lundi, 01 avril 2013
Demy, 14 : à propos de Model Shop
Il importe de redécouvrir Model Shop. Cet excellent film est d’une beauté austère, d’une beauté sèche, pourrait-on dire. En vingt-quatre heures, George Matthews – un Roland Cassard de Los Angeles, à n’en pas douter – perd sa compagne qu’il n’aime guère, Lola qu’il vient de rencontrer et qui refuse de l’aimer parce qu’elle ne veut plus aimer qui que ce soit, sa voiture dont il ne peut payer les mensualités, ses illusions et, véritable Guy Foucher de Californie, reçoit sa feuille de route pour partir au Vietnam dont, selon toute vraisemblance, il ne reviendra pas, à l’instar du Frankie de Lola, ou bien meurtri à jamais, comme le Guy des Parapluies. En attendant, il a perdu Lola, comme Roland avant lui. En résumé, on est chez Demy, les amours ne durent pas et tout se passe au plus mal. Ceux qui croient à la gentillesse, voire à la cucuterie du monde de Demy, en seront pour leurs frais.
Concrètement, Model Shop est un film dépouillé, un très beau documentaire sur le Los Angeles de 1968, road-movie bien plus intéressant que le trop flatté Easy Rider de Dennis Hopper, qui le suivra de peu (1969). Rien ne dépasse la mesure de l’humain et de ses sentiments. Aux Américains qui, séduits et attirés par le succès mondial des Parapluies et des Demoiselles, l’invitent pour qu’il tourne une comédie musicale plus ou moins classique (qui, de toute manière, eût été un film de Demy, puisqu’il s’approprie toujours ce qu’il fait et intègre chaque commande, chaque attente, dans son univers propre), il livre une œuvre austère et triste, sans danses et sans numéros, pourtant superbe, tout simplement. L’accueil réservé à Model Shop ne sera pas grandiose mais il lui sera néanmoins proposé de réaliser un autre film : il préfèrera rentrer en France pour se consacrer à Peau d’âne.
15:17 Publié dans Fauteuil payant | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
J'ai lu avec intérêt vos articles à propos de Jacques Demy, un metteur en scène que je connais très peu pour être honnête. Je n'en connaissais que Les parapluies de Cherbourg et Peau d'Âne.
Mais ce que vous en dites, avec passion, donne très envie de s'intéresser à sa filmographie. J'ignorais que certains de ses films étaient liés entre eux par la récurrence de plusieurs personnages ; Et c'est certainement l'idée qui m'intéresse le plus dans ce que j'apprends en vous lisant.
Écrit par : Gaspard | vendredi, 05 avril 2013
Ah, voilà une œuvre passionnante, vous savez. Bien loin de l'image de mièvrerie qui malheureusement lui est souvent attachée. Tout au contraire, c'est un cinéma de la cruauté, si cruel d'ailleurs qu'il nous fait croire... qu'il ne l'est pas. Ce qui est le comble du raffinement.
Les personnages récurrents, dans une œuvre littéraire, c'est facile (façon de parler) : l'auteur décide de faire revenir tel personnage à tel moment; mais au cinéma, il y a un écueil fondamental : il faut que le comédien soit libre à ce moment-là. Et c'est ainsi que Demy n'a pas pu traiter telle idée qu'il avait pour Les Demoiselles de Rochefort, où devaient revenir, même incidemment, quatre personnages des Parapluies... avec, en prime, une mise en abyme.
Son idée était de faire cinquante films tous liés entre eux. C'était une gageure et, malheureusement, il n'a pu le faire, d'autant que son œuvre est inachevée puisqu'il est mort à cinquante-neuf ans.
Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 05 avril 2013
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