’est pas directement partie prenante de l’histoire et a reçu ces lettres en héritage, en legs ou pour quelque raison que ce soit. Passons.

Angie David, donc, a recours à la correspondance de Dominique Aury, essentiellement celle qu’elle échangea avec Paulhan, Maulnier et Blanchot. C’est très bien. Ce qui est moins bien, c’est que, durant des dizaines et des dizaines de pages, l’« action » ne progresse qu’au travers d’extraits de lettres. Ces extraits sont reliés entre eux par quelques lignes de l’auteur, voire quelques mots seulement, et l’on devine que ces lignes, ces mots, reprennent tout simplement la substance des passages non cités. À ce rythme, on eût mieux fait de publier purement et simplement une correspondance de Dominique Aury, éventuellement annotée par Angie David.

Parmi les choix éditoriaux étonnants, je signale celui-ci. Les lettres sont des citations reproduites dans le courant du texte et l’on doit les présenter comme telles, en romain, uniquement entourées de guillemets. C’est le cas. Mais il faut aller au bout de cette logique typographique, c’est-à-dire que les titres d’œuvres cités dans les extraits choisis doivent alors être imprimés en italique, et qu’il n’est pas nécessaire d’indiquer les retours à la ligne présents dans le manuscrit original. Or, dans cet ouvrage, on a mélangé allègrement deux types de disposition graphique : d’une part, la citation pure et simple ; d’autre part, la présentation qui est celle des recueils de correspondance, à savoir : titres soulignés (tout simplement parce que c’est l’usage dans un manuscrit, par impossibilité de rendre autrement l’italique), et traits obliques figurant les retours à la ligne. Bref, sur ce point comme sur d’autres que j’ai déjà relevés, le travail d’éditeur n’est pas réalisé correctement.

 

Angie David travaillant aux éditions Léo Scheer, on se demande si elle ne s’est pas chargée elle-même de ce travail, justement. Si c’est le cas, elle n’a pas les connaissances nécessaires et, surtout, c’est une erreur importante car le travail de correction doit être effectué par quelqu’un qui possède un regard extérieur. Mais ce n’est peut-être pas le cas.

Fin d’année

L’année se défile, s’effiloche. Je hais ces périodes, chaque fois un peu plus. Cependant, la paix calme de la campagne d’hiver est doublée par cette latence permanente de l’entre-deux-réveillons et c’est d’autant mieux. Paix silencieuse. Au loin, toutefois, une tronçonneuse chante le bois de l’hiver, l’âme du chauffage, le sang du poële. C’est comme le bruit familier d’un oiseau enroué. L’oiseau de décembre fait rendre gorge au bois qui crie son désespoir de foyer.

 

Louis Vaugier, Le taureau n’écrit jamais.

jeudi, 20 avril 2006

Dominique Aury par Angie David, 2

Le premier pas de Dominique Aury dans l’édition est la réalisation d’une anthologie de poésie pour laquelle elle effectue le choix, l’introduction étant signée de son amant Jacques Talagrand, alias Thierry Maulnier.

 

Introduction à la poésie française paraît chez Gallimard en septembre 1939. On tombe difficilement plus mal. Cependant, le succès est immédiat et considérable. En moins de deux mois, deux mille exemplaires sont vendus. André Breton en personne remarque l’ouvrage. En mai 1940 – on pourrait imaginer qu’à ce moment, on est préoccupé par autre chose – on procède à la troisième réimpression.

 

Pour une somme de poèmes, c’est à proprement parler incroyable, même si, traditionnellement, les anthologies se vendent mieux que les ouvrages originaux. Et pourtant, les choix des auteurs sont discutables. Hugo est considéré comme médiocre et l’on tente d’y trouver ce qu’il comprend de plus fort. Le XIXe, en dehors de lui, est limité (si je puis dire) à Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé, Nerval. Verlaine est ignoré. L’accent est mis sur le XVIe siècle, on s’en félicitera.

 

Bien sûr, au XVIIe, Racine est célébré et l’on tentera de pardonner à Maulnier bien des erreurs, notamment politiques, pour avoir écrit : « Racine porte à leur état de fusion poétique intégrale les matériaux jusque là rebelles de l’art tragique. (…) Racine jette au milieu du plus policé des siècles, d’un siècle qui attend de lui de beaux spectacles ordonnés, amoureux, héroïques, les bûchers humains, les meurtres rituels surgis du fond des âges, le vol noir des sorts funestes, le va-et-vient dans les âmes des grandes marées homicides. »

 

La belle réussite de ce livre peut prouver que la poésie est évidemment consubstantielle à l’homme : elle s’impose même en des temps on ne peut plus troublés. Une autre opinion consiste à penser que l’on se réfugie dans le génie français au moment où, justement, le quotidien entreprend de l’anéantir : c’est un peu ce que soutient l’auteur de cet étrange volume qui n’en finit pas de m’agacer tout en continuant à m’intéresser. J’y reviendrai certainement, d’autant que je suis de plus en plus persuadé d’une chose : c’est une supercherie littéraire. L’auteur désigné n’est pas le vrai. Je n’ai évidemment pas la moindre preuve de ce que j’avance. C’est un sentiment personnel, une impression confuse. Je continue à penser, par ailleurs, que c’est un bien étonnant éditeur que celui qui choisit volontairement de ne pas inclure d’index dans un tel volume ; surtout, qui accepte les choix incompréhensibles de l’auteur et ces redites permanentes, non seulement d’une partie à l’autre, mais à l’intérieur de la même partie.

mercredi, 19 avril 2006

Varia, 2

Mme Stirbois est décédée. On ne la regrettera pas. J’ai rarement vu et entendu quelqu’un d’aussi haineux, d’aussi dur, d’aussi mauvais.

 

Démêlés constants avec les éditeurs qui ne respectent pas leurs engagements contractuels, en particulier au moment de la reddition des comptes. Contacts pris avec un avocat à qui j’ai soumis deux dossiers. J’attends sa réponse pour savoir s’il accepte de s’occuper de mes petites préoccupations.

 

Comment ne pas voir la tendance généralisée, en ce moment, au téléfilm de semi-fiction : Le Grand Charles, Le Procès de Bobigny, Les Amants du Flore, L’Adieu, L’Âge des passions… Des reconstitutions soignées et, le plus souvent, un résultat sans intérêt, du moins pour ceux que j’ai pu regarder car la télévision, on le sait, m’ennuie beaucoup. À part Le Procès de Bobigny dont j’ai un peu parlé ici-même, le reste… En tout cas, une constante : de la guerre aux années 70, on considère maintenant qu’il s’agit d’histoire. On reconstitue.

 

Mon collègue de bureau porte un nom plutôt courant et un prénom qui ne lui autorise pas suffisamment d’originalité pour éviter la rencontre d’homonymes. Je lui parlais de ces fréquentes homonymies, alors que je venais de lire un article consacré à une librairie dont le gérant s’appelait exactement comme lui, nom et prénom.

Lui :

- On va voir si tu as des homonymes, toi.

- Des Jacques Layani, il y en a au moins quatre.

Ce qui est rigoureusement exact.

Lui, les pieds dans le plat de Google :

- Oh, qu’est-ce que tu as  comme homonymes ! Jacques Layani, Jacques Layani… Ah mais, Jacques Layani, c’est un écrivain, en fait.  Il a écrit Albertine Sarrazin, une vie et puis Dix femmes, et puis…

Leçon d’humilité.

 

François Angelelli, « mon plus vieil ami sur la terre », ainsi que j’ai coutume de le désigner, est de passage  à Paris pour deux jours. Nous nous connaissons depuis quarante ans. Près du Panthéon, j’ai envie de l’emmener admirer Notre-Dame-du-Mont, cette petite église de la montagne Sainte-Geneviève, toute d’harmonie et de proportions, que je tiens pour un joyau. Je voudrais qu’il la découvre. Nous entrons en pleine messe : c’est le dimanche de Pâques. On ne circule pas durant les offices. Raté. À défaut de pouvoir lui montrer, près l’autel de la Vierge, le pilier sous lequel sont enfouis les restes de Racine, de retour de Port-Royal, je lui rappelle que, là, fut célébré le service funèbre de Verlaine, décédé à quelques dizaines de mètres, rue Descartes. Dans l’assistance, figurait Paul Fort. Cela fait trois poètes chers à  mon cœur. Je lui raconte, en partant, qu’il y a quelques années, un soir, je passais dans l’église en question, attendant, ô païen, l’heure de la séance d’un cinéma de la rue des Écoles. Dans la demi-pénombre, une petite dame, bien âgée, s’approche :

- Monsieur...

- Madame.

- Vous êtes prêtre ?

On ne me demande pas ça tous les jours. Avec toute la politesse dont je puis être capable :

- Ah, non, madame, non.

Elle, posant sur ma manche une petite main fragile, ancienne, une main en dentelle, et avec un air mi-confus, mi-complice :

- Vous en avez l’air.

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mardi, 18 avril 2006

Quel métier !

L’ami Feuilly me signale, sur le site Fabula, une recension, faite par Thomas Mercier, du livre dirigé par Bertrand Legendre et Christian Robin, Figures de l'éditeur, représentations, savoirs, compétences, territoires, paru en 2005 chez Nouveau Monde Éditions.

 

Je relève dans ce compte rendu que, pour les étudiants en formation, ceux qui apprennent le métier, l’éditeur « n’est ni incarné par une figure héroïque ni appréhendé comme un marchand ou un artisan. Il est davantage fantasmé comme une constituante du milieu artistique. Les jeunes interviewés n’envisagent que l’éditorial, le graphisme et le service de presse, ils oublient systématiquement la partie fabrication et la partie diffusion. Aucun d’entre eux ne perçoit l’éditeur comme un chef de projet qui formalise une idée de collection, alors que c’est bien souvent ce qu’il est. »

 

C’est a priori l’aspect le plus intéressant de l’ouvrage, si j’en juge, à tout le moins, par ce simple article. Car ce rêve éditorial, s’il est a priori sympathique, uniquement tourné vers la partie artistique de la fonction (encore que le service de presse n’en relève pas exactement), ne correspond à aucune réalité. Pis, la notion de contenu est ici totalement absente. Cela promet de beaux tristes jours pour le livre de demain.

14:40 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (6)

lundi, 17 avril 2006

Le taulier vous salue bien, 4

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Sur cette photographie de 1954, vous pouvez voir l’horrible taulier en train d’exécuter une manœuvre hardie sur le balcon du 14, rue Franklin.

 

Ainsi se poursuit la série des enfants et des cycles.

samedi, 15 avril 2006

Édifiant

Histoire de ne pas oublier qu’il existe toujours, en France, des municipalités fascistes, on peut lire un article du Monde.

19:15 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)

La taulière vous salue bien

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Sur cette photographie de 1951, vous pouvez voir la belle taulière poursuivre, en même temps qu’un but inconnu, la série des cycles et patinettes inaugurée hier en ce lieu.

Le taulier vous salue bien, 3

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Sur cette photographie de 1964, vous pouvez voir l’horrible taulier, son cousin Thierry et sa cousine Élisabeth. Dans cette cour de garage de Colombes, les poubelles sont garanties d’époque.
Il n’y avait qu’un vélo pour trois. Comme nous sommes dans les histoires de cycles, en ce moment, j’ai pensé continuer la série.

vendredi, 14 avril 2006

Dominique Aury par Angie David

Compte tenu de la presse énorme dont elle bénéficie, il est peu probable que le nom d’Angie David vous échappe en ce moment. Cette jeune femme (née en 1978) dont je n’avais rigoureusement jamais entendu parler, mais qui est paraît-il un peu connue comme comédienne, vient de publier, aux éditions Léo Scheer (où elle travaille) un ouvrage intitulé Dominique Aury, présenté comme une biographie. Le livre compte 560 pages de grand format, imprimées serré. Ce n’est pas rien. Avec une telle densité, il faut du temps pour le lire, sauf à n’avoir que ça à faire. Je me demande par conséquent à quel moment les journalistes ont bien pu être en possession de ce volume, paru il y a quelques jours à peine. C’est à se demander s’ils n’ont pas reçu en service qu’un seul titre, ces dernières semaines.

 

Je suis en train de le lire moi-même. J’ai lu la première partie qui compte près de 200 pages et constitue déjà un livre en soi. Elle est titrée « Pauline Réage ». Je viens d’entamer la seconde partie, « Anne Desclos ». La troisième sera « Dominique ».  Le choix de la structure est curieux. Si l’auteur veut nous montrer que Dominique Aury a eu plusieurs vies simultanées, ce qui paraît être évident, il est étonnant qu’elle les scinde en parties aussi distinctes. Pire, à la fin de la première partie, l’héroïne meurt. On tourne la page, elle naît. C’est original, mais déboussolant.

 

Pour ce qui est de la première partie, il faut bien dire qu’on y parle davantage de Jean Paulhan et de la vie littéraire du moment que de Dominique Aury, hormis une peinture de la sortie d’Histoire d’O, faite dans les premières pages. Il y a gros à parier que ça va continuer dans les deux parties suivantes. Bref, on a le sentiment de ne pas lire l’ouvrage qu’on a cru acheter, mais un autre. Les redites sont extrêmement nombreuses et très ennuyeuses. Fréquemment, des phrases nominales, parfois réduites à de simples groupes de mots, tombent dans le récit d’une manière très abrupte. Tout ça est prodigieusement agaçant, mal fichu.

 

Cela étant, si l’on fait exception des défauts énoncés ci-dessus, le livre est bien écrit. Je veux dire : tout le reste, car son épaisseur est grande et sa documentation est sans faille. Le plus étonnant est la familiarité de l’auteur avec son sujet, alors qu’elle n’a pas connu son modèle et n’a pas vécu cette période. Étonnante empathie. Une très volumineuse correspondance, en grande partie inédite, est utilisée et citée. Les références sont très précises. Ce sérieux, justement, contraste avec les erreurs qui m’ont fait précédemment exprimer des réserves.

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Dominique Aury à la fin des années 40 (studio Lipnitzki).

Il n’y a pas de cahier de photographies, ni d’index des noms cités. L’auteur nous prévient, au bas de la page des remerciements : il s’agit d’un choix de l’éditeur. C’est très curieux. Les photos, passe – d’ailleurs, l’auteur a déposé de nombreuses images sur un blog – mais l’index ! Sans repères, l’ouvrage, une fois achevée la première lecture, sera pratiquement inutilisable. Comment retrouver, dans une pareille somme, un passage, quel qu’il soit, sans liste de noms ? Autres petites choses très agaçantes : les poses maniérées de l’auteur (cliquer sur « Galerie ») et la bande racoleuse : « La vie secrète de l’auteur d’Histoire dO », totalement à côté du sujet. 

Le taulier vous salue bien, 2

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Sur cette photographie de 1964, vous pouvez voir l’horrible taulier et son cousin Michel, alors âgé de trois ans. Je jouais avec lui et le pauvre garçon était obligé de me pousser sur son tricycle. Je ne sais plus d’où vient la casquette d’adulte qu’on lui avait mise sur la tête. Cette image est devenue un sujet de plaisanterie entre nous : « J’avais trois ans, lui douze et il m’obligeait à le pousser ! » raconte le Michel en question, devenu père de famille, à qui veut l’entendre.

jeudi, 13 avril 2006

Twicken Layani’s blog

Ce qui me frappe depuis longtemps, c’est l’inflation du vocabulaire et celle des appellations. Il semble que plus rien, jamais, ne puisse être simple. Boulevard Saint-Germain, le Balto de mes dix-huit ans s’appelle depuis longtemps déjà le Twickenham. Place d’Italie, il a suffi d’un changement de propriétaire pour que La Descente du métro – nom ridicule, j’en conviens – devienne le Bomby’s Café.

10:49 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (2)

mercredi, 12 avril 2006

L’arrêt Jean Ferrat

Un jugement du 8 février dernier, rendu par la Cour de Cassation, donne à présent la primauté aux droits des artistes sur ceux de leurs maisons de disques. Grâce à Jean Ferrat, très à cheval sur certaines choses.

 

Il vient de gagner le procès qui l’opposait à Barclay (en fait, Universal, Barclay n’étant plus qu’une marque depuis longtemps). La multinationale avait l’intention d’intégrer certaines de ses chansons dans une compilation fourre-tout, portant sur la chanson française en général. On connaît Ferrat, intransigeant. Des chansons signées André Dassary, qui avait chanté autrefois Maréchal, nous voilà, devaient y figurer. Ferrat a aussitôt exigé d’Universal qu’il retire ses propres œuvres de la compilation. Bien entendu, la firme phonographique n’a pas pris en compte sa demande. D’où engagement d’une procédure…

 

Le tribunal, dans un premier temps, a estimé que la seule « juxtaposition » d’enregistrements n’avait « rien de dégradant » pour Ferrat. Ce n’est pas l’avis de la cour de cassation, qui, elle, affirme à présent que la justice n’a pas à se prononcer sur l’aspect « dégradant ». Cela appartient à l’intéressé. En ne tenant pas compte du désaccord de Ferrat, Universal n’a pas respecté le code de la propriété intellectuelle. La maison est donc contrainte de retirer les chansons de l’artiste, comme il le demandait initialement, et de le dédommager (préjudice moral).

 

D’ores et déjà, on parle, dans le métier, d’« arrêt Jean Ferrat ». Les éditeurs ne sont plus seuls maîtres. Peut-être cela nous évitera-t-il d’être inondés de ces compilations sans intérêt, tiroirs de rangement sans signification artistique, qu’on peut voir en vente depuis plusieurs années.

10:25 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (4)

mardi, 11 avril 2006

La presse

Selon la revue de presse fournie par Le Monde, « ce retrait est une humiliante défaite politique, à la fois pour M. Chirac et pour son protégé, Dominique de Villepin » (New York Times). Quant au Guardian, il estime que la « prévisible décision [de Chirac] conclut parfaitement une présidence de dix ans qui n’a conduit nulle part. » Il écrit aussi : « Raymond Barre, Édouard Balladur, Alain Juppé et maintenant Dominique de Villepin : au cours des trente dernières années, tous ceux qui ont tenté de guérir la France d’une économie sclérosée ont échoué. »  Le Christian Science Monitor estime que c’est « une perte pour la flexibilité du travail, dont la France et une grande partie de l’Europe ont désespérément besoin ». « Que la France ait besoin d’une réforme de son code du travail, personne ne le discute », affirme El Pais.

 

Ce ne sont là que des extraits. Je vous invite à lire la totalité de l’article si vous voulez rire un peu. C’est le texte d’El Pais qui m’amuse le plus. « Personne ne le discute » : si, les Français. Excusez-les.

15:58 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (14)

lundi, 10 avril 2006

Une incroyable pétition

Les Soussignés ;

 

 

Étant donné que l’élément féminin tend tous les jours à envahir de plus en plus la salle de lecture de la bibliothèque ;

 

 

Étant donné que par suite de la prédominance dudit élément féminin, des travailleurs sérieux se voient, faute de place, interdire l’accès de la bibliothèque ;

 

 

Étant donné que lesdites femmes par leur bavardage intempestif rendent à leurs voisins tout travail sérieux absolument impossible ;

 

 

Pour ces motifs ;

 

Demandent à monsieur le Conservateur d’interdire aux étudiantes du sexe féminin l’accès de la bibliothèque.

 

Fait à Paris, le 15 décembre 1906.

 

 

(Bibliothèque de la Sorbonne, archives modernes, registre 332, folio 228)

18:05 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (17)

jeudi, 06 avril 2006

La bannière

La bannière que vous voyez en ce moment est la première d’une histoire en quatre épisodes. Soyez attentifs. Les changements se feront chaque soir, entre dix-huit et vingt heures.

 

7 avril, 18 h 15 : voici le deuxième volet.

 

8 avril, 18 h 10 : voici le troisième volet.

 

9 avril, 18 h 12 : voici le quatrième et dernier volet.

mercredi, 05 avril 2006

Fable

On raconte qu’à Colombey-les-Deux-Églises, il y a deux nuits de cela, les habitants ont tous été réveillés, au même moment, par un inhabituel grincement. Quelque chose comme le bruit qu’eussent fait de lourdes dalles, pivotant l’une sur l’autre. Cela ne dura pas longtemps mais tous eurent le loisir de mettre le nez à la fenêtre. Cela provenait de la petite église et, plus précisément, du cimetière qui la jouxte. Les yeux écarquillés, le cœur partagé entre l’effroi et l’ahurissement, ils l’ont vu sortir de sa tombe. Il était toujours aussi grand, toutes ces années ne l’ayant pas voûté. Et là, se produisit plus curieux encore. On vit apparaître une DS noire, sortie d’où ? Le chauffeur descendit et se précipita pour ouvrir la portière arrière. Puis la voiture fila sans même un feulement de belle mécanique dans la nuit froide de printemps.

 

Rue du Faubourg Saint-Honoré, personne n’osa arrêter le véhicule. Il eût été étonnant qu’on le fît ! Il paraissait revenir chez lui, tout naturellement. La Citroën se gara avec grâce dans la cour. Il sortit, l’œil sombre. On s’écarta.

 

Dans le bureau du président de la République, sous la lampe, Chirac observait béatement le vieillissement de ses mains. La porte s’ouvrit, mais ce n’était pas un huissier. Le président leva les yeux, sa bouche s’arrondit, son cou descendit.

 

Il était revenu, une fois encore, une fois de plus. Ce diable d’homme ! Il se leva, moins vite qu’autrefois.

 

–  Monsieur le secrétaire d’Etat !

 

Chirac n’en crut pas ses pauvres oreilles. Il lui redonnait son titre d’autrefois, lorsqu’il était au Budget. Mais il avait grandi, depuis, il occupait même son bureau de jadis, son bureau à lui, et du bon côté de la table, encore ! Il n’osa pas répliquer. Les petits yeux aux lourdes paupières le fixaient.

 

La gifle partit droit, fort, sonore, humiliante. Chirac tomba sur le tapis, grotesque.

 

Dans la cour, près de la voiture noire, on assure avoir entendu dire : « Nous rentrons, Marroux ».

 

La DS a repris la route, s’est arrêtée devant le cimetière de Colombey. On a de nouveau pu entendre le sinistre grincement. Puis la nuit remit tout en place.

 

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mardi, 04 avril 2006

Bobigny, 1972

Hier soir, FR 2 proposait un téléfilm sans moyens – c’est un peu un pléonasme – mais honnêtement réalisé et interprété, sur le procès de Bobigny, qui eut lieu en 1972. L’avocate Gisèle Halimi (femme, juive, de gauche, brr) défendait une mère qui, l’année précédente, avait aidé sa fille de seize ans à avorter. Le père les avait dénoncées… La jeune fille fut acquittée mais la mère risquait, aux termes d’une loi de 1920, trois années de prison ferme et deux-mille francs d’amende. Une somme alors considérable, d’autant que cette dame était employée à la RATP. Ce fut un procès retentissant, l’avocate ayant fait citer le ban et l’arrière-ban des personnalités les plus en vue, y compris le prix Nobel Jacques Monod. L’écho dans la presse fut énorme. La mère fut reconnue coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamnée, grâce au talent de son avocate et à la détermination du mouvement féministe, à… une amende avec sursis, c’est-à-dire à rien. Furent également condamnées à des peines et des amendes, toutes avec sursis, l’avorteuse et la collègue de la mère, qui lui avait indiqué l’adresse. Bref, tout le monde s’en sortit bien et c’était une première. À la suite de ce procès mémorable, une instruction officielle recommanda de ne plus poursuivre les femmes ayant avorté. Deux ans plus tard, en 1974, Simone Veil, ministre de la santé, présentait courageusement un projet de loi devant un parlement d’hommes, afin de légaliser l’avortement et de mettre fin aux charcutages d’arrière-boutique et aux décès qui s’ensuivaient souvent. Elle se fit traiter de nazie – elle qui avait été déportée et immatriculée par tatouage. En 1975, la loi était votée, qui dépénalisait l’avortement.

 

 

 

 

Gisèle Halimi et Delphine Seyrig à Bobigny, le 11 octobre 1972.

 

 

Le Procès de Bobigny : Anouck Grinberg dans le rôle de Gisèle Halimi,

un téléfilm de François Luciani, 2005.

 

 

 

Pour en revenir à ce téléfilm, j’ai, comme toujours dans ce cas-là, observé, presque malgré moi, la reconstitution. Je l’ai trouvée correcte : costumes, mobilier, couleurs, objets, tentures, véhicules, tout était juste, hormis les rames de métro qui n’étaient déjà plus celles qu’on nous a montrées (mais peut-être, sur certaines lignes, circulait-il encore ces trains-là, je ne sais pas). Et soudain, quelque chose s’est imposé à moi. 1972, c’était l’année de mes vingt ans, c’est-à-dire très exactement hier matin, n’est-ce pas ? Eh bien, il avait fallu reconstituer cette année-là. On reconstituait mes vingt ans, ce qui signifie qu’ils étaient dépassés, morts, enfouis. Si on les reconstituait, c’est qu’ils étaient décomposés. « Mes amours décomposées » martelait Baudelaire dans La Charogne. Et ma jeunesse aussi. Je sais bien, moi, que c’est entièrement faux, vu qu’elle est toujours en veille dans un coin de ma tête ; le mec que je vois, là, le matin, dans le miroir, lorsque je me rase, est un parfait inconnu dont je me demande toujours pourquoi il a passé la nuit dans ma salle de bains… Reconstituer ma jeunesse, certains ont de ces idées...

lundi, 03 avril 2006

Ainsi donc

Ainsi donc, pour la première fois dans l’histoire de la République, cinquième du nom, le Premier ministre est allé conférer avec le président de la République, au matin d’une allocution qu’icelui devait faire, pour se mettre d’accord avec lui sur le contenu de la susdite allocution.

 

Ainsi donc, pour la première fois dans l’histoire de la République, cinquième du nom, le président, aux ordres de son Premier ministre,  a promulgué une loi qu’il a rendue inutile, en recommandant lui-même de ne l’appliquer point.

 

Ainsi donc, pour la première fois dans l’histoire de la République, cinquième du nom, le Premier ministre s’est, par la voix du président, auto-désavoué, tout en assurant à la presse qu’il n’avait pas du tout le sentiment de l’avoir été.

 

Ainsi donc, pour la première fois dans l’histoire de la République, cinquième du nom, une loi, tout ce qu’il y a de plus valable constitutionnellement, régulièrement promulguée par qui de droit, publiée au Journal officiel, immédiatement applicable sur l’ensemble du territoire, est mise en sommeil en attendant qu’une autre loi vienne la modifier sur deux points.

 

Ainsi donc, pour la première fois dans l’histoire de la République, cinquième du nom, la majorité, par la voix du président de l'Assemblée nationale, va présenter une proposition de loi  pour modifier la loi existante. « Je souhaite que ce soit dans dix jours », a dit le président de l’Assemblée.  Bien entendu, ce projet de loi sera certainement voté puisqu’il est présenté par la majorité.

 

Ainsi donc, pour la première fois dans l’histoire de la République, cinquième du nom, une nouvelle loi votée par une majorité modifiera une loi votée par cette même majorité, à la demande du président de la République qui n’aura pas voulu s’aliéner le Premier ministre en le désavouant, alors que le Premier ministre en question a accepté sans le dire que son projet soit remis en cause sur deux points dont la majorité du peuple ne veut pas, donc s’est désavoué lui-même en disant qu’il ne l’avait pas été par le président.

 

Évidemment, ça doit avoir une drôle de tête, une incohérence pareille, à l’étranger. Vous savez, cet étranger dont, toute la journée, on nous répète qu’il a su moderniser (comprendre : revenir en arrière) et qu’il faut suivre son exemple (comprendre : baisser la tête et accepter).

 

Il est vrai que tout cela se passe dans un pays dont le président a été élu avec les voix de ses adversaires qui ont, à leur grand dam, voté pour lui.

 

Oui, c’est compliqué. Il faut suivre.

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