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mercredi, 29 mars 2006

L’écrit oral

Le Monde consacre un article à la communication par courrier électronique et aux problèmes qu’elle pose. Ce n’est pas une chose nouvelle. Tous les utilisateurs d’internet connaissent les difficultés d’interprétation ainsi posées, que ce soit dans la correspondance privée ou sur les forums et les blogs. Ce qui est plus curieux, c’est que l’article en question (faisant référence à une étude publiée par l’université de Chicago Graduate School of Business) pose d’emblée la communication électronique comme relevant de l’oral alors qu’elle transite par l’écrit. On sait bien qu’effectivement, tout ça est reçu comme de l’oral : on utilise des icônes et des signes graphiques pour remplacer l’intonation manquante, on dit qu’on se parle alors qu’on s’écrit… Tout cela n’a jamais existé au temps de la communication écrite proprement dite, par lettres. Les malentendus étaient moindres, c’est certain. En tout cas, on ne tentait pas de substituer au ton, à la voix, des séries de signes picturaux ou graphiques. Ce que cet article aurait dû mettre en lumière pour être autre chose qu’anecdotique, c’est justement cette transformation de l’écriture entendue comme oralité, phénomène récent et original. Il fallait étudier cette logique propre d’internet, se demander si les problèmes de compréhension étaient liés à l’immédiateté de la transmission, par exemple, plutôt que de faire un simple parallèle avec le téléphone, laissant ainsi sur la touche la caractéristique essentielle de ce type d’échanges : l’oralité née de l’écrit.

11:35 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (7)

Commentaires

Cette idée me paraît tout à fait stupide, à dire vrai. Tout écrit a été, de tout temps, une forme de transmutation de phonèmes. À l'inverse, il y a des millions d'exemples de courriers électroniques qui cherchent une forme de perfection écrite, d'élaboration qui est plutôt éloignée des codes oraux - de même, d'ailleurs, que de nombreux épistoliers du quotidien "oralisaient" leur correspondance bien avant l'ère de l'internet. Autant dire que cette opposition ne me paraît même pas schématique, mais fausse.

Quant au SMS, dont il est peut-être question dans cet article, il est le summum du non-oral, puisqu'il relève d'une hiéroglyphisation (qui s'appuie sur un code de langage familier, mais ce n'est pas la même chose).

Écrit par : Guillaume | mercredi, 29 mars 2006

Je ne crois pas que les pourriards ou semi-laids et les acronymes à la noix remplacent simplement le ton. Ils sont en fait des marques du paraverbal, lequel est plus étendu que la voix. C'est aussi les mimiques, les gestes, la position du corps et même la présence physique, l'autorité qui vient du corps. L'opposition écrit-oral me paraît factice dans ce cas parce que la voix peut être théâtralisée, représentée et incarnée à des degrés fort divers dans les écrits. Il me suffit par exemple d'utiliser une ponctuation expressive... Tiens ? Tiens ! tiens, tiens, tiens... Cette mise en scène de la parole existait déjà dans la correspondance classique, le meilleur exemple, c'est la marquise dont certaines phrases débouchent sur des vertiges. Je ne crois pas du tout que l'oralité était absente des autres écrits, mais c'est souvent de l'oralité travaillée, construite, refabriquée (un peu comme un dialogue théâtral ou cinématographique n'est pas la simple transcription des discours qui pourraient être tenus dans la vie courante, mais une autre forme parallèle à ces discours et totalement inventé parce que le vrai discours ordinaire sonnerait faux).

Mais surtout je retiendrais deux choses : d'une part la stéréotypie de tous ces tics qui en viennent à éliminer en fait les idées ou les sentiments à force de vouloir supprimer les conflits par des ;-) et des lol. D'autre part, la violence extraordinaire des textes à l'écran. Lorsque j'ai commencé vers 97, je me prenais des baffes dans la figure à la seule lecture de textes qui aujourd'hui me paraîtraient bien anodins et exprimés en termes assez mesurés. La réception n'est plus la même pour moi parce que je me suis fait une carapace et puis que j'ai beaucoup utilisé Internet, que j'ai réfléchi dessus, mais je me dis que cette même violence perçue devait exister aux débuts du téléphone (que l'on songe aux pages de Léautaud contre cet instrument barbare).

Écrit par : Dominique | mercredi, 29 mars 2006

"La marquise dont certaines phrases débouchent sur des vertiges" : elle écrit rarement, la marquise, sur la Toile. Et, de fait, "Je ne crois pas du tout que l'oralité était absente des autres écrits, mais c'est souvent de l'oralité travaillée, construite, refabriquée", c'est exactement ça. Nous sommes bien d'accord, au fond. Cet article du Monde était bébête et parait le téléphone de vertus qu'il n'a pas. J'ai toujours pensé que le téléphone était un monstre froid, qui éloignait les gens plus qu'il ne les rapprochait.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 29 mars 2006

"c'est souvent de l'oralité travaillée, construite, refabriquée"

On est tous d'accord alors !
Je préfère mille fois mieux écrire des messages que parler au téléphone. Cela dit, la prolifération de l'usage du courriel a obligé plein de gens qui n'écrivent jamais, et que l'écrit n'intéresse pas du tout, à utiliser un outil dont les modalités d'usage sont infinis et fort complexes.

Ainsi, un de mes patrons, il y a de ça une dizaine d'années, m'avait littéralement donné un cours magistral sur l'usage du courriel dans les rapports de force avec la hiérarchie. Quoi dire et surtout, comment le dire. Comment tirer le maximum d'une simple phrase envoyée à une personne d'influence plutôt qu'une tartine bien garnie au grand patron etc. Deux ou trois années auparavant, ce genre de communications auraient attendues des rencontres formelles autour d'une table de réunion.

Une autre me reprochait gentiment de trop travailler mes messages, de perdre en efficacité en n'allant pas droit au but, ou plutôt, en ajoutant un surplus d'information, ce qui rendait les messages trop longs. Elle me rappelait que les gens, en général, n'aiment pas lire...

Écrit par : Benoit | mercredi, 29 mars 2006

Oui, je crois que nous sommes tous d'accord. Plus j'y pense, plus cet article me paraît bête.

Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 30 mars 2006

Qu’est-ce qui différencie un courriel ou un message de blog d’une lettre classique ? A mon avis l’immédiateté. Quand la Marquise écrit un courrier, elle s’adresse bien à quelqu’un en fait, mais son texte est travaillé. (d’ailleurs tout texte s’adresse à quelqu’un, même un roman ou un poème). Il faut dire que son correspondant ne recevra pas sa missive avant plusieurs jours. Le temps de donner une réponse et d’acheminer le nouveau courrier, ce n’est qu’après deux semaines que la Marquise pourra lire les réactions suscitées par son premier texte.

Il en va de même dans le monde professionnel. Une lettre officielle met du temps à arriver. On respecte donc les formes quand on la rédige (style choisi, formules de politesse, etc.). Un courriel au contraire est lu dans un délai très court. Comme la réponse est immédiate, on se retrouve donc dans une situation de dialogue.

Il n’en reste pas moins que tout cela demeure de l’écrit comme le dit Guillaume. De nombreuses personnes qui n’écrivaient plus se sont donc retrouvées en train de tapoter sur leur clavier. Sur un forum par exemple, chacun a tendance à présenter un texte soigné relativement long. C’est qu’il s’agit d’exprimer une idée et on n’attend pas dans la seconde les commentaires des autres intervenants. Sur un blog, on est plus proche du dialogue en quasi-direct. Sur celui-ci, par exemple, il est symptomatique de constater que les premiers échanges sont souvent longs et bien construits. Puis quand naît le dialogue, les répliques se font plus courtes, plus personnelles, plus « orales ».

Personnellement, je n’utilise jamais les « smilles » précisément parce qu’inconsciemment je veux rester dans l’écrit et non dans l’oral. Il me semble que la langue dispose suffisamment de signes de ponctuation pour tenter d’exprimer ce que l’on ressent. Mais c’est vrai qu’on se comprend parfois mal (intention mal perçue, ironie non détectée, etc.), surtout quand on se trouve en phase de dialogue. Le problème apparaît moins souvent quand on échange un texte de fond.

Un autre problème du texte d’ordinateur, c’est son « évanescence ». Les mots qui sont écrits là sont destinés à disparaître (au contraire d’une lettre). Quelque part, ce caractère non nécessaire et provisoire doit influencer le style.

Par contre, ces mots provisoires peuvent être lus par des milliers de personnes, ce qui annule en partie leur caractère évanescent tout en renforçant leur ancrage dans l’immédiateté.

Internet a fait de la planète un village. Dommage que parfois les commentaires tournent aussi en querelles intestines sans intérêt. (Je ne dis pas cela pour ce blog-ci évidemment puisque l’accès en est limité).

Écrit par : Feuilly | vendredi, 31 mars 2006

A propos d'accès limité, je rappelle qu'il ne s'agit pas ici d'un blog réservé, mais uniquement d'un blog interdit à deux crétins -- et eux seuls. Depuis l'ouverture (en septembre 2005), je n'arrête pas de confier les codes d'accès à des personnes très différentes. Je regrette que toutes ne s'expriment pas (c'est leur droit, évidemment). Le nombre de participants serait bien plus élevé, autrement.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 31 mars 2006

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