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mardi, 10 janvier 2006

Antoine Gallimard parle

Dans Libération du 5 janvier dernier, cet entretien avec Antoine Gallimard (petit-fils de Gaston et fils de Claude). Bien sûr, je ne suis pas responsable de la médiocrité du chapeau ni de l’expression, piteuse, du responsable de la plus prestigieuse maison d’édition française. Je me suis contenté de rectifier quelques horreurs typographiques contenues dans la mise en page initiale.

Je ne pense pas médire en relevant que le terme « littérature » est présent une seule fois dans tout le texte (associé au qualificatif « populaire ») ; en observant que « talent » n'est employé qu'une fois, au pluriel, associé à « nouveaux » ; en remarquant que les mots « écriture », « œuvre » et « style » ne sont jamais prononcés.

 

 

À la mi-décembre, Antoine Gallimard, qui préside aux destinées de la maison de la rue Sébastien-Bottin depuis 1988, a reçu, à Barcelone, le prix Atlantide, décerné par le Cercle des éditeurs catalans : un hommage à sa « trajectoire éditoriale » et à la façon dont il a su préserver et concilier le « caractère familial et le rayonnement d’une maison d’édition emblématique ». À cette consécration hors frontière, nous racontait-il quelque temps plus tard avec le sourire, n’a pas manqué le rappel « qu’il faut toujours revendiquer le droit à l’erreur ». Même à cette occasion, on a renvoyé ce Gallimard de la troisième génération au souvenir du refus opposé à Proust (« Toute ma vie, on va me le ressortir ! »). Choix des livres, stratégie d’entreprise sur un marché français où la concurrence se raidit depuis la fusion avortée d’Hachette-Éditis, la marge de manœuvre reste délicate pour Gallimard. Le PDG aime à rappeler la constante dualité de son rôle : être à la fois « aux fourneaux et dans la salle de restaurant », et puis, pour user d’une autre métaphore, pratiquer « le pas du patineur », travailler sur la durée, par exemple avec la Pléiade (le contrat pour le volume Poésie a été signé avec Aragon en 1980, et ne sort que cette année), repérer les nouveaux talents, signer des coups avec droits dérivés à la clé. Tout en veillant avec la prudence traditionnelle de la maison à l’élargissement de sa diffusion et de sa distribution. Retour, avec l’intéressé, sur une année 2005 marquée par le départ de Teresa Cremisi (bras droit passé chez Flammarion), et analyse des enjeux actuels de l’indépendance éditoriale.

 

Quel bilan tirez-vous de l’année 2005 ?

 

Globalement, il semble que le marché aura un peu progressé, peut être de 1,5 %, mais cela reste incertain. Tout le monde se plaint. Dans ce contexte, où les préoccupations se polarisent sur les questions financières, la maison Gallimard reste un peu atypique. Elle a la chance d’être un bateau bien quillé : la part du fond représente beaucoup de livres. Et si, cette année, nous avons peut être eu un peu moins de best-sellers que les années précédentes, nous avons eu quelques bonnes surprises. Prenez Waltenberg, d’Hédi Kaddour, premier roman d’un poète, un livre relativement difficile, épais, complexe, avec des galeries souterraines, des chausse-trappes... Nous étions très enthousiastes ici, mais je pensais que cela tournerait autour de dix mille exemplaires. On en est à trente mille. Nous avons eu le Médicis étranger d’Orhan Pamuk pour Neige, qui en est à quelque trente-cinq mille exemplaires. Ont marché le Lutétia de Pierre Assouline, la Malédiction d’Edgar de Marc Dugain. La Théorie des nuages de Stéphane Audeguy, autre premier roman, qui en est à dix-huit mille exemplaires, a rencontré un public, ça continue, c’est tout ce qu’on aime dans ce métier.

 

Vous avez aussi Harry Potter et Narnia...

 

Avoir un Harry Potter aide beaucoup les livres de comptes. Narnia, qui était précédemment publié par Flammarion, nous en avons acheté les droits il y a trois ans, sans savoir qu’un film allait en être tiré. Nous avons également pu acquérir, en même temps, les droits dérivés-papier : nous en sommes à quatre-cent mille exemplaires en titres dérivés... Le bilan est donc plutôt bon.

 

Composez-vous de la même manière les programmes de septembre et de janvier ?

 

Personnellement, je préfère janvier, on a le sentiment que la respiration littéraire est lente, plus facile. J’ai tendance à vouloir y mettre mes locomotives. Tahar Ben Jelloun, qui vient du Seuil, c’est pour janvier. Sollers, c’est mieux pour janvier aussi. Pascal Quignard, au mois de mars. La saison de septembre ne peut pas oublier les prix littéraires. Elle cristallise les difficultés et l’ingratitude de ce métier, dans une atmosphère très concurrentielle, marquée par le besoin de reconnaissance, d’argent, etc. Les auteurs sont de plus en plus demandeurs de succès, il faut à la fois établir des scores et s’inscrire dans la durée. La presse, elle-même, ne peut pas lire tous les livres. Il y a des sacrifiés, de la casse, et c’est l’éditeur qui reçoit les bris de verre au visage. Cela fait toujours des petits dégâts collatéraux. J’ai deux amis écrivains : Pascal Quignard, longtemps j’ai espéré avoir le Goncourt avec lui, finalement il l’a eu chez Grasset ; et François Weyergans, dont j’étais assez proche, pareil.

 

Comment êtes-vous organisé ?

 

Des éditeurs comme Christian Bourgois ou POL se saisissent d’un livre en direct, le prennent ou le rejettent. Moi, j’interviens s’il y a un problème particulier. Mon souci est donc plutôt de choisir mes collaborateurs littéraires... C’est un travail d’équipe. Je suis comme un chef de gare, ou comme dans un aéroport : je regarde si les avions ont leur plein de kérosène ; je veille à l’équilibre des programmes. Trop de titres, vous n’allez pas pouvoir les défendre. Je ne veux pas dire qu’il y a trop de livres. Non. Il y a trop de livres qui se ressemblent, ou trop de faux livres.

 

La façon dont vous gérez les auteurs du passé évolue. Auriez-vous sorti le Ramier d’André Gide il y a quinze ans ?

 

Non, cela n’aurait pas été compris. Si nous le faisons aujourd’hui, c’est moins le fait de l’évolution de Gallimard que de Catherine Gide, la fille de Gide : avec le temps et l’expérience, elle est devenue plus souple. Une de mes premières activités ici a été de faire les « Cahiers » Céline avec Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard. Je vais publier un choix de la correspondance de Céline en Pléiade, on n’aurait pas pu le faire il y a quelques années. Personnellement, je pense qu’on devrait publier les pamphlets. Sa veuve s’y oppose. Un jour peut-être... Je suis l’exécuteur testamentaire de Paul Morand. J’ai publié son Journal inutile, quasiment pas censuré. En revanche, je me pose des questions sur la correspondance, énorme, qu’il a entretenue avec Chardonne. Morand n’en sort pas grandi. Chardonne non plus. En même temps, Morand souhaitait qu’elle soit publiée. Il faut que j’y réfléchisse.

 

Que représente pour vous une maison comme Verticales (label éditorial racheté au Seuil) ? Est-ce l’équivalent d’une collection ?

 

J’ai formé un petit ensemble, avec Verticales et Joëlle Losfeld : je les installe rue Saint-André-des-Arts, avec POL, dans les locaux autrefois occupés par Balland ; la Table ronde (rachetée à 97 % en novembre, ndlr) n’est pas très loin. Pour nous, ces satellites ont plutôt la fonction qu’avaient naguère les revues littéraires, qui permettaient de «draguer» les auteurs. Ils ont des petits tentacules, des papilles gustatives différents des nôtres. Après, j’ai ma voiture-balai. Eventuellement, les auteurs peuvent passer dans la collection «blanche», comme Jauffret ­ en complet accord avec Bernard Wallet (le patron de Verticales, ndlr).

 

La maison Gallimard est un ensemble diversifié et intégré, de l’édition à la librairie...

 

Il n’y a pas de logique industrielle derrière nos librairies. Depuis la librairie du boulevard Raspail, créée par mon grand-père, elles ont plutôt été acquises sur des coups de coeur : celle de la place Clichy, le Divan, Delamain, et, à Strasbourg, Kléber (que nous allons développer). Mais nos librairies ne jouent quand même pas un rôle stratégique. Ce qui est important, pour notre développement, c’est plutôt le secteur jeunesse et les filiales comme Denoël, ou encore le fait d’avoir notre propre diffusion et notre distribution, avec un centre de traitement des livres qui peut abriter soixante millions de volumes et traiter quatre-vingt dix-mille références...

 

Qu’est-ce qui vous détermine à intégrer certains labels ou, au contraire, à créer des filiales, comme récemment pour la BD ?

 

Dans le domaine de la BD, je me suis associé à cinquante-cinquante avec Soleil pour relancer la marque Futuropolis, que j’ai apportée dans l’accord. La filialisation se justifie quand on a besoin d’un partenaire,mais pas autrement. On peut aussi dire qu’il y a des intégrations qui ont un sens, comme le fait de reprendre POL, par exemple, et d’autres pas. Il n’aurait pas été logique que je récupère First. Ni Le Rocher à 100 % : j’aurais pu, mais je n’ai pas voulu, j’ai préféré me limiter à une participation. De cette façon, je m’associe à un partenaire qui peut prendre une place dans la littérature populaire, je sécurise le contrat de diffusion-distribution passé avec lui et... c’est toujours une petite part de marché que la concurrence n’aura pas !

 

En matière de diffusion-distribution, après Odile Jacob, allez-vous récupérer L’École des loisirs, autre grand diffusé du Seuil ?

 

L’École des loisirs va nous rejoindre. La seule incertitude porte sur la date du transfert, compte tenu du contentieux qui les oppose au Seuil et pour lequel ils sont en attente d’un jugement sur le fond. Par ailleurs, nous avons confirmé notre contrat de distribution avec Bayard. Cela dit, les problèmes que le Seuil peut rencontrer, je ne m’en réjouis pas. Aujourd’hui, je me sens plutôt seul. Dans la catégorie des maisons familiales d’une certaine taille, restent Albin Michel et moi. Et Albin Michel est dans le sillage d’Hachette, à travers sa distribution et son association au Livre de poche. Aujourd’hui, les bateaux ne régatent plus suivant les mêmes règles, pardon pour l’image nautique. Depuis que Charles-Henri Flammarion a vendu, qu’il y a eu l’affaire Hachette-Éditis, que les familles Bardet-Flamand ont vendu le Seuil, tout est agité. Et ce n’est pas fini. On est dans la tempête.

 

Il faut grandir ?

 

Il y a un vrai problème de concentration. Le point numéro un, c’est la liberté d’accès au marché. Les équilibres éditoriaux essentiels à Gallimard dépendent de la survie d’une librairie de qualité. Elle est là, elle joue son rôle. Mais sa situation est préoccupante. Et on s’aperçoit que, si le marché se développe, c’est essentiellement sur les hypers et les grandes surfaces. Une maison de taille moyenne, comme la nôtre, a aussi besoin d’accéder à ces autres niveaux. Or, les groupes qui contrôlent toute la chaîne de commercialisation risquent de fermer ces débouchés aux autres éditeurs. J’ai, par exemple, du mal à vendre mes guides de voyage, qui sont en concurrence avec le Guide du routard (publiés par Hachette, ndlr) dans les Relay Hachette. Des séries comme les Folio à deux euros, je n’arrive pas à les vendre non plus. Et, pour atteindre certains fragments de marché, qui n’appartiennent pas aux chaînes de mes concurrents, je suis quand même encore obligé de passer par leur intermédiaire : une partie des centres Leclerc, par exemple, ne veulent pas être traités en direct, ils ont donné l’exclusivité de leurs relations-livres à Hachette.

 

Serez-vous un jour tenté de vendre ?

 

Je n’en ai pas l’intention ! Sauf si j’étais frappé d’une grave maladie, à ce moment-là, je simplifierais les choses pour mes petites héritières. Je tiens ce métier de mon grand-père, de mon père, c’est un passage de témoin. Je suis fier de cette maison, j’aime bien la vie par ailleurs, je n’irais pas me sacrifier. Si ça peut continuer au-delà de ma personne, j’en serai ravi. Dans ce métier, on est comme les galeristes, il faut aimer être trahi, aimer aussi ne pas être trahi. On passe autant de temps à trouver des auteurs qu’à vouloir les garder ou empêcher qu’ils s’en aillent. Ou à vouloir récupérer l’auteur du copain. Ce qui m’embête, ce sont les concentrations. Je ne suis pas obsédé par Hachette, mais Hachette a repris des maisons en Espagne et en Angleterre : les auteurs jeunesse que ces maisons publient et qui m’intéressent, je ne peux pas les avoir. Ce n’est pas une bonne chose.

07:00 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (22)

Commentaires

"Les équilibres éditoriaux essentiels à Gallimard dépendent de la survie d’une librairie de qualité"

Or les bonnes librairies existent toçujours, mais elles devienent plus rares. Si elles devaient disapraître un jour, ce serait une catastrophe. Imaginez que les grandes surfaces détiendraient seules le monopole de la vente. Quand on voit ce qu'elles proposent en rayons...
Ou alors les librairies restantes, pour survivre, devront à leur tour ressembler aux grandes surfaces. Ce qui veut dire qu'on y trouvera 300 exemplaires d'Harry Potter ou du Da Vinci Code, mais plus les poètes, par exemple.

Bon, on n'en est pas là et je sais que je suis pessimiste de nature. Mais il me semble que l'évolution des librairies ne va pas dans le bon sens.

Écrit par : Feuilly | mardi, 10 janvier 2006

Ce qui me sidère, moi, c'est la remarquable platitude de ces propos. Rien d'original, rien de relevé, aucune idée neuve, aucune ambition, aucun désir d'aller plus loin ni, surtout, vers une amélioration.

Ensuite, on peut lire entre les lignes, surtout vers la fin, que l'avenir de la maison Gallimard n'est pas assuré. A qui croyait que cette firme pourrait vivre éternellement, on rappellera que rien n'est jamais définitif, même pas la NRF. C'est l'aveu pur et simple de l'évolution de Gallimard depuis de nombreuses années. Aujourd'hui, cette maison publie ce qui se publie ailleurs. Il n'y a plus aucune différence, ni dans les choix ni dans les méthodes. Evidemment, il reste le prétexte culturel de la Pléiade, mais c'est tout. Et si Gallimard disparaît quelque jour, il n'y aura plus de Pléiade du tout.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 10 janvier 2006

Exact. Il avoue d'ailleurs qu'en cas de gros problème (santé), il liquiderait vite pour préserver les intérets des héritières. Comme il avoue que sa force est le fond Gallimard. Pour le reste il réfléchit en chef d'entreprise qui se bat contre la concurrence, pas en directeur de la plus prestigieuse maison française. Il admet que la recherche des nouveaux talents est en partie laissée aux maisons comme Verticales. Finalement il ne prend pas d'énormes risques.

Écrit par : Feuilly | mardi, 10 janvier 2006

Tiens ! C'est en cela que cet entretien m'a paru remarquable. J'ai rarement lu, dans les propos des patrons de grandes maisons, autant de volonté purement gestionnaire. Je fais tourner ma boîte, et basta. C'est lamentable. Et c'est cette maison qu'on donne en exemple d'une entreprise familiale réussie, indépendante et demeurée familiale depuis trois générations. Je trouve que cet entretien est un aveu d'échec : la NRF n'est plus qu'une enveloppe vide. Claude, déjà, n'était pas à la hauteur de son père, cela se disait discrètement. Quand Claude a passé la main, il y a eu une petite querelle dynastique. Si je me rappelle bien les choses, ce n'était pas Antoine qui aurait dû reprendre, mais ce fut lui qu'on estima le plus à même de le faire. Des années plus tard, on voit le résultat.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 10 janvier 2006

Il tombe à pic, votre sujet sur l'édition et les librairies. Moi qui envisageait d'aller vers les métiers du livre pour devenir libraire... C'est vrai que ça fait peur cette concentration du marché, malheureusement, je ne vois pas comment les petits libraires de quartier pourraient lutter, d'autant plus que malgré la loi sur le prix unique du livre, certaines enseignes arrivent à vendre à des prix plus bas que ceux indiqués sur les bouquins.

Écrit par : Jul | mardi, 10 janvier 2006

De fait, dans ma région j'ai constaté que le groupe Carrefour comme la Fnac accordent une réduction sur certains livres à succès (prix Goncourt, etc.)

Par ailleurs les tenants du néolibéralisme pur et dur réclament une libéralisation du prix du livre, soi-disant pour des raisons sociales, afin de permettre aux plus pauvres d'acheter leurs livres à un prix réduit.

Ce qui est sûr, c'est que le jour où le prix sera totalement libre ce sera la fin des bonnes librairies. Personnellement je continuerai à les fréquenter, mais il faut reconnaître qu'une partie de leur chiffre d'affaire actuel provient déjà sans doute de la vente des livres à succès.

Ceci dit, dans ces "bonnes librairies" on n'a pas pu me dire avec certitude que la collection des Classiques Garnier avait disparu (j'ai dû pour en être certain consulter le docteur Layani). Comme on ne trouve pas non plus Luc Bérimont sur leurs rayonnages.

Écrit par : Feuilly | mardi, 10 janvier 2006

Jul : en matière de prix, la réduction la plus forte ne doit pas dépasser 5 % (ce que fait la Fnac qui, avant la loi sur le prix unique de 1981, dite "Loi Lang", pratiquait 20 % de remise). Si vous trouvez moins cher encore, c'est qu'il s'agit de livres soldés, c'est-à-dire de fin de stocks, de "queues d'édition", autrement dit de pilon, et ce sera chez des soldeurs (ce qu'on appelle le pilon est une image ; les livres ne sont pas pilonnés, ils sont cédés à vil prix à un soldeur qui les remet en vente avec une forte remise). Si vous désirez être libraire, allez-y, de toute façon, il faut aller au bout de ses désirs.

Feuilly : les "bonnes librairies", tu sais, je ne me fais plus guère d'illusion. Comme tout un chacun, ces libraires-là veulent gagner leur vie, ce qui est d'ailleurs légitime. S'il en reste, les "bonnes librairies" n'ont plus de fonds parce qu'un fonds c'est de l'argent immobilisé et qu'en économie capitaliste, le stock est ce qui coûte le plus cher. Donc, pas de fonds. Donc, pas de "bonnes librairies". Depuis quelques années, on assiste à une tentative pour contourner l'obstacle : on crée un fonds en collection de poche. Mais nous en avons déjà parlé ici bien souvent, les poches coûtent maintenant plutôt cher et l'appellation ne recouvre plus qu'une question de format. Quant aux "semi-poches", c'est une arnaque de première. Surtout, un fonds en collections de poche n'est pas un fonds réel : il faut cesser de croire qu'on peut tout trouver en poche, c'est faux.

Le prix libre du livre, on a déjà connu cela, avant 1981. C'est ce qui a fait fermer la plupart des librairies indépendantes. Bien entendu, cela n'a pas gagné au livre un seul lecteur. Les gens qui ne lisent pas ne lisent pas, ce n'est pas une question de prix, du moins pas uniquement. C'est comme lorsqu'on cherche à justifier la désaffection des salles de cinéma en invoquant le prix des places. Ce n'est pas le problème du tout, naturellement.

Pour ce qui est de Luc Bérimont, le Cherche-Midi avait entamé, en 2000, une publication des oeuvres poétiques complètes en trois volumes, en collaboration avec les Presses universitaires d'Angers. Seul le premier tome a paru et l'éditeur n'est pas en mesure de dire quand sera édité le second. A mon avis, il ne le sera pas. Je crois avoir déjà dit ça ici, non ? Je dois en principe rencontrer la compagne de Bérimont prochainement pour un travail en cours. Je lui poserai la question.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 10 janvier 2006

Jacques > je ne sais plus quel mouvement politique hostile au Traité de proposition consitutionnelle avait compté les occurrences des termes liés au monde de la finance, de la gestion, etc., dans le traité. On pourrait appliquer ce petit jeu à cet entretien avec Antoine Gallimard, et ce serait frappant : il n'y a aucune différence entre la teneur de ses propos et celle d'un petit magnat* de la Bourse.

* oxymore intentionnel

Écrit par : Guillaume | mardi, 10 janvier 2006

Jacques, entièrement d'accord avec ton analyse de l'évolution des "bonnes" librairies, et également du coup d'épée dans l'ea * que sont les "semi-poches". Le nombre de Tourangeaux que je connais qui, lecteurs et a priori cultivés,, couvrent d'éloges La Boîte à Livres, qui mérite son nom infâme, et trouvent "austère" la seule vraie librairie de la ville, LE LIVRE (Place du Grand Marché), est** proprement sidérant.

* coquille non intentionnelle
** le sujet est un peu loin

Écrit par : Guillaume | mardi, 10 janvier 2006

Le Guillaume nouveau est arrivé : il s'annote et se corrige lui-même...!

Écrit par : Guillaume | mardi, 10 janvier 2006

N'est-ce pas, tu as comme moi été frappé par la teneur des propos de Gallimard ? Finances et gestion. C'est extrêmement étonnant, d'autant que le milieu très feutré de la grande édition parisienne parle peu d'argent. Je ne dis pas qu'il n'y pense pas, mais il en parle peu. Chez les grands bourgeois, parler d'argent publiquement, c'est très mal élevé. Là, il n'y a que ça. Je tiens cet entretien pour particulièrement révélateur de l'évolution du métier et plus encore de l'évolution de la maison Gallimard. Quant à cet Antoine, il me déçoit infiniment.

Librairies : merci pour ton exemple.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 10 janvier 2006

Guillaume, ce n'est pas un mouvement qui a fait cette étude statistique au départ, mais un prof de l'université d'Aix qui a fourni un outil permettant de sortir les mots de la pseudo-constitution par nombre d'occurrences : Jean Véronis, dont le site Aixtal ou Technologies du langage est excellent. Après, il y a eu les interprétations.

Écrit par : Dominique | mardi, 10 janvier 2006

Ah, c'est Véronis qui avait fait ça ? Encore un coup de LSP...

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 10 janvier 2006

LSP ? Qu'est-ce ?

Dominique > merci de cette érudition jamais prise en faute.

Jacques > Ce que tu dis de la grande bourgeoisie, et qui est fort vrai, prouve bien que la grande bourgeoisie a à peu près disparu. L'héritier des Gallimard est un boutiquier sans manières. Pour tout te dire, je l'ai rencontré en 1990, et je l'ai entendu discuter, à la même table qu'Ivan Levaï et Daniel Pennac ; c'était lui, de loin, le plus fade.

Écrit par : GC | mardi, 10 janvier 2006

Par ailleurs, relisant rapidement l'entretien, je suis choqué de formules telles que "faire les Cahiers Céline". On fait ses comptes, on fait la vaisselle, on fait ses besoins, mais on escalade l'Everest, on visite la Birmanie... on publie/dirige/élabore les Cahiers Céline !

Écrit par : Guillaume | mardi, 10 janvier 2006

Jacques Layani : Claude, déjà, n'était pas à la hauteur de son père, cela se disait discrètement. Quand Claude a passé la main, il y a eu une petite querelle dynastique. Si je me rappelle bien les choses, ce n'était pas Antoine qui aurait dû reprendre, mais ce fut lui qu'on estima le plus à même de le faire. Des années plus tard, on voit le résultat.

Le problème est plus compliqué. Le fils aîné de Claude s'était lancé dans une opération de diversification et d'investissement qui avait failli coûter la peau de la maison, c'était encore à l'époque où Claude était encore à la tête. Ce fils s'est reconverti ailleurs dans l'édition et il est plus entrepreneur que son frère, mais aussi plus aventurier (c'est lui qui a créé la SODIS notamment et qui a coupé le cordon avec Hachette). Disons clairement qu'il a été viré, mais bien avant la passation de pouvoir. S'il n'y avait pas eu Guy Marchand et ses collections, Gallimard aurait été en faillite alors ! Ensuite, Antoine a pris de plus en plus de responsabilités alors qu'il n'était pas dans la maison Gallimard. Il avait en fait la direction de l'entreprise bien avant le décès de Claude : celui-ci était atteint d'Alzheimer depuis des années. La querelle de succession concernait le rachat des parts des deux sœurs et de la mère Simone (qui ne s'occupait déjà plus du Mercure), certaines voulaient vendre : cela a nécessité un montage financier compliqué pour que les entreprises amies rétrocèdent ensuite leur participation, mais Gallimard est autonome à présent. Une autre affaire a beaucoup occupé Antoine Gallimard, l'histoire de Bibliopolis (le propriétaire légal des Classiques Garnier) lorsqu'il a voulu se lancer dans le livre électronique. Il a dû y laisser des millions, mais il est moins perdant que s'il y était resté. Enfin, n'oublions pas que le grand Gaston avait aussi ses affaires foireuses (la librairie Gallimard n'était pas sa seule crémerie, même à ses débuts) et aussi ses machins grand public (c'est le créateur de Détective).

Écrit par : Dominique | mardi, 10 janvier 2006

JL : Avant même sa maladie, Claude était très contesté, voire moqué. Il n'a jamais été très intelligent.

Cela relevait du jeu de rôle auparavant : Robert était le financier et comptable, Gaston jouait les relations humaines (mais on sait qu'il préférait les chevaux de course et les voitures aux écrivains). Le talent de Gaston a été de se faire passer pour un grand mécène alors qu'il se contentait de déléguer la charge de la constitution du fond à Paulhan, Queneau, Lambrichs et Groethuysen en les payant au lance-pierre ou en leur refusant toute grande initiative, et qu'il choyait excessivement les plus lamentables de ses directeurs de collection : Nimier ou Drieu, voire Camus. Michel qui devait être la façade publique est mort et c'est le comptable Claude qui a pris la charge. Antoine a cru refaire vivre l'époque héroïque avec une éminence grise et quelques directeurs de collection bien choisis. Je pense que l'époque de Claude correspond au contraire à une forme de renouveau parce que Queneau, Malraux et Lambrichs ont su prendre du pouvoir à ce moment !

Écrit par : Dominique | mardi, 10 janvier 2006

JL : , je ne comprends pas bien en quoi déléguer une tâche de constitution des fonds en se réservant ultimement la décision n'est pas quelque chose de bien.

Les décisions de Gaston ont été aussi très maladroites, il a poussé des écrivains de dixième catégorie tout simplement parce que son petit favori Nimier le lui disait et qu'il était heureux de lui avoir offert une jolie voiture de course afin qu'il promène sa maîtresse de dancing en dancing. Il faut voir le catalogue des années cinquante ! C'est lamentable et les seuls titres qui vaillent viennent des auteurs ou éditeurs qu'il a le plus méprisés ! Foin de cette idée d'un Gaston grand patron des lettres et qui aurait toujours eu raison.

Écrit par : Dominique | mardi, 10 janvier 2006

GC: LSP=Langue Sauce Piquante: http://correcteurs.blog.lemonde.fr/correcteurs/
(sauf s'il existe autre chose qui correspond à LSP)

Écrit par : Livy | mardi, 10 janvier 2006

GC : Ce que tu dis de la grande bourgeoisie, et qui est fort vrai, prouve bien que la grande bourgeoisie a à peu près disparu. L'héritier des Gallimard est un boutiquier sans manière

Mais c'était déjà la réalité des Gallimard en 1910 et il ne faudrait surtout pas idéaliser un passé totalement fantasmatique. Les Gallimard n'étaient pas des grands bourgeois, juste des marchands qui ont su comment plumer la bonne volaille au bon moment et qui ont su la faire vendre, surtout. Arrêtez de fabuler sur ce que serait la belle époque Gallimard, elle n'a jamais existé ! Arrêtez de croire aux pouvoirs magiques du grand ancêtre, l'illustre Gaston, qui a été en fait une crapule de première envergure et qui se foutait totalement de la littérature sauf si elle attirait de jolies femmes.

Écrit par : Dominique | mardi, 10 janvier 2006

"l'illustre Gaston, qui a été en fait une crapule de première envergure et qui se foutait totalement de la littérature sauf si elle attirait de jolies femmes"

Si c'est vrai, voilà encore un mythe qui s'écroule. Il ne nous en reste plus beaucoup.

Ceci dit on a peut-être tendance à exagérer l'importance des anciens éditeurs. Ce qui est sûr, c'est qu'il y avait à l'époque, dans la littérature française, de grandes pointures parmi les écrivains (Sartre, Malraux, Camus, Proust avant eux, etc.), ce que l’on retrouve moins aujourd’hui. On admire peut-être les éditeurs d’autrefois pour la découverte de tous ces talents, mais en fait ces talents existaient en soi. Le monde de l’édition n’a eu qu’à tendre la main pour s’en emparer.

De même, comme le signale Dominique, le catalogue des années cinquante est tout de même rempli d’un tas de nullités. Comme nous avons oublié ces auteurs de troisième rang, nous conservons l’impression, fausse, qu’il n’y avait que des génies à l’époque. Ce sentiment est encore renforcé par le fait que l’enseignement nous a rendu familiers les quelques écrivains talentueux. Du coup, pour nous, ils appartiennent à un monde mythique, idéalisé. Si nous avions été leurs contemporains immédiats, nous aurions mieux perçu leurs petits travers et parfois leur mesquinerie.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 11 janvier 2006

En effet, l'entrevue donne l'impression que le bonhomme n'est préoccupé que par le bizness, mais il ne faudrait pas oublier que l'entrevue est tout de même dirigée par les questions du journaliste. Dans l'intro, on parle de "stratégie d’entreprise sur un marché français où la concurrence se raidit depuis la fusion avortée d’Hachette-Éditis, la marge de manœuvre reste délicate pour Gallimard." Retour sur 2005 avec un chef d'entreprise: on y parle bizness. Rien d'étonnant il me semble.

Tout ce que vous dîtes sur Gallimard, l'ancêtre comme le rejeton est sûrement vrai, mais si on avait posé, en début d'entrevue, qu'on allait parler de littérature et de création et qu'il nous parlait sans cesse de sa gestion, je serais d'accord. Là, simplement, il parle gestion. Moi ça m'a intéressé. D'accord avec vous sur l'impression qu'il se contente de gérer la marque, le passé. Ça augure mal de l'avenir.

Écrit par : Benoit | mercredi, 11 janvier 2006

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