samedi, 01 septembre 2007
Des correspondances publiées
Je suis friand de correspondances publiées. Outre qu’on ne sait jamais pourquoi telles ou telles lettres paraissent ou non, pourquoi le tome premier n’est jamais suivi du deuxième – on imagine des impératifs éditoriaux, bien sûr, c’est-à-dire des impératifs commerciaux – quelques observations s’imposent.
Les volumes de correspondance déçoivent quelquefois, en dépit des signataires, surtout lorsqu’ils regroupent exclusivement les lettres destinées à une seule personne. Par exemple, les échanges entre Paulhan et Mauriac ou ceux qui existèrent entre Lorca et Dali m’ont bien laissé sur ma faim, et c’est peu dire. Ceux de Genet avec son éditeur Barbezat sont d’une médiocrité exemplaire. Les lettres de Mendes-France, adressées à une militante socialiste, ne sont pas si captivantes que l’éditeur voulut bien l’annoncer. Je n’ai jamais compris pourquoi le Cherche-Midi avait cru bon de publier les lettres de Daniel Zimmermann et de Claude Pujade-Renaud, deux auteurs qui, surtout dans les années 80, envahirent les éventaires des librairies de leur plate production respective ; quant à leur correspondance, elle est aussi digne d’intérêt que la question de l’importation des bâtons de sucettes au Guatemala. Bien plus curieuse est la correspondance de Gide et de Simenon, du fait même de la différence d’importance littéraire existant entre les deux hommes et de l’application que met Gide à assurer Simenon de son admiration : on sent bien que la chose est pour le moins exagérée et l’on est presque ennuyé par la gêne de Simenon, donnant à Gide du « Cher maître » et n’en revenant pas de sa bonne fortune.
Les tomes de correspondance générale sont plus intéressants. De par la variété des propos et des destinataires, ils dessinent un visage particulier du scripteur. Celle de Cézanne est à mourir de rire : le pauvre peintre était génial mais incapable d’écrire une lettre claire. La confusion de ses missives est incroyable et, plus les années passent, plus ce défaut se confirme : ses phrases s’emberlificotent, il perd de vue son sujet, en mêle plusieurs dans le même passage, se noie dans les formules de politesse, bref, c’est une catastrophe. Il est vrai que l’écriture n’était pas son domaine et qu’on n’est pas obligé d’avoir des talents multiples. Quand Fayard voudra bien donner à lire le tome deux des lettres de Verlaine, ce sera bien.
Les lettres d’Albertine Sarrazin, qu’elles soient exclusivement destinées à une personne – Lettres à Julien – ou à plusieurs – ses Lettres de la vie littéraire – officielles ou clandestines – ses Biftons de prison – sont un régal. Mais elle avouait elle-même qu’écrire des lettres était pour elle « faire ses gammes ». Il y avait à l’évidence volonté d’écriture dans tout ce qu’elle entreprenait. Les lettres fleuves de Simone de Beauvoir (à Sartre, à Bost, à Algren) valent pour leur fréquence, leur obstination, leur quotidienneté, pas réellement pour leur contenu, il faut avoir le courage de le dire. Les lettres de Ravel sont très intéressantes, comme celles de Vailland à sa famille. Celles du général de Gaulle (quatorze volumes de Lettres, notes et carnets, dont je n’ai lu que deux) sont à lire dans une optique particulière : l’immense variété de correspondants que lui offrait sa fonction et le personnage lui-même, tel qu’on le connaît, créent un univers singulier. Toutes les lettres d’Apollinaire sont très intéressantes, qu’elles soient adressées à Louise de Coligny-Châtillon, à Madeleine Pagès, à sa marraine de guerre ou bien à sa mère et à son frère. Très curieuses, amusantes parfois, sont les missives de Racine à son fils. Les Lettres de prison de Gabrielle Russier sont poignantes, surtout lorsqu’on sait la fin de l’histoire. Pourquoi diable Gallimard nous a-t-il gratifiés de la correspondance de Violette Leduc, cette femme sans autre centre d’intérêt, dans sa vie, que sa petite personne, tout juste bonne à parler d’elle en se plaignant constamment, en geignant sans cesse ? Après que le volume me fut tombé des mains, je l’ai entendue un soir à France-Culture, dans une interview rediffusée : ses propos étaient de la même teneur que ceux présents dans ses lettres – moi et mon nombril malade – le tout, comme il se doit, dans une expression faite de platitudes et de clichés.
Et puis il y a les échanges épistolaires irremplaçables parce que liés aux deux scripteurs et à l’importance du projet dont ils débattent. Ainsi, Proust et Gaston Gallimard négociant sous nos yeux leurs contrats (on disait alors « traités ») et discutant ferme des corrections à apporter au manuscrit de la Recherche, de la préparation de l’édition, des ajouts incessants de l’auteur…
Finalement, c’est certainement cette infinie variété de parole, de ton, de contenu, qui fait des correspondances éditées le charme, évidemment, mais aussi le matériau nécessaire à toute étude approfondie sur leurs auteurs.
07:00 Publié dans Édition | Lien permanent | Commentaires (9)
Commentaires
Je suis toujours partagé face aux correspondances d'artistes. Certaines sont passionnantes, justement parce qu'elles prennent clairement le parti de "faire oeuvre" ; d'autres sont plaisantes, en raison même du portrait qu'elles dessinent. Toutefois, j'ai presque toujours le sentiment que la correspondance est inférieure en qualité (ou, à tout le moins, en intérêt littéraire) au reste de l'oeuvre...
Je suppose que les lettres de Kafka à Felice sont disponibles en traduction ; c'est la seule exception que je connaisse, car il s'agit d'un volume stupéfiant...
Écrit par : Guillaume | samedi, 01 septembre 2007
Tout dépend. Quand le téléphone n'existait pas, on s'écrivait pour dire : "N'oublie pas de prendre ton parapluie quand tu viendras". Ce n'est pas une plaisanterie, la mère d'Apollinaire le lui a écrit. Cette correspondance-là est sans intérêt, certes, mais pas déplaisante cependant. Elle nous permet de nous rendre compte de ce qu'était à un moment donné le quotidien du poète, de saisir au vol une époque en un simple instantané.
Je crois qu'il faut savoir s'adapter aux scripteurs et à leurs propos au moment même de la lecture. Et toujours, comme il se doit, tenir compte du contexte.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 01 septembre 2007
L'inintérêt de la correspondance Paulhan-Mauriac tient à plusieurs faits. D'abord Paulhan écrivait ses lettres à la chaîne, le matin, une trentaine au moins. Il donnait plus ou moins dans chacune de ses lettres les mêmes choses vues ou les mêmes sentences personnelles ou les mêmes citations. Quand on commence à lire la correspondance de Paulhan, on trouve cela intéressant, puis on s'aperçoit au bout du dixième Cahier de la NRF qu'il racontait exactement la même chose au mot près à on ne sait combien de personnes. Les lettres de Paulhan sont très peu personnelles, sauf celles à Ponge, Monique Saint-Hélier, Grenier, Suarès, Tarde (pour ce qui est publié).
Pour moi, l'intérêt de ses lettres a été surtout de voir comment il éprouvait certains des arguments des Fleurs de Tarbes, puis du Don des langues. Il les lançait par incidence à ses interlocuteurs pour voir comment ils réagissaient. Parfois, on a des mini-chapitres de ses ouvrages, comme un brouillon. Autant dire que la mystique de Paulhan faisait mauvais ménage avec le catholicisme de Mauriac. Ce dernier ne pouvait réagir, puisqu'il ne comprenait strictement rien à l'intention du propos.
Ensuite, il était éditeur et il avait été chargé de débaucher Mauriac dans les années 30 afin de l'amener dans les pages pestiférées de la NRF. Cela demandait la plus grande prudence de ton, vu la réputation RPR de la maison. Il fait donc la conversation, mais sans plus, juste pour dire qu'il s'intéresse à lui. Mais la même prudence peut se retrouver dans ses lettres à Valéry ou à Gide, qui comme figures tutélaires ne pouvaient pas être négligées et que Gastounet tenait néanmoins à écarter le plus possible. De là, des tas de contorsions.
Enfin, il y a la période de la résistance, puis de l'épuration qui aurait pu rapprocher Paulhan et Mauriac. Mais comme c'est une période trouble, tout est voilé.
Écrit par : Dominique | samedi, 01 septembre 2007
... mais, en fin de compte, mieux vaut lire *Les Fleurs de Tarbes* de manière approfondie, non ?
Écrit par : Guillaume | samedi, 01 septembre 2007
Mais... en quoi est-ce incompatible, Guillaume ?
Merci à Dominique, dont je savais qu'il réagirait, en lecteur de Paulhan qu'il est.
Je rappelle par ailleurs que Claire Paulhan a entrepris l'édition de la correspondance de son père, intégralement, mais en plusieurs volumes. Chacun d'entre eux est dévolu à un correspondant particulier. S'agissant d'une édition à faible tirage et d'une réalisation incontestablement soignée, le prix de chacun de ces livres est plutôt exorbitant.
Ces volumes ont aussi une particularité : les lettres sont présentées, annotées, commentées. C'est une édition érudite, certes. Mais... il arrive fréquemment que les commentaires soient supérieurs au nombre de lignes de la lettre initiale et là, je trouve qu'il y a exagération intellectuelle. Rien ne sert de délayer ainsi ce qui, au départ, demeurait un simple poulet.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 01 septembre 2007
Euh pas tous... Ponge s'est choisi une thésarde à sa solde et les volumes sont violemment anti-paulhaniens. Etiemble a fait travailler sa femme et lui a donné son sujet de thèse, on trouve le texte chez Slatkine. Tout aussi anti-paulhanien. Les volumes avec Grenier, Perros sont parus sans appareil critique chez Calligrammes. Les lettres avec Gide ou Drieu ont fait l'objet de mémoires de maîtrise et de publications confidentielles en revue, parce que la masse n'est pas énorme. Quant à la correspondance générale établie par Dominique Aury et Jean-Claude Zylberstein, j'ai eu l'occasion d'en parler avec Bernard Leuilliot l'annotateur : la grosse difficulté, c'est que la famille veut voir figurer des lettres de gens sans aucun intérêt, parfois n'ayant qu'un lien très lointain avec les lettres, mais faisant partie du cercle intime. Il a dû supprimer un nombre invraisemblable de lettres à Pourrat, le grand ami de Paulhan. Cela dit, Claire Paulhan est un peu plus avisée que ses parents. Mais le gros problème risque de ressurgir si les amis de Vialatte arrivent à mettre au point leur opération de correspondance croisée Paulhan-Pourrat-Vialatte, Fanny Berson y a toujours tenu, et on peut craindre le pire vu le charcutage des chroniques de Vialatte.
Écrit par : Dominique | samedi, 01 septembre 2007
Toutes ces précisions sont fort bien venues, merci Dominique.
Écrit par : Jacques Layani | samedi, 01 septembre 2007
Que dire aussi du cas, pas si rare, des écrivains qui se contrefichent de leur correspondance et la laissent s'égailler de ci de là sans souci d'inventaire ni de postérité ?
Écrit par : MuMM | dimanche, 02 septembre 2007
Si tu veux parler de leur correspondance active (envoyée), il est légitime qu'ils ne s'en soucient pas, ou bien, c'est qu'ils ont écrit leurs lettres en pensant à plus tard, en pensant faire oeuvre.
Pour la correspondance passive (reçue), on est évidemment un peu responsable de la conservation de ce qu'on reçoit.
Cela dit, on ne peut pas vivre en pensant en permanence à plus tard. Etre son propre archiviste est délicat et contraignant. Que conserver ? Pourquoi ? Comment le stocker ? Cela a-t-il un intérêt ? N'est-ce pas prétentieux ?
Écrit par : Jacques Layani | lundi, 03 septembre 2007
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