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mardi, 20 novembre 2012

Pascal Pia tel qu’on l’habille

Cette note complète et développe celle publiée ici-même, le 24 avril 2012, sous le titre Pia shabille chez le Lérot. Elle traite, du point de vue de la conception éditoriale, de lensemble des articles publiés par lexcellent chroniqueur littéraire dans lhebdomadaire Carrefour.

Pascal Pia est certainement le plus grand critique littéraire de son temps, en tout cas celui dont les articles sont, aujourd’hui encore, les plus goûteux. Écrivant cela, je n’apprendrai rien à personne, et certainement pas à ceux qui ont lu, par exemple, son Apollinaire, qui fait toujours autorité.

ph10003.JPGLe premier volume de ses chroniques a paru en 1971, du vivant de l’auteur, chez Denoël, dans la collection « Dossiers des Lettres nouvelles » que dirigeait Maurice Nadeau et à l’initiative de celui-ci, qui l’a de plus préfacé. Comme Pia ne voulait pas s’en occuper, ni même en entendre parler, ce fut Nadeau qui s’en chargea et le résultat, sur le plan éditorial, fut et reste innommable. Nadeau a choisi les textes consacrés par son ami à des auteurs du XIXe. Soit. Mais il a regroupé les feuilletons par écrivain, sur près de six-cents pages, sans indiquer la date de parution initiale dans Carrefour (voire en n’en tenant pas compte dans ses regroupements) et en se permettant des intertitres de son cru. On ne fait pas plus maladroit. Ces rapprochements intempestifs ont en effet un gros défaut : ils mettent en évidence quelques redites. Dans une chronologie respectée, elles eussent été acceptables : Pia, en effet, pouvait estimer devoir rappeler, de loin en loin, parfois à des années d’écart, telle ou telle chose, utile à son propos. En compilant les articles par sujet, Nadeau fait ressortir les précisions récurrentes du chroniqueur, avec une indélicatesse à laquelle, j’espère, il n’a même pas dû penser. Par surcroît, tous les textes consacrés à des auteurs du XIXe ne figurent pas dans cette anthologie. Certains ont disparu. Cette somme au format 12 x 21 cm, si riche et si regrettablement mal fichue, est reliée et recouverte d’une jaquette. Elle a au moins le mérite d’être transportable, ce qui, on va le voir, ne paraît pas constituer une évidence pour l’édition d’aujourd’hui.

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index.jpgDeux nouveaux tomes ont en effet paru, longtemps plus tard, en 1999 et 2000, chez Fayard, avec l’aide du Centre national du Livre (CNL). Cette fois, on constate avec plaisir que l’édition est correcte : ordre chronologique de parution initiale des feuilletons, claire indication de la livraison d’origine. Et puis, voici une surprise : si l’on trouve ici des articles consacrés à des auteurs du XIXe siècle parus après 1971 et n’ayant donc pu être compilés dans l’édition précédente, on en lit aussi, qui eussent dû logiquement en faire partie et ont été oubliés, ou non retenus. Les deux préfaces sont de l’inévitable Nadeau. Hélas, il suffit de tenir ces volumes en main pour s’apercevoir que leur réalisation est une hérésie : papier trop blanc, police de caractères d’un corps insuffisant, poids considérable et cartonnage souple qui ne résiste pas au nécessaire temps de lecture (chaque ouvrage compte quelque neuf-cents pages au format 16 x 24, 5 cm). On n’a pas prévu de table des matières, et flanqué chaque tome de quatre index mal faits : présentés à l’identique quand ils sont d’usage différent, ils prêtent à confusion et comportent, de plus, des omissions. Il y avait matière à proposer quatre tomes au lieu de deux, ou bien aurait-on dû employer un papier-bible, infiniment plus léger et d’une exquise matité. Lire ces livres autrement qu’assis à une table est une gageure. Dans les transports en commun, cela relève de la provocation. Les emporter avec soi tient du pari athlétique et d’un entraînement de longue durée. Surtout, ils s’avèrent moins solides que celui édité en 1971, ce qui en dit long sur ce qu’est devenu le traitement physique, matériel, de la chose imprimée. Au bout du compte, on peut penser que ces livres ne sont pas faits pour être lus. Ils sont faits pour être vendus.

304262981.jpgEnfin, le solde (le solde ?) des chroniques que Pia rédigea pour Carrefour – il en restait à colliger ! – fut présenté en 2012 par un éditeur artisanal connaissant son métier. Ce livre est incontestablement le plus beau et le plus réussi des quatre et, pour cela, il mérite qu’on s’y attarde.

Plus de cinq cents pages d’assez grand format (18 x 24 cm), de petits caractères serrés, des cahiers cousus et collés, non massicotés, une couverture rempliée, une impression en offset. S’agirait-il d’un volume d’il y a plusieurs décennies ? Point du tout, on est ici dans la maison dite « du Lérot », chez Étienne Louis, cet éditeur de Tusson (Charente) qui persiste dans l’érudition et le beau livre de conception traditionnelle.
Si l’on en croit Jean-Jacques Lefrère qui a préparé l’édition et l’a préfacée, d’aucuns s’abonnaient à Carrefour uniquement pour les articles de Pia. La période considérée s’étend de 1954 à 1977. On nous assure qu’il n’existe ici aucun doublon avec le contenu des trois parutions antérieures. C’est dire l’extraordinaire quantité de livres que Pia a pu chroniquer en plus de vingt ans d’exercice.

On observe que chaque feuilleton a sensiblement la même longueur que les autres, Pia ayant bénéficié, dans le journal, d’une rubrique fixe. Quatre pages, la dernière n’étant pas toujours entièrement pleine. Il arrive néanmoins que l’article soit plus long, atteignant cinq pages. Chacun traite d’une œuvre, parfois de deux, plus rarement de trois ou quatre. Dans ce cadre bien délimité, Pia use de phrases qui pourront paraître longues au lecteur d’aujourd’hui – elles sont pourtant simples, bien articulées, construites solidement : c’est notre regard qui a changé, pas en bien, et les habitudes de lecture.

On est frappé par l’érudition du critique, sa bienveillance qui cependant ne censure jamais le regret d’une faiblesse ou d’une insuffisance de l’auteur considéré, son humour léger, permanent, et même par un brin d’ironie arboré à fleur de sourire, comme à la boutonnière. Tout cela est servi par une langue, faut-il le dire, impeccable.

Une iconographie abondante est reproduite en fin de volume, et non au milieu comme la vogue des biographies en a généralisé la pratique. Ceci, encore, qui n’existe plus : un papillon encarté dans le livre signale deux minimes errata dans les légendes.

Et si cinquante euros, c’est une somme, il reste que cela ne représente pas plus – voire moins – que les deux tomes typographiquement « gonflés » qu’on n’aurait pas manqué de nous imposer, si ce livre avait été réalisé par un éditeur commercial sur l’immonde papier d’une presse Cameron, cette erreur historique, cette monstruosité de l’imprimerie.

Pia Chroniques Du Lérot 2011.jpg

Est-ce terminé ? Non, car, parallèlement, en 2011, les éditions du Lérot ont repris, sous le titre Céline en liberté, qu’elles ont choisi, les dix articles que Pia avait consacrés dans Carrefour aux œuvres de l’écrivain. Quatre de ces textes sont des doublons, six autres complètent les ouvrages dont j’ai parlé, si bien que ce volume de quatre-vingts pages de format 15 x 21 cm, présenté par Jean-Paul Louis, vient encore s’ajouter aux précédents. On peut le comprendre puisqu’il s’agit en quelque sorte d’une anthologie thématique. Ce recueil souffre, inévitablement, des mêmes maux que celui de 1971. Rapprocher des textes parus à des écarts importants aboutit ici et là à créer des redondances. On ne s'arrêtera pas à cela.

Au total, cette œuvre, car le mot convient qui se présente seul sous la plume, représente environ trois mille pages, souvent grandes et toujours serrées. Le fait qu’il ne s’agisse ici que des « papiers » donnés à Carrefour laisse songeur : on n’a pas encore recueilli ceux du Magazine littéraire ou de La Quinzaine littéraire.

Bien que Pia n’ait jamais conçu ses articles selon un plan d’ensemble – tout au contraire, il chroniquait les ouvrages qu’il recevait, ce qui aurait dû interdire le regroupement factice effectué par Nadeau – il est devenu banal d’affirmer que l’ensemble de ces feuilletons forme, par-delà la critique au riche sens du mot, une véritable histoire de la littérature d’expression française, au travers de ce qui fut, durant de longues années, proposé en librairie. Cependant, la chose est réelle et cela constitue une raison supplémentaire de regretter la disparate de sa publication.

Il conviendrait de refaire une édition complète, qui serait repensée et réimprimée dans un esprit unique, en six ou sept volumes sur bible, par exemple, car, dans l’immédiat, on jurerait une construction dont nombre d’architectes successifs auraient repris les plans d’origine, en les modifiant à leur guise. Ne rêvons pas, cela n’existera pas.

16:49 Publié dans Pascal Pia | Lien permanent | Commentaires (0)

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