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vendredi, 13 janvier 2006

Au café du coin, 6

Il est entré au Campo. Christelle a failli tomber. Elle a rattrapé in extremis les plats qu’elle portait. Il est beau, il a une allure folle, elle le connaît bien. Elle a lu ses œuvres, elle va les voir jouer au théâtre, chaque fois qu’elle le peut. Elle est ivre de fierté de le savoir client de son établissement. Il faut dire que moi-même, je suis plutôt content d’être son ami. Christelle soutient qu’il est le seul à exprimer ainsi les passions, les sentiments féminins surtout. Elle rêve de jouer pour lui mais il n’est pas certain qu’elle puisse le faire. Il me l’a confié l’autre jour où, entre deux plats, il essayait sur moi quelques vers. « Je suis en train de composer une nouvelle pièce, cher ami, m’a-t-il annoncé. Souffrez que je vous donne lecture de cette scène dont je ne suis pas sûr ». Pensez si j’étais honoré ! Il me demandait mon avis. Faut-il préciser que, d’emblée, tout était magnifique ? Lorsqu’il sort du restaurant, après son repas, Christelle soupire, le regard vague, l’envie manifeste d’être ailleurs : « Jean… » Ah, c’est quelque chose, tout de même, de compter Racine parmi ses proches.

 

« Comment dites-vous ? François Bernardone ? Je le connais ? » me demande Valérie lorsque je lui dis qui j’attends ce jour-là. Puis elle réalise qu’elle l’a déjà vu : « Ah oui, c’est celui qui ne mange presque rien ! » Je souris : « Tout juste. C’est un homme modeste, très pauvre ». Pauvre mais passionnant, François d’Assise est là, face à moi. Il est souffrant mais son esprit l’emporte. « Ce qui m’intéresse chez vous, Jacques, c’est… » Il s’arrête. Fichtre ! Qu’est-ce qui, en moi, peut bien intéresser ce saint homme ? Le silence s’étend. Sur le boulevard, une ambulance file, qui fait entendre sa sirène à trois tons. « Qu’elle emmène avec elle la douleur du monde », murmure mon vis-à-vis. Valérie le regarde avec étonnement.

 

Voilà, je vous ai présenté quelques uns de mes amis. Je déjeune parfois avec d’autres, mais il serait trop long d’évoquer pour vous mes repas avec Marx, Oscar Wilde, Camille Claudel, Robespierre, Saint-Just, Euripide, tant d’autres… Allez faire un tour au Campo, à l’heure du déjeuner. Il n’est pas rare que je m’y trouve et mes amis ne sont pas bégueules ; ils ne verront aucun inconvénient à boire leur café en votre compagnie. Vous croiserez Danton, Gandhi, Molière, le Christ, Jean Moulin, nous prendrons l’apéritif ensemble, si vous voulez. Christelle et Valérie vous serviront avec la gentillesse qui est la leur, habituellement. N’oubliez pas : le Campo, boulevard de l’Hôpital, Paris. On en restera là maintenant parce que, comme les meilleures choses, les plus délicieux repas ont une

 

FIN

Commentaires

Les plus délicieux repas ont une fin? Certes, mais c'est la faim qui justifie, les repas.

"La faim, la faim, toujours recommencée..." comme disait Valéry, du temps où il fréquentait le Campo et avant qu'il n'aille se reposer pour l'éternité dans son cimetière marin, quelque part dans le Sud. A Sète, en vérité, où il doit accueillir à sa table G. Brassens (non je ne ferai pas un mauvais jeu de mot avec set de table) et parler comme tout le monde de l’amour et des femmes.

Paul, le fait toujours d’une manière précieuse :

« Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentre dans le jeu ! »

Et le bon Georges, ma foi, comme chacun sait, est plus direct mais pas moins tendre.

Et quand, prenant ma butte en guise d'oreiller,
Une ondine viendra gentiment sommeiller
Avec moins que rien de costume,
J'en demande pardon par avance à Jésus,
Si l'ombre de ma croix s'y couche un peu dessus
Pour un petit bonheur posthume
(SUPPLIQUE POUR ÊTRE ENTERRÉ À LA PLAGE DE SÈTE)

Quant à moi j’aimerais bien un jour franchir le seuil du Campo, rien que pour voir la couleur des yeux de Valérie.

FIN de partie (comme disait Beckett)

Écrit par : Feuilly | vendredi, 13 janvier 2006

Merci pour ta participation, Feuilly, et pour ce beau final.

Écrit par : Jacques Layani | vendredi, 13 janvier 2006

Eh bien quitte à détonner, je trouve dommage que ça s'arrête... j'aimais beaucoup les variations de JL sur ses déjeuners en ville, er j'aurais tant aimé lire le récit de ses agapes avec "Marx, Oscar Wilde, Camille Claudel, Robespierre, Saint-Just, Euripide, et tant d’autres". Mais si je connais un tant soit peu le taulier de ce blog, je crains que l'arrêt ne soit définitif et qu'il soit vain de chercher à le faire changer d'avis.

Écrit par : fuligineuse | mardi, 17 janvier 2006

Fuligineuse, tu me connais comme si tu m'avais fait... Cela dit, pour te remercier de ta fidélité, je te signale que j'ai déjeuné aujourd'hui au Campo avec Martine et que Valérie nous a servi un filet de daurade avec caviar d'aubergines et tappenade, suivi d'une mousse au praliné. Le café qui s'ensuivit était parfait aussi.

Écrit par : Jacques Layani | mardi, 17 janvier 2006

Damned ! tout ce que j'aime !

Écrit par : fuligineuse | mercredi, 18 janvier 2006

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