dimanche, 26 février 2017
Clay conteur
Quand Philippe Clay publie ses souvenirs en 1980, « ce n’est pas triste », comme on dit. Il ne s’agit nullement de ses mémoires de comédien et de chanteur, mais uniquement de son adolescence – entre douze et vingt ans – chahutée et accélérée par la guerre : le récit tient en huit années, de 1939 à 1947.
Clay a un véritable talent de conteur. Les épisodes qu’il narre dépassent le cadre d’anecdotes pour acquérir le statut enviable de scènes. Le ton est toujours juste, le souffle maîtrisé, le rythme exact.
C’est un livre très humain, souvent émouvant, toujours sincère, où l’on s’esclaffe régulièrement. Quant aux dernières pages, dans lesquelles l’auteur met en scène son redoutable ami Jacques, étudiant en médecine, elles sont inénarrables, mêlant le rire et la stupéfaction.
Philippe Clay, Mes universités, Laffont, 1980.
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samedi, 25 février 2017
La Virevolte par Nancy Huston
Cette note de lecture a été rédigée en 1994.
Une danseuse professionnelle abandonne un jour ses deux filles pour se donner à son métier et parce qu’elle ne peut plus nier sa vérité intérieure, c’est l’argument, très résumé, de La Virevolte, par Nancy Huston, écrivain d’origine canadienne, qui a choisi d’écrire en français depuis de nombreuses années.
Bien sûr, ce n’est pas tout. Ce roman est avant tout l’expression réussie de plusieurs sensibilités féminines, celle de Lin, la danseuse ; de son amie Rachel ; de ses filles, Angela et Marina, surtout. Et aussi, celle de l’amour difficile, aussi bien entre Lin et son mari Derek, qu’entre Rachel et Sean. D’autres personnages, certaines destinées se croisent autrement et Nijinski et Isadora Duncan passent en songe. Une sensualité extrême parcourt le texte, avec comme un appel constant vers la lumière, un envol permanent d’un mal de vivre à l’autre.
Nancy Huston, dans ce livre qu’il convient de savourer à petits coups ambrés, odorants, opte pour une écriture narrative qui répond à un double mouvement. La structure classique, linéaire, de la phrase éclate parfois pour devenir une mise en forme déstructurée qui, de loin en loin, aligne la prose sur la poésie, aboutissant à des retours à la ligne, à la suppression de la ponctuation et, tout particulièrement, du point final. Ce qui s’interprète aussi comme une « mise en danse » de l’écriture, une chorégraphie. Comme l’expression typographique (disposition) et syntaxique (langue et écriture) de l’évolution du personnage. À aucun moment, cette méthode n’entache le sens immédiat d’un récit qui n’a rien d’abscons. Tout au plus pourrait-on lui reprocher une durée assez peu maîtrisée : on a peine à croire que tant d’années s’écoulent dans le temps du roman ; mais ce défaut « technique » ne nuit pas réellement au sentiment brûlant, voire au malaise que peut éprouver le lecteur devant un sujet tabou, alors que l’auteur ne porte aucun jugement, jamais. Elle présente avec une immense sincérité des écorchures aux guérisons contradictoires. Et l’éternelle patience des femmes, face à la vie, face au désir, face à leur accomplissement souvent bâti sur des décombres. D’une mère à sa fille, d’une fille à la sienne, se transmet le même mystérieux secret : le langage de l’eau.
Nancy Huston, La Virevolte, roman, Actes Sud, 1994.
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samedi, 11 février 2017
L'obstiné ridicule
Ainsi donc, l’homme qui, il y a quelques jours encore, demandait à être entendu au plus vite par le parquet national financier, conteste aujourd’hui, par la voix de ses avocats, la compétence de celui-ci. L’homme qui demandait à ses amis de le soutenir durant quinze jours fait à présent ce qu’il peut pour faire traîner la procédure en cours. L’homme qui est incapable de fournir la moindre preuve d’un travail réellement effectué par son épouse – sans quoi cela serait fait depuis longtemps – se défend en invoquant un complot médiatique. Le reste à l’avenant : la journaliste anglaise, auteur de l’interview de sa femme effectuée il y a dix ans, se serait rapprochée d’elle pour lui dire combien elle était choquée de l’utilisation qui avait été faite par la télévision de l’archive filmée correspondante, ce que l’intéressée a immédiatement démenti ; l’homme présente des excuses alors qu’il assure n’avoir rien fait de répréhensible. Son propre parti le soutient du bout des lèvres et certains de ses membres, pas du tout – ou bien en déplorant sa manière de se défendre. Totalement discrédité, l’homme s’acharne, s’obstine et se ridiculise. Il tente de gagner du temps, une éventuelle élection devant lui assurer cinq années d’immunité. Mais il est déjà trop tard. En toute logique, il ne devrait pas être présent au second tour ou ce serait à n’y rien comprendre. Son entêtement est suicidaire. Quelle est la différence entre François Villon et François Fillon ? Tous deux sont voleurs, un seul est poète. À y bien réfléchir, il en est une autre : depuis le XVe siècle, on se souvient de Villon.
20:47 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)