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lundi, 26 mars 2007

Honni soit qui lit et marche

Depuis toujours, au moins lorsque le temps le permet, je lis en marchant. Lorsque lire fait partie des fonctions vitales, on pratique comme on peut et, pourquoi pas, en marchant. On déjeune bien d’un sandwich en marchant. On ne s’arrête pas de respirer quand on marche. Alors ?

Eh bien, lorsqu’arpentant l’avenue, je tiens à la main un volume dans lequel je vole quelque pitance pour mon esprit que cette société a rendu mort d’ennui… on me regarde de travers. Je certifie qu’il ne s’agit pas de paranoïa. Ce ne sont pas des regards étonnés que je croise lorsque leur poids me fait lever les yeux de la page imprimée. Ce n’est pas la crainte de personnes que, ne les ayant pas aperçues, j’eusse pu bousculer en ne regardant pas où j’allais. Non non, je me fais bien regarder de travers. Lire est devenu honteux, indécent, que sais-je ? Lire en marchant est ressenti comme une agression. Envers qui, je me le demande bien. Envers ceux qui ne lisent pas, tout simplement. Se promener avec des écouteurs minuscules enfoncés dans les oreilles est accepté, considéré, même, comme normal. Imposer aux autres sa conversation hurlée dans un téléphone portable est devenu une attitude courante. Téléphoner en conservant ses écouteurs aux oreilles – mais si, mais si, c’est authentique – est accepté. Parler à quelqu’un tout en écoutant je ne sais quel message enregistré délivré par un téléphone cellulaire est devenu d’un commun… Mais lire en marchant, vous n’y pensez pas ?

15:20 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (10)

Commentaires

Il s'agit là du phénomène bien connue d'une certaine envie qu'on ne peut - et du coup ne veut, y compris chez les autres - retenir. Il y a des gens qui cassent des carreaux parce qu'ils sont mal logés ; certains reprochent à d'autres de faire ce qu'ils ne feront sans doute jamais.

Écrit par : Martine Layani | lundi, 26 mars 2007

Vous devez inquiéter, il me semble. Ainsi que m'inquiètent ces femmes qui marchent les bras croisés sous la poitrine, les yeux rivés sur le trottoir à trois pas devant elles. Il y a là tout à la fois un grand mystère et l'indication d'une clôture qui rend la personne inaccessible, même au regard le plus neutre. Seul Jean Baudrillard, dans une brève note de ses Cool Memories, a relevé l'existence sociale de ce mystère : on dirait qu'elles reviennent de communier, écrit-il en substance ; ajoutant qu'un homme ne saurait marcher ainsi dans la rue. Or, c'est peut-être – toutes choses égales par ailleurs, si j'ose dire – ce que vous faites en déambulant un livre ouvert à la main. Vous avez mille fois raison sur toutes les pratiques saugrenues que vous épinglez, mais qui, finalement, laissent le regard errer, donc ouvert peu ou prou : il arrive d'ailleurs que quelqu'un vous dévisage tout en débitant des fadaises à son téléphone portable, situation odieuse s'il en est.
Je me résume : vous êtes, absorbé dans votre lecture, hostile aux femmes que vous croisez, que non seulement vous ne regardez pas, mais dont vous excluez de surcroît de remarquer qu'elles vous regardent, ou simplement vous voient ; tout comme me sont sourdement hostiles les femmes qui marchent en croisant les bras, qui ne veulent pas savoir que je les regarderais volontiers (en tout bien tout honneur, comme on dit).
Qu'avons-nous fait à notre prochain pour qu'il refuse ainsi de prendre en compte le simple fait que nous le voyons ? Voilà l'inquiétante question que posent de telles postures.

Écrit par : Dominique Autié | lundi, 26 mars 2007

Dominique, en l'occurrence je pense que Jacques, grand amateur et amoureux des femmes, ne les exclut pas. Simplement, il met à profit le peu de temps que lui laisse son travail salarié pour exister. Quand il ne lit pas (si, si , ça arrive) il les regarde à les en faire tomber - sans blague. Ce n'est pas de l'enfermement, c'est du self-sauvetage.
Quant à ces femmes qui se protègent, peut-être ont-elles été agressées ? On ne peut connaître autrui simplement en le croisant. Il se peut aussi que ce soit une posture de réflexion machinale, comme certains hommes qui avancent les mains dans le dos.

Écrit par : Martine Layani | lundi, 26 mars 2007

… cela se peut, effectivement : je me surprends, de plus en plus souvent, dans cette posture de vieillard méditatif. Et marcher les mains dans le dos, j'en ai pris conscience, est un vrai plaisir, physique et cérébral ! Je ne suis d'ailleurs pas certain que ce plaisir gagnerait à être passé sous le microscope électronique de nos réflexions.

Écrit par : Dominique Autié | lundi, 26 mars 2007

Maintenant, on peut toujours se poser la question de savoir pourquoi les femmes croisent les bras et les hommes accrochent leurs mains dans le dos... mais Sartre lui-même faisait ainsi sans toutefois se demander pourquoi, parce que c'est une démarche - si j'ose dire - qui n'entrait pas dans ses préoccupations : trop de psychologie là-dedans.

Écrit par : Martine Layani | lundi, 26 mars 2007

Oh, beaucoup de choses dans les commentaires précédents.

Ainsi, Dominique, vous pensez que j'inquiète en lisant ? Fichtre, mais pourtant, je suis le moins agressif des hommes au moment de cette lecture, au contraire. Je suis même fragilisé par mon isolement dans ma lecture. Comme c'est curieux, tout de même, les réactions d'autrui.

Cela dit, aujourd'hui même, je vois s'insérer entre le haut de ma page et la limite "nord" de mon regard deux pieds menus et ce qui, en général, les surplombe : une femme. Je lève aussitôt les yeux et pénètre dans les siens mais, vous savez, plus loin, au-delà des barrières et des défenses, là où elles sont forêt. Bien m'en a pris : j'eus droit à un formidable sourire. Ce n'est pas rien. Une femme qui sourit à un inconnu en le regardant dans les yeux, en pleine rue, dans une grande ville, ce n'est pas courant. Donc, lire ne m'isole pas des autres, enfin... de certaines autres.

Autre chose : il m'arrive de marcher les bras croisés, justement, à la manière des femmes. C'est rare, parce que la pose, bien sûr, ne m'est pas naturelle. Eh bien, que se produit-il ? Là encore, je suis regardé de travers. Me méfiant de mes interprétations, il m'est arrivé d'ainsi me tenir exprès, consciemment, afin d'observer discrètement les réactions : regard de travers, toujours. Que comprendre ? Que cette position est réservée aux femmes ? Que je passe pour homosexuel aux yeux de qui s'en tient à ces clichés ? C'est une autre affaire.

Le regard d'autrui est toujours étonnant.

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 26 mars 2007

Attention quand même quand tu traverses... Je suis spécialiste de la lecture en pleine rue, on doit bien me regarder bizarrement, mais quand je lis, je ne m'en rends pas compte... tout comme je ne me rends pas forcément compte que je traverse la rue...

Écrit par : Fanny | lundi, 26 mars 2007

Oui, eh bien, attention, bougresse ! C'est malin, ça, de me faire peur comme ça ! Triple cornichon !

Écrit par : Jacques Layani | lundi, 26 mars 2007

Lire en marchant? On peut aussi lire assis à son bureau. Voici des extraits de la dernière circulaire professionnelle que je reçois :

« Vous trouverez ci-après les conclusions relatives à l’examen relatif à l’utilisation de chaque application. »
(…)
il y a une circulation des informations en provenance du service financier concernant les données de l’engagement effectué également vers Delta.
(…)
La liste des engagements prioritaires sur les crédits d’investissement à soumettre à la signature du ministre de tutelle peuvent être établies et pour certaines le sont déjà, au moyen d’Oméga2
(…)

Il conviendra de réunir les groupes d’utilisateurs non seulement pour continuer à traiter les améliorations indispensables et besoins en développement nouveaux mais également pour examiner avec les délégués des directions les besoins en formation tant des techniciens que des administratifs.

Avouez qu’il vaut mieux être déjà assis quand on lit cela et ne pas parcourir ce texte en marchant…

Écrit par : Feuilly | mardi, 03 avril 2007

Merveilleuse prose, Feuilly, qui intéressera sûrement Dominique.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 03 avril 2007

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