vendredi, 09 novembre 2012
Skyfall, une parfaite réussite
JE DOIS PRÉCISER, SELON LA FORMULE HABITUELLE, QUE CET ARTICLE DÉVOILE UN GRAND NOMBRE DE POINTS-CLÉS DU FILM.
Cet article a été précédemment publié sur trois forums consacrés à Bond.
Contexte
J’ai vu Skyfall samedi 27 octobre après-midi, vingt-quatre heures après sa sortie, en version originale sous-titrée. À Paris, avenue des Gobelins, à 13 h. Dans les premiers rangs, se tenaient des gamins de douze ou treize ans, et je me suis dit que j’avais cet âge lorsque j’allais découvrir Bons baisers de Russie. À ceci près que j’étais avec mes parents, eux étaient entre eux, formant un petit groupe. Les temps changent. Il n’en reste pas moins que, dans la salle, se pressaient quatre générations, ce qui m’a amusé.
Genre du film
La presse l’avait dit et répété à satiété : on se situe entre un film d’action et un film d’auteur, et ce tout au long de ce nouvel opus. C’est précisément ce qui m’a enchanté. Tous les codes habituels sont respectés, sans appuyer trop, sans artifice, et pourtant, c’est un film d’auteur, à l’esthétique incontestable : filmage, montage, photographie, tout est très bon. Sam Mendès signe à la fois un Bond et un Mendès, je trouve cela très bien. Il faudrait vraiment faire la fine bouche pour ne pas reconnaître que le film des cinquante ans est réussi, de haut niveau, et marquera l’histoire de la série.
Les journaux l’avaient aussi répété : le film joue en permanence sur l’opposition entre les anciens et les modernes, balançant de l’un à l’autre. Bond est-il un personnage ancien qui ne peut plus servir à rien puisque Q peut tout faire, de son bureau, avec une machine et quelques écrans, ou même de chez lui, en pyjama et avant son thé, comme il l’affirme lui-même ? Ou bien se révèle-t-il indispensable, lorsqu’il faut se battre ou dépasser la technologie dans la recherche de l’humain ? Tout au long de l’œuvre, les scénaristes jonglent avec cette opposition, adoptant tantôt un point de vue, tantôt l’autre, mais justifiant Bond au bout du compte, évidemment. Je pense que, s’agissant du cinquantenaire de la série, ce débat ne pouvait être évité. C’était une bonne façon de la remettre sur les rails, après quatre années de silence.
Bien évidemment, il ressort de cela qu’il n’y a pas lieu d’opposer l’ancien et le moderne, qui sont complémentaires.
Gunbarrel
Oui, il est à la fin et cela n’a effectivement pas de raison d’être, sinon que ça annonce la mention habituelle, la formule magique : James Bond will return.
Je n’ai aucune preuve de ce que j’avance, c’est très intuitif, mais quelque chose me dit que ce sera désormais toujours comme ça. De toute façon, nous n’y pouvons rien, nous pourrons toujours le regretter mais, dans quelques années, les plus jeunes, qui auront toujours connu le gunbarrel à la fin, se demanderont comment on a bien pu le supporter, placé au début.
Générique
Magnifique générique, enchaînant parfaitement avec le pré-générique et la chute. Bond coule, et place au graphisme magnifique et luxurieux. Évidemment, on passe abruptement de la couleur au noir et blanc (sauf à considérer le noir et blanc comme une couleur, je veux dire : comme un choix). Bien sûr, il y a beaucoup de choses dans ce générique, on peut avoir l’impression d’un fouillis, mais ce n’est pas la mienne ; il faudra d’ailleurs le revoir pour en étudier la composition de plus près.
Craig
Quand je pense qu’il y aura encore des spectateurs pour ne pas apprécier Craig dans le rôle de Bond… Il est incontestable, il l’était déjà depuis Casino Royale, mais comment, désormais, lui nier la pleine possession du personnage, en même temps que la création de quelque chose de profondément personnel, qui s’impose et s’imposera sans coup férir ? Il est impeccable. Rien à ajouter.
M
Sans conteste le personnage principal du film. Depuis longtemps, elle prenait de plus en plus d’importance dans les scénarios et, sur un autre forum, je m’en étais félicité, quand d’autres le regrettaient. Ici, c’est le summum et comme ça ne pouvait pas aller plus loin, elle disparaît à la fin.
Elle disparaît intelligemment, c’est-à-dire qu’on n’a pas l’impression que tout a été conçu dans le but de lui fournir une sortie sur mesures, après une série de films étalée sur plusieurs années, durant lesquelles elle a tenu le rôle avec une autorité et une justesse incontestables.
Faire de M une femme n’avait rien d’évident. Elle est passée par là et aujourd’hui, on se demande si Mallory sera à la hauteur pour lui succéder (je pense que oui, bien sûr).
Plus que jamais, ses rapports avec Bond relèvent de la relation mère-fils. Ça, c’était déjà dans Fleming, où Bond avait pour M (Sir Miles Messervy) une considération importante, un respect profond. Ce qui transparaissait d’ailleurs dans les premiers films où M (Bernard Lee) était le seul devant qui Sean Connery se faisait parfois petit garçon –- et ça marchait très bien.
Cette fois, Bond a perdu sa mère, c’est évident. Pas Monique Delacroix, l’épouse d’Andrew Bond, mais M. Elle meurt dans ses bras, il pleure. Qui plus est, cela se passe sur les lieux de son enfance, dans cette maison où, justement, il a appris autrefois la mort de ses parents et s’est caché durant deux jours dans le souterrain. « Quand il est ressorti, il n’était plus un enfant », dit le vieux garde-chasse, personnage secondaire admirable, interprété magnifiquement et porteur d’une très grande capacité de sympathie.
M lègue à Bond son chien de porcelaine horrible et ridicule avec le drapeau anglais sur le dos, symbole de leur complicité toujours un peu tendue, mais toujours fidèle.
Je crois que nous pouvons remercier Judi Dench pour ce qu’elle a fait du rôle depuis qu’elle l’a pris en charge. C’était vraiment excellent.
Silva
Un fou malade, magistralement interprété. Pour une fois, il ne veut pas conquérir le monde, ni, sans doute, s’enrichir. Son organisation, dont on ne sait pas à quoi elle sert, il l’a montée on ne sait pourquoi. En attendant, ce film est l’histoire de sa vengeance. Il a avec M, lui aussi, un rapport mère-fils. Il ne lui pardonne pas de l’avoir « trahi » lorsqu’elle l’a échangé contre six autres agents. Il a été détruit par cet abandon maternel. À la fin, d’ailleurs, il veut mourir avec elle et de sa main. Il l’appelle « maman », et la scène d’homosexualité, qui ne me choque pas du tout, montre, à mon avis, qu’il considère un peu tous les agents comme ses frères (comme étant tous des enfants de M, en quelque sorte). Donc, Bond est vécu comme son frère et Silva devient incestueux. Je ne veux pas faire de psychanalyse de bazar, je ressens vraiment cela comme ça. Silva est bisexuel, ça existe, pourquoi cela n’aurait-il pas sa place dans un Bond ?
Séverine
Le personnage est envoyé à la mort très vite. À la limite, on se demande pourquoi il existe. C’est vrai, il n’est pas suffisamment exploité, voire pas du tout. Je me demande donc ce qu’on peut en dire vraiment : on ne sait pas à quoi sert Séverine.
Q
Quand on a annoncé, il y a plusieurs mois déjà, que Q serait un si jeune homme, j’ai été extrêmement sceptique. Je me trompais. Non seulement, Q est devenu un champion de l’informatique, mais il est interprété à la perfection. D’avance, je savoure le moment où on le retrouvera parce qu’il est vraiment bien, et solide dans son rôle.
Eve
Ainsi donc, Eve est bien Moneypenny, alors que, depuis un an, tout le monde s’employait à faire taire la rumeur qui lui attribuait le rôle. Mais on ne l’apprend qu’à la fin, lorsqu’elle se glisse derrière un bureau qui, curieusement, et comme celui du nouveau M, retrouve l’aspect d’antan, alors que tout le film joue de la toute-puissance de l’informatique et de la technologie. On est effectivement dans une nouvelle forme de recommencement. Bah, ce n’est pas la première fois que la chronologie est bousculée dans la série, ni la vraisemblance. J’ai énormément apprécié le jeu de l’actrice, je l’ai trouvée vivante, active, subtile. Naturellement, comme tous se le demandent, était-il indispensable qu’elle fût noire ? Reste qu’on va la revoir dans les épisodes futurs.
Reste aussi une question : après la scène du rasage, dit « à l’ancienne », est-ce qu’elle couche ou pas avec Bond ? Si oui – et c’est vraisemblable –, alors, Bond a couché avec Moneypenny, ça, c’est vraiment une première.
Mallory
Je crois que Ralph Fiennes va être un excellent M. En tout cas, il est un très bon Mallory, tout au long du film. Il est blessé lors de la scène du tribunal, à laquelle il prend une part active. Finalement, comme M, il est, dans cet épisode, lui aussi sur le terrain, au moins durant un moment, lorsque la salle d’audience est prise d’assaut par Silva et ses sbires.
Clins d’œil
Innombrables et toujours fins et discrets, heureusement.
Défauts
Le scénario laisse en plan quelques problèmes sans solution.
En premier lieu, cette histoire de disque non récupéré à la fin du film. Il est totalement invraisemblable que M ait pu perdre un tel disque. Mais il est encore plus invraisemblable qu’un tel disque ait pu exister. On ne met pas tous ses œufs dans le même panier, on le sait : au minimum, les informations ultra-confidentielles qu’il contient auraient dû être scindées en plusieurs disques, détenus, par exemple, l’un par le Premier ministre, l’autre par le ministre de la Défense, le troisième par M elle-même. En aucun cas, un service secret ne fera une bourde pareille. Cela dit, c’est le point de départ de l’histoire. Il n’y aurait pas eu de film, sans cela.
En deuxième lieu, pourquoi Patrice abat-il l’acheteur du Modigliani ? Je n’ai qu’une hypothèse à avancer. La formidable organisation de Silva, dont on ignore la raison d’être, doit bien être financée d’une manière ou d’une autre. J’imagine qu’il doit recourir au blanchiment d’argent, au trafic de drogue, bref, le b-a-ba du métier. Et également à la vente de tableaux volés. En tuant l’acheteur qui est sans doute venu avec la somme demandée, on peut prendre l’argent et « vendre » le tableau plusieurs fois. Qui voit une autre explication ?
Le cyanure n’a pas réussi à tuer Silva, mais a détruit sa mâchoire et ses dents. Curieusement, il n’a pas détruit sa langue, on se demande pourquoi.
14:05 Publié dans Fauteuil payant | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
C'est avec plaisir que j'écris enfin quelques lignes ici à propos de votre article sur "Skyfall" le dernier James Bond, article que vous aviez aussi partagé le forum de commander-james-bond.netne.net.
J'aime bien votre façon de présenter plusieurs points du film en quelques paragraphes. Celui qui concerne M est le plus long, évidemment puisqu'elle est le principal sujet, avec James Bond. En fait, leurs liens sont le coeur du film.
"Une parfaite réussite", dites-vous. Oui, je le crois aussi et je ne peux qu'approuver tout ce que vous dites. J'ai juste voulu prendre un peu de recul après l'avoir vu pour pouvoir aussi l'affirmer.
Amitiés
Gaspard Séb
Écrit par : Gaspard | mardi, 11 décembre 2012
Je crois que nous sommes à l'orée et à l'aurore de quelque chose de nouveau. Après le succès considérable de Skyfall, succès qui se poursuit d'ailleurs, les scénaristes auront à cœur (j'espère !) de poursuivre dans une voie sérieuse et au même niveau que ce film-ci. La barre est placée haut, à eux de savoir relever le défi.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 11 décembre 2012
C'est un vrai bonheur, Jacques, que de vous relire. Même si j'ai beaucoup moins aimé Skyfall que vous (grosses ficelles psychologiques, auto-références épuisantes, symbolisme outré - l'eau placentaire de la renaissance au début puis à la fin).
Écrit par : Richard | jeudi, 24 janvier 2013
Richard, on se tutoyait, avant mon long silence, non ?
Allons, allons, il faudra revoir Skyfall lors de sa sortie en DVD, en mars prochain. Tu verras, c'est excellent.
Écrit par : Jacques Layani | jeudi, 24 janvier 2013
Je vais bien évidemment le revoir en DVD, complétiste que je suis.
Mais justement, vois-tu, les défauts que tu cites me paraissent énormes. Ils entament la crédibilité de l'histoire, déjà pas bien épaisse. Les clins d'oeil, du moins ceux que j'ai aperçus, ne m'ont pas paru si "discrets" non plus.
Et enfin, le mariage Sam Mendes - James Bond n'est pas si heureux, il sent l'artifice et le compromis. Mais bref ! C'est James Bond, quoi, allez.
(Je te glisse quand même ce lien : http://cinematique.blogspirit.com/archive/2012/11/06/skyfall.html - je trouve cette analyse très juste, très bien écrite aussi)
Écrit par : Richard | mercredi, 30 janvier 2013
J'ai déjà lu le texte de Ludovic, voyons !
Si tu compares Skyfall, film des cinquante ans (2012) avec Meurs un autre jour, film des quarante ans (2002), pourri de ce que tu nommes toi-même des "auto-références épuisantes", tu mesureras la différence ! Il est justement repassé hier soir à la télévision : c'est une catastrophe. Mauvais, mal fait, empli d'images de synthèse qui se voient aujourd'hui à l'oeil nu, même en vitesse. Oh là là !
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 30 janvier 2013
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