lundi, 22 septembre 2008
Feu à volonté
« Tirez sur la porte, merci ».
Telle était l’expression figurant sur une feuille de papier collée à l’entrée du magasin « Beaux-Arts » de la librairie-papeterie Joseph Gibert, boulevard Saint-Michel à Paris.
Obéissant, discipliné, je sortis mon arme et fis feu.
Jugez de ma désolation lorsque, sortant de la boutique, j’avisai le même écriteau, enjoignant cette fois : « Poussez sur la porte, merci ». Je poussai si fort sur elle, qu’elle chuta.
Dira-t-on jamais suffisamment que le langage, arbitré par la grammaire et discipliné par la syntaxe, est destiné à se faire comprendre d’autrui et doit être porteur de sens ? Oserai-je ajouter qu’un emploi maîtrisé de la langue peut même permettre de faire passer des nuances ? Et qu’enfin, il est loisible d’en faire, plus qu’un simple moyen, une source de plaisir ? En ces temps, on ne peut plus tirer simplement la porte ni la pousser, il faut que, par surcroît, cela se fasse sur.
16:28 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (11)
Commentaires
"Tirer sur". Etrange. Et dans une librairie encore bien.
On avait déjà "il est sur Paris" qui a remplacé "il travaille dans la région parisienne".
Notre langue n'est déjà plus celle des jeunes générations. Nous appartenons à une espèce en extinction, celle des derniers dinosaures. Il est triste de se sentir vieillir mais aussi de prendre conscience que les nuances de la langue disparaissent. Il est vrai que dans une société dont les valeurs se limitent aux échanges commerciaux, point n’est besoin de beaucoup de nuances. Avec quelques mots du genre « cash flow » et « turn over » cela devrait suffire.
Écrit par : Feuilly | mardi, 23 septembre 2008
Il y a plusieurs années déjà que je ne reconnais rien de cette société. Je ne la comprends plus -- si je l'ai jamais comprise -- ne vois plus où elle va, n'imagine rien pour elle. Certes, c'est un effet du vieillissement. Mais c'est aussi ce qu'on voit dans les rues qui nous fait vieillir. Pas de solution.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 23 septembre 2008
Au sujet de la construction "être sur Paris", j'ai constaté qu'elle était fort ancienne : je l'ai retrouvée dans un Dingodossier de Goscinny et Gotlib, ce qui nous ramène aux années 65-68 ! Ce devait être déjà un tic de milieux parisiens. Mais elle n'avait pas alors l'ampleur qu'elle a pris depuis dix ans. Et misère ! à présent j'entends des collègues de lettres l'employer sans même se poser de questions. Ce qui veut dire qu'elle va devenir la norme.
Écrit par : Dominique | mardi, 23 septembre 2008
J'ai entendu demander : "Vous êtes sur Paris pour combien de temps ?"... vers 1976-1977. C'était effectivement une manie parisienne. Le plus amusant, c'est qu'on ne dit plus ça, aujourd'hui, à Paris.
Cependant, on dit en permanence : "dans Paris". Je n'ai jamais entendu dire "dans Lyon" ou "dans Angoulême". C'est vraiment parisien, cela.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 23 septembre 2008
Peut-être pour opposer le centre ville de la grande banlieue?
Écrit par : Feuilly | mardi, 23 septembre 2008
Non, non, ça a un côté particulier. C'est vraiment lié à cette ville, vécue comme une entité remarquable, particulière. "Je ne vais jamais dans Paris en voiture", par exemple. Ou bien : "Dans Paris, il y a beaucoup de [ce qu'on voudra]". Ou : "Il y a tant de monde dans Paris", etc.
Écrit par : Jacques Layani | mardi, 23 septembre 2008
Ah, les prépositions ! Vos remarques sont très justes, Jacques, mais nous sommes bien peu nombreux à soulever ce genre de problèmes syntaxiques. On est "dans Paris" comme on est "dans le doute", tout comme on "entre en dépression". Et là, faut-il la pousser la porte ?
Écrit par : Aurélie | mercredi, 24 septembre 2008
Gardez-vous en bien Aurélie, derrière cette porte, il y a un énorme trou et je ne suis pas certaine que les cordes de rappel soient suffisantes :-(
Écrit par : Martine Layani | mercredi, 24 septembre 2008
Attention à l'attrait qu'exercent les trous. Le vertige, l'attirance du vide... Brr !
Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 24 septembre 2008
On est proche du trou noir là... Mais il ya aussi les trous de mémoire, (plus léger) les trous d'air, (et plus drôle) les exercices à trous !
Écrit par : Aurélie | jeudi, 25 septembre 2008
En relisant les commentaires, je m’aperçois que j’ai écrit plus haut« pour opposer le centre ville de la grande banlieue? »
Etrange et impardonnable dans une note sur l’emploi erroné des prépositions. Je me demande bien où j’ai été cherché cela.
On oppose quelque chose « à » autre chose (le centre ville « à » la grande banlieue »). Ou bien on différencie cette chose d’une autre. A la limite, on aurait pu écrire : différencier le centre ville « et » la grande banlieue. (vraiment à la limite)
Heureusement, notre hôte, toujours courtois et discret, a fait semblant de ne rien remarquer…
Écrit par : Feuilly | jeudi, 25 septembre 2008
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