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lundi, 03 octobre 2005

Cinéma inexistant

J’ai perdu deux heures hier soir à voir le film d’Yves Angelo, Les Âmes grises. Il n’est pas dans mes habitudes de parler d’un film pour le descendre en flammes, mais là, il y a exagération. Il faudrait signaler à Angelo que le cinéma a une histoire et qu’il n’est pas interdit de la connaître, de réfléchir quelque peu sur son métier et de se situer soi-même dans une lignée, qu’on choisisse de la rejeter ou de s’y fondre.

Bref, je ne vais certainement pas raconter l’histoire, en premier lieu parce que je ne pense pas qu’une œuvre artistique doive nécessairement raconter une histoire – on reconnaîtra ici le vieux débat que je relance chaque fois que possible sur le roman – en second lieu, parce qu’il s’agit là d’un fait divers pur et simple, sans intérêt aucun et aussi creux qu’une carapace de crabe vidée de son contenu par une fourchette habile.

Il faut être honnête, la plupart du temps, on va voir ce genre de film pour les acteurs. La belle affaire ! Aura-t-on avancé lorsqu’on aura dit que, s’ils sont bons, ils ne peuvent donner une quelconque épaisseur à des personnages non pas archétypés mais carrément caricaturaux. Le procureur est procureur parce qu’on le voit une fois dans le prétoire, réclamant la tête de l’accusé (cliché insupportable du procureur). L’institutrice est institutrice parce qu’on la voit une fois dans une salle de classe (elle y est d’ailleurs autant à sa place que la lumière de l’intelligence dans la tête de feu Lecanuet. Angelo est-il déjà allé à l’école ? Son institutrice est-elle déjà entrée dans une classe, a-t-elle déjà vu des enfants ? La nullité de cette scène est difficile à dire). Le juge cynique, uniquement préoccupé par la nourriture, qui dévore des œufs mollets au-dessus du cadavre d’une fillette, écrase les petits et flagorne les puissants, est aussi crédible que l’honnêteté de Chirac. Bref, des personnages de bande dessinée – et je précise que je n’ai rien contre la bande dessinée, oh non, j’emploie ici l’expression pour ce qu’elle véhicule habituellement : l’outrance du cliché et de la simplification des caractères et des characters. Et je n’évoque que pour mémoire ce colonel chauve quasi muet dont le rôle consiste à fumer le cigare en gardant la tête penchée en permanence. Il est sûrement prévu dans le scénario qu’il soit effrayant, presque sadique ; il est grotesque, une marionnette inanimée.

L’action est censée se dérouler durant la Première Guerre mondiale, nous sommes en 1917 ou aux débuts de 1918. Ce qui n’a aucune importance d’ailleurs, car il ne suffit pas de dire : « C’est la guerre » pour que la guerre soit, ni de faire défiler des théories de figurants vêtus de bleu horizon, ni de faire entendre un canon de laboratoire pour que le spectateur croie au conflit armé mondial. Il ne suffit pas de dire à plusieurs reprises qu’on est dans l’Est, à peine séparé du front par un coteau, pour que ça marche. Ni de montrer des blessés, l’un défiguré et aveugle au visage recousu par un maquilleur, l’autre en sang, pour que cela fonctionne.

Les clichés continuent dans la prise de vues. Filmera-t-on encore longtemps les pieds d’un personnage qui avance pour le faire entrer dans le champ avant de remonter le long de son corps ? Filmera-t-on longtemps encore en un panoramique au ras du sol pour donner plus de force (?) à certaines images, par exemple à des excréments couverts de mouches ?

Quand on ne sait plus quoi faire d’un personnage,c’est bien connu, on le fait mourir. Le dernier des romanciers vous le dira. Alors, que fait-on ici du personnage du juge ? Diable, on le fait mourir, bien sûr. Mais on ne voit pas la scène, c’est le procureur qui raconte le fait, dans la plus pure tradition du théâtre classique (le messager qui annonce ce que la règle des trois unités ne permet pas de montrer) – à ceci près qu’au moment où elle survient, cette mort ne sert strictement à rien dans le cours du récit, elle est parfaitement gratuite. Sa seule justification serait à la rigueur de soulager le spectateur, supposé dégoûté par la veulerie du personnage. Sauf que le personnage ne peut pas être veule, puisqu’il est risible tant le trait est forcé.

Je passe sur les effets « téléphonés » comme la réaction du procureur face à l’institutrice lorsqu’il la voit pour la première fois et qu’elle lui rappelle son épouse disparue, comme la réaction du même procureur lorsqu’il prend conscience de la ressemblance de la petite Belle avec sa femme et avec l’institutrice, espèce de lignée équivoque tendue comme une perche au spectateur durant tout le film pour être enfin montrée par trois photos collées dans un cahier, à la fin.

Je passe sur le faux suspense, le coup de théâtre raté que constitue l’exécution du déserteur que l’on croit accusé à tort de meurtre alors qu’il est réellement coupable. Tout cela ferait rire si l’on ne s’ennuyait pas tant, si tout, dans ce film, n’était conventionnel à un point inacceptable. On veut bien jouer le jeu parfois, être bon public, pourquoi pas – il y a des limites à l’indécence.

Ce film aurait pu être tourné il y a cinquante ans avec Gabin et Michel Simon, par exemple. Il aurait été exactement le même. Je n’ai rien contre les films d’il y a cinquante ans, encore que l’âge ne puisse constituer un critère suffisant. Mais dans l’intervalle, il s’est passé des choses, on a tourné des films, on a cherché, il faudrait en tenir compte aujourd’hui. Les Âmes grises, tourné par Rappeneau, aurait au moins eu du rythme, bien que n’ayant pas d’intérêt. Là, Angelo nous sert une charlotte réchauffée, un peu avachie, insipide.

Commentaires

Amusant de lire en parallèle la critique suivante, trouvée sur le site de France 2:

http://cultureetloisirs.france2.fr/cinema/critiques/14226460-fr.php


N'ayant pas vu le film, je ne prendrai pas position. On est toutefois étonné de voir comment une même oeuvre peut susciter des réactions aussi différentes. A moins que cela ne soit un signe de la liberté d'expression des blogs et de l'asservissement de la critique officielle aux lois du marché.

Écrit par : Feuilly | lundi, 03 octobre 2005

Je n'ai pas vu ce film. Sage adaptation, dit Télérama dans sa critique de la semaine dernière. "Un long dimanche de fiançailles" de Jean-Pierre Jeunet, une adaptation d'un roman de Japrisot, située pendant la première guerre mondiale, ne semblait pas très audacieux également. Curieux comme les films historiques souffrent de pesanteur.

« Si l'enfer existe, il faut bien qu'il serve... », dit Marielle. A recevoir les mauvais films ?

Écrit par : Sébastien | lundi, 03 octobre 2005

Feuilly : je lis la critique dont tu donnes le lien. C'est à mourir de rire, vraiment ! Ce n'est pas possible de présenter ainsi ce qui n'est pour moi qu'une pitrerie mal réalisée. Si je démolissais trois films par semaine, vous pourriez croire, tous, que j'exagère, que j'en rajoute. Mais là, c'est vraiment la première fois, je ne suis pas coutumier du fait.

Sébastien : je me disais justement hier soir que, dans l'ensemble, on "marche" quand on voit un film situé durant la Seconde Guerre mondiale, jamais lorsqu'il s'agit de la Première. Pourquoi ? Je n'ai pas la réponse, c'est une chose curieuse.

Marielle prononce effectivement cette phrase, vers la fin du film. C'est évidemment un mot d'auteur, qui détonne d'autant plus qu'il n'y en a pas le reste du temps. Parfaitement gratuit, en l'occurrence. Bien que ce soit une formule brillante, elle tombe comme un cheveu sur la soupe.

Non, franchement, ce film est un fait divers mal fichu. Les acteurs sont bons, certes, mais on le savait déjà et le jeu des comédiens ne suffit pas à faire un film. J'observe que la critique indiquée par Feuilly insiste sur le jeu en question, comme s'il n'y avait que ça à relever. C'est assez dire que la critique de cinéma, lorsqu'elle reste journalistique, se comporte comme la critique littéraire : du feuilleton.

Peut-être Ludovic voudra-t-il se manifester sur la question ?

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 03 octobre 2005

Quid du roman de Claudel ?

Je l'ai dans ma bibliothèque mais ne l'ai pas encore lu. Aussi ai-je parcouru votre critique en diagonale.
(Avis à Layani critique de cinéma: faut pas donner trop de détails Jacques, ou alors prévenez avant de dévoiler des "punchs" !)

Le livre de Claudel est devenu pour moi victime du trop plein - choix des libraires, choix des critiques, Prix Renaudot, après un moment, j'avais l'impression de l'avoir lu sans l'avoir lu. J'ai lu quelques bons papiers de Claudel dans Le Monde 2, mais ne connaît pas encore le romancier.

Un peu comme Le parfum de Patrick Suskind il y a longtemps, que j'ai fini par lire dix ans après sa parution !

Écrit par : Benoit | lundi, 03 octobre 2005

Je ne connais pas le livre. Précisément, je me demande ce qui peut pousser un auteur à traiter un tel sujet en 2005 (ou en 2000 et quelques, je ne sais plus). C'est invraisemblable.

Dans cette vie, en ce monde, à ce moment, il n'est rien d'autre à dire que développer un fait divers inconsistant dans le cadre de la guerre de 1914 ? C'est invraisembable. Rien de plus urgent, de plus brûlant, de plus nécessaire, de plus utile, de plus vif, de plus vivace, de plus sanglant, de plus intérieur, de plus motivant, de plus engageant, de plus personnel, de plus intime, de plus important, de plus grave, de plus incandescent ?

Et, comme par hasard, le roman en question, totalement inutile, est primé, re-primé, ultra-primé. Tiens donc.

Vous ne serez pas d'accord, je pense. Mais c'est exactement cela que je reproche au roman, à l'édition d'aujourd'hui, aux auteurs de ce temps. Ils sont parfaitement, et collectivement, inutiles et irresponsables. Je ne voulais parler que du film afin de ne pas passer pour un obsédé de la place du roman et de l'utilité de l'artiste. Las, vous m'y avez engagé.

A quoi peut bien servir ce livre ? A quoi peut bien servir ce film ? Nous disent-ils des choses éternelles, de celles dans lesquelles l'humanité saura reconnaître le terreau fertile (cliché, pardon) de l'existence ? Nous font-ils entrevoir des bouts d'ombre d'esquisses d'idées de soupçons de solution ? Offrent-ils ouvert le coeur de leurs auteurs ? Disent-ils la vérité profonde d'artistes authentiques ? A contrario, traitent-ils ces mêmes éternels problèmes par la dérision, le comique intelligent, la satire grinçante en attendant d'être grondante ?

Que nenni.

Je ne me veux pas critique de cinéma. J'en serais bien incapable : pas assez de culture cinématographique. Je donne simplement ici le point de vue d'un spectateur qui ne va pas au cinéma pour manger du pop-corn, mais pour prendre connaissance d'une oeuvre que son auteur lui fait l'honneur de lui proposer. Car je suis très respectueux des artistes et toujours attentif à ce qu'ils me disent. Faut-il cependant qu'ils me disent quelque chose.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 03 octobre 2005

Ces romans qui renouent avec une page de l'histoire nationale (même si ici la guerre 14 n'est pas traitée en elle-même mais est plutôt un décor) plaisent souvent car ils permettent de caresser le lecteur dans le sens du poil. On fait appel à une sorte d'inconscient collectif et on ne prend aucun risque puisqu'on parle d'hier ou d'avant-hier. Point n'est besoin d'évoquer la situation actuelle, ni de plonger dans le gouffre de la conscience individuelle pour mettre au jour quelque mal être. Mieux vaut ronronner sur un passé qui fait consensus (ce qui permet quelques odelettes qui seront ensuite récompensées par quelque prix) que de donner un coup de poing dans l'estomac (pour reprendre l'expression de qui vous savez).

Écrit par : Feuilly | mardi, 04 octobre 2005

Voilà, c'est exactement ce que je reproche à ces livres et à ces films. Et l'on n'en finit pas de rebondir sur le débat de l'utilité de l'artiste et de sa place dans la cité, depuis le printemps dernier où j'avais mis le bazar, volontairement car j'étais indigné, sur le forum de Joseph.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 octobre 2005

Je suis absolument d'accord avec vous Jacques, ce film ne dit rien que l'on ne sache déjà, ne provoque rien tant son "vouloir dire" est insistant, et il est vraiment en cela l'héritier des pires moments de la "qualité française" avec ses mots d'auteurs qu'on imagine écrits pour labande-annonce, ses plans léchés quelue soit le motif représenté et sa caution historique grotesque tant effectivement on n'y croit pas alors que tout est souligné pour qu'on (mais qui est donc ce on à qui s'adresse Angelo) y croit.
Sans grand espoir, vu le passif d'Angelo, je suis allé voir ce film pour Podalydès que j'avais trouvé étonnant dans "Liberté-Oléron".
c'est le genre de film à vous faire aimer Assayas ou desplechin, c'est scandaleux.

Écrit par : Ludovic | mardi, 04 octobre 2005

Je trouve cette phrase qui dit tout dans un entretien avec le réalisateur :

"Est-ce que le film ne vient pas compléter le livre ?

Yves Angelo : Oui, peut-être. Au sens où il compléterait l’ambiguïté des personnages. "

Compléter l'ambiguïté. Voilà le projet de ce cinéma-là, qu'il ne reste plus d'ombre (ou de lumière).

Écrit par : Ludovic | mardi, 04 octobre 2005

Bon, eh bien, voilà une exécution en règle de la part de Ludovic dont j'attendais l'avis avec impatience. En trois fois moins de lignes que moi, il a dit tout ce qu'est ce film.

Je repose la même question : "mais qui est donc ce on à qui s'adresse Angelo" ? Il est intéressant de se demander, effectivement, quelle idée il se fait du public.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 octobre 2005

Nos commentaires se sont croisés. Ludovic a raison, cette réponse du réalisateur est terrifiante.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 octobre 2005

Je n'ai pas lu le livre, je n'ai pas vu le film. D'aucun dirait probablement que je devrais me taire, mais qu'importe !
J'héiste à vous dire, Dominique, que vous dvriez effectivement avertir avant de dévoiler certains éléments de l'intrigue, surtout la fin, apparemment ; mais vous semblez tellement remonté contre ce long-métrage que vous espérez sûrement que nul n'ira le voir après avoir lu votre critique ! Toutefois, les réactions virulentes m'incitent parfois à voir un film pour me faire mon idée propre, et l'on perd un peu d'objectivité et de plaisir potentiel si l'on connaît une fin qui se voulait sûrement inattendue.
Peut-on écrire toutes sortes de livres à toute époque ? Que vet dire Claudel ? A lire votre critique et celle indiquée par Feuilly - que je salue au passage - et malgré leur dissemblance, on peut sentir ("on" ?) des intentions ; la justice face aux puissants ? la guerre comme symbole de notre mortalité et l'effet de celle-ci sur notre jugement ? Non, je ne vais pas faire une liste exhaustive, mais j'essaie, sans rien connaître des deux oeuvres, de deviner des desseins. En tout cas, les éléments que vous donnez ne laissent pas immédiatement penser que ce livre est inutile, si ce qualificatif est admissible pour un livre.
Je suis un peu dérouté par l'allusions aux films vieux de cinquante ans ; dites-moi, vous ne sous-entendez pas que ces films-là sont dénués d'intérêts, mal faits ou impossibles à regarder aujourd'hui ? Je ne pense pas que ce soit ce que vous vouliez dire, mais il me semble que votre propos manquait de lisibilité.
Enfin, les films sur la première guerre mondiale peuvent nous séduire encore aujourd'hui. la chambre des officiers ne me paraît pas aussi dénué de relief que ceux qui ont été cités ici, Le sentiers de la gloire, quoique vieilli, reste très regardable, pour ne rien dire de La grande illusion - mais il est vrai que ça manque d'actualité. La vie et rien d'autre ?

(ne voyez pas là une volonté systématique de contredire, mais juste de quoi tempérer un peu le propos.)

Écrit par : Tanguy | mardi, 04 octobre 2005

Bonjour Tanguy,

Je suppose que c'est à moi que vous adressez, pas à Dominique qui, du reste, ne s'est pas exprimé ici ?

Mon propos n'est pas de faire une critique de film, je ne suis pas journaliste. Je dis le point de vue d'un spectateur, donc je cite des épisodes pour illustrer mon propos. Je ne cherche pas à faire que les participants au blog n'aillent pas voir le film, pas du tout.

Pour ce qui est de la notion de livre "utile", je renvoie aux notes (et aux commentaires qui s'y rapportent) intitulées "Faites sortir la rentrée", "Le roman et l'écriture", "De la biographie".

Pour ce qui est de l'allusion aux films d'il y a cinquante ans, je conviens sans problème que ma phrase est fichtrement mal tournée. Mal bâtie. Bien entendu, je ne veux pas dire que ces oeuvres sont sans intérêt et l'on peut naturellement continuer à les regarder. Il le faut, même : c'est une culture, une histoire. Je voulais simplement dire ici qu'on ne peut pas faire aujourd'hui le même cinéma qu'il y a un demi-siècle, ce n'est pas possible. Ludovic l'a dit mieux que moi.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 octobre 2005

Effectivment, dans ma hâte et venant du blogue de Dominique, je vous ai rebaptisé, Jacques. je vous prie tous les deux de m'en excuser.
A mon sens, ce que vous faites est une critique du film, et vous avez parfaitement le droit d'en faire une. Que l'on donne plus de pertinence à certains parce qu'ils en ont fait leur métier et qu'ils ont un bagage leur autorisant cette prétention, cela n'empêche pas chaque spectateur de dire ce qu'il pense et de se livrer à la critique, fût-elle aisée quand l'art, lui...
Est-ce que seul un critique gastronomique a le droit de dire si ce qu'il mange est bon et pourquoi il le trouve bon ? Je ne pense pas. Il en va de même pour le cinéma, le livre ou tout autre production criticable. On a beau dire que l'on ne discute pas des goûts et des couleurs, il y a quand même une part de cela dans la critique. Au-delà des appréciations formelles, des jugements sur une filiation artistique ou de quelques données évidentes, tout spectateur peut dire ce qu'il pense d'un film et pourquoi il le pense. S'il est de bonne foi, son jugement, sa critique, n'est pas moins acceptable qu'une autre. L'éternel débat sur "fait-on un film pour le public ou pour les professionnels ou pour la critique ou pour la postérité ou pour l'art lui-même ?", dans lequel on peut remplacer "film" par beaucoup d'autres choses, ne sera - donc - jamais clos, mais si un spectateur ne s'y retrouve pas, il est toujours en droit de le dire. Là.
Donc, non seulement vous avez fait une critique du film, mais en plus, vous n'incitez pas les gens à aller voir le film. C'est là aussi votre droit, si je n'aime pas un film, je n'ai pas envie que des amis, des connaissances ou des gens sympathiques aillent perdre du temps et de l'argent quand il y a tant d'autres choses qui peuvent utilement (...) retenir notre attention. Si votre intention n'était pas spécifiquement de détourner les gens des "âmes grises", et je vous accorde que vous n'avez pas brandi de pancarte proclamant "n'y allez pas !", votre critique ne donne pas tellement envie de se poser la question...

Écrit par : Tanguy | mardi, 04 octobre 2005

En effet Jacques, l'on n'est pas d'accord sur une (grande ?) partie du fond : l'absolue nécessité de faire un art "utile", ici maintenant, immédiatement.
L'art qui ne fonctionne qu'au coup de poing, ça manque un de variété.

Il ne faut pas oublier que l'amour de l'art est provoqué par des sources fort différentes, et qu'elle a DES "utilités" différentes, ouvrant sur une compréhension de mondes se rejoignant. Raconter une histoire à un enfant de 4 ans et le laisser en suspens jusqu'au lendemain pour la suite, c'est le faire entrer dans le pur plaisir du récit, plaisir que l'on est pas forcé d'abandonner avec l'enfance.

Revenir en 1916 pour me raconter une histoire d'alors qui résonne encore aujourd'hui, si c'est réussi, qu'y aurait-il à redire là-dessus?

Et puis, avouez, il y a des jours ou le recours à l'art est d'abord un réconfort.

Les bleus à l'âme (pour reprendre un beau titre de Sagan) font que parfois, une mélodie qui caresse et apaise, un film un peu simplet mais bien raconté et drôle, ou pas simplet du tout mais juste drôle (un bon Howard Hawks ou La traversée de Paris ou je sais pas moi - mettez-y le titre qui vous convient) réconforte et aide à vivre. C'est ausi noble que la lutte contre l'opression. L'art majeur a besoin d'art mineur. Sinon, tout s'équivaut.
Et art mineur, c'est vite dit...
Citizen Kane, OK c'est un chef-d'oeuvre. Mais à tout prendre, ai-je envie de revoir A Night At The Opera des Marx Bros. ou Citizen Kane ? Un chef-d'oeuvre comique comme celui-là, c'est une pièce de musée ? OK mais pourquoi est-ce encore drôle ? Pas à cause d'un message ou d'une utilité revendiquée par Groucho, je vous en passe un papier !

Si je vais voir l'expo Miro (comme l'an dernier à Paris) et que je reste ébloui pendant 15 minutes devant un grand moment bleu, plaisir pur de la couleur, je ne vais pas analyser l'utilité du moment ou de la toile, je m'emplis de bleu et en tire un plaisir intense et je réfute toute théorie ou principe qui me ferait juger ce plaisir esthétique intense, venu de l'art, comme étant inutile.
Enfin quoi Jacques, vous n'allez pas me parler de réalisme socialiste comme étant le seul art valable ?

Si j'ai bien compris la phrase du journaliste questionnant Angelo, il suggère que l'ambiguïté des personnages de Claudel aurait disparue dans l'adaptation qu'il en a faite ? Alors, le film serait effectivement comme vous le décrivez Jacques, une suite d'exposition de personnages en blanc ou noir - ce qui serait tout de même un comble pour un roman/film qui s'intitule Les âmes grises... Je réserve donc mes dollars pour autre chose et me contenterai de lire le livre, qui semble avoir quelques autres mérites.
Vous voyez, quoi que vous en pensiez, vous voilà critique et prescripteur !

Écrit par : Benoit | mardi, 04 octobre 2005

Décidément, je ne parviens pas à me faire comprendre. C’est sans doute de ma faute.

Qui parle de coup de poing ? L’utilité de l’artiste n’a rien à voir avec le coup de poing, en tout cas pas forcément. Pas chaque fois. La douceur aussi est utile. Raconter des histoires ? Mais j’ai raconté des milliers d’histoires à mes filles ! Simplement, au pur plaisir du récit – et de la mise en scène car je les théâtralisais souvent – se joignait quelque chose EN PLUS, que je nomme l’utilité, partant du principe qu’une leçon n’est jamais perdue, ainsi que le disait le père de Pagnol, hussard noir de la IIIe République. Mon côté enseignant qu’on me reproche si souvent, sans doute…

En écrivant ceci : « Revenir en 1916 pour me raconter une histoire d’alors qui résonne encore aujourd’hui, si c’est réussi, qu’y aurait-il à redire là-dessus? », vous répondez à la question que vous posez. « Si c’est réussi », eh oui, c’est toute la question. Si c’est réussi, c’est utile. Nous disons la même chose avec des mots différents. Les Âmes grises, ce n’est pas réussi parce que ça ne pouvait pas réussir. Et ça ne pouvait pas réussir parce que les choix artistiques, l’intention même, étaient dépassés, sans relief, usés, morts d’avance, crevés, rouillés, détruits, désossés, putréfiés, glacés.

En écrivant ceci : « Je ne vais pas analyser l’utilité du moment ou de la toile, je m’emplis de bleu et en tire un plaisir intense », vous dites en d’autres termes ce que je pense. S’il y a plaisir, il y a émotion et une émotion est utile puisqu’il n’est pas de différence fondamentale entre émotion et réflexion – pourvu qu’on ne s’arrête pas à la notion esthétisante.

Enfin, et surtout, surtout, ne parlons pas, voyons, de réalisme socialiste ! Je pense que vous le savez bien, allons, ce n’est pas ce que je veux dire ! C’est exactement les mots qui avaient été prononcés et ce qu’on m’avait déjà reproché dans cette bagarre que j’avais soulevée chez Vebret, au printemps. Vous n’êtes pas au courant et il n’en reste rien, c’est fini, tout ça, mais quelle bagarre de plusieurs jours (semaines ?) ! Evidemment non, pas de réalisme socialiste. Le mot « utile » n’a pas de connotation péjorative, quand même. Je veux dire, le répèterai-je jamais assez, que l’artiste au sens large a une place dans la cité. Cette place est à la fois morale, philosophique, sociale, esthétique et politique (du grec politei qui signifie, du moins à l’origine, art de gouverner la cité).

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 octobre 2005

Je n'ai pas résisté au plaisir (utile donc ;o) de vous provoquer avec le réalisme socialiste.

Comme souvent, je pense qu'on est d'accord à, ô disons, 90 %.

Si c’est réussi, c’est utile, dites-vous. Il y a quelque chose dans cette formulation qui n'emporte mon adhésion, mais je ne réussis pas, pour le moment, à mettre le doigt dessus. J'y reviendrai.

Amicalement,
Benoit.

P.S.: le coup de poing venait de Feuilly, via.... Ferré ?

Écrit par : Benoit | mardi, 04 octobre 2005

Ah, c'est vrai, je n'avais pas réalisé qu'avec ce coup de poing, vous repreniez la phrase de Feuilly de ce matin. Il faut dire que je réponds dans l'ensemble à 95 % des commentaires et que je finis par m'y perdre. Cela dit, je pense que Feuilly faisait plutôt allusion à Gracq, "La littérature à l'estomac". Il me semble.

Je n'ai pas répondu directement à Tanguy, qu'il veuille bien m'en excuser, mais c'est après son intervention que j'ai fait la note intitulée "Précision".

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 04 octobre 2005

Feuilly faisait plutôt allusion à Gracq, "La littérature à l'estomac". Il me semble.


Oui, c'est bien cela, tout à fait. On ne parle pas ici de littérature réaliste socialiste mais d’œuvres percutantes qui nous touchent vraiment (comme votre bleu chez Miro).
L'art a toutes les libertés. Il n'est donc pas obligé de focaliser son attention sur la situation sociale du moment (mais il le peut aussi). S'il parle de l'homme, de son moi intérieur (pas au sens nombriliste), de sa difficulté à assumer sa condition d'homme, c'est parfait. Quand je referme un livre de Dostoïevski, j'ai toujours cette impression d'avoir été interpellé au plus profond. La violence n'est ni dans le sujet ni dans le récit raconté ni dans la forme mais bien dans l'impression que laisse l’œuvre une fois le livre refermé.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 05 octobre 2005

Jacques (cette fois, j'ai fait attention !), mes commentaires sur votre note, pensais-je, tentaient d'aller dans le même sens que vous : non pas une analyse approfondie d'un film que je n'ai toujours pas vu et, que vous le vouliez ou non, que vous ne me donnez pas envie de voir, mais plutôt la poursuite de cette réflexion sur l'art en général, avec de belles gloses sur l'utilité, la vacuité, le fond et la forme. J'essayai de rebondir sur vos impressions de visionnage (c'est moche, tiens) pour une analyse plus large, mais en reprenant vos exemples. Je pense que nous sommes tous d'accord sur le fait qu'l y a des oeuvres qui n'ont pas d'autre utilité que le plaisir qu'elle peuvent nous procurer, ce qui n'est déjà pas si mal. Ce plaisir étant purement subjectif, il échappe à toute critique, c'est d'ailleurs pourquoi le moindre commentaire sur le rap* déclenche les foudres des amateurs qui ne comprennent pas qu'en refusant cette musique, ce n'est pas forcément son contenu que l'on rejette - ce contenu dont on nous dit qu'il n'est pas toujours fait de violence et de haine - mais que l'on peut tout simplement ne pas ressentir la moindre émotion, le moindre plaisir en écoutant cette forme d'expression.
De même, dans "Les âmes grises", peut-être, j'insiste sur le peut-être, que certains peuvent ressentir un certain plaisir - ou confort, ou facilité - en voyant des films qui font l'impasse sur les cinquante dernières années de création cinématographique. Après tout, comme disait feue ma grand-mère, chacun son sale goût. Visiblement, vous ne faites pas partie de ceux-là, et je dois dire bien reconnaître que moi non plus.
Vous semblez piqué par mes réponses, comme si je voulais vous reprocher d'avoir osé donné votre avis sur un film. Dieu m'en garde ! Non seulement vous en avez parfaitement le droit - après tout, vous êtes ici chez vous, non ? - mais en plus je le voyais effectivement comme une ouverture sur une vision plus large. L'ai-je mal tourné ? Mon commentaire se voulait de cette veine-là. Mais pour discuter, il faut bien pousser un peu l'autre dans ses retranchements, comme doivent le savoir les quelques poilus qui nous restent.


*voir la note sur LSP qui provoqua des réponses en pagaille...

Écrit par : Tanguy | mercredi, 05 octobre 2005

Non non, je ne suis pas piqué, Tanguy. J'avais bien compris votre intention. Votre commentaire, cependant, m'a donné l'idée d'écrire "Précision" pour l'avenir et pour l'ensemble du public de ce blog.

Elle n'était pas mal, votre grand-mère, dites. "Chacun son sale goût", ça me plaît bien, ça, oui.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 05 octobre 2005

Usez-en ! Elle n'avait pas pris de copyright.

Écrit par : Tanguy | mercredi, 05 octobre 2005

Voila un des rares films que je pensais aller voir ces derniers temps. J'en ai surtout entendu dire du bien, et comme j'habite près de l'endroit ou on été tournées certaines scènes, on nous en a pas mal rebattu les oreilles ces derniers temps.
Mais à vous lire, je crois que je vais m'abstenir...

Écrit par : Jul | dimanche, 09 octobre 2005

Tiens, voilà Jul. Que deveniez-vous ?

Allons, faites comme vous voudrez, si ça vous tente, allez-y. Une fois encore, je ne fais pas de prosélytisme. Cette note n'engage que moi.

Écrit par : Jacques Layani | dimanche, 09 octobre 2005

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