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mercredi, 20 juin 2007

On ne lit que deux fois

J’ai repiqué à la chose et, pour la première fois depuis quarante ans, entrepris de relire intégralement les romans de Ian Fleming. Sans doute suis-je influencé en cela par Le Monde qui, depuis quelques semaines, propose les films des aventures de Bond en DVD avec sa livraison du week end. Je pense que je ne les lirai pas une troisième fois dans quarante autres années car je ne serai plus là. On ne lit que deux fois.

J’inaugure aujourd’hui une série de notes consacrées au sujet, notes que je classe dans la catégorie « Cour de récréation  » comme je l’avais fait des billets datés 17, 22 et 23 janvier 2007, lorsque j’avais appris qu’on parlait de Bond, maintenant, dans un colloque international intitulé Histoire culturelle et enjeux esthétiques d’une saga populaire.

Les romans sont disponibles dans la collection « Bouquins », chez Laffont, en deux volumes représentant un total de près de mille huit-cents pages (typographie minuscule, première édition en 1986, nouvelle édition en 2003 sous une autre couverture). Il s’agit des traductions originales (mais il faut noter que Casino Royale a par ailleurs été réédité récemment, chez Bragelonne, dans une traduction nouvelle signée Pierre Pevel, avec une intelligente préface de quelques feuillets, intitulée « Une autre époque »). Traductions originales, pas exactement. Il s’agit au vrai de celles publiées par Plon dans les années 60, textes qui font référence (il avait en effet existé une médiocre traduction de Casino Royale publiée préalablement en 1960 par Jean Messin sous le titre Espions, faites vos jeux, dans la collection « Inter-Espions »).

Chez « Bouquins », l’intégrale des aventures de Bond est présentée par Francis Lacassin, spécialiste des littératures populaires. C’est une longue introduction de plusieurs dizaines de pages, une introduction très juste et bien faite, intelligente et lucide mais, malheureusement, très mal rédigée. Lacassin écrit vraiment comme un pied.

Je relis donc toutes les missions dans l’ordre chronologique, ce qui est absolument indispensable si l’on désire étudier la manière de l’auteur et goûter pleinement le principe, que j’aime tant, des personnages récurrents. Ces personnages portent souvent les stigmates d’aventures précédentes : en cela, la récurrence est mieux appréciée dans le cadre chronologique. Ainsi, si Félix Leiter apparaît avec une main et une jambe en moins dans Les Diamants sont éternels, par exemple, c’est qu’il porte à jamais les infirmités dues au requin de Vivre et laisser mourir. Il vaut mieux lire dans l’ordre, vraiment.

En revanche, on sent fort bien les différences de traduction. Par exemple, Les Diamants sont éternels est traduit avec un brin de vulgarité par France-Marie Watkins. Il s’agit sans doute d’une conséquence de l’esprit « Série noire » puisque c’est dans cette collection que le roman parut initialement, avec un titre bien dans l’esprit de cette série, Chauds les glaçons ! J’ai relevé des fautes de langue absentes des livres précédents, quelques complaisances très répétitives dans l’argot (« comprendre la coupure », « j’ai compris la coupure » : cette expression qui ne doit plus avoir cours, je pense, signifiait dans les années 50 « comprendre ce qui se dissimule », « piger ce qui se passe », « piger ce qui n’est pas expressément signifié », « comprendre la combine ». On pouvait trouver des équivalents, plutôt que de répéter la formule). À l’opposé, Vivre et laisser mourir propose la traduction très sensible, élégante, de Françoise Thirion.

On doit savoir, j’imagine, que le personnage de Fleming n’a qu’un très lointain rapport avec le Superman indestructible que nous montre l’écran depuis James Bond contre Docteur No et singulièrement depuis Goldfinger et Opération Tonnerre. Le Bond du livre est un homme, rien qu’un homme. Il souffre, il encaisse, il saigne, il est sonné, il s’évanouit, il est anxieux, il a peur, il vomit, il transpire, il aime, il a des chagrins d’amour. C’est un agent secret, c’est-à-dire un fonctionnaire qui travaille dans un bureau et n’effectue que deux à trois missions par an. Il étudie des dossiers, fait de la paperasse, rédige des rapports, déjeune à la cantine et compte le nombre de missions qu’il devra encore effectuer avant d’être radié du corps double zéro. Il pense régulièrement au mariage tout en se demandant s’il est vraiment disponible pour cela et, s’il connaît des bonnes fortunes féminines, il arrive qu’il soit amoureux d’une femme et que rien ne se passe ; ainsi, Gala Brand dans Entourloupe dans l’azimut (encore un titre façon « Série noire » pour ce qui s’intitulait Moonraker) le laisse-t-elle là, à la fin du roman, pour s’en aller avec son fiancé quand il espérait l’emmener passer des vacances en France. Il est trahi parfois (Vesper Lynd est malgré elle un agent double, elle se suicide alors qu’il pense à l’épouser, à la fin de Casino Royale). Cependant, ses liaisons sont quelquefois accomplies (celle avec Solitaire dans Vivre et laisser mourir), mais ce n’est pas une règle.

Commentaires

Super billet qui m'apprend encore plein de choses.
Jacques, il faut voir Casino Royale, le film de 2006, et constater un rapprochement notable du personnage de l'écran avec le héros des romans de Fleming. "Il souffre, il encaisse, il saigne, il est sonné, il s’évanouit, il est anxieux, il a peur, il vomit, il transpire, il aime, il a des chagrins d’amour" : c'est tout à fait ça ! Le Bond qu'incarnait George Lazenby dans "Au service secret de sa majesté" (1969) n'en était pas loin non plus.

Écrit par : Richard | mercredi, 20 juin 2007

Je les ai vus, ces deux-là, oui, oui. Effectivement, il y a retour aux sources avec Casino Royale. Le film avec Lazenby était bon, sauf que je n'ai jamais pu croire à Savalas dans le rôle de Blofeld : il ne paraît pas assez monstrueux.

Ces notes que je commence à faire sur ce sujet ne sont pas pensées comme une série, comme un tout. Ce sera un peu en vrac, malheureusement. Je voudrais surtout ne pas faire double emploi avec ce qu'on sait du colloque, ni avec la préface de Lacassin.

Colloque : http://www.chcsc.uvsq.fr/colloques/coll_jamesbond.html

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 20 juin 2007

Le Bond littéraire est plus proche en effet des personnages de Le Carré, de Graham Greene ou d'Ambler que du personnage des films, avec juste un peu plus d'action et de coups de feu ou de poing. C'est un personnage terne, vulgaire, et ses premières aventures sont plus proches du polar violent à la Chase que du roman d'espionnage, le thème de l'espionnage deviendra d'ailleurs secondaire dans la série cinématographique du fait des gadgets et des effets spéciaux. J'ai vu aussi pour la première fois Au service secret de Sa Majesté, et j'avoue que j'ai été surpris en bien (comme disent les Belges). J'avais lu pourtant tellement de méchancetés sur ce film, mais il colle vraiment à son époque et puis il montre un démontage du mythe naissant (mais l'époque est justement à ces démontages au cinéma).

Écrit par : Dominique | mercredi, 20 juin 2007

Dans Les Diamants sont éternels, le thème de l'espionnage est carrément absent. Ce serait plutôt un roman policier classique. Fleming, d'ailleurs, se donne un mal fou pour rattacher l'intrigue à une affaire de services secrets. M lui-même convient que ce n'est pas exactement le cas.

Au service secret de Sa Majesté est bon, mais il a souffert d'être le premier où n'apparaissait pas Sean Connery, que je tiens personnellement pour le meilleur mais qui a de toute façon été le premier, chose qui compte dans un rapport affectif comme celui qu'entretiennent les amateurs avec ces films. Lazenby, pas plus mauvais qu'un autre, n'a tourné que celui-là et n'a donc pas pu s'imposer dans l'imaginaire des spectateurs. Dommage.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 20 juin 2007

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