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mercredi, 08 mars 2006

Le tort d’être né

Les enfants du baby-boom, vous les connaissez, n’est-ce pas ? Ce sont ceux qu’on a appelé les « baby-boomers » et qu’on qualifie aujourd’hui de « papy-boomers ». Ceux à qui on reproche d’être nés, vous savez bien…

 

Ces gens qui ont eu le culot de vivre tout ou partie des « Trente glorieuses », le tort de ne pas connaître de guerre (on escamote l’Algérie pour appuyer l’idée reçue), le tort de faire mai-68 alors qu’ils étaient des enfants gâtés, le tort d’ouvrir la voie au féminisme, le tort d’être à gauche, le tort de céder à l’enfant-roi, le tort de polluer la planète, j’en passe.

 

À l’âge du service militaire, ils étaient trop nombreux dans les casernes, il a fallu exempter à tour de bras. On ne savait plus que faire d’eux. Il aurait fallu les nourrir durant un an. Sales baby-boomers. Et maintenant, ils ont le tort d’être trop nombreux à arriver à la retraite. S’ils pouvaient crever, ces enfants du baby-boom. Tout est de leur faute, bien sûr. Alors, en 2003, on a allongé la durée de leurs cotisations. De quarante ans dans le privé et trente-sept et demi dans la fonction publique, on est passé à quarante ans pour tout le monde en prévoyant l’échéance prochaine des quarante et un ans, celle des quarante-deux ans et en laissant entendre qu’on irait ainsi jusqu’à quarante-cinq annuités.

 

Ces sales enfants du baby-boom, on leur reproche tout et le reste, plus encore autre chose. Dans la fonction publique, on a déjà commencé à ne pas remplacer les départs à la retraite, aux motifs qu’il y aurait trop de fonctionnaires (dont, forcément, ces sales baby-boomers, forcément puisqu’ils sont partout) ; dans le même temps, on allonge la durée de cotisations. Moi , je trouve ça contradictoire, pas vous ? S’ils sont trop nombreux dans l’administration, ces horribles baby-boomers, qu’on les mette à la retraite anticipée. Non ? Moi, je suis preneur demain matin.

 


Mais ce n’est pas tout, les baby-boomers vont encore être responsables de faits démographiques puisqu’on prévoit d’ici quelques années un mouvement de population de l’ordre de dix pour cent au départ de la région parisienne vers la province. Ce n’est pas terminé. Dans Le Monde du 6 mars, Louis Chauvel, professeur à Sciences-Po, estime que « La France les a sacrifiés [les jeunes] depuis vingt ans pour conserver son modèle social, qui profite essentiellement aux baby-boomers ».  Et ce monsieur d’argumenter à propos du désarroi des jeunes que je comprends parfaitement et dont je m’émeus beaucoup, sur le principe habituel : « C’est la faute des baby-boomers ». Depuis vingt ans, ma situation sociale n’a cessé sinon de se dégrader, du moins de devenir de plus en plus difficile. Mais qu’importe, tout « profite essentiellement aux baby-boomers » ! Par ailleurs, ce monsieur feint d’oublier que ces sales baby-boomers n’ont pas tous le même niveau de vie… L’écrasement des classes moyennes, leur paupérisation en marche, cela ne l’effleure pas. Tout le mal vient des baby-boomers.

 

Lesquels commencent à en avoir par-dessus la tête de servir de boucs émissaires. Alors, qu’on me mette à la retraite anticipée, qu’on me propose de laisser mon poste à (par exemple) cinquante-cinq ans, je ne demande que ça. Je pars dans le Lot illico. Non, pour me punir d’être né, on me demande de travailler jusqu’à l’âge de soixante-deux ans, auquel j’aurai atteint mes quarante et une annuités, soit en décembre 2014. Bref, on ne veut plus de nous, mais on nous garde.

07:00 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (7)

Commentaires

Dans la fonction publique belge l'âge normal de la retraite est 65 ans (45 annuités de cotisation). Dans la pratique, la plupart des fonctionnaires partaient à 60 ans, en perdant quelques plumes dans la bataille.
Maintenant on parle de faire travailler tout le monde jusqu'à 68 ans et de pénaliser fortement ceux qui partiraient avant.

Donc, ou bien vous partez à 60 et vous faites faire des économies à la caisse de pension, ou vous restez jusqu'à votre dernier souffle. ou vous mourez avant, ce qui serait plus civique.

Vont-il inventer des primes au suicide ou vont-il instaurer des médailles pour celui qui trépasse à 68 ans dans son bureau?

Écrit par : Feuilly | mercredi, 08 mars 2006

Les 45 annuités, on y va tout droit. On va encore nous sortir qu'il faut harmoniser les législations européennes. Cette sale manie française de dire : "Regardez ce qui se passe ailleurs". On pourrait aussi bien répondre que c'est aux autres de s'inspirer de ce qui se passe chez nous. Mais niet, on a inventé le truc : "Le système français ne marche plus, il est à bout de souffle, patin, couffin". Ce qui permet de s'aligner sur ce qu'il y a de moins bien, tout cela pour le plus grand profit du capitalisme international.

Et tout ça, c'est la faute des baby-boomers, comme chacun le sait, puisqu'ils sont nés. Je commence à enrager sérieusement.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 08 mars 2006

Moi, je croyais que le mot d’ordre en 68, c’était : « te marie pas ! ».

Je trouve que vous avez une façon toute particulière de présenter l’interview de Louis Chauvel (http://reseaudesbahuts.lautre.net/article.php3?id_article=295), qui, pour moi, est particulièrement intéressante. J’imagine que c’est parce que vous prenez en compte essentiellement votre expérience individuelle, alors que ce professeur établit ses conclusions sur des données générales. A ce compte, il faudrait aussi parler des baby-boomers bien moins lotis que vous, qui aujourd’hui se trouvent au chômage (en particulier dans le privé) ou doivent se contenter du RMI pour vivre, car cela doit bien exister.

- Les grands acquis sociaux (enfin ce qu’il en reste) n’ont nullement été mis en place par la génération 68, mais par celle qui a précédé, à la Libération. Au contraire, « votre » génération n’a cessé, depuis qu’elle a accédé aux responsabilités, c’est-à-dire depuis 20 ans, de les défaire.

- Quand vous parlez de votre génération comme étant de gauche, ayant fait 68, là encore vous généralisez. Et d’ailleurs, ceux qui ont fait « la pensée 68 » (Blanchot, Barthes, Foucault, Deleuze, etc.) sont presque tous nés dans le premier quart du siècle. La génération de ceux qu’on peut appeler les « acteurs » de 68 (les étudiants), c’est celle qui a donné, intellectuellement, … « les nouveaux philosophes »…

- Ne pas voir que les difficultés liées au chômage sont beaucoup plus importantes pour les 20-30-40 ans d’aujourd’hui, que les conditions d’accès à la propriété (en dehors d’apports familiaux) sont devenues extrêmement difficiles est un déni de réalité, y compris si l’on se base uniquement sur ses observations personnelles. Louis Chauvel indique ceci : « en 1977, les quinquagénaires gagnaient 15 % de plus que les trentenaires. En 2000, l’écart atteignait 40 %. Les quinquagénaires, qui ont fait carrière souvent au détriment de nouvelles générations non embauchées ou mal payées, ont très peur : en cas de licenciement, leur espoir de retrouver un emploi au même salaire serait très limité. Le système tient par l’espoir des jeunes de rattraper un jour le salaire des seniors. C’est un marché de dupes, une promesse qui n’engage pas ceux qui la formulent : ils ne seront plus là dans dix ans. » Actuellement, il n’est pas sûr qu’avec un salaire pourtant confortable de cadre A+ dans la fonction publique et sans apport personnel, il soit possible d’acquérir un appartement dans Paris, ce qui n’était nullement le cas dans les années 70 ou 80.

- Le CPE : actuellement, nous vivons une situation historique incroyable, puisque le départ en retraite de nombreux enfants du baby-boom devrait logiquement, mathématiquement, libérer un nombre important d’emplois et réduire, partiellement mais substantiellement, le taux de chômage. Or que se passe-t-il ? On ne cesse de réduire le nombre de postes dans les concours administratifs, on rend les contrats de travail de plus en plus précaires (ce qui, à mon avis, ne peut que conduire à une généralisation de cette précarité, y compris chez les fonctionnaires – cf ce qui s’est passé pour les retraites). Ca veut dire quoi, ça renvoie quels signes auprès des « djeuns de maintenant»?

- Je suis dégoûté de voir l’indifférence de la plupart des fonctionnaires –en particulier ceux de la « génération baby-boom »-, vis à vis de leurs « collègues » non titulaires (à statuts précaires multiples), lorsque le « contrat » de ces derniers n’est pas renouvelé, lorsque depuis des mois, ils n’ont pas été payés, etc. Dans ce cas, il y a rarement des grèves ou des pétitions. Et ceci sans doute pour de « bonnes » raisons syndicales ou idéologiques (un peu comme ces trotskistes qui refusent de donner une pièce de monnaie à un SDF parce la charité, c’est le moteur du système capitaliste). Par sentiment de supériorité, peut-être (mais qu’est-ce que réussir un concours, un jour ?) Mais surtout par égoïsme. (ce serait d’ailleurs intéressant de connaître le pourcentage de fonctionnaires grévistes de mardi dernier selon les tranches d’âge).

Enfin, je m’étonne que votre « réflexe générationnel » (génération pas si « glorieuse » que cela) l’emporte sur le regard on va dire politique qui s’impose aujourd’hui tout particulièrement.

Écrit par : gluglups | samedi, 11 mars 2006

Gluglups, je ne polémiquerai pas.

Écrit par : Jacques Layani | samedi, 11 mars 2006

Bon. Précisons d'abord que les fonctionnaires ne cotisent pas aux caisses de retraite, sauf les complémentaires. Ce sont des cotisations fictives. Ils toucheront des pensions qui sont en fait dépendantes de la masse monétaire qui sera dans le budget de l'État lorsqu'ils prendront leur retraite. L'augmentation de la durée de cotisation (fictive) ne permet pas de sauver les retraites de ceux qui les prendront dans vingt ans, mais de préserver le niveau de vie des pensionnés de l'État parce que ce niveau est garanti. Or il se fait qu'en l'espace de dix ans, la moitié de la fonction publique dans l'enseignement prend ses droits à la retraite. Cela veut dire que le budget de l'État pour les pensions va plus que doubler du fait de l'effet de glissement vieillesse-technicité (les salariés qui prennent leur retraite sont plus qualifiés et mieux payés que des instituteurs des années soixante qui prenaient leur retraite à 55 ans).

On a donc deux effets pervers : un nombre de retraités en hausse considérable (mais la question du ratio n'est pas importante pour la fonction publique), des retraités qui parviennent à un niveau plus élevé qu'auparavant (vague de titularisations vers le haut dans les années 80). Le problème, c'est de consacrer plus d'argent aux pensions qu'aux traitements. On peut réduire le nombre de fonctionnaires (cela s'est fait en plusieurs fois) ou bien les qualifications (recours aux contractuels, aux vacataires, vite jetés), mais le problème est bien de savoir où est l'argent utile du budget et comment contenir l'inflation du déficit. Il n'est pas dans les pensions.

On coupe donc dans les pensions à venir pour inciter à un départ plus tardif pour certains, à un départ dans de mauvaises conditions pour d'autres. Cela veut dire que le départ peut être à 65 ans (âge limite sauf cas particuliers comme les professeurs d'université), sauf si on oblige la personne à faire valoir ses droits à 60 ans, l'âge normal (une manière polie de licencier). Ensuite, il y a les dégrèvements : une année de travail en moins, c'est 3 % soit plus que la durée fictive de cotisation. Un enseignant qui partait à l'âge normal avait 75 % de son traitement, il n'en aura plus que 50 % au même âge et avec la même durée de fonctionnariat. Cela permet de vivre encore largement quand on est enseignant agrégé (et on a eu le temps de faire des économies avec les heures de colle, heures sup, etc.), mais cette situation est invivable pour un ATOS : il était à peine au dessus du SMIC et il se retrouve juste au dessus du RMI ou du minimum vieillesse.

Il y avait des vieux pauvres quand on a commencé à mettre en place les systèmes de retraite, puis ils sont devenus de plus en plus aisés et on a vanté sans arrêt ces seniors dynamiques qui voyageaient et faisaient des croisières. Eh bien ! les vieux pauvres vont revenir parce qu'ils auront été floués par un système qui leur demande d'entretenir encore un peu les seniors (on ne peut pas y toucher), mais qui ne les rétribuera pas selon leurs efforts, au contraire.

Bref, on a affaire à des acrobaties budgétaires qui appauvrissent à la fois ceux qui entrent dans la fonction publique ou qui tentent d'y participer et ceux qui vont en sortir. C'est un grand marché de dupes où seuls sont gagnants les gens qui ont été parmi les premiers baby-boomers, des gens comme Rocard ou Juppé ou de leur génération, des parfaits technocrates sans aucun état d'âme et sans une seule once d'altruisme et d'humanité. Le bilan comptable tient lieu de valeur et on traficote pour que les chiffres soient un peu propres.

Écrit par : Dominique | samedi, 11 mars 2006

Sans entrer non plus dans une longue polémique que je n'aurai pas le temps de suivre, conseils de classe obligent, les nuances apportées par Gluglups sont en grande partie justifiées, et il prend bien soin de ne pas généraliser "la génération des baby-boomers", ce qui en soi ne me semble pas dire grand chose (le problème étant posé par ceux des baby-boomers qui de facto sont actuellement aux responsabilités et qui se foutent comme de l'an quarante de ce que seront les conditions de travail des gens de mon âge, attendu que leurs propres enfants - reproduction sociale oblige - seront, eux, préservés).

J'ajouterai juste que, bien qu'en étant fonctionnaire-planquée (mais appelée à côtiser 45 ans, à bosser dans des conditions qui se dégradent à grande vitesse dans ma ZEP pourrie et entourée de plus en plus de collègues extrêmement précaires), j'ai fait grève mardi dernier, par solidarité, et je referai grève autant de fois qu'il le faudra.
Je signale que parmi mes collègues baby-boomers, les grévistes étaient nombreux. Une pierre de plus apportée au refus des généralisations et des réflexes de génération ! ;o)

Puis, après tout, la prochaine manifestation anti CPE est le 18 mars, c'est un samedi... peut-être que les "fonctionnaires-planqués-pas-solidaires" seront, cette fois, de la partie ? Re - ;o)

Écrit par : Fanny | samedi, 11 mars 2006

- "étant fonctionnaire-planquée": pour combien de temps encore? (sans parler des difficultés particulières liées à l'exercice du métier). Il semble évident que si l'on en vient à une sorte de contrat de travail universel, dont on parle beaucoup (avec la disparition des CDI), le statut des fonctionnaires sera indéfendable, intenable.

- "appelée à côtiser 45 ans": pour obtenir quoi? D'ici là, cela risque de pas mal changer. Les générations post baby-boom seront encore les dindons de la farce.

Bref, bref... même si les manifs anti CPE sont un succès, on est mal partis...

Écrit par : gluglups | dimanche, 12 mars 2006

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