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lundi, 14 novembre 2005

Ben Barka

Le cinéma politique, en France, nous avait donné Yves Boisset et Constantin Costa Gavras. Il vient de nous apporter Serge Le Péron, qui a réalisé J’ai vu tuer Ben Barka.

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Pour les plus jeunes d’entre nous, je précise que Mehdi Ben Barka était le chef de l’opposition marocaine, spécialiste des questions de décolonisation dans tous les pays. Il avait une grande influence et gênait beaucoup de monde, à commencer par le général Mohamed Oufkir, ministre de l’Intérieur marocain et la CIA, qui utilisait le Maroc comme tête de pont pour le contrôle américain de l’Afrique. On lui a tendu un piège en 1965, en lui faisant croire que le cinéaste Georges Franju allait tourner un film sur la décolonisation, à partir d’un scénario de Marguerite Duras, produit par Georges Figon. Il avait rendez-vous le vendredi 29 octobre 1965 avec les deux hommes à la brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain. En arrivant, il fut intercepté par des Français et enlevé. On ne l’a jamais revu, son corps n’a jamais été retrouvé. Ce qu’on a nommé « l’affaire Ben Barka » fit à l’époque un bruit considérable. Les services secrets français (SDECE) furent certainement mouillés dans l’affaire, le général de Gaulle dut aborder le sujet au cours d’une conférence de presse, ce fut une affaire d’État. Tous les protagonistes furent retrouvés morts au cours des années qui suivirent, jusque dans les premières années 80.

 

En 1972, avec L’Attentat, Boisset avait déjà évoqué l’affaire Ben Barka et connu, à l’époque, tous les ennuis possibles au cours de son tournage. Pourtant, il avait changé les noms. Aujourd’hui, le « secret-défense » qui couvrait ce dossier a été levé et Serge Le Péron propose un film aux personnages réels, sans changement des patronymes, retraçant toute l’affaire ou du moins ce qu’on en connaît.

 

Il ne le fait pas comme Boisset, à qui l’on a si souvent reproché sa lourdeur, sa façon d’appuyer, voire de caricaturer (encore que cela fut nécessaire). Il ne le fait pas comme le grand Costa Gavras (que les gens de mon âge appellent Costa tout court et qui lui conserveront à jamais sans doute leur estime et leur affection), en soulignant volontairement, voire en répétant : « Oui, je sais, je l’ai déjà dit, mais je vous en remets une couche, comme ça vous ne pourrez pas dire que vous n’avez pas compris, en sortant », le tout dans une mise en scène splendide et avec des moyens et un talent formidables.

 

Le Péron présente cette affaire politico-historique à la manière d’un film noir. La presse, avec son enthousiasme de circonstance et ses déplorables exagérations publicitaires, a trop rapidement évoqué Melville. Il ne faut rien exagérer. Melville, c’est l’épure, la stylisation, la mise en art, c’est-à-dire l’agencement, l’ordonnancement de la réalité à travers le regard du réalisateur. Serge Le Péron ne va pas jusque là. Il se contente d’un récit non linéaire avec inclusion de trois ou quatre cartons et ne crée pas un rythme personnel comme savait le faire Melville dans ses opéras glacés.

 

Ben Barka est joué par Simon Abkarian qui donne à l’homme politique une envergure et un charisme considérables. Jean-Pierre Léaud campe Georges Franju avec fièvre et inquiétude. Josiane Balasko est une étonnante Marguerite Duras, très convaincante (félicitations à l’équipe de maquillage). Charles Berling est Georges Figon, crapule un peu lâche, un peu veule, un brin vulgaire. Sa compagne, Anne-Marie Coffinet, est interprétée par Fabienne Babe, talentueuse, au visage intéressant. L’utilisation d’archives filmées est faite intelligemment, il y en a peu et leur montage est fait convenablement. La reconstitution est excellente – certes, cela ne fait pas un film – à part une boîte à lettres de rue qui est celle d’aujourd’hui, mais c’est vraiment minuscule.

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Lundi 31 octobre, une place Mehdi-Ben-Barka, située à l’intersection de la rue du Four et de la rue Bonaparte, à deux pas du lieu de sa disparition, a été inaugurée en présence de sa veuve.

Commentaires

Merci beaucoup de cette note très bien écrite, comme toujours, et qui attire notre attention sur un film qui risque de passer inaperçu sinon (non? hmm?).

Je me permets juste une petite remarque, car je connais ton souci de perfection dans l'expression et que tu ne m'en tiendras pas rigueur (quelle rupture de constructon audacieuse!): quand tu écris "pour les plus jeunes d'entre nous", cela me semble un glissement de sens. En effet, certains de tes lecteurs, nés longtemps après l'affaire Ben Barka, ont tout à fait pu "suivre le film" (in vulgar parlance), tandis que de sémillants septuagénaires, par exemple, tout à se laver le cerveau à coups de TF1 ou de France 3, en auront tout oublié.

Je t'en fais la remarque d'autant plus volontiers que ta note de ce jour (Trace épuisée) va dans le même sens que moi: ce qui compte, dans l'appréciation du passé, c'est le désir de se cultiver, et non l'âge.

Écrit par : Guillaume | mercredi, 16 novembre 2005

Tu as entièrement raison, Guillaume. J'avais évoqué les plus jeunes (sauf erreur de ma part, le plus jeune ici doit avoir dix-neuf ans à peine), dans le souci de ne laisser personne sur le bord de la route. Mais il est exact que des gens ayant vécu cette période peuvent avoir tout oublié de cette histoire. Tu as bien fait de préciser cela.

Écrit par : Jacques Layani | mercredi, 16 novembre 2005

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