mercredi, 03 janvier 2007
Une découverte... pour moi
Je suis peut-être en train de découvrir l’eau chaude, comme on dit familièrement, mais une chose m’a frappé durant ces quelques jours de vacances, au vu de quelques films en DVD. Il s’agit de l’utilisation du ralenti pour exprimer… la plus grande rapidité. Depuis mon enfance, fort lointaine il est vrai, le ralenti était un procédé artistique, souvent utilisé, il faut bien le dire, de façon décorative. À présent, on l’emploie pour figurer le contraire. Il s’agissait de rendre une action censée se dérouler à la fraction de seconde. Techniquement, c’était une gageure : le spectateur ne pourrait même pas voir ce qui se passe. On fractionne donc le mouvement et le ralentissement de l’image évoque l’extrême rapidité de l’action. Je n’avais jamais rencontré une telle opposition dans l’écriture cinématographique. Mais je suis sans doute ridicule et je pense que tout le monde s’était déjà aperçu de cela.
10:00 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (15)
Commentaires
Pour moi, qui ne vais quasi jamais au cinéma et fuis les écrans que je peux fuir, votre observation n'a rien de ridicule. Je vois même très bien l'effet produit (j'ai dû engranger dans un recoin de ma mémoire une ou deux scènes entrevues, conçues très précisément selon la technique que vous décrivez). Et je cherche un équivalent littéraire, une sorte de "modèle". Mais ma mémoire ne me présente rien de convaincant. Et l'on imagine mal l'utilisation de ce procédé en musique.
Est-ce à dire que vous pointez ici une spécificité du cinéma ? une technique qui lui appartiendrait en propre ?
La relation vitesse/lenteur dans la lisibilité à l'écran (d'ordinateur) est, en tout cas, majeure. Je trouve donc très intéressant que vous attiriez notre attention sur cette singularité.
Écrit par : Dominique Autié | mercredi, 03 janvier 2007
En littérature Michel Gremeaux, auteur infinitésimal mais néanmoins de valeur, a écrit des nouvelles qui décomposent le temps, construisent autour d'une seconde d'action toute la vitesse de l'esprit qui, à côté de cette action, se trouve tout à fait prisonnier. Le procédé n'est pas vraiment identique, mais l'impression, à la lecture, a le même rendu.
Écrit par : Martine Layani | mercredi, 03 janvier 2007
Martine a raison. Le pire, c'est que le recueil de Gremeaux a été préfacé par... moi-même. Je ne pensais plus à cet exemple.
Dominique, je ne sais pas si c'est une spécificité du cinéma. Je pense que Ludovic nous en dira davantage, quand il passera par là. Comme vous, je ne vois pas d'équivalent littéraire. Peut-être la phrase très longue, volontairement emplie d'incidentes, farcie de parenthèses ? Mais cela reste de l'art car c'est difficile à faire.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 03 janvier 2007
La première fois que ce procédé m’a frappé, c’est dans la scène des barricades du film Les Misérables de Robert Hossein (film de 82 je crois). Face à une action rapide, c’est le moyen que le cinéma a trouvé pour décomposer cette action et analyser les sentiments des personnages (peur, courage, émotion) tout en accentuant le côté dramatique de la scène.
La littérature, qui connaît l’introspection , n’a pas besoin de ce procédé. La peinture, par contre, a résolu le problème en représentant (forcément de manière statique) un moment particulier de l’action (ce qui permet par ailleurs d’exprimer les sentiments des personnages)
Écrit par : Feuilly | mercredi, 03 janvier 2007
La première fois que ce procédé m’a frappé, c’est dans la scène des barricades du film Les Misérables de Robert Hossein (film de 82 je crois). Face à une action rapide, c’est le moyen que le cinéma a trouvé pour décomposer cette action et analyser les sentiments des personnages (peur, courage, émotion) tout en accentuant le côté dramatique de la scène.
La littérature, qui connaît l’introspection , n’a pas besoin de ce procédé. La peinture, par contre, a résolu le problème en représentant (forcément de manière statique) un moment particulier de l’action (ce qui permet par ailleurs d’exprimer les sentiments des personnages)
Écrit par : Feuilly | mercredi, 03 janvier 2007
Eh bien, tu vois, j'avais vu en 1982 cette version des Misérables et j'avais totalement oublié ce à quoi tu fais allusion. C'est donc bien quelque chose d'ancien que je découvre ou redécouvre très ingénument aujourd'hui.
La peinture serait plutôt assimilable à un arrêt sur image.
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 03 janvier 2007
A l'extrême de cette figure de style, on retrouve "le plan de la balle" de Matrix, avec toute la décomposition du mouvement du personnage visé par l'arme et qui esquive l'impact. Assez souvent en effet, ces ralentis servent surtout à donner l'illusion d'une rapidité que le découpage et le montage ne parviennent plus à donner au spectateur sans que la séquence soit imprécise et floue (les bagarres de western idéalement découpées sont bien loin).
A l'inverse quelquefois, chez De Palma par exemple, on retrouve comme dans l'exemple des Misérables, l'utilisation de ce procédé pour donner à voir toute la gamme d'émotion qui traverse des personnages pendant une brève action décisive.
Je me souviens très imparfaitement d'une nouvelle, il me semble que c'était une nouvelle, qui narrait tout ce qui traversait l'esprit d'un individu durant l'instant suspendu d'une relation amoureuse, contexte que nous ne comprenions qu'à la fin.
Écrit par : Ludovic | jeudi, 04 janvier 2007
"une rapidité que le découpage et le montage ne parviennent plus à donner au spectateur sans que la séquence soit imprécise et floue (les bagarres de western idéalement découpées sont bien loin)" : cela signifie-t-il qu'on ne sait plus faire ce qu'on faisait il y a des années ? Cela me paraît incroyable. Surtout avec l'arrivée du numérique qui a simplifié tous les effets spéciaux, supprimé les bouts de pellicule à couper et à coller... J'ai l'impression, mais je me trompe peut-être, que la technique n'a jamais permis autant de choses et qu'on n'a pas su s'en servir.
Donc, le ralenti exprimant paradoxalement la rapidité ne serait pas une forme "grammaticale" nouvelle mais déjà un procédé répétitif ?
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 04 janvier 2007
Regardez n'imorte quelle "bagarre" chez Gans, Kassovitz, ou même Spielberg : la caméra tremble, les coups pleuvent mais on ne sait plus qui est qui. C'est sans doute que le but a changé, on ne veut plus que le spectateur comprenne les enjeux des forces en présence, mais qu'il soit placé lui aussi sous les coups.
Écrit par : Ludovic | jeudi, 04 janvier 2007
Ah ? Voilà un point de vue terrifiant. Non seulement on "intègre" la violence jusque dans le fond des fauteuils et la tête du public, mais, de plus, on supprime la notion de compréhension, donc de finalité. Diable !
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 04 janvier 2007
Faut-il y voir l'effet pervers d'une société de plus en plus violente? Le spectateur ne serait donc plus "à distance" pour contempler une scène, mais il serait lui-même incorporé à cette scène?
But commercial inavoué? Secouer le spectateur, l'impressionner au maximum, afin qu'il en ait pour son argent (et en redemande)?
Ne se rapproche-t-on pas alors de la téléréalité? Là c'est monsieur tout le monde qui devient la vedette de l'écran (par exemple en remportant une Star-Academy). Ici c'est plutôt l'action du film qui descend de l'écran pour se dérouler parmi les fauteuils.
« Heureux la scène où Margot a pleuré », disaient déjà les romantiques. Aujourd'hui, on jouerait plutôt sur l'agressivité et la violence du public.
Mais à se mettre ainsi à sa portée (il n'a plus à réfléchir. Coincé au milieu d’une bataille, il n'en comprend même plus l'enjeu; c'est à peine s'il distingue encore de qui les coups proviennent), n'est-ce pas une manière de l'infantiliser?
J'ai toujours été frappé par les propos tenus par les directeurs des grands musées, qui disent que le public d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier, qu'il est plus exigeant, etc. Je retiens surtout qu'il est devenu incapable de regarder et de comprendre ce qu'on lui propose dans une vitrine. Il lui faut toute une mis e en scène ludique pour qu'il se déplace. Ainsi, autrefois, dans un musées de sciences naturelles, on se contentait de regarder les ossements des iguanodons. Aujourd'hui, il faut une animation avec des dinosaures en plastique qui remuent la queue et qui émettent des grognements. Cela fait très Walt Disney. J’ai un peu l’impression que l’idée même d’effort intellectuel est bannie. On veut bien apprendre, mais en jouant.
Ici, au cinéma, ce serait la même démarche ? Il ne serait plus question d’avoir une vision extérieure sur les faits présentés mais plutôt de vivre émotionnellement à l’intérieur d’une action, de faire comme si on était dedans. Pour accentuer cette impression, le son des salles a été amplifié au maximum, ce qui a pour effet de rendre certaines scènes littéralement épouvantables.
Écrit par : Feuilly | jeudi, 04 janvier 2007
Oui, il faut être sacrément maso pour aller voir certains films. Qu'on ne compte pas sur moi (ni sur Jacques) pour y aller. La rue suffit bien, merci. Je n'en redemanderai pas.
Écrit par : Martine Layani | jeudi, 04 janvier 2007
La première partie du Soldat Ryan de Spielberg est extraordinaire: le but n'étant pas de faire un exposé sur le sujet, mais de nous raconter de l'intérieur, c'est-à-dire du point de vue des soldats débarquants sur la plage. Le chaos est dès lors, quasi-palpable: on en sort épuisé. Comme les personnages. Rien de "glamour" dans cette scène, c'est même le contraire des traditionels westerns et films de gangsters: impossible de fantasmer là-dessus. Bon, sans doute qu'il y a quelques pervers qui le font mais on ne va pas s'empêcher d'écrire, peindre, filmer pour les pervers qui détournent les oeuvres.
Écrit par : Benoit | jeudi, 04 janvier 2007
Un phénomène également exaspérant depuis les années 90 (pour moi en tout cas), c'est les scènes à base de caméras tournoyantes, sans point de vue, légèrement en hauteur, accompagnés d'une sorte de soupe musicale en suspens , avec de longs accords aux violons, sans aucune direction mélodique (car il faudrait parler aussi de ce qu'est devenue la musique de film).
C'est censé, je suppose, donner une pause aux spectateurs, leur permettre de "vivre émotionnellement" la scène (Feuilly), de se rendre compte à quel point la nature (ou la technique moderne) est belle. Cela vient peut-être de l'esthétique du vidéo-clip, des documentaires touristiques (où l'image ne cesse de tournoyer autour des oeuvres des églises ou des musées, sans qu'on ne puisse jamais rien observer)?
John Ford fixait une fois pour toutes son angle de prise de vue, réglait ses cadrages et obtenait un minimum de plans, ce qui d'ailleurs rendait impossible tout saccage ultérieur au montage - Zanuck étant connu pour être particulièrement interventionniste dans cette phase. C'était ce qu'on appelle véritablement un auteur, avec un point de vue, avec un regard tout simplement, et en un seul plan, il imposait, il rendait sensible, évidente, époustouflante, toute la beauté des paysages américains.
"Mort de l'auteur", puérilisation (les remarques de Feuilly sont d'une infinie justesse et je partage les mêmes agacements), perte du regard...
Écrit par : gluglups | lundi, 08 janvier 2007
Oui, il y a puérilisation à tous les niveaux de la vie sociale. On parle même de vendre des "doudous" pour adultes, afin qu'ils dorment avec. L'infantilisation est un des "remèdes" apportés par la société depuis que la vie est devenue plus dure qu'autrefois, depuis qu'il y a les deux spectres du chômage et du sida, depuis que plus rien n'est assuré, sauf peut-être le pire. La perte du regard va forcément avec. Plus de lucidité, donc plus d'inquiétude, on est tranquille autant que faire se peut. Et l'on oublie la dureté des temps dans la soupe musicale, cinématographique... Le clip, par ailleurs, a fait beaucoup de ravages : la multitude de plans d'une seconde ou moins, leur montage hystérique, incohérent, voire violent, ont formaté le regard -- et le raisonnement.
Écrit par : Jacques Layani | lundi, 08 janvier 2007
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