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lundi, 31 octobre 2005

Précision

Je crois qu’une précision s’impose, après ma note Chasse gardée et les explications que j’ai données sur ma réaction face à l’invitation qui m’était faite par Ciment, pour France Culture.

Il semble que plusieurs personnes se soient étonnées de cette question de disponibilité que j’avais soulevée, cette question de congé à prendre. On me l’a dit ici même (c'est très bien ainsi) et maintenant, voilà que d’autres me le disent en privé. J’aurais préféré, justement, qu’elles le disent ici, quitte à me bousculer.

Je n’ai pas voulu jouer les divas. Depuis trente-deux ans que je travaille à temps plein, je me heurte au même problème – et lorsque mes filles étaient petites, c’était pire encore, au point de vue de l’emploi du temps. Je le regrette, mais j’ai des patrons sur le dos et je ne peux pas m’absenter comme je veux. Croyez bien que ça ne me plaît pas. En l’occurrence, pour me libérer ce vendredi, je n’aurais pas pu être fixé avant mercredi. Ciment voulait une réponse rapide, pas quarante-huit heures avant, et je le comprends, une émission ne s’improvise pas l’avant-veille. Donc, par le fait, je ne pouvais que dire non. En dehors même de toutes ces questions éditoriales dont nous avons parlé, sur le simple plan pratique, je ne pouvais pas répondre. Je précise que je nai pas fait part à Ciment de ces considérations-là. Je me doute bien que ce nest pas son problème. Cest ici uniquement que je lai dit.

Cela étant, il ne faut pas non plus être ébahi parce qu’on est invité à France Culture. C’est la première fois que je refuse une émission. J’ai fait une douzaine de radios et participé longuement à un documentaire pour la télévision. Cela ne me fait ni chaud ni froid. Je ne le dirai jamais assez : je n’ai aucun ego, et les émissions, je m’en fiche. Ce n’est pas ça qui me fera m’ébahir ni m’aplatir en me confondant en remerciements. D’ailleurs, une émission enregistrée en 2000 (j’avais pris un jour de congé…), qui devait être diffusée en différé sur Radio Bleue, n’est jamais passée.

Ce qui m’ennuie bien plus, vraiment, c’est qu’à cause de cette histoire, même si ce n’est évidemment pas son seul motif, un ami qui écrivait ici ne veut plus participer. J’espère qu’il changera d’avis. Car pour un ami, je donnerais tous les Michel Ciment du monde.

19:40 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (1)

Pour un portrait, par Martine Layani-Le Coz

Il y a, sur les photos de ma première année, cette petite fille qui hésite à marcher, puis court vers un chat gris, pour une caresse, sous les yeux attendris de sa mère.

 

À présent, si je m’avance seule vers les chats, ils me sont toujours étrangers comme l’étaient les autres dans ma prime enfance.

 

Je vivais alors dans le cocon parental, à l’abri de l’indiscipline où mes questions étranges restaient ignorées. Les remarques d’un enfant de dix ans n’étaient pas prises en considération par les adultes ; je faisais donc ma révolution toute seule, dans ma tête. Et ce sourire persistait, d’une vie sans blessure, un peu niais, affiché en signe de bonne santé sur mon visage, en contredisait l’humeur parfois changeante.

 

À l’adolescence, quand vraiment ce monde qui n’était pas le mien et que, vaguement, je ne sentais fait pour personne, m’a trop heurtée, des professeurs scrupuleux, des amies ont découvert une résistance et un ton de révolte à mon regard.

 

Puis mai 1968 est arrivé sur mes vingt ans : j’ai voulu tout refaire d’un seul trait, mais rien ne m’avait vraiment préparée à la revendication sociale et la gigantesque ouverture de cette année-là s’est refermée, ainsi qu’une plaie, sans avoir pu écouler toute ma rancœur.

 

Puisque, décidément, ce sourire était celui des idiots heureux, il ne me restait plus qu’à tenter de l’être. Depuis, je garde malgré moi ce sourire inconscient. Qui n’a jamais souri pour faire plaisir ne peut comprendre : ce n’est pas un passeport de grande qualité. À côté de la plaque, comme toujours. Mon cadavre aura-t-il aussi ce rictus qui m’emprisonne, ne reflétant que ma bonne volonté ? Toutes les musiques sont bonnes sur les chemins de l’oubli ; quel oubli ? Celui du vide et la déception de n’avoir su tirer profit des jours (prêtés ou donnés ?).

 

Sur les photos, je suis un peu raide et mes grimaces ne cachent qu’une irrésolution à rester parmi vous. Alors, je parle pour tenter d’expliquer et j’ai la bouche ouverte et les mains en l’air. Mes yeux de myope, à jamais perdus dans le vague, se cachent derrière des lunettes. Ne subsiste que mon nez en trompette, pour annoncer à mes voisins qui je puis être. Comment se fier à un nez ? C’est pourtant dans le visage ce qui vieillit le moins ; on le conserve toute sa vie, à moins d’un accident.

 

Pas de quoi faire une histoire...

 

(1988)

07:00 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (7)

dimanche, 30 octobre 2005

Passions et partis

Le samedi 16 novembre 1867, Flaubert écrit, de Croisset, à Amélie Bosquet. Il l’entretient du livre dont elle est l’auteur, Le Roman des ouvrières.

 

Il note : « En quoi, dans le domaine de l’Art, MM. les ouvriers sont-ils plus intéressants que les autres hommes ? Je vois, maintenant, chez tous les romanciers, une tendance à représenter la Caste comme quelque chose d’essentiel en soi. (…) Cela peut être très spirituel, ou très démocratique. Mais avec ce parti-pris on se prive de l’élément éternel, c’est-à-dire de la Généralité Humaine. Je sais bien tout ce que vous pourrez me répondre ! C’est une chicane que je vous cherche pour vous engager à faire sortir votre Muse des classes pauvres. Il faut représenter des Passions et non plaider pour des Partis ».

 

Capitales et soulignements sont de Flaubert lui-même. Source : Gustave Flaubert, Correspondance, tome III, janvier 1859-décembre 1868, collection « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1991.

 

Quel sentiment est le vôtre face à ces conseils d’un maître ? Que doit-on penser de l’opposition que Flaubert estime exister entre les passions et les partis ? Sont-ils vraiment exclusifs les uns des autres ? Si oui, en quoi sont-ils incompatibles ?

vendredi, 28 octobre 2005

Chasse gardée

J’ai publié en mai dernier un petit livre, Les Films de Claude Sautet, aux éditions Atlantica-Séguier. Depuis six mois bientôt, ce travail n’a obtenu aucun article, aucune recension, aucun écho de quelque nature que ce soit. Un ouvrage dont on ne signale pas l’existence est mort-né, tout le monde le sait. J’ai trouvé cela étonnant puisqu’il existe tout de même un public – le sujet est connu –  mais j’ai accepté, c’est la règle du jeu, c’est ainsi.

 

De toute façon, ce volume, prévu pour février, avait paru avec trois mois de retard et j’avais trouvé les relations avec Atlantica lamentables : délai invraisemblable pour l’établissement du contrat (honteux mais accepté par moi puisque je n’avais pas le choix) après accord du patron, lenteur excessive pour la moindre réponse ou le plus petit envoi, temps infini pour l’expédition de mes exemplaires d’auteur, bref, une catastrophe. La responsable de la fabrication, elle, s’était montrée rapide, efficace, précise, agréable, intelligente, je n’avais rien à dire. Mais les services éditoriaux et administratifs, eux, furent en-dessous de tout. Quant au service de presse… On m’a téléphoné début juin – un mois après la parution – pour me demander ce que je comptais faire. Heureusement, j’étais assis. J’ai bredouillé : « Mais… Je croyais que c’était fait depuis longtemps… » Réponse : « J’attendais que vous m’appeliez ». Voilà qui était nouveau : « Ah ! Parce que c’est moi qui devais vous appeler ? » Bref, à quelques jours du mois de novembre, rien, aucun article, aucune recension, aucun écho.


La semaine dernière, Atlantica m’envoie un courrier électronique, me faisant part d’une invitation qui m’était faite par Michel Ciment à participer à son émission de France Culture, Projection privée, le 4 novembre prochain. Thème : « Autour de Claude Sautet », en compagnie de Dominique Rabourdin et N. T. Binh, eux-mêmes auteurs de Sautet par Sautet, à paraître aux éditions de la Martinière. Ledit ouvrage, un album de trois cent quatre vingt quatre pages, très illustré, vendu cinquante-trois euros, n’est pas encore en librairie mais a déjà obtenu un article dans Première et cette émission de radio. Soit, c’est le jeu et l’attachée de presse de la Martinière est plus efficace que celle d’Atlantica, c’est tout. Rien à dire. Mais je suis agacé et réponds, poliment, que je ne pourrai pas participer à l’émission, ce qui d’ailleurs aurait supposé que je prenne un jour de congé car, naturellement, tout cela a lieu aux jours et heures ouvrables.


Hier, je me dis que, tout de même, il n’est guère courtois de rabrouer ainsi Michel Ciment par l’intermédiaire d’Atlantica et je décide de lui envoyer un petit mot par Internet. Je lui écris donc, via France Culture, sur le site de son émission. En substance, je lui dis mes six mois de déception et mon peu d’empressement, par conséquent, à participer à une rencontre avec d’autres… J’ajoute que même Positif n’a pas signalé la parution de mon ouvrage (alors que Positif soutient Sautet depuis quarante-cinq ans), en sachant très bien que Ciment fait lui-même partie de Positif. J’ajoute que Binh est auteur d’un documentaire sur Sautet, que le documentaire en question est sorti en DVD, que voici maintenant le livre et, avec une ironie un peu triste, je demande : « À quand un CD-rom et un porte-clefs ? »


Et puis, hier soir, je décide d’aller voir, sur le site de La Martinière, de quelle manière est annoncé l’ouvrage à paraître. Et je reste sans voix devant la notice biographique des auteurs. Binh, en plus de ce que j’avais relevé, fait partie du comité de rédaction de Positif. Ciment reçoit donc son collègue du journal dans son émission. Ce n’est pas interdit. Il y a autre chose : le coauteur, Dominique Rabourdin, est directeur de collection de Ramsay-Poche Cinéma. Or, en même temps qu’Atlantica, j’avais contacté Ramsay pour proposer mon manuscrit. Je n’ai jamais reçu la moindre réponse : ni oui, ni non, ni zut. Je comprends mieux aujourd’hui : un des collaborateurs de Ramsay avait un projet similaire en cours. Je dérangeais. D’où le silence qui a entouré la parution de mon petit travail de cent quarante pages à peine, sans illustrations, à couverture uniquement typographique (titres blancs sur fond noir), vendu dix-sept euros, qui paie moins de mine que l’autre, vraie boîte de chocolats pour Noël qui, curieusement, approche.


Qu’on n’aille pas lire ici l’envie ou l’amertume, surtout. Je n’ai rien contre les réseaux, inévitables : on ne peut pas empêcher les hommes de se connaître, de s’apprécier, de s’aider. C’est le côté « chasse gardée » qui me gêne beaucoup plus. Qui êtes-vous, monsieur ? Je l’ai dit cent fois : on ne peut pas publier si l’on n’est pas journaliste ou universitaire, voire les deux (Ciment, par exemple, est aussi professeur à Paris VII). Tant pis pour mon texte, uniquement tourné vers le travail du cinéaste, examiné très en détail et sans anecdotes ni images.


J’ajoute que le sujet n’est pas en cause ici. Qu’on apprécie ou pas Sautet ne fait rien à l’affaire. D’ailleurs, les éditions Textuel m’avaient joué un tour similaire en 2003, pour un tout autre domaine d’étude.

 

Pour être honnête, je dois ajouter que, sur son blog, l’ami Ludovic avait rédigé une note sur mon livre.

10:40 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (37)

jeudi, 27 octobre 2005

Du côté de chez Guillaume

Une discussion sur l’enseignement s’ébauche chez l’ami Guillaume. Je la relaie volontiers.

mercredi, 26 octobre 2005

Dans le détail

Il faudra que je parle des détails. J’ai pour les détails une affection considérable. Je ne comprends pas l’expression : « C’est un détail », je ne peux pas la comprendre. Je ne parle évidemment pas de l’allusion que fit un porc, quelque jour, associant ce mot, dans l’imaginaire collectif, à une provocation sordide.

Dans un ouvrage documentaire, historique, biographique, j’aime trouver des détails, beaucoup de détails, énormément de détails. J’estime qu’il n’y en a jamais réellement assez. J’ai toujours envie de crier aux auteurs : « Allez plus loin ! Précisez ! Soyez plus juste dans votre discours. Mais encore ? »

Comprenons-nous. Il n’est pas question ici de faire des fiches, des enquêtes policières, d’établir des comptes rendus cliniques. Je ne veux pas de biographie à l’américaine ni d’ouvrage desséché. Je cherche des textes bâtis, écrits et détaillés, tout cela dans le but de parvenir au dire le plus exact possible. Je ne veux pas de scalpel, mais un pinceau très fin.

« Dieu est dans les détails », dit-on. Je souscris à cette phrase. La lumière, l’exactitude, la précision, le sérieux, la justesse, l’honnêteté sont dans les détails. On peut résumer tout cela par « Dieu ». Pourquoi chercher à déchristianiser la langue à tout prix, si l’on entend parfaitement ce que l’on veut dire ? Je trouve la tournure explicite.

Le détail n’exclut pas la sensibilité. Au contraire, conjointement et galamment accordés, tous deux œuvrent à la richesse d’un texte. Naturellement, le détail n’a rien à voir avec l’anecdote, la petite histoire et surtout pas avec le secret d’alcôve. Le détail est précieux, il n’est pas racoleur. Il éclaire mais ne tient pas la chandelle. Détail d’un tableau, d’un vitrail, il faut savoir trouver votre équivalent littéraire.

lundi, 24 octobre 2005

Jour neuf

Une soirée et une nuit d’horreur. Une journée entière à dormir. Une autre, dans le brouillard. Puis tout doucement, vraiment très doucement, la douleur le tordit moins, la lumière revint et les couleurs avec elle. Une journée encore pour tenter de retrouver ses membres et d’être à peu près sûr de leur fonctionnement. Une journée enfin à tenter de sortir durant deux heures, au moment le plus chaud, à petits pas, comme un ancêtre oublié déjà des siens et de lui-même. Des dizaines de petites pilules de toutes les couleurs. Un régime sévère et surtout épuisant de monotonie. Dans sa boîte à lettres électronique, il reçut trois fleurs mauves. Les examinant et les comparant aux dessins figurant dans une flore, il reconnut des fleurs d’amitié. Tout compte fait, le lundi matin, il put ressusciter.

10:45 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (7)

jeudi, 20 octobre 2005

Chronique des jours lassés

Que penser de la Fnac-Italie où un ouvrage sur le célèbre jardinier-grainetier Truffaut est classé au rayon cinéma, et ce depuis plus d’un an ? Il n’est pourtant nulle confusion possible au lu du texte de quatrième de couverture, mais qui parle de lire ?

07:00 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (7)

mercredi, 19 octobre 2005

Les mémoires du taulier, 3

L’archétype de ce qu’il ne faut pas faire, en matière de blog, est le fichu carnet de l’amateur d’art qui rend compte avec une régularité maladive des expositions qu’il va finir par se croire obligé d’aller visiter, pratiquement par conscience professionnelle. Enfin, si l’on peut dire. 

Qui rend compte... en quelques phrases, provoquant aussitôt une cascade de commentaires de deux lignes dont la moitié est consacrée à s’extasier sur la qualité du blog en question : « Ton blog est une pure merveille », version bourgeoise de « Sympa, ton blog » mais qui ne va pas plus loin. J’enrage lorsqu’on qualifie de merveille ce qui demeure une imbécillité absolue. En un mot comme en cent, ce que pense Machin de telle exposition, je m’en moque complètement, et même un peu plus. Que Machin me confie, à titre personnel, son sentiment, est une autre affaire. D’individu à individu, tout me touche a priori. Après, on peut discuter d’éventuels désaccords. Mais que Machin, du haut de son blog, m’assène deux paragraphes mal tournés, à la syntaxe enrhumée, pour m’expliquer qu’il vient de découvrir un peintre du XXe siècle, un certain Picasso, est inacceptable. Encore une fois, je n’ai que faire de l’avis des gens et celui de Machin n’est pas plus autorisé que le mien. Ce qui, par parenthèse, pose le problème de l’autorisation que confèrerait un « tamis » éditorial, par exemple.

Un avis n’est pas une opinion ou un sentiment, deux choses que je respecte. Un avis n’a pas plus d’intérêt qu’un goût exprimé. Quand j’entends la sacro-sainte phrase : « On ne discute pas des goûts et des couleurs », j’entre dans une fureur biblique. Et de quoi, par tous les diables, pourrait-on donc discuter, sinon des goûts et des couleurs ? L’avis de Machin m’intéresse aussi peu que le compte rendu d’un livre par Ixe ou Ygrec, journaliste auto-proclamé critique littéraire.

Et pourtant, combien de milliers de blogs ne tournent-ils qu’autour de ça ? Des notes indigentes et mal rédigées sur des livres piteux ou des films à la mode. Avec des commentaires aussi puissants, aussi indispensables, aussi vertigineux que « Un bonjour en passant », « Ta note me donne envie d'aller voir ce film », « Quelle imagination ! ». Quand il ne s’agit pas, purement et simplement, de listes ! Ah, les listes ! « Livres lus », « Films aimés », « Disques que j’écoute en ce moment ». Assez ! Le taulier s’en tape.

11:08 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (15)

lundi, 17 octobre 2005

Elle revient, fuyons

Elle est de retour. Il y avait quelque temps qu’on n’entendait plus parler d’elle. Il fallait bien qu’elle revînt. Certes, cette fois, elle exerce son métier de journaliste, nous livrant une somme sur l’affaire d’Outreau. 


Nous allons de nouveau avaler notre dose quotidienne obligatoire d’aubenasserie, cette tisane vendue depuis des mois, produit fabriqué imposé qui m’avait valu, il y a plusieurs mois, une grande bagarre sur LSP, bagarre débordant du ring pour en arriver dans l’heure à une mise en cause de ma personne, pour changer un peu. Passons.


Florence Aubenas est de retour, pas Gloria, pas Alleluiah du tout, Florence Aubenas nous casse les pieds, qu’elle nous foute la paix. Le dirai-je jamais assez fort ?


Ah j’entends déjà, du fond de mon bureau, objecter : « Mais elle ne parle pas d’elle, elle ne relate pas sa captivité, elle traite d’Outreau, vous savez bien, cette énorme erreur judiciaire, ce cas sans précédent, ça fera jurisprudence, vous savez »… Oui, je sais.


Si elle n’a rien produit à ce jour sur sa captivité (c’est tant mieux, d’ailleurs, ça nous épargnera du papier), on peut être certain que c’est pour obéir aux injonctions des services secrets qui l’avaient cueillie à son retour et emmenée, avec les siens, en hélicoptère.


En ce qui concerne Outreau, un livre, certainement, était nécessaire. Mais ce genre de parution entérine l’idée reçue selon laquelle ne peuvent et ne sauraient écrire que les journalistes et les universitaires. Les écrivains, on ne sait plus ce que c’est. J’insiste : des auteurs comme Vailland, Kessel, Mauriac, d’autres encore, n’ont jamais négligé le document, le récit. Ils ont aussi fait du journalisme, d’ailleurs, mais à quel niveau ! Aujourd’hui, les écrivains ne jugent plus cela dignes d’eux, ils préfèrent se nombriliser le sentiment dans des romans prétentieux paraissant à l’automne et en janvier et finissant bradés sur le trottoir, chez Boulinier, boulevard Saint-Michel.


De plus, avec le relatif recul dont on dispose à présent, un traitement journalistique de cette affaire ne s’imposait absolument pas. Une analyse sociale et critique, et surtout rédigée, avait sa place.


Regardez maintenant la couverture du livre en question : le nom de l’auteur est bien plus gros que le titre, regardez encore – qui voit-on sur la couverture de ce volume consacré à quelque chose de grave ? L’auteur, mais oui, mais c’est bien sûr.


Que les écrivains nous libèrent définitivement de Florence Aubenas.

14:38 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (14)

dimanche, 16 octobre 2005

Robert Laffont

On parle régulièrement d’édition, en ce lieu. Le dernier-né de ma documentation consacrée à ce métier vient de paraître, c’est un nouvel ouvrage de Robert Laffont, le dernier des grands éditeurs fondateurs (ou l’un des derniers, je ne sais plus). Il paraît aux éditions Anne Carrière, c’est-à-dire, si je ne me trompe, chez sa fille. J’en reparlerai certainement.

Robert Laffont, Une si longue quête, en collaboration avec Brigitte Lozerech, Anne Carrière, 2005.

 

Pour mémoire, les précédents ouvrages de Laffont :

Robert Laffont, Éditeur,
collection « Un homme et son métier »,
Robert Laffont, 1974.

Robert Laffont, Léger étonnement avant le saut,

Robert Laffont, 1996.

18:35 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (24)

vendredi, 14 octobre 2005

Cora Vaucaire

Annoncés pour paraître aux éditions de Fallois, ce mois-ci, les souvenirs de Cora Vaucaire, sous le titre La Dame blanche de Saint-Germain-des-Prés, nom quon lui avait donné par opposition à la dame noire de Saint-Germain-des-Prés, à savoir la belle Gréco.

21:03 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (2)

Quelque chose m'échappe

Il faut quand même que je dise  un mot de ça, parce que ça me travaille…


Depuis l’ouverture de ce lieu, je reçois régulièrement des messages me disant, en substance, que le niveau de ce qu’on peut y lire est très élevé et, pour certains, terrorisant. D’autres encore sont partis, entre autres pour ce motif.


Diable !


Il y a ici, dans la mesure où j’ai pu avoir connaissance du métier de chacun, des professeurs de toutes disciplines (pas seulement de lettres), des éditeurs, des étudiants, d’anciens libraires, des philologues, des littéraires en général, des cinéphiles. Beaucoup de participants se piquent d’écrire. Et ce sont ceux-là qui me disent à moi, presque entièrement autodidacte, qu’il est ardu de se promener rue Franklin ? Par exemple !


Quelque chose m’échappe.

17:05 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (5)

Où sont les enseignants ?

Curieusement, les discussions concernant l’enseignement et les questions d’éducation, pourtant abondantes sur l’ancien blog, n’ont plus cours ici.


Encore une chose qui ne laisse de m’étonner, puisque tous les professeurs présents autrefois ont leurs entrées sur ce blog. Plus surprenant : il y a eu davantage de conversations sur l’école durant l’été que depuis la rentrée…

jeudi, 13 octobre 2005

Après un mois

Après un mois d’activité, je tire un premier bilan de ce blog. Je suis comme ça, j’aime faire le point, avoir des résultats. Toujours mon côté professeur raté… De plus, je trouve qu’il est parfaitement naturel de rendre compte à ceux qui me font l’amitié de s’intéresser à mes petites bêtises, de la façon dont fonctionne ce lieu qu’ils habitent parfois.

 

La fréquentation a chuté des deux tiers par rapport à l’ancien blog. On peut en déduire que, de ces deux tiers manquants, l’un venait de l’ouverture à tous (page Haut et Fort des nouvelles notes publiées) y compris ceux qui arrivaient là par erreur (moteurs de recherche), l’autre des liens dont quelques amis avaient bien voulu me faire bénéficier. Tout cela ayant disparu, les participants qui demeurent sont des participants « authentiques ».


La plus grande fréquentation s’est déplacée aux alentours de quinze heures, puis est revenue où elle se situait avant, soit vers onze heures. C’est curieux. Comme d’habitude, elle est en chute libre le samedi et remonte un tout petit peu le dimanche.


La moitié environ des personnes invitées ne se sont jamais exprimées ou, au maximum, une fois ou deux. C’est une chose que je comprends d’autant moins que le taulier et la taulière sont les mêmes, les idées développées aussi, les « catégories » identiques et les lecteurs les mêmes encore.


Trois personnes sont parties. L’une l’a dit publiquement, les deux autres me l’ont dit en privé. Peut-être certains, parmi ceux qui n’interviennent pas, sont-ils partis également, sans me le dire. Ils n’y étaient pas tenus, évidemment.  Bien entendu, la porte reste ouverte et ces amis peuvent revenir, s’ils le désirent.

07:00 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (25)

lundi, 10 octobre 2005

Trois journaux intimes

Je lis régulièrement, sur la Toile, trois journaux intimes. Mon propos n’est pas ici de discuter du caractère précisément non intime que leur confère Internet (on parle maintenant de « journal extime ») ; de toute façon, leurs auteurs ont incontestablement désiré être lus. C’est à mon avis le cas de tout diariste, quoi qu’il puisse en dire, mais ici, l’auto-publication ne permet plus le doute.


Je voudrais plutôt parler de l’impression que me font ces lectures. Je ne donnerai pas de noms ni de titres, pas d’adresses. Bien entendu, tous trois sont des journaux tenus par des adultes, avec un évident souci d’écriture.


Le premier, de facture classique – la journée du diariste : son travail, ses amis, ses lectures, ses occupations – me plonge dans la stupéfaction. D’où vient en effet que la présence d’autrui dans ces textes, la société décrite, paraissent inexistantes ? Tout est vu, lu, digéré par l’auteur, le monde n’existe qu’à travers son regard, il n’y a là aucune générosité. Davantage encore : l’attention portée à autrui, qui existe puisque l’autre est décrit – et souvent raillé, d’ailleurs – est comme annihilée, évaporée, rendue absente par l’écriture elle-même. Non que l’auteur ne sache écrire : son style est d’une platitude absolue, mais l’exposé des idées et des faits est en soi parfaitement compréhensible. C’est pire que cela : son écriture transforme le monde, non d’une manière révolutionnaire hélas (forme, fond, indissociables, restent plats) mais en l’enduisant de grisaille. On voit certes la vie au travers des yeux du diariste, mais le problème est que lui-même ne l’observe qu’en fonction de son propre nombril, lequel malheureusement est dépourvu d’intérêt. Comprenons-nous bien : un nombril peut être passionnant si celui qui le porte y fait pousser des fleurs. Rien de tel, en l’espèce. Une telle attitude dans la vie, un regard de cette sorte, ne laissent point de m’étonner.


Le second est bien plus intéressant. D’abord parce qu’il n’est pas systématique : le diariste n’écrit pas chaque jour, ce qui nous épargne le côté factuel, l’aspect anecdotique. Ensuite, la langue est parfaite, savoureuse, sensible, elle coule sans heurt. Le monde existe, même en dehors du regard que porte sur lui l’auteur. Le style est riche, le vocabulaire aussi. L’auteur n’a certainement pas que des qualités et il ne se peint pas comme un saint – loin de là, même – mais il est attachant, quand le premier ne l’est guère. Sa sexualité différente de celle du nombre, si elle lui pose éventuellement des problèmes, ne le dresse contre personne. Il sait mordre, ne s’en prive pas quelquefois, toujours avec panache. Incontestablement plus cultivé que le premier, ce diariste-ci a choisi d’autoriser les commentaires, solution la plus périlleuse en matière de journal, surtout si l’on tient compte du fait qu’aucune barrière, apparemment du moins, n’est élevée par lui face aux faits relatés.


Le troisième est original en soi. Le diariste retient de sa journée un ou deux faits, trois tout au plus, et les rapporte dans un style volontairement détaché comme s’il n’était pas toujours concerné. Ce qui frappe le plus ici, c’est que chaque fait est mis exactement sur le même plan que les autres. Il n’y en a pas de plus important. Entendons-nous : la relation qui en est faite n’en met aucun en lumière. D’ailleurs, l’auteur ne va jamais à la ligne (ou rarissimement), chaque journée se présente, visuellement, comme un petit « bloc », où tout paraît valoir tout : travail, famille, lectures, enfants, femmes (au pluriel car le monsieur les affectionne particulièrement), ascenseurs, voisins, voiture, journaux, tout est égal à tout. Incroyablement, les notes quotidiennes ont peu ou prou la même longueur, systématiquement. Légèreté oblige. Le diariste se veut dandy littéraire, en suspens face à la réalité, l’air de ne pas y toucher. On n’y croit pas en permanence, on perçoit les failles et les douleurs, les plaies ouvertes parfois. Cependant, indéniablement, ce journal a un style, un climat propres. On ne peut pas faire de  commentaires, mais un petit forum annexé autorise les réactions – lesquelles, est-ce l’influence du maître de maison, restent toujours comme en retrait.

14:19 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (33)

Lecture

Avez-vous lu l’ensemble des textes qu’au fil des semaines, l’ami Dominique Autié a consacré sur son blog aux livres et à la chose imprimée ? Si ce n’est pas le cas, vous pourrez trouver  les huit premières séries de réflexions.

vendredi, 07 octobre 2005

Maurice Pons, un écrivain nécessaire

Je donne ici à lire un extrait de mon ouvrage Écrivains contemporains (L’Harmattan, 1999). Il s’agit d’une présentation de l’œuvre de Maurice Pons. On voudra bien considérer que ce texte a été écrit en 1992. Je ne le rédigerais plus ainsi aujourd’hui. Tel qu’il est, cependant, il peut faire connaître à ceux qui l’ignoreraient cette œuvre très insolite. Depuis sa rédaction, ont paru, qui ne sont donc pas pris en compte ici, un volume de Souvenirs littéraires et un scénario, La Dormeuse, à tirage limité. Il faut enfin ajouter un livre dont j'ignorais tout lors de l'écriture de cette étude, La Folle passion de Cléopâtre, d'après Shakespeare, livre qui ne figure dans aucune bibliographie.

 

Il est, pour paraphraser Baudelaire, de fortes œuvres pour qui tout livre est poreux. D’où vient, en effet, que du travail de Maurice Pons, s’échappe un parfum entêtant, toxique peut-être et identifiable entre tant d’autres ?

Maurice Pons vit dans l’Eure, au moulin d’Andé d’où sont datés ses ouvrages. Il a cet avantage d’être un écrivain rare, non seulement par son style et les sujets qu’il choisit, mais aussi, plus prosaïquement, par le rythme qui est le sien. Au rebours des auteurs qui publient avec une régularité confondante, Pons donne à lire, à des intervalles importants, des textes de facture et d’écriture toujours différentes. Il est un écrivain nécessaire.

Avec La Passion de Sébastien N., on est chez Jonathan Swift, voire chez Rabelais. Ce personnage, omnivore depuis toujours et dont une vision d’enfance va conditionner la vie et la sexualité, mange, à la fin du roman, sa voiture. Pièce après pièce. Il veut lui montrer son sentiment, s’assurer qu’ils ne seront plus séparés et c’est pour lui la seule solution. Vision classique de l’amour, la psychanalyse en a vu d’autres. Le mythe de l’automobile est ici, simultanément, porté à son paroxysme et disséqué. Outil de puissance sexuelle, de dépassement, d’affirmation virile. Ce sont des modèles habituels, mais ce n’est pas tout, car il y a aussi, dans cette Passion, une histoire d’amour tendre et d’incompréhension, de solitude. Le récit se déroule, entre autres, dans le département de la Haute-Tisane, notation que ne renierait nullement le capitaine Gulliver. Rappelons que le père de l’auteur, l’universitaire Émile Pons, était un érudit swiftien ; son enfance durant, son fils baigna dans toutes les exégèses des Voyages ; un jour, il les préfacera. Le portrait de Swift ornait le bureau de son père qui ne s’en sépara jamais, même au moment de la fuite devant l’avancée des troupes nazies, lorsque la famille quitta Strasbourg, où naquit Pons. Il faut peut être rapprocher de cela cette phrase de Métrobate, où l’auteur évoque l’exode de mai 1940 : « Au dernier moment, maman n’a pas pu résister à la folie d’emmener sa jument ». Que cette anecdote soit ou non réelle, ne peut-on risquer ici un parallèle ? On emmène une jument. Or, chez Swift, le quatrième voyage de Gulliver fait aborder celui-ci au pays des Houyhnhnms, nobles chevaux philosophes et poètes, aux altières préoccupations et ne connaissant que les vertus.

Swift se retrouve aussi dans Les Saisons, livre noir et magnifique, au moins sur un point, celui de ce pessimisme que nous serions portés à appeler désespoir absolu. La société que rencontre Siméon dans ce pays où l’automne dure vingt mois et l’hiver trente à quarante (il n’y a pas d’autres saisons) est abjecte, immonde. Désespérante et désespérée. On n’est pas si éloigné de Swift, à ceci près qu’il y a fort peu d’humour dans Les Saisons. Non que Pons n’en soit doué, loin de là, mais il a écrit un livre où l’horreur le dispute à la désespérance. L’allégorie est totale. Le lecteur le plus détaché reconnaîtra sans peine une volonté d’outrance mais il ne rira pas, sauf à être malhonnête. Nous sommes ici en pays noir. La seule lueur d’espoir – l’arrivée des deux cavaliers inconnus qui font entrevoir aux habitants un monde meilleur – est aussitôt éteinte, piétinée, niée ; c’est un mensonge. Quand le peuple arrive, après un voyage de mort, d’horreur et d’épuisement, en vue de cet autre pays, c’est pour en croiser les autochtones qui ont vu les mêmes cavaliers et sont partis, eux aussi, vers... l’endroit d’où venaient les premiers ! La conclusion est logique. Siméon, qui les avait guidés, sera sacrifié. Notation importante, il s’était fait leur berger, ils le tuent à coup d’ossements de mouton. La boucle est close. Il s’agit peut être là du plus important ouvrage de Pons. Il concentre toutes les visions de son auteur au point le plus aigu de la tristesse de vivre. Il n’est pas utile, ici, de narrer par le menu le thème des Saisons. Il faut un sacré courage pour entrer dans ce livre et pour y rester jusqu’au bout, mais le plaisir intellectuel et moral qu’on y goûte est sans pareil. La force du roman, sa puissance en raviront plus d’un. Précisons que la dimension onirique, en même temps que philosophique, du récit, est servie par une belle langue classique.

À propos de la langue, relevons cette gourmandise que s’offre Pons dans Mademoiselle B. L’auteur-personnage se rend chez un pharmacien qui lui dit avoir lu ses ouvrages et ne pas les avoir goûtés. Il se croit tenu de préciser que sa femme, elle, ne les a appréciés que parce qu’elle « a des goûts décadents ». Il ajoute : « Votre langue n’est pas sûre ». Quelle jubilation doit être celle de l’écrivain lorsque, se mettant lui-même en scène, il crée un personnage lui reprochant son français, surtout lorsqu’il sait pertinemment que sa langue est sans défaut. Quelle joie d’ainsi pouvoir jouer avec et contre ses propres vérités ! Un peintre pourrait, à la rigueur, « tricher » ainsi avec lui-même, s’amuser d’un jeu de miroirs et de profondeurs (construction dite « en abyme »). Un sculpteur connaîtrait davantage de difficultés. Dans ce domaine, l’écrivain est roi. Chacun des personnages qu’il fait naître est et n’est pas un bout de lui-même, peut exprimer l’opinion de son créateur ou son contraire. L’écrivain peut s’offrir des plaisirs de ce genre : « Votre langue n’est pas sûre », quelle jouissance !

Avec Mademoiselle B., donc, Pons aborde un moyen technique nouveau pour lui, celui de l’auteur-personnage. Cette délicate méthode a été employée avec succès par nombre d’écrivains, tel Roger Vailland. Mais nous resterons décidément dans le domaine du merveilleux. Mademoiselle B. est un somptueux canular, composé avec un talent prodigieux. À première lecture, il s’agit d’un livre totalement autobiographique. Le lecteur, toutefois, se rendra vite compte que tout, dans ce roman, est faux. Pons s’y met en scène, écrivain demeurant au village imaginaire de Jouff, à l’ouest de Paris, dans la campagne. Le livre connaît de nombreuses digressions, d’ailleurs succulentes, qui se rapportent aux gestes et opinions de Pons lui-même ; il y a gros à penser qu’ils sont, eux, exacts. Pour le reste, tout est illusion et pas seulement l’argument, ou l’atroce dénouement. Pons aurait fort bien pu créer un personnage central, le narrateur, et l’affubler de quelque nom. Tout son art est de lui avoir donné le sien et d’avoir encore brouillé les pistes, en se permettant mille considérations personnelles. Cela va cependant plus loin, dans la mesure où l’on retrouve ici sa perpétuelle négation des frontières supposées entre réalité et fiction, introduisant une fois encore la notion de merveilleux, ainsi que l’humour noir cher aux surréalistes. Picturalement, si Les Saisons évoquaient Jérôme Bosch (ainsi que Patinir, nous y reviendrons), Mademoiselle B. fait plutôt penser à un Dali mâtiné de Magritte et de Klee. Il y a tout de même, ce qui ne saurait être tu, une dimension d’angoisse dans cette œuvre. Cette angoisse, on ne la ressentait pas vraiment dans Les Saisons, où l’horreur estompait tout autre sentiment. Ici, tout l’introduit, des descriptions de cadavres décomposés à celles de pendus à la langue boursouflée, butinée par un essaim de frelons, en passant par la cadence de certains passages qu’on jurerait accordés à la vitesse à laquelle le personnage conduit ces automobiles dont il raffole (autre aspect du sujet déjà évoqué dans La Passion de Sébastien N.). Et le récit s’accélère encore dans sa dernière partie, comme tiré par la motocyclette du pseudo-fils de l’auteur, jusqu’au bout. Jusqu’à la mort, fidèle compagne littéraire de Pons.

Rosa est un roman présenté sous l’aspect de la chronique historique d’un pays, naturellement imaginaire. Avec Rosa, le psychanalyste ne sait plus où donner de la tête. Surtout, c’est l’empreinte rimbaldienne qu’on y retrouve. Rimbaud est présent dans le récit que fait Segesvar du voyage qu’il a effectué à l’intérieur de la belle aubergiste. Car, si « la vraie vie est ailleurs », où donc Maurice Pons peut-il bien la situer, sinon dans ce pays que découvrent des hommes très malheureux lorsque, dans le lit de Rosa, ils pénètrent (au sens propre et total) en elle ? Ce n’est pas acceptable, pour les militaires qui commandent la place, Rosa doit disparaître. Elle mourra, et de quelle façon ! Il est d’ailleurs symptomatique que ce soient la force, les militaires, qui détruisent l’amour et la vraie vie. Dans tous ses livres, la sympathie de l’auteur est clairement exprimée. Maurice Pons affectionne l’effet de surprise final, qui suit généralement un autre effet extraordinaire, mais auquel s’attend le lecteur, bien préparé par le talent et le métier de l’écrivain. Cependant, le coup final est imprévisible. Si l’on a compris, par avance, que Sébastien N. va manger sa voiture, on ne peut deviner ce qui va suivre. Si l’on a pressenti la clef du mystère de Rosa, on ne sait pas ce qui se passera ensuite. Double niveau du mouvement narratif de conclusion, choc et impact du livre dans le souvenir.

Nous avons évoqué, à plusieurs reprises, les peintres et la peinture. Il était inévitable que Pons fît un jour un peintre d’un de ses héros. La Maison des brasseurs est construit en jeu de reflets successifs et Franck pénètre - parfois seulement - dans les tableaux qu’il peint. C’est au hasard d’un reflet ou d’une transparence observés qu’il sent qu’il pourra entrer et, là, retrouver cette femme qu’il aime en des endroits divers, dans un univers onirique. On pourra reprocher à ce roman d’être trop systématique, fondé sur une succession de scènes – qui donneront naissance, chaque fois, à des tableaux – et sur une trame visuelle tenant par trop du scénario cinématographique. Il est certain que ce texte aurait pu continuer longtemps sans que soit modifié son contenu. Mais les livres de Pons ne sont presque jamais prisonniers de l’espace et du temps. C’est ici plus sensible de par la construction même de l’ouvrage, qu’on peut ressentir comme une succession de sketches.

Douce-amère groupe onze textes, avec cette particularité qu’ils sont tous composés à la première personne, ce à quoi l’auteur n’était tenu par rien. Cela contribue à l’unité de l’ouvrage. Il ne s’agit pas d’un « assemblage » de nouvelles, mais de onze variations sur les mêmes thèmes. Certaines de ces pièces parurent en leur temps dans le journal Le Monde. Dans le même esprit, le recueil Virginales comprend des récits pour lesquels Pons s’était fixé un pari technique, celui de glisser, une fois dans chaque nouvelle, le mot « virginal ». Souvenirs d’enfance, peut-être réinventés par l’écrivain alors âgé d’à peine plus de vingt ans, ils possèdent cette douce fraîcheur que donne le talent, qui évite à jamais à un souvenir de vieillir.

Métrobate, publié en 1951, possède cette même fraîcheur. Il convient de savoir – l’auteur lui-même a rendu publique cette information – que le manuscrit de ce premier roman a été « gonflé » à la demande de René Julliard, son éditeur de l’époque. Le texte initial comptait soixante-deux feuillets dactylographiés. Pons dut en tirer cent vingt-quatre. Ainsi put s’affirmer son jeune métier littéraire. Les ajouts ne se distinguent pas, les raccords sont invisibles. En cela, Métrobate peut être considéré comme un livre porteur de promesses effectivement tenues. S’il est toujours simple de recenser, a posteriori, des qualités littéraires promises, l’honnêteté de l’écrivain reste d’avoir expliqué en détail cette histoire, lot de tout auteur, mais qui, généralement, reste inavoué. Car Maurice Pons est, à n’en pas douter, un écrivain modeste, naturellement conscient de sa valeur, mais dont chaque ligne montre qu’il ne se prend pas au sérieux : « Parodions sans vergogne (et de mémoire) François-René, vicomte de Chateaubriand, écrivain français né à Saint-Malo : "C’est de la publication de Métrobate (en 1951) que date le peu de bruit que j’aurai fait (futur antérieur) dans le monde des lettres" », écrit-il dans L’Histoire de Métrobate, texte donné en postface à une réédition de son premier ouvrage.

Dans Métrobate, on peut lire cette phrase, prononcée par le précepteur : « J’habitais alors chez un vieux cordonnier. Il avait lu tout Aristote ». C’est tout. Peut-être le jeune Pons ne savait-il pas encore, lorsqu’il écrivit ces mots, qu’un de ses prochains romans s’intitulerait justement Le Cordonnier Aristote...

Du moraliste, grand maître de l’allégorie, au politique, il n’y a qu’un pas. Lui-même l’a relevé dans la préface qu’il écrivit pour Swift : « Il joue le jeu du voyage philosophique, et qui dit philosophique entend clairement politique ». Pons devait devenir un écrivain engagé. Mais que signifie ce mot ? Il s’en expliqua lors d’une réponse à un questionnaire que lui avait adressé un journal : « Mais oui, je crois encore, je crois beaucoup à la littérature engagée. L’expression ne me paraît pas très heureuse, car ce sont les écrivains qui sont engagés dans la littérature, ce sont eux qui s’engagent, par leurs livres, dans les options qu’ils ont prises, et éventuellement dans les causes qu’ils défendent, dans les actions qu’ils mènent (...). Car la conviction politique est une formidable motivation créatrice. Je pense aux admirables Lettres du drapier de Swift se battant pour l’émancipation de l’Irlande. (...) Ne jamais hésiter à se laisser porter par le souffle d’une motivation politique, quand elle s’impose d’une façon déterminante. Je l’ai fait moi-même pendant la guerre d’Algérie, quand j’ai pris parti, résolument, pour le FLN et pour l’aide au FLN, en écrivant Le Passager de la nuit, qui ne m’a pas valu que des amis ».* Si l’on ne peut que souscrire à cette déclaration, examinons le résultat. Le Passager de la nuit se déroule à travers des paysages réels. Il s’agit d’un voyage en voiture, de Paris au Jura. C’est son quatrième roman et Pons n’est pas encore entré dans sa période fantastique. Sa prose, si elle est toujours de la meilleure encre, ne s’embarrasse même pas, ici, d’un doigt d’évasion. La quasi-totalité de l’action se situe dans une automobile et reprend source et vigueur aux étapes indispensables au voyage (plein d’essence, restaurant, hôtel). Pons vise à l’efficacité militante. Dans la France d’alors, c’était nécessaire et courageux. C’est selon une construction romanesque traditionnelle que l’auteur expose – rapidement – la condition des Algériens en France, la guerre d’Algérie, la lutte quotidienne du FLN. Georges, le chauffeur de la voiture, pose les questions de Candide. On remarquera dans ce livre une incantation sensuelle à l’automobile et au voyage par route, incantation qu’on retrouvera (mais avec combien plus de métier) dans Mademoiselle B. et qu’on aura vue, entre temps, poussée jusqu’à la satire et aux limites du conte moral dans La Passion de Sébastien N. Sympathie impossible entre un membre du FLN et cet homme qui le conduit. On pourrait croire, à plusieurs reprises, qu’un voile va se déchirer, qu’entre ces deux êtres naîtra enfin un réel échange. Mais non. Même lorsque le passager mystérieux se laisse aller : « Cela vous intéresse peut-être, me demanda-t-il soudain, que je vous parle un peu des "fellaghas" ? » – même alors, les quelques souvenirs incohérents qu’il livre à son compagnon ne jettent entre eux aucun pont véritable. L’œuvre se termine sur un message codé que le narrateur est chargé de transmettre, sans y rien comprendre, évidemment. Curieux ouvrage de Pons, où cette Françoise que le narrateur a quittée et dont le souvenir lui revient régulièrement, sert de contrepoint à l’action et donne au conducteur un passé. Encore celui-ci se présente-t-il sous les traits d’une passion morte alors que le passager, lui, a une passion politique et sociale combien vivante, qu’il ressent intensément.

C’est dans le monde du théâtre que se situait l’action de La Mort d’Éros, qui fut le second roman de Maurice Pons. Ce texte, qui a une place dans l’espace et dans le temps – les lieux sont nommés et des dates données – demeure un chant d’amour pour le théâtre, même s’il prend parfois des allures de réglement de compte avec un milieu, un univers – jalousie entre comédiens, outrances du patron de la troupe et metteur en scène, caprices des vedettes, imprésario homosexuel, préséances hiérarchiques en fonction de la notoriété et de l’importance des rôles, tout y passe.

Hormis ses adaptations, Pons reste l’auteur d’une seule œuvre théâtrale, Chto !, pièce en deux actes qui se situe en Russie, dans la campagne, avant la Révolution. Le personnage principal, le Mage, officiellement marchand de tapis, possède un pouvoir magique dont il ne se sert que peu, dédaignant la puissance qu’il pourrait lui apporter pour mieux se consacrer à la chasse aux âmes, à une belle femme enceinte, à la ronde des saisons. Pons se situe là aux antipodes des recherches esthétisantes. Il demeure fidèle à son univers de merveilleux, d’étrange et de poésie. Moins noire que ses romans, cette pièce suppose pourtant, dès l’abord, l’abandon de toute raison. L’on sourit à sa lecture... jusqu’à la fin, jusqu’aux toutes dernières répliques où l’on prend conscience que le Mage, s’il a été floué comme le croient les autres personnages, est en réalité le seul à savoir ce qui va vraiment se passer. Pons use en orfèvre de la technique théâtrale.

Pons a publié un volume d’entretiens avec le psychiatre Cyrille Koupernik, La Psychiatrie à visage ouvert. Doit-on s’en étonner ? La psychiatrie n’est pas si éloignée de son univers littéraire, par certains côtés. Dans cet ouvrage remarquable par l’aisance de sa lecture, Pons pose les questions que le lecteur se pose, suggère les remarques et les étonnements du public. Bel exemple d’une vulgarisation réussie, cet ouvrage laisse une place importante à l’homme, dont on aura su deviner que sa destinée est pour l’auteur le souci le plus important, notamment dans le chapitre intitulé « Au bonheur des hommes ».

Il a signé, en collaboration avec André Barret, un ouvrage consacré au peintre flamand Patinir. Si le texte de Barret relève de l’analyse des toiles et de l’exégèse de l’œuvre, celui de Pons est une introduction littéraire : « Il (Patinir) aura inventé pour enrichir la terre ces rochers de cristal en forme de molaires, ces incisives de quartz, qu’il fera jaillir comme des cascades à l’envers et grimper à la rencontre du ciel ». Patinir (Bouvignes, vers 1480-Anvers, 1524) a modifié l’idée qu’on se faisait alors du paysage, créant de vastes vues plongeantes intégrées au tableau, lui-même fondé sur une série de plans successifs et ordonnés. C’était incontestablement un poète. Surtout, dans la gamme des couleurs qui furent les siennes, existe un bleu nouveau, que Pons n’hésite pas à décrire ainsi : « Ce n’est pas le bleu du saphir, ni le bleu de l’ardoise ; ce n’est pas le bleu de l’acier, ni celui de la glace vive ; ce n’est pas le bleu du noble iris, ni celui de la grêle mésange ; ce n’est pas le bleu tendre de l’œil de la truite, ni le bleu argenté du mélèze bleu ; ce n’est pas le bleu du ciel, ni le bleu de la nuit. C’est un bleu qui ne ressemble à aucun autre bleu, qui n’est ni de Paris, ni de Prusse et qui ne vient pas d’outre-mer. Ce n’est pas le bleu turquin, ni le bleu Nattier, ni le bleu de cobalt. C’est un bleu qui ne ressemble qu’à lui, et qu’il faudra bien appeler par son nom : c’est le bleu Patinir ». Dans l’œuvre de ce peintre, ami de Dürer, règne un climat que Pons devait avoir en mémoire lorsqu’il composa Les Saisons. Ses paysages pourraient servir, par endroits, de cadre à l’histoire malheureuse de Siméon. Il n’y a pas de secret, les écrivains ne s’intéressent qu’aux sujets qui les hantent. Leurs goûts, en matière de peinture, ne sont jamais gratuits. Il est donc logique de trouver, chez Pons, ce Patinir ou l’harmonie du monde, comme il est concevable d’y remarquer un volume traitant de psychiatrie.

Aujourd’hui, on réédite certains livres de Pons, parfois sous un autre titre, toujours avec quelques pages d’une préface de l’auteur, spécialement composée pour cette nouvelle parution. Dans sa première livraison, la revue Les Saisons lui a consacré un dossier. Il signe quelques articles dans Le Monde diplomatique... Nous espérons une œuvre nouvelle, bien qu’il paraisse très difficile d’aller plus loin dans l’imaginaire, l’onirique et le désespoir cousu d’espérance. Que donner après ces livres si forts que nous venons de présenter rapidement ? Pourtant, cet écrivain du diable nous réserve certainement d’autres surprises. D’autres aubades au fantastique, à la raison qui dérape et donne sa démission.

 

* Le Nouvel Observateur, spécial littérature, mai 1981.

mercredi, 05 octobre 2005

Octobre

Octobre, je ne le verrai pas. Octobre est resté à la campagne, dans la nature qu’il habille de ses collections d’automne. Ses écharpes de brume sont nouées au cou des collines, ses tailleurs de lainage roux habillent les vallées, ses corsages feuille-morte drapent les bustes splendides des coteaux. Son mascara souligne les horizons. Aujourd’hui, Paris-la-grise, comme dit la chanson. Paris comme je l’aime, un peu brumeuse, pas trop, sans pluie. Un camaïeu gris, trottoirs, toits de zinc, ciel fermé. Ce n’est pas Paris que je déteste, c’est la vie qu’on y mène. Octobre est resté à la campagne et le froid fait trembler les jambes des femmes sans amour.

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mardi, 04 octobre 2005

Précision

Je voudrais préciser une chose qui me paraît importante, compte tenu des commentaires recueillis par le billet intitulé Cinéma inexistant.

On ne trouvera pas ici de notes de lecture, de notes sur des films, des expositions, des disques, des concerts ou ce qu’on voudra. Du moins, en tant que telles. Si je suis amené à évoquer, voire à critiquer, même durement, une œuvre, ce sera toujours dans l’optique d’un débat bien plus élargi, toujours dans le cadre d’une problématisation – le terme n’est pas élégant, tant pis. Je l’ai déjà dit, dans l’autre blog comme ici, je ne suis pas journaliste, ne traite pas l’actualité (en tout cas pas systématiquement), ne suis inféodé à personne, ne suis pas salarié par la Blog & Co Inc. ni par la Rue Franklin, Ltd., ne fais pas partie d’un groupe de presse.

Mon point de vue demeure toujours personnel, sans prosélytisme, et dérive souvent vers les questions de création artistique en général, littéraire en particulier. Je ne suis pas feuilletonniste et ne donne pas mon avis, en attendant que les commentaires me renvoient celui des autres. Non que celui-ci ne m’intéresse pas – pourquoi tiendrais-je un blog, alors ? – mais parce que je voudrais plutôt inviter chacun à aller plus loin en ma compagnie, comme en celle des autres amis qui participent aux discussions. Aller plus loin.

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Cartouche neuve

Changer la cartouche d’un stylo, c’est comme ouvrir un cahier neuf. Un monde, et des désirs d’écrire. Et puis voilà : quoi ? Nous sommes des pieds avec des désirs de marche – mais quelle est la route ?

 

Marguerite de Servanches.

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lundi, 03 octobre 2005

Cinéma inexistant

J’ai perdu deux heures hier soir à voir le film d’Yves Angelo, Les Âmes grises. Il n’est pas dans mes habitudes de parler d’un film pour le descendre en flammes, mais là, il y a exagération. Il faudrait signaler à Angelo que le cinéma a une histoire et qu’il n’est pas interdit de la connaître, de réfléchir quelque peu sur son métier et de se situer soi-même dans une lignée, qu’on choisisse de la rejeter ou de s’y fondre.

Bref, je ne vais certainement pas raconter l’histoire, en premier lieu parce que je ne pense pas qu’une œuvre artistique doive nécessairement raconter une histoire – on reconnaîtra ici le vieux débat que je relance chaque fois que possible sur le roman – en second lieu, parce qu’il s’agit là d’un fait divers pur et simple, sans intérêt aucun et aussi creux qu’une carapace de crabe vidée de son contenu par une fourchette habile.

Il faut être honnête, la plupart du temps, on va voir ce genre de film pour les acteurs. La belle affaire ! Aura-t-on avancé lorsqu’on aura dit que, s’ils sont bons, ils ne peuvent donner une quelconque épaisseur à des personnages non pas archétypés mais carrément caricaturaux. Le procureur est procureur parce qu’on le voit une fois dans le prétoire, réclamant la tête de l’accusé (cliché insupportable du procureur). L’institutrice est institutrice parce qu’on la voit une fois dans une salle de classe (elle y est d’ailleurs autant à sa place que la lumière de l’intelligence dans la tête de feu Lecanuet. Angelo est-il déjà allé à l’école ? Son institutrice est-elle déjà entrée dans une classe, a-t-elle déjà vu des enfants ? La nullité de cette scène est difficile à dire). Le juge cynique, uniquement préoccupé par la nourriture, qui dévore des œufs mollets au-dessus du cadavre d’une fillette, écrase les petits et flagorne les puissants, est aussi crédible que l’honnêteté de Chirac. Bref, des personnages de bande dessinée – et je précise que je n’ai rien contre la bande dessinée, oh non, j’emploie ici l’expression pour ce qu’elle véhicule habituellement : l’outrance du cliché et de la simplification des caractères et des characters. Et je n’évoque que pour mémoire ce colonel chauve quasi muet dont le rôle consiste à fumer le cigare en gardant la tête penchée en permanence. Il est sûrement prévu dans le scénario qu’il soit effrayant, presque sadique ; il est grotesque, une marionnette inanimée.

L’action est censée se dérouler durant la Première Guerre mondiale, nous sommes en 1917 ou aux débuts de 1918. Ce qui n’a aucune importance d’ailleurs, car il ne suffit pas de dire : « C’est la guerre » pour que la guerre soit, ni de faire défiler des théories de figurants vêtus de bleu horizon, ni de faire entendre un canon de laboratoire pour que le spectateur croie au conflit armé mondial. Il ne suffit pas de dire à plusieurs reprises qu’on est dans l’Est, à peine séparé du front par un coteau, pour que ça marche. Ni de montrer des blessés, l’un défiguré et aveugle au visage recousu par un maquilleur, l’autre en sang, pour que cela fonctionne.

Les clichés continuent dans la prise de vues. Filmera-t-on encore longtemps les pieds d’un personnage qui avance pour le faire entrer dans le champ avant de remonter le long de son corps ? Filmera-t-on longtemps encore en un panoramique au ras du sol pour donner plus de force (?) à certaines images, par exemple à des excréments couverts de mouches ?

Quand on ne sait plus quoi faire d’un personnage,c’est bien connu, on le fait mourir. Le dernier des romanciers vous le dira. Alors, que fait-on ici du personnage du juge ? Diable, on le fait mourir, bien sûr. Mais on ne voit pas la scène, c’est le procureur qui raconte le fait, dans la plus pure tradition du théâtre classique (le messager qui annonce ce que la règle des trois unités ne permet pas de montrer) – à ceci près qu’au moment où elle survient, cette mort ne sert strictement à rien dans le cours du récit, elle est parfaitement gratuite. Sa seule justification serait à la rigueur de soulager le spectateur, supposé dégoûté par la veulerie du personnage. Sauf que le personnage ne peut pas être veule, puisqu’il est risible tant le trait est forcé.

Je passe sur les effets « téléphonés » comme la réaction du procureur face à l’institutrice lorsqu’il la voit pour la première fois et qu’elle lui rappelle son épouse disparue, comme la réaction du même procureur lorsqu’il prend conscience de la ressemblance de la petite Belle avec sa femme et avec l’institutrice, espèce de lignée équivoque tendue comme une perche au spectateur durant tout le film pour être enfin montrée par trois photos collées dans un cahier, à la fin.

Je passe sur le faux suspense, le coup de théâtre raté que constitue l’exécution du déserteur que l’on croit accusé à tort de meurtre alors qu’il est réellement coupable. Tout cela ferait rire si l’on ne s’ennuyait pas tant, si tout, dans ce film, n’était conventionnel à un point inacceptable. On veut bien jouer le jeu parfois, être bon public, pourquoi pas – il y a des limites à l’indécence.

Ce film aurait pu être tourné il y a cinquante ans avec Gabin et Michel Simon, par exemple. Il aurait été exactement le même. Je n’ai rien contre les films d’il y a cinquante ans, encore que l’âge ne puisse constituer un critère suffisant. Mais dans l’intervalle, il s’est passé des choses, on a tourné des films, on a cherché, il faudrait en tenir compte aujourd’hui. Les Âmes grises, tourné par Rappeneau, aurait au moins eu du rythme, bien que n’ayant pas d’intérêt. Là, Angelo nous sert une charlotte réchauffée, un peu avachie, insipide.

Pétition

Reçu de Belgique une pétition contre la directive Bolkestein.

http://www.stopbolkestein.org/index.cfm?Content_ID=1000

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