mardi, 03 avril 2007
Les éditeurs et moi, énième édition
À Feuilly
J’ai souvent rapporté ici mes déconvenues éditoriales, mes bonnes fortunes aussi, d’ailleurs. De nombreuses fois, j’ai expliqué que le fait d’avoir déjà publié un certain nombre d’ouvrages ne servait rigoureusement à rien et que, chaque fois, je devais repartir à zéro, sans qu’il soit possible de poursuivre sur mon aire. Une nouveauté, depuis hier, s’est produite.
Par divers relais de la Toile, j’avais, de lien en lien, appris l’existence d’une toute nouvelle collection publiée au Seuil sous la direction de François Bon. En règle générale, je me méfie autant des auteurs devenant éditeurs (au sens anglo-saxon du terme) que des professeurs devenant chefs d’établissement et se piquant alors de diriger leurs pairs, voire leurs collègues d’hier.
Ne voulant pas, toutefois, céder à cet a priori, j’ai contacté Bon, me réjouissant des objectifs qu’il exposait pour sa collection et, notamment, du fait qu’il n’y inclurait nul roman. Ainsi que je le fais habituellement, j’ai tout d’abord adressé à ce monsieur un courrier électronique. C’est d’ailleurs ce qu’il demandait sur son site : un message préalable. Nos méthodes s’accordaient, c’était parfait. Je lui ai donc écrit pour présenter un projet sans imposer de manuscrit. C’était bref, peu explicite, cela constituait un simple prélude à quelque chose de plus approfondi. C’était également, du moins il me semble, poli. Comme à l’accoutumée, j’ai fait suivre mes quelques lignes d’une très courte notice me concernant et de la liste de mes petites bêtises imprimées.
Il a fallu plusieurs jours pour que Bon réponde ceci, reçu hier soir :
« cher monsieur,
cette collection doit donner priorité à des auteurs n’ayant que très peu publié, c’est une astreinte que nous jugeons légitime
mais évidemment prêt à lire
cordialement
FB ».
Je livre sa réponse assortie de tous les sic possibles. Elle m’a été envoyée ainsi, sans capitales ni ponctuation, ce qui est déjà étonnant, et je ne parle pas de la sécheresse presque impolie du libellé ni du « cordialement » qui est devenu la formule passe-partout du courrier électronique (je l’avais, quant à moi, assuré de « mes sentiments littéraires et les meilleurs »).
Ainsi donc, alors que, venant de nulle part, j’ai eu toutes les peines du monde à faire paraître, depuis 1971 où j’ai commencé à entreprendre des démarches éditoriales, treize livres – treize ouvrages en trente-six ans – des livres invisibles (un épuisé, douze non diffusés ou presque), voilà que cet écrivain-éditeur m’oppose, en style télégraphique, le fait d’avoir trop publié. Ce qui peut aussi, d’ailleurs, se traduire par le fait qu’après avoir été trop jeune et inconnu, je suis trop vieux et inconnu. François Bon a un an de moins que moi, autant dire que nous sommes du même âge. Il préfère miser sur des jeunes, tant mieux pour eux, mais je trouve cela suspect. J’ai toujours trouvé le « jeunisme » suspect.
Il va de soi que je n’enverrai rien à ce monsieur. Il n’est pas question que je perde mon temps à attendre une réponse dont on me laisse déjà deviner entre les (maigres) lignes qu’elle sera négative. Non seulement mes « états de service » ne m’aident pas, comme je le disais en commençant, mais, pour la première fois, voilà qu’ils me desservent.
10:20 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (12)
Commentaires
Et bien c'est un comble! Voilà que ce qui aurait dû servir de tremplin te pénalise. Comprenne qui pourra.
Cette maison d'édition ne reçoit-elle pas des subsides pour promouvoir de jeunes écrivains?
Écrit par : Feuilly | mardi, 03 avril 2007
Je l'ignore. Mais je tenais à te signaler ce cas, qui répond à certaines de tes interrogations. Tu vois qu'on n'en sort pas, qu'il faut toujours recommencer.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 03 avril 2007
Cher Jacques, vous venez de buter – de façon, il est vrai "inédite" (si cette quasi impropriété peut se justifier par le contexte…) – sur un état de fait qui touche une part significative des auteurs de notre génération. J'avais été saisi, la dernière fois que je me suis rendu à une assemblée générale de la Société des gens de lettres de France (SGDL), par la banalisation de cette situation : des auteurs en pleine maturité, la cinquantaine environ, ayant publié dix livres et plus chez des éditeurs réputés prestigieux, dans des genres allant du roman à l'essai plus ou moins spécialisé, repérés et connus au sein de nos professions (éditeurs, libraires, auteurs, bibliothécaires) MAIS dépourvus d'une notoriété conforme aux normes médiatiques, se voyant refuser systématiquement l'accès à la publication de leurs œuvres et de leurs travaux (pour les essayistes).
Depuis un quart de siècle, les éditeurs ont complaisamment obtempéré aux formatages imposés par l'audimat. Je répète, avec constance, que la notion de "grand public" appliquée au livre et à la lecture est une donnée sans aucun fondement, aux effets désastreux. Toute l'économie du secteur, fondée depuis lors sur une fuite en avant, est menacée d'effondrement, les chiffres le démontrent.
Écrivez, Jacques, sans relâche, si vous avez la chance de pouvoir vous préserver assez de temps personnel pour le faire. Aujourd'hui, et pour quelque temps encore, cela seul compte.
D'autres indicateurs, moins voyants mais réels, montrent en effet qu'une relève non seulement se prépare, mais se tient prête d'ores et déjà. Nos blogs ont une part dans ce dispositif : ils tissent des réseaux de lecteurs, ils assurent pour partie la fonction historique des revues, qui permettaient aux auteurs de rayonner avant même d'avoir publié leur premier volume. Je pourrais dérouler longuement tout un argumentaire, qui passerait encore par le constat de l'inutilité quasi absolue, dans les conditions actuelles, d'être "présent" en librairie avec un nouveau livre quand on appartient à la catégorie d'auteurs décrite plus haut, dont votre billet offre une illustration emblématique.
Je vais plus loin : je considèrerais me commettre en sollicitant, aujourd'hui, un éditeur dont je n'aurais pas, au préalable, éprouvé personnellement le professionnalisme. Sachez que, dans la plupart des grandes maisons d'édition, le programme éditorial est instruit par des éditeurs juniors qui ont l'âge de nos enfants, dont la formation revient peu ou prou à un BTS force de vente, niveau culturel à l'avenant. Quel que soit mon investissement personnel et ma foi dans l'avenir du métier, vous savez que je forme des jeunes, depuis plus de quinze ans, en BTS édition (jusqu'en 2003), en master depuis deux ans. Ce que je vous dis là n'est donc empreint d'aucun mépris, bien au contraire. Mais je sais que, pour l'heure, le seul perspective sera de devenir, au moins provisoirement, les exécutants d'un dispositif d'ores et déjà condamné. Je m'efforce simplement d'ensemencer "autre chose", une sorte de graine ou de virus capable de sommeiller quelques années, et de se réveiller le moment venu : un autre regard sur le métier.
C'est la traversée du désert, Jacques, ces temps-ci. Il faut s'en convaincre, et faire seulement que la caravane ne se perde pas.
(Pardon pour la longueur de ce commentaire.)
Écrit par : Dominique Autié | mardi, 03 avril 2007
Au contraire, je vous remercie de cette longueur.
Vous me disiez il y a quelque temps déjà, à propos d'une de mes mille notes consacrées à l'édition, que nous serions prêts, vous et moi -- et d'autres, comme nous -- à nous contenter d'un strapontin. Il se trouve que ce strapontin nous est refusé.
Ce qui m'ennuie dans les refus éditoriaux, même en dehors de l'exemple d'aujourd'hui, c'est l'impossibilité de pouvoir aller jusqu'au bout. Dans la vie, je vais toujours jusqu'au bout de mes engagements. Je vis les manuscrits non publiés comme des choses avortées, coupées, étêtées. Il manque une phase ultime, la transformation du texte en volume imprimé. Si le livre, ensuite, n'a aucun succès, c'est beaucoup moins grave. Il existe et c'est tout ce que je demande. Ainsi, je n'ai pas ce sentiment insupportable (pour moi, en tout cas) d'une action inachevée, d'un élan arrêté, d'un projet resté en l'air.
C'est cela, essentiellement, qui me pousse à tenter de publier : aller jusqu'au bout. Le reste, la gloriole, tout ça, peuh, je suis toujours très humble et je garde la tête froide.
Cela dit, si, désormais, je dois me heurter à ce type de refus, nouveau pour moi, qui, en langage clair et simple, se formule ainsi : "Vous êtes trop vieux", alors, je ne sais plus quoi faire.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 03 avril 2007
Tout ce que vous dites de la nécessité du livre est on ne peut plus juste. J'ajoute : seul, sans doute, celle ou celui qui écrit (et DOIT publier, dans le sens où vous l'exprimez ici avec justesse) sait d'emblée, d'instinct, qu'il n'y a pas la moindre feinte dans ce que vous appelez humilité – l'humilité étant, il me semble, conséquence et non cause : c'est la nécessité de la langue qui nous rend humbles, au final, ne pensez-vous pas ?
Le strapontin ? je ne suis pas revenu sur cette image, pour ne pas allonger encore mon commentaire, mais bien entendu je la maintiens. Je ne vais plus depuis plusieurs années au salon du livre de Paris pour cette raison : ce théâtre n'est plus qu'une scène, je ne suis même pas certain qu'on ait maintenu le premier rang de fauteuils ; c'est une scène qui n'a plus de public qu'elle-même, nous sommes commis à cautionner un dispositif pervers – et c'est sur ce point que je fonde mon refus de "figurer".
Étrangement, le lecteur continue de lire, de se procurer les livres qui le nourrissent, le fondent, le grandissent. Il importe que les nôtres soient disponibles à sa quête, cheminent ainsi mystérieusement vers quelques-uns d'entre eux (vous le savez, vous l'avez dix fois constaté), hors de nous, sans la moindre allégeance à ceux qui en organisent le commerce !
Je ne dis surtout pas que vous avez tort de solliciter les éditeurs. J'insiste simplement, pour que ceux qui vous lisent en aient l'assurance, sur le fait que ce que vous décrivez du dispositif glacial qui tend à nous exclure est vérifiable par d'autres, que ce discours sans ponctuation que vous a restitué votre interlocuteur (visant à l'anonymat, à l'inhumain : ces initiales odieuses, qui "couvrent" le formulaire, non une parole d'éditeur) n'est pas réservé à vous seul, qu'il n'est pas lié à la nature de l'œuvre que vous proposez de faire publier : il est, aujourd'hui, celui de l'édition.
Enfin, l'argumentaire (c'en est un, non un argument) de la jeunesse, à qui serait réservée cette collection dont a la charge F.B. – jouons son jeu –, est si extravagant que je vous suggère de lui conserver son statut de papillon mort, qu'on épingle.
Je n'écrirais ce que je vais vous dire maintenant nulle part ailleurs : je profite du fait que votre site est d'accès limité à vos lecteurs amis (quoique je le déplore, mais c'est un autre dossier !) : il y a quinze ans environ, il est arrivé au courrier de la maison d'édition que je dirigeais une longue lettre de la veuve de l'ethnologue Marcel Griaule, l'homme qui a fait connaître la culture des Dogons ; cette femme cherchait à faire publier des textes inédits et des correspondances de son mari ; elle cherchait un conseil, une porte entrouverte loin de Paris, où elle avait été éconduite, sans le moindre égard, par les plus "grands". Ce jour-là, l'éditeur que je suis a eu HONTE. Vous comprenez ce que j'exprime en disant cela ? Comme un chirurgien aurait honte, soudain, devant les dégâts d'une intervention bâclée par un confrère, dont on lui demanderait de réparer les séquelles. Ce jour-là, j'ai compris, me semble-t-il, de quoi seraient faites les années à venir. Où en était ce métier. C'est cela que nous vivons à présent.
Ne doutez pas qu'il existe un homme ou une femme d'édition (où ? qui ? si je le savais, je vous le dirais tout de suite, vous l'imaginez…) qui, un jour, aura honte, de la même façon, à la lecture d'un texte dont vous lui aurez confié qu'il a été refusé par trente de ses confrères, et de façon indigne (incivile presque), depuis dix ans que vous en avez posé le point final.
Telle est, un peu plus précisément, la toile de fond sur laquelle il convient, me semble-t-il, de lire votre témoignage pour en apprécier la portée.
Écrit par : Dominique Autié | mercredi, 04 avril 2007
La nécessité de la langue qui nous rend humbles ? Certainement. Cependant, je suis humble en général, dans tous les domaines. Humilité est un mot que je préfère à celui de modestie : souvent, la modestie est affectée. L'humilité, qui n'empêche pas l'orgueil, d'ailleurs (dans le bon sens du terme), n'est pas un complexe, c'est une façon d'être et d'être lucide, surtout.
Je vous remercie pour cette peinture et ce témoignage concernant Mme Griaule. Enfin, continuons de publier 1200 ou 1400 romans par an, tous voués au pilon...
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 04 avril 2007
Sans aucun rapport, je me suis fait un peu tirer les oreilles de manière électronique par François Bon lorsque j'ai signé la pétition contre la vente de la collection Breton (et que je l'ai un peu répercutée). Ben oui... j'avais pris comme adresse le pseudonyme d'un peintre sur lequel il avait écrit (après Breton et bien d'autres), mais je connaissais déjà ce peintre alors que lui n'avait pas encore vraiment publié et que ce nom était en rapport avec le mien, que j'avais lu d'autres auteurs avant. Cela m'a laissé une impression un peu mitigée, mais sans plus.
Écrit par : Dominique | mercredi, 04 avril 2007
Effectivement, c'est assez antipathique de s'approprier ainsi des noms, des gens, des secteurs de la culture, comme des chasses gardées. Je n'aime pas ça du tout.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 04 avril 2007
Sans grand rapport, j'aimerais demander à Dominique Autié (qui peut, s'il désire me répondre en privé, le faire à mon adresse électronique guillaume.cingal@wanadoo.fr ) s'il continue de soutenir et de trouver si talentueux Juan Asensio, qui, depuis un mois, se signale, un peu partout, par ses imprécations diffamatoires et scatologiques contre plusieurs internautes, dont moi...
Écrit par : Guillaume | mercredi, 04 avril 2007
Je suis ennuyé : je termine souvent mes courriels par "cordialement".
Écrit par : desavy | dimanche, 08 avril 2007
J'adapte le plus souvent les formules dites "de politesse" à la circonstance, à la personne, à l'objet de la lettre ou du message. Cela me paraît une politesse et cela évite l'usage de phrases dont on ne pense pas un mot.
Écrit par : Jacques Layani | lundi, 09 avril 2007
Cher Jacques,
ne sachant comment joindre autrement Dominique Autié, malgré plusieurs recherches sur son blog, j'avais laissé un commentaire hors sujet, juste au-dessus. Je pense que, devant le silence de D.A., tu peux désormais supprimer celui-là (et celui-ci).
Merci,
Écrit par : Guillaume Cingal | lundi, 16 avril 2007
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